Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à la télévision australienne "Channel 9" dans l'émission "Sunday", sur l'interprétation et l'application de la résolution 1441de l'Onu, la reconnaissance du poids de la pression militaire et internationale sur l'Irak, le refus de la proposition d'ultimatum britannique et l'opposition française à une aide de l'Otan à la Turquie en cas d'attaque irakienne.

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Média : Channel 9 - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

Q - Merci beaucoup, Dominique de Villepin, de vous joindre à nous dans cette émission. Lorsque vous avez voté avec les autres membres du Conseil de sécurité en faveur de la résolution 1441 qui prévoyait de graves conséquences pour l'Irak si celui-ci ne s'y conformait pas, que pensiez-vous que signifiait l'expression "de graves conséquences" ?
R - Il était tout à fait clair qu'il s'agissait de graves conséquences en cas de non-coopération de la part de l'Irak, que la résolution 1441 constituait la règle du jeu définie par la communauté internationale dans le but de parvenir à un désarmement pacifique de l'Irak et que l'arbitre, c'étaient les inspecteurs. Il était donc clair qu'en vue de ce désarmement, l'arbitre était supposé présenter régulièrement des rapports au Conseil de sécurité - ce que les inspecteurs font très bien - et dire si l'Irak coopère ou non avec eux. Dans les derniers rapports que nous avons eus, cela était vrai le 17 février et vrai encore le 7 mars, les inspecteurs ont dit qu'il y avait des progrès en matière de coopération et ils ont dit dans leur dernier rapport qu'il y avait une coopération active de la part de l'Irak.
Q - Très bien, mais l'expression "de graves conséquences" a été largement interprétée comme désignant une action armée contre l'Irak. Admettez-vous que c'est le stade ultime de tout ce processus ?
R - Certainement, mais permettez-moi de vous rappeler que la résolution 1441 comporte deux phases et que c'est le président Chirac qui a été à l'origine de cette résolution au début du mois de septembre. Il a dit très clairement que l'on devait respecter ces deux phases. La première phase est celle des inspections. Au vu des rapports des inspecteurs, nous devons analyser quelle est la réaction de l'Irak. Tant que nous sommes dans cette phase d'inspection, il faut naturellement qu'il y ait des progrès, il faut qu'il y ait une coopération active. Nous en sommes là aujourd'hui. En cas d'échec, si l'on est dans l'impasse, c'est différent : on entre dans la deuxième phase et nous devons alors assumer pleinement nos responsabilités, avec tous les membres du Conseil de sécurité, et examiner toutes les options, y compris - vous avez mentionné les "graves conséquences" - y compris le recours à la force, et nous soutenons cette idée. La France, vous devez le comprendre, n'est pas un pays pacifiste. Nous sommes le pays qui contribue le plus à l'OTAN en termes d'effectifs. Nous avons été l'un des principaux soutiens des Etats-Unis en Afghanistan, au Kosovo, en Bosnie. Le problème pour nous n'est donc pas de savoir si l'on doit ou non recourir à la force, c'est de savoir quand et comment y recourir, et nous avons toujours dit que la force doit être le dernier recours.

