Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, à Radio Classique le 29 juillet 2003, sur le programme des réformes du gouvernement.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

H. Lauret-. La situation est très grave sur le front des incendies de forêts et le chef de l'Etat lui-même promet la plus grande sévérité. Mais, pour l'heure, j'imagine que c'est naturellement la mobilisation et la solidarité qui sont à l'ordre du jour ?
- "Oui, naturellement. La situation est très grave. Elle exige une mobilisation totale et je peux vous dire que sur ce point, le Premier ministre suit en permanence le développement de la situation, des différents incendies et surtout, tout ce qui touche à la mobilisation générale de l'ensemble des moyens disponibles. Et je vais vous dire que sur ce point, nous avons une pensée évidemment tout à fait particulière pour à la fois les habitants de cette région, en particulier très touchée du Var, de l'ensemble des vacanciers, français et étrangers - ils sont très nombreux sur place en ce moment - et puis aussi de tous ceux qui sont en charge des secours. Vous le savez, nous avons fait appel à des renforts, notamment italiens, qui sont sur place depuis cette nuit. N. Sarkozy s'est rendu sur place ce matin. Nous sommes les uns et les autres extrêmement mobilisés pour lutter contre ces incendies."
C'est une véritable guerre ?
- "Oui, naturellement... Encore que chaque mot, bien sûr, doit être dans sa juste proportion. Notre idée est qu'il s'agit aujourd'hui d'intervenir, par tous les moyens, pour réduire ces différents foyers d'incendie et, en même temps, veiller à ce que la sécurité des personnes puissent être assurée dans ces conditions. J'ajoute, à la suite de ce qui a été dit par le président de la République, que notre mobilisation est également totale pour la recherche et bien entendu la sanction des auteurs présumés de ces incendies, car il apparaît aujourd'hui clairement qu'une bonne partie d'entre eux sont d'origine malveillante. Alors, volontaires ou involontaires, mais en tous les cas, il y a vraiment lieu d'en appeler à la responsabilité. Le président de la République l'avait fait au Conseil des ministres. Il s'agit bien sûr d'avoir maintenant cela à l'esprit d'une manière très volontaire."
A l'issue du séminaire intergouvernemental d'hier, les arbitrages budgétaires, qui seront rendus pour 2004, traduisent une volonté on ne peut plus claire d'apaisement, notamment dans l'Education nationale, qui pouvait être, tout le monde le sait, l'un des brûlots politiques de la rentrée, avec la réforme de l'assurance-maladie. Est-ce que cela vous choque si je vous dis "on fait machine arrière" sur l'école ? On ne supprime plus globalement que 5.000 postes de fonctionnaires sur les 30.000 prévus... On va même recruter dans l'Education nationale 4.000 assistants d'éducation supplémentaires. Est-ce que le dialogue social prôné le 14 juillet par le président de la République, ce serait donc le renoncement face à la grogne catégorielle et syndicale ?
- "Non. D'abord, premièrement, il ne faut pas douter un instant de la détermination de notre Gouvernement à engager les réformes nécessaires pour la France. Cela a concerné, vous l'avez vu l'année dernière, des chantiers aussi difficiles que les retraites, la décentralisation, la baisse des impôts, la remise en ordre de marche de l'autorité publique qui était gravement affaiblie ces dernières années. Il en est de même pour les grands chantiers prioritaires à venir que sont la santé, la protection sociale, la réforme de l'Etat ou bien encore l'Education. Mais je crois que chacun doit bien comprendre une chose : il faut arrêter de sortir de ces systèmes caricaturaux, manichéens, selon lesquels une réforme ne se mesure qu'au nombre de fonctionnaires qu'on a en plus ou en moins. Car cette idée là est totalement fausse, ce n'est pas la réalité."
C'est votre majorité qui a plutôt exprimé ça de cette façon, non ?
- "Non, mais comprenez-moi... Le nombre de fonctionnaires n'est pas un point de départ pour une réforme, c'est un point d'arrivée. On doit avoir l'effectif nécessaire pour mener à bien, dans les meilleures conditions, les missions de service public. Aujourd'hui, le problème que connaît la communauté éducative n'est pas un problème exclusivement réduit au nombre des moyens... C'est un problème beaucoup plus profond..."
