Texte intégral
Madame la Présidente,
Monsieur le Président de la Commission européenne,
Monsieur le Président de la Commission Constitutionnelle,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Permettez-moi tout d'abord, Monsieur le Président, Cher Giorgio, de vous remercier d'avoir pris l'initiative, particulièrement bienvenue, d'organiser cette rencontre sur la CIG avec les représentants des Parlements nationaux des Etats membres et des pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne. Vous soulignez ainsi, de la manière la plus claire, et conformément à la résolution adoptée par le Parlement européen le 13 avril dernier, le lien étroit qui existe entre la réforme institutionnelle et l'élargissement. C'est une dimension que nous devons avoir sans cesse présente à l'esprit et qui correspond parfaitement à l'approche qu'en ont les autorités françaises.
Mais, n'ayez crainte, en disant cela, je n'oublie aucunement que je suis ici, non pas en tant que représentant des autorités françaises, mais en tant que représentant de la Présidence en exercice du Conseil. Et c'est bien ainsi que j'entends m'exprimer.
Je le ferai donc de la manière la plus précise possible, avec le respect que je dois à cette fonction, ce qui me conduira à m'exprimer avec une certaine prudence et sans doute une moindre liberté de propos.
Conformément au calendrier arrêté par le Conseil européen de Cologne, la Présidence française a inscrit la conclusion de la Conférence intergouvernementale sur la réforme des Institutions au premier rang de ses priorités. Car la réussite de cette réforme est bien l'étape indispensable pour préparer l'élargissement dans les meilleures conditions.
Consciente de cet enjeu majeur, la Présidence française a proposé au Secrétariat général du Conseil et à la Commission un calendrier de travail particulièrement dense, afin de ménager toutes les chances de réussite.
Les premiers échanges sur les réformes institutionnelles ont eu lieu hier, au Conseil Affaires générales d'abord, puis au cours d'un dîner informel des ministres ensuite, auquel le Parlement européen était naturellement associé. Nous n'en sommes qu'au tout début de notre Présidence et je me garderai de toute conclusion hâtive et, plus encore, de toute satisfaction excessive. Cependant, j'ai le sentiment que les choses ne sont pas mal engagées.
Le premier dîner informel que nous avons eu hier - et nous en tiendrons désormais un chaque lundi de Conseil Affaires générales - a apporté la confirmation de la nécessité, à côté de l'exercice formel qu'est la CIG ministérielle, d'avoir des réunions à caractère plus informel, au niveau politique, pour véritablement faire avancer la négociation et être en mesure, à Nice, de trouver un bon accord.
Concrètement, où en sommes-nous ?
Les travaux ont progressé de manière significative sous Présidence portugaise, sur les trois questions restées sans solution à Amsterdam, et notamment, sur la majorité qualifiée, mais également sur les autres questions, dites connexes, comme en témoigne le rapport présenté au Conseil européen de Feira. Nous avons, naturellement, pris appui sur ce rapport pour organiser les travaux jusqu'au Conseil européen de Nice.
La première discussion qui a eu lieu, hier, au Conseil Affaires générales, a été l'occasion, d'un échange substantiel avec la Présidente du Parlement européen. J'ai, ensuite, présenté à mes collègues la manière dont nous entendons mener la négociation jusqu'à Nice, en termes de méthode et de calendrier.
Notre sentiment, je l'ai dit, est qu'il convient désormais de porter la négociation à un niveau politique. En effet, si nos objectifs sont restreints en nombre, ils sont très élevés par leur niveau d'ambition, et exigent, pour être atteints, que chacun soit pleinement conscient de la nécessité de trouver, sur les quatre grandes questions à l'ordre du jour - format de la Commission, champ de la majorité qualifiée, repondération, et assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées -, un accord satisfaisant, c'est-à-dire un accord traduisant une véritable avancée dans l'amélioration du fonctionnement des Institutions, et non pas un accord "a minima". Cet accord ne pourra être que global, car les trois questions restées sans solution à Amsterdam sont étroitement liées, et c'est donc ainsi que nous les traiterons.
Soyez assurés, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Députés, qu'en tant que Présidence en exercice, nous sommes totalement déterminés à aboutir, car c'est l'avenir de l'Europe qui en dépend.
En ce qui concerne plus spécifiquement la position française, elle est parfaitement claire. Nous considérons :
- que la Commission doit retrouver une vraie collégialité ; cela exige que le nombre des Commissaires soit encadré,
- qu'une hiérarchisation soit introduite au sein du Collège, et que les pouvoirs du Président soient accrus ;
- que la repondération des voix au sein du Conseil doit permettre aux Etats membres de retrouver un meilleur équilibre, susceptible de renforcer la représentativité et donc la légitimité des décisions : à cet égard, une véritable repondération nous semble mieux à même de nous permettre d'atteindre cet objectif que tout autre système, par exemple la double majorité que propose la Commission ;
- que le champ de la majorité qualifiée doit être très fortement élargi, afin de donner à l'Union la capacité de poursuivre sur la voie de l'intégration sans risque de blocage ;
- enfin, sur la question tout à fait essentielle des coopérations renforcées, nous sommes favorables à un véritable assouplissement, non seulement des mécanismes qui permettent de les mettre en oeuvre, mais également des règles qui doivent en déterminer le fonctionnement.
