Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, et interviews à des radios et des télévisions françaises à Paris le 13 mars 2003, sur les raisons du rejet par la France de la proposition britannique sur l'Irak et sa mise en cause par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne dans la négociation diplomatique à l'Onu.

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Texte intégral

(Déclaration à Paris, le 13 mars 2003) :
La France a pris connaissance des dernières propositions de la diplomatie britannique.
Elles ne répondent pas aux questions posées par la communauté internationale : il ne s'agit pas d'accorder quelques jours supplémentaires à l'Iraq avant de s'engager dans le recours à la force, mais d'avancer résolument dans la voie du désarmement pacifique tracée par les inspections qui sont une alternative crédible à la guerre. Elles produisent des résultats, comme l'ont indiqué MM. Blix et El Baradeï dans leur rapport du 7 mars.
Dans cette ligne, la France soutient les efforts de tous les pays du Conseil de sécurité qui veulent, dans l'esprit de la résolution 1441, donner un délai réaliste à l'Iraq pour aboutir à un désarmement effectif. Le succès de ce désarmement exige une coopération pleine et entière des autorités iraquiennes.
Elle appuie les efforts de ceux qui, refusant la logique de l'ultimatum, cherchent à encadrer les inspections dans un programme de travail et un calendrier précis. Tel est bien le sens des propositions qu'elle a elle-même présentées devant le Conseil de sécurité.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2003)
(Interview à des radios françaises à Paris, le 13 mars 2003) :
Q - Que pensez-vous de la proposition faite par les Britanniques ? Comment vous la qualifieriez ?
R - C'est une proposition qui, pour la France, se situe dans une logique d'ultimatum, d'automaticité du recours à la guerre, ce qui pour nous est inacceptable. Nous sommes prêts à avancer dans la recherche d'une solution et nous sommes en contact permanent avec l'ensemble de nos partenaires du Conseil de sécurité, pour essayer justement, dans la logique du travail des inspecteurs, de déterminer, à la fois un programme de travail avec des repères, avec des critères, et un délai réaliste et raisonnable qui puisse permettre d'avancer dans la voie d'un désarmement pacifique de l'Iraq. Par contre, cette proposition se situe clairement dans une logique d'automaticité, ce que nous refusons.
Q - Les Américains et les Britanniques disent qu'ils peuvent se passer quand même de cette résolution, pour intervenir en Iraq ?
R - Le principe même des Nations unies et le travail du Conseil de sécurité ont pour but de rechercher la responsabilité collective. Nous sommes tous conscients des bénéfices qu'a apportés, à la Communauté mondiale, l'unité du Conseil de sécurité. Nous l'avons vu sur le terrorisme, nous l'avons vu, tout au long de ces derniers mois, pour tenter de trouver une solution à la crise iraquienne. Nous pensons que ce bénéfice ne doit pas être gaspillé. Nous en sommes comptables. Tout doit donc être tenté pour préserver l'unité du Conseil et c'est à cela que nous travaillons.
Q - Ce matin sur RTL, Richard Perle a dit : "La France nous a trahis". On a vraiment l'impression qu'avec les Etats-Unis, rien ne s'arrange ?
R - Permettez-moi de n'accorder aucune importance à ce type de commentaire.
Q - Est-ce que vous seriez prêt à proposer un calendrier resserré pour le programme des inspections ?
R - Tout à fait. Nous l'avons dit lors de la réunion du Conseil de sécurité du 7 mars. Nous sommes prêts à travailler sur la base d'un calendrier resserré, dès lors que les inspecteurs détermineraient eux-mêmes le temps qu'il leur faut pour aller jusqu'au bout de leur travail d'inspection. Nous l'avons clairement indiqué dans la résolution 1441. Il y a une règle. Cette règle, c'est "les deux temps" qui sont les deux temps de la responsabilité : tout faire pour avancer dans la voie des inspections et prendre nos responsabilités, dès lors que nous serions dans un cas de blocage. Et puis il y a un juge arbitre qui a été désigné, ce sont les inspecteurs. Il leur appartient de nous faire rapport. C'est sur la base de l'estimation et des rapports de ces inspecteurs que le Conseil de sécurité doit juger de l'évolution des choses.
Q - Il était question de 120 jours au départ. Vous avez parlé de 60 jours. Est-ce que vous vous rangez du côté des pays indécis de 30 à 45 jours ?
R - Nous sommes en étroit contact avec eux. La résolution 1284 parle de 120 jours pour permettre justement d'établir le programme de travail des inspecteurs. Si les inspecteurs nous disent qu'ils peuvent faire ce travail dans un délai plus court, nous sommes évidemment disponibles. Nous voulons une solution et nous recherchons le consensus possible au sein du Conseil de sécurité.
Q - Vous espérez encore la paix ?
R - Nous croyons que, quand les choses ne sont pas faites, il faut effectivement tout faire pour essayer d'avancer et c'est ce que nous faisons.
Q - Comment expliquez-vous cette impatience tout d'un coup des Etats-Unis ?