Non, il y avait un malaise sur l'exercice de la profession...
- "Mais bien sûr, je peux témoigner, en tant qu'élu de Meaux, combien le malaise, la crise de considération morale et matérielle des enseignants est aujourd'hui très importante. C'est un problème lié à la violence, c'est un problème lié à l'absence d'autorité, de respect au sein de l'école. C'est un problème lié aussi au fait que depuis des années, on n'a plus de feuilles de route très claires sur ce qu'on attend de notre communauté éducative, quelle place pour l'enseignement professionnel, quelle place pour l'apprentissage, quel avenir pour le collège ? Autant de questions qui n'ont jamais été posées, de même qu'il faut se poser la question de ce qu'est le métier d'enseignant ? Voilà bien longtemps que plus personne ne réfléchit à ces questions. Donc la démarche qui est celle du Gouvernement et que nous avons rappelé hier, à l'instar du Premier ministre, c'est quoi ? C'est de dire qu'il faut, premièrement, réussir la rentrée 2003. Il ne faut pas se projeter dans le long terme en oubliant le court terme. Pour la rentrée 2003, les moyens nécessaires sont en place pour la réussir, d'où les mesures qui ont été annoncées, notamment pour ce qui concerne les postes d'assistants d'éducation..."
On revient en arrière tout de même, sur ce qui avait été annoncé ? Je comprends parfaitement la philosophie qui inspire l'action du Gouvernement, mais sur les modalités proprement dites, on revient en arrière ?
- "Je ne sais pas ce que vous appelez revenir en arrière. Ce que je peux vous dire, c'est qu'en ce qui concerne la préparation de la rentrée 2003, là où il y a besoin de moins d'effectifs, il y en aura moins, par exemple du fait du ralentissement de la démographie sur le secteur secondaire. Et là où il y en a besoin plus, on en mettra plus ; c'est le cas du secteur primaire, puisque là, il y a des effectifs supplémentaires liés à l'augmentation de la population. Donc, encore une fois, je crois qu'il ne faut pas voir cela comme un retour en arrière. C'est au contraire une avancée très importante que de lancer enfin, ce qui n'a pas été fait depuis des années et des années, l'organisation de ce grand débat, dans lequel tout le monde est sollicité, avec évidemment en toute priorité la communauté enseignante et un objectif : c'est remplacer au coeur de la Nation."
On avait eu l'impression que, justement, l'heure n'était plus au débat et que la situation financière du pays, dont on sait qu'elle n'est pas bonne, incitait au contraire à des décisions. Et c'était un peu le sens d'ailleurs de l'action de votre Gouvernement : on l'a bien vu, il a pris à bras le corps la réforme des retraites et il l'a menée à son terme. On pensait qu'il en serait de même sur l'Education nationale et probablement sur l'assurance-maladie à la rentrée...
- "Pardon de vous redire cela, si je peux me permettre, ne parlez pas à l'imparfait ! Ce n'est pas le sujet. Notre action continue de se dérouler, comme prévue, sur les cinq années de ce mandat présidentiel. Donc, ce que nous avons fait pour les retraites, nous allons le poursuivre pour les autres réformes. Vous me parlez des retraites... Je crois comprendre à travers ce que vous dites que vous l'interprétez plutôt comme une manière un peu modèle de réforme, puisque vous dites, "voilà il y avait plusieurs étapes"..."
Tout le monde vous donne acte de cette réforme...
- "D'accord, je vous en remercie. Mais alors, voyons les choses dans le détail : la réforme des retraites ne s'est pas faite en trois semaines. Le Premier ministre a clairement fixé les choses : un an de travail. Entre le moment où on lance les chances et le moment où on aboutit..."
C'est la méthode du gouvernement Raffarin ?