Je suis convaincu qu'il s'agit là d'un outil précieux pour aller progressivement vers une gestion plus souple du fonctionnement de l'Europe élargie.
Cette question a pris, depuis le Conseil européen d'Helsinki, où les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont invité six nouveaux pays candidats à se joindre aux négociations d'élargissement, et décidé de reconnaître à la Turquie le statut de candidat à l'adhésion, un tour plus concret.
Chacun mesure, aujourd'hui, que cette question ne porte pas uniquement sur la dimension institutionnelle, au sens mécanique du terme, mais, plus fondamentalement, sur l'avenir même de l'Union européenne, et donc sur le sens de ce projet profondément original, dont nous avons célébré, cette année, le 50ème anniversaire.
Le débat est désormais ouvert et, d'ores et déjà, riche de contributions visionnaires. Je ne saurais les commenter toutes devant vous, car le temps dont je dispose n'y suffirait pas.
Je souhaiterais néanmoins faire trois observations :
- d'abord pour souligner l'utilité fondamentale de ce débat ; la réforme institutionnelle que nous nous sommes engagés à conclure d'ici la fin de l'année n'est pas la dernière que connaîtra l'Union européenne. La proximité d'une Europe à 30 exige que l'on re-situe les négociations en cours dans la CIG dans une perspective plus longue et qu'on lance donc une réflexion approfondie sur d'autres questions, qui n'ont été, jusqu'ici, qu'effleurées ;
- ensuite, pour souligner le risque de toute démarche qui viserait à faire table rase de l'édifice communautaire actuel, pour mettre en place des solutions apparemment séduisantes, mais, au fond, étrangères à l'esprit de l'Union européenne telle qu'elle a été façonnée jusqu'ici ;
- enfin, pour souligner la nécessité absolue de bien distinguer les deux temps que sont, d'une part et dans l'immédiat, la nécessité impérieuse de réussir la CIG, d'autre part et dans un second temps, la réflexion à plus long terme sur l'avenir de l'Europe.
J'insiste sur cette distinction qui relève, à mon sens, de la responsabilité politique de la Présidence en exercice de l'Union européenne. En effet, l'existence - encore une fois tout à fait utile- d'un débat sur "l'après Nice" ne doit ni détourner notre attention de la négociation en cours, ni créer de confusion entre les deux temps que j'ai évoqués.
Il me paraît, dès lors, un peu prématuré d'envisager, dès à présent, le calendrier et les modalités des travaux qu'il conviendra de lancer ultérieurement. Ce n'est qu'en fonction des résultats de la CIG, lorsque l'issue concrète commencera à se dessiner, que nous pourrons en reparler sérieusement et voir comment, le cas échéant, lancer une passerelle vers l'avenir. C'est alors que nous pourrons explorer en profondeur les différentes pistes qui ont été esquissées au cours des derniers mois.
Certains concepts ont été utilisés (fédéralisme, fédération d'Etats-Nations) ; certains termes, aux résonances profondes, ont été prononcés (Constitution). Ils jalonnent désormais l'espace du débat qui s'engage, mais ils sont loin, je crois, de répondre à toutes les questions qui se posent.
D'abord, parce qu'ils renvoient d'un Etat membre à l'autre à des réalités historiques et politiques différentes, ensuite parce qu'ils sont censés s'appliquer à un ensemble politico-institutionnel, l'Union européenne, qui fonctionne selon des règles originales et dont on peut difficilement faire abstraction, encore moins, je l'ai dit, table rase.
Je comprends que la tentation puisse exister de se lancer dans un exercice de refondation complète de l'Union, mais cette perspective me laisse perplexe. Le système communautaire a largement fait ses preuves, et nous devons rechercher le moyen d'en préserver l'essentiel, tout en le rénovant profondément et en l'adaptant au contexte radicalement nouveau que sera l'Europe élargie. Redonnons-lui de la souplesse et de la force par une approche pragmatique et progressive.
Les coopérations renforcées, je l'ai dit, sont à mes yeux un outil très utile si nous savons les réformer. Elles seules peuvent permettre à la volonté politique de plusieurs Etats membres d'aller de l'avant, de s'incarner et de se constituer en avant-garde, c'est-à-dire en une force motrice, susceptible d'entraîner les autres et naturellement ouverte à tous. Cela suppose, parallèlement, que nous puissions doter l'Union d'une dimension politique plus affirmée.
Je crois, encore une fois, qu'il convient de partir de ce qui existe pour voir comment "rehausser" politiquement chaque Institution, comment simplifier chaque niveau décisionnel, comment clarifier les compétences de chacun. Ce n'est que sur la base d'une telle clarification des compétences, d'une part, et du rôle exact de chaque Institution, d'autre part, que pourrait être conçu un "traité constitutionnel" qui viendrait, en quelque sorte, couronner cette démarche, et dont on peut effectivement imaginer qu'il incorpore la Charte des Droits fondamentaux.
Voilà, à ce stade, les quelques mots que je souhaitais vous dire sur l'avenir de l'Union européenne, étant entendu, encore une fois, que pour la Présidence française, la priorité est, dans l'immédiat, de réussir la CIG.
Je vous remercie de votre attention.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)