R - Je crois que les Américains sont déterminés. Ils l'ont dit à plusieurs reprises. Leur présence militaire, sur le terrain, est tout à fait considérable. Nous pensons que l'on peut avancer par la voie d'un désarmement pacifique. Aujourd'hui, ils affirment avoir des doutes. Chacun est responsable de la position qu'il défend.
Q - Que peut être aujourd'hui la sortie de crise pour sauver l'unité de la communauté internationale ?
R - Je crois que la sortie de crise, c'est d'essayer à la fois de définir un programme crédible pour le travail des inspecteurs et un délai qui permette rapidement d'aller de l'avant et de pousser les inspections jusqu'à leur terme. Je crois que c'est véritablement ce qu'attend la plupart, pour ne pas dire une très large majorité, des membres du Conseil de sécurité.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 2003)
(Interview à des télévisions françaises à Paris, le 13 mars 2003) :
Q - Monsieur le Ministre, est-ce qu'on peut dire qu'on est à la veille d'une action militaire alors que tout n'a pas été essayé ?
R - Les Etats-Unis affirment une grande détermination, mais nous pensons bien sûr que, tant que tout n'a pas été essayé, cela vaut la peine de continuer d'avancer, d'essayer. C'est le sens de la mobilisation française, en liaison avec l'ensemble de nos partenaires du Conseil de sécurité, pour essayer de trouver le cadre d'une solution. Nous voyons bien, aujourd'hui, ce qui serait possible pour obtenir un consensus du Conseil de sécurité : à la fois définir un échéancier avec les inspecteurs qui sont sur le terrain et qui savent la réalité des choses, et en même temps définir un délai réaliste, raisonnable, qui permettrait de juger réellement de la volonté, de la capacité de l'Iraq à accepter la logique du désarmement. Je pense que sur cette base, nous pourrions trouver la bonne approche.
Q - Pourquoi vous rejetez, plus directement la proposition britannique ?
R - Parce que cette proposition s'inscrit dans une logique d'ultimatum, dans une logique d'automaticité du recours à la force. Nous n'avons cessé de dire que cette logique était dangereuse. La logique de la résolution 1441 est une logique de désarmement pacifique de l'Iraq, qui dit bien que le recours à la force ne peut être qu'un dernier recours. Nous pensons que tout n'a pas été essayé et que, dans ce contexte, alors même que les inspecteurs nous disent qu'il y a coopération active, que leur travail sur le terrain peut avancer, s'inscrire aujourd'hui dans cette logique d'ultimatum et de force nous paraît très contradictoire.
Q - Mais les Britanniques ont proposé comme vous des étapes.
R - Une fois de plus, que l'on travaille sur des étapes, que l'on définisse des critères, mais qu'on le fasse avec un délai réaliste et raisonnable et qu'on le fasse en respectant la responsabilité du Conseil de sécurité. C'est une chose de dire, au terme d'une échéance, le Conseil de sécurité se réunira, examinera la situation et prendra, au terme d'un examen très complet des choses, ses responsabilités, c'est autre chose que de dire qu'à la date du 17 mars, nous rentrerons dans la logique d'une intervention militaire.
Q - Est-ce que pour vous ce soir tout est joué ?
R - Non, je crois que nous sommes toujours en contact avec nos partenaires. Evidemment, les Américains ont un rôle déterminant puisqu'ils affirment que les choses sont jouées et ils sont déterminés à avancer dans la voie d'une intervention militaire. Donc, évidemment beaucoup dépend d'eux. J'ai eu mon homologue et ami, Colin Powell, hier au téléphone. Nous avons longuement parlé et nous pensons que l'on peut encore explorer certaines voies qui pourraient ramener le Conseil de sécurité à une...
Q - N'avez-vous pas le sentiment que George Bush veut sa guerre et qu'il ne reculera en aucun cas ?
R - Il ne m'appartient pas d'apprécier la réalité des motifs qui peuvent être déterminants pour l'administration américaine. Ce qui est important pour nous, c'est ce que va décider le Conseil de sécurité. Nous sommes en contact bien évidemment avec nos partenaires américains et nous souhaitons à chaque instant leur dire à quel point nous pensons que toutes les voies n'ont pas été explorées, que l'on peut encore avancer dans la voie d'un règlement pacifique, d'autant que les inspecteurs le disent et le redisent : les inspections fonctionnent. Partant de cette réalité, nous pensons qu'il convient de persévérer, de garder notre sang-froid, d'affirmer notre détermination à avancer dans cette voie.
Q - Le projet de résolution américaine sera présenté devant le Conseil de sécurité ?
R - Aucune décision n'a été encore prise mais les réunions ont commencé à New York. Elles vont se poursuivre, comme hier, tout au long de la journée. Nous attendons de voir quelle sera la décision, à la fois des Américains, des Britanniques, des Espagnols, qui sont cosignataires d'un projet de résolution qui prévoit un ultimatum pour le 17 mars.
Q - On vous accuse de faire le jeu de