- "Mais bien sûr. Et c'est quoi, la méthode du gouvernement Raffarin ? C'est une méthode en trois temps. Le premier temps : l'état des lieux. Le Premier ministre fixe les grandes lignes, les grands enjeux, rappelle l'esprit dans lequel on doit travailler et pourquoi on doit faire la réforme. La deuxième étape : c'est l'ouverture au dialogue social. Tous les acteurs concernés doivent être associés à ce dialogue, à cette discussion et à ces propositions, parce que personne n'a la vérité révélée. Et enfin la troisième étape : c'est la décision politique à l'issue du débat parlementaire. Que s'est-il passé pour les retraites ? Exactement cela. Nous avons bien connu cette méthode en trois temps. Les partenaires sociaux, ceux qui l'ont souhaité en tout cas ont apporté une contribution signalée. Eh bien, ce sera la même chose pour l'école : on fixe le cadre, l'état des lieux ; puis vient du débat et du dialogue social, c'est le "diagnostic partagé" ; et viendra enfin, comme le Premier ministre l'a dit, "le temps de la décision parlementaire"."
Comment fera-t-on pour attaquer dans le vif du sujet la réforme de l'Etat, la réforme de l'assurance-maladie ? Sur la réforme de l'Etat, vous avez dans l'opposition et les premiers à dénoncer le manque d'action ou l'inaction ou l'immobilisme de L. Jospin. Vous l'avez été aussi en matière d'assurance-maladie et vous n'aviez pas tort, il n'y a qu'à voir les résultats aujourd'hui... Mais alors, est-ce que vous ne craignez pas qu'avec un tel programme, avec un tel calendrier, on ait beaucoup de peine à rétablir les comptes publics de ce pays ?
- "On ne peut pas régler en un an ou en un mois, comme ça, en claquant des doigts, des déficits structurels, sans réforme structurelle. Il y a ce qui relève de la conjoncture et puis il y a ce qui relève de causes plus profondes. Nous avons aujourd'hui une croissance qui est très ralentie..."
Faible, on peut le dire...
- "Lorsque la croissance était plus forte, elle a servi de masque - et on l'a vu pendant les cinq dernières années - aux difficultés structurelles de notre système de protection sociale. De sorte que quand celle-ci s'est ralentie, la croissance, tout d'un coup, les déficits sont devenus très importants. Mais en réalité, pendant les cinq années de gouvernement Jospin, où il y avait beaucoup de croissance, la croissance de la courbe des dépenses maladies ne s'est jamais ralentie, bien au contraire, puisque aucune mesure n'avait été prise. Mais on n'a pas vu ou on a dissimulé cette réalité, parce que les recettes liées à la croissance étaient là. Aujourd'hui, nous avons à agir sur les structures. Il faut donc un peu de temps, parce qu'il faut y réfléchir ensemble et que personne n'a la vérité révélée. Donc si la question est : êtes-vous capable de résorber totalement les déficits de la protection sociale ou de l'Etat en quelques semaines, alors même que la croissance n'est pas au rendez-vous ? La réponse est "non"..."
C'est-à-dire qu'il est impossible de réformer quand il n'y a pas de croissance, je parle structurellement ?
- "Si, il est tout à fait possible et nécessaire de réformer. La seule chose, c'est que les résultats en terme comptable ne peuvent pas arriver aussi vite et que l'on n'est pas capable, si on a une année avec une croissance faible, de revenir à l'équilibre. En revanche, la tendance est claire : nous allons résorber progressivement l'ensemble de ces déficits. Mais enfin, il ne faut pas que le malade meure guéri, pour reprendre une expression que l'on utilise parfois. Si nous avions fait une politique de rigueur massive avec, par exemple, une baisse brutale des dépenses, une augmentation massive des impôts, on cassait tout, on cassait les perspectives de croissance..."
Alors le fameux postulat du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a vécu ?
- "Mais non, là encore, ne raisonnons pas ainsi. C'est un point d'aboutissement, ce n'est pas un point de départ. Je crois qu'il faut bien que vous ayez ça à l'esprit..."
Donc, vous l'installez dans la durée ?
- "Ce qui compte pour nous, c'est qu'il y ait le nombre de fonctionnaires nécessaires dans les ministères pour assumer les missions dont on a besoin. Cela veut dire qu'il y a des domaines où l'on a eu besoin de plus de fonctionnaires : la police, la justice sont des domaines où il y avait une insuffisance évidente et de fonctionnaires et de moyens matériels. Donc, là, oui, il fallait augmenter les dépenses..."