Q - Vous reconnaissez que, si l'Irak coopère dans la faible mesure où il le fait actuellement, c'est uniquement à cause de la pression qu'exercent les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Si tel est le cas, combien de temps, à votre avis, leurs 250.000 hommes devront-ils rester pour exercer sur l'Irak ce type de pression ?
R - Vous avez raison, la pression des troupes américaines et britanniques présentes sur le terrain est évidemment très importante pour démontrer la volonté de la communauté internationale. Cependant, le principal message, et le plus fort, que nous avons envoyé, c'est celui de la résolution 1441 et de son vote à l'unanimité. Nous l'avons votée à l'unanimité, même le représentant syrien a voté pour la résolution 1441. Je pense donc que nous devons respecter un calendrier très strict. C'est ce que nous avons proposé le 7 mars. Nous avons proposé, avec un grand nombre de membres du Conseil de sécurité, d'avoir un calendrier très court reposant sur les besoins des inspecteurs.
Q - Vous dites que la pression exercée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni est utile et qu'elle apporte des résultats. Tout le fardeau de cette pression sur Saddam Hussein repose sur ces deux pays. La France serait-elle prête à fournir des troupes pour faire elle aussi pression sur l'Irak ?
R - La pression qui s'exerce sur l'Irak, c'est la menace de la communauté internationale. Elle est renforcée par la pression militaire. Doit-on partir en guerre parce qu'on a des troupes sur le terrain ? Nous ne le pensons pas. On peut imaginer que la pression soit la même avec moins de troupes sur le terrain. Nous devons donc faire preuve de responsabilité, nous devons trouver un moyen, et le moyen qui a été choisi par tous, ce sont les inspecteurs. L'élément-clef, ce sont les inspections, ce n'est pas l'accroissement de la pression militaire. Je pense que la pression militaire est suffisamment forte et que Saddam Hussein comprend parfaitement de quoi il retourne. Il sait que s'il n'agit pas, il se retrouvera face à l'option militaire. L'élément crucial, aujourd'hui, est donc de savoir si nous sommes décidés à utiliser des moyens pacifiques pour désarmer l'Irak ou si nous, communauté internationale, avons déjà décidé ou si les Etats-Unis ont déjà décidé de partir en guerre. Je pense qu'il existe une forte volonté de partir en guerre. Et nous croyons qu'il y a encore une chance que l'on devrait saisir.
Q - Vous vous faites sans nul doute le champion de la diplomatie dans ce domaine mais votre président a déclaré que vous voteriez contre une résolution présentée par les Etats-Unis ou par le Royaume-Uni dans tous les cas de figure. Est-ce de la diplomatie, à votre avis, ou simplement de l'obstination ?
R - Non, je pense que l'on doit s'en tenir à ce qu'a déclaré le président. Or ce n'est pas ce que vous venez de dire. Il a déclaré qu'il dirait non à toute résolution qui impliquerait un recours automatique à la force. Nous pensons qu'il appartient au Conseil de sécurité de décider. Nous ne devons pas gêner le Conseil de sécurité. C'est pourquoi nous avons dit que si l'on s'en tenait à la résolution actuellement soumise au Conseil de sécurité par le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l'Espagne et qui fixe un ultimatum à la date du 17 mars, notre réponse serait évidemment non.
Q - Très bien, je veux simplement voir comment votre pays a joué sa carte diplomatique. Quand le Royaume-Uni a proposé un amendement, c'est la France et non l'Irak qui a été la première à le rejeter. Pourquoi offrir à l'Irak une telle victoire en termes de relations publiques ?
R - Non, ce n'est pas vrai. Quand on veut tenir ce genre de propos, il faut être exact. Cela ne s'est pas passé ainsi. Cela a commencé mercredi après-midi avec la réunion à New York du Conseil de sécurité au niveau des ambassadeurs, réunion qui s'est poursuivie tard dans la nuit. Les quinze pays ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur la proposition britannique ; elle a été rejetée par la grande majorité des membres du Conseil de sécurité et l'on a même vu les Etats-Unis prendre nettement leurs distances par rapport à cette proposition. Ce que j'ai dit le lendemain matin, c'est que nous ne pouvions pas accepter un tel ultimatum ; c'est ce qui avait déjà été dit par la majorité des membres du Conseil de sécurité. On avait vu pendant la nuit, quand chacun avait exposé son point de vue, même le représentant des Etats-Unis l'a dit, qu'il n'y avait pas de soutien, pas de majorité au Conseil de sécurité en faveur d'une telle initiative. Ce que j'ai déclaré jeudi matin avait donc été déjà décidé au niveau du Conseil de sécurité à New York à l'issue d'un long débat. Je ne crois donc pas que l'on puisse présenter les choses comme vous le faites.
Q - Très bien, passons à autre chose. Votre pays fait partie de l'OTAN. Lorsqu'un autre Etat membre de cette alliance, la Turquie, a demandé l'aide de l'OTAN parce qu'il craignait d'être attaqué par l'Irak, vous avez refusé, vous vous y êtes opposé. Comment la France définit-elle la notion d'alliance ?
R - C'est très clair. On ne peut pas dire que nous ayons refusé de soutenir la Turquie. Nous n'avons cessé de dire que nous la soutenions. Nous avons dit qu'il était prématuré à ce stade d'élaborer des programmes, de prévoir une décision, quelle qu'elle soit, et nous n'étions pas les seuls. Nous l'avons dit avec plusieurs de nos alliés, les Allemands et les Belges par exemple, et pourquoi l'avons-nous dit ? Parce qu'on ne peut pas dire à New York, au Conseil de sécurité, que l'on veut désarmer l'Irak pacifiquement et dire autre chose à Bruxelles, à l'OTAN. Pour nous, je dois vous le dire, l'idée d'alliance consiste d'abord à s'en tenir à ses convictions, à soutenir ce en quoi l'on croit et à être présent lorsque c'est nécessaire. Cependant, nous devons comprendre, vous devez comprendre ce qui est en jeu aujourd'hui. Nous allons peut-être décider, être confrontés au recours à la force dans cette région, et vous devez comprendre les conséquences qui peuvent en résulter ; il faut donc bien voir d'abord quelle est la situation.
Q - Si vous me permettez de vous interrompre un instant, Monsieur de Villepin : cela, c'est entendu, mais ce que j'essaie de vous faire dire, c'est de définir ce qu'est une alliance aux yeux de la France. Ne s'agit-il pas d'un groupe d'alliés qui sont tenus de se venir en aide mutuellement ? Nous avions là un Etat membre qui demandait une aide, aide que vous lui avez refusée parce qu'apparemment elle ne correspondait pas à vos objectifs politiques.
R - Permettez-moi cependant de vous dire que la Turquie n'avait pas été attaquée. Il faut bien comprendre qu'une alliance doit définir une certaine idée, une certaine vision d'une situation. La première des responsabilités qui incombent aujourd'hui à notre pays est de ne pas aggraver les menaces qui pèsent sur le monde. On sait ce que sont ces menaces de nos jours : le terrorisme, la prolifération. On ne doit pas réduire au seul Irak le problème de la prolifération dans le monde actuel : voyez la Corée du Nord. Il faut faire preuve de responsabilité.
Merci.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2003)