Mais ça, c'est un message qu'on a bien compris...
- "En ce qui concerne des secteurs où l'approche ne peut pas être exclusivement quantitative, et où il peut y avoir des gains de productivité à réaliser - je pense par exemple au ministère des Finances..."
A l'Equipement...
- "Ou à l'Equipement, il y a lieu d'y réfléchir. Mais pas d'y réfléchir bêtement, de manière simplement comptable, arithmétique. La décentralisation est un élément majeur de réflexion par rapport à la réforme de l'Etat. Pourquoi voyez-vous le Premier ministre parler si souvent de décentralisation, même si certains de vos confrères trouvent que ce sujet n'est pas porteur ou n'est pas grand public ? Il est essentiel : répartir à nouveau les responsabilités, chercher de la croissance durable auprès d'acteurs qui, aujourd'hui, n'ont pas suffisamment de responsabilité, alors que s'ils en avaient, ils pourraient réaliser des choses très importantes et très modernes. Je pense aux collectivités locales. Une nouvelle répartition des tâches, c'est des gains de productivité et plus d'efficacité."
Mais comment mettre ça en oeuvre ? Si le Général était encore là, il dirait qu'il ne suffit pas de sauter sur sa chaise comme un cabri en disant "décentralisation, décentralisation" pour que cela se fasse. Alors, comment cette décentralisation va t-elle se mettre en oeuvre ?
- "Vous avez noté que je suis resté bien sagement assis sur mon fauteuil et donc je ne le dis pas en sautant sur mon siège, je le dis simplement en considérant qu'il faut là aussi, comme c'est une réforme de structure, prendre le temps nécessaire. Je comprends bien que l'exigence de l'actualité signifie qu'il faille, d'une journée à l'autre, aller déjà au résultat. Mais je suis obligé de vous dire que quand on bouge des structures, surtout dans un pays comme le nôtre, où le moins que l'on puisse dire, c'est que depuis des années on a reculé devant les réformes, c'est un petit peu plus long, parce qu'il faut que ce soient des réformes partagées. Et cette idée des réformes partagées, c'est que pour cela, il faut en parler et prendre tout le temps nécessaire. Et la bonne échelle, c'est un Assemblée nationale. Donc, un an pour des réformes, c'est une bonne durée. Vous parlez de la décentralisation : on a réformé la constitution en mars, on a fait deux lois organiques sur l'expérimentation et le référendum en juillet. L'automne est consacré à la réforme des finances locales, aux transferts de compétences. En un an, nous aurons fait, si j'ose dire, le "boulot"."
Il y a quelques semaines encore, on avait vu un Premier ministre rigoureux, n'hésitant pas à assumer sa posture d'homme de droite, à caricaturer l'opposition, notamment les socialistes. Bref, un J.-P. Raffarin très offensif à la fois dans le verbe, dans l'image... Et puis, tout d'un coup, on a l'impression que la leçon du conflit sur l'Education a porté et que, d'une certaine manière, la fin de la partie a été sifflée. Est ce que c'est la reconquête du terrain électoral au centre gauche qui vous inspire ?
- "Non, non, encore une fois pardon de vous le redire à nouveau, la détermination du gouvernement à mener les réformes, elle est totale, elle exige des débats de fond et non pas politiciens, comme certaines critiques que nous avons entendues du côté gauche de l'échiquier politique. Aujourd'hui, nous sommes clairs, nous avons une feuille de route fixée par les Français au jour des élections présidentielles, des réformes à mettre en oeuvre sur cinq ans. Nous y travaillons. Pour le reste, il appartiendra à l'opposition de prendre ses responsabilités. Aujourd'hui, M. Hollande est beaucoup plus préoccupé de courir derrière l'extrême gauche que de faire des propositions responsables. C'est l'affaire de l'opposition, ce n'est pas celle de la majorité. Nous travaillons aujourd'hui pour l'avenir, pour les réformes nécessaires, parce qu'il s'agit de l'intérêt de nos enfants."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 juillet 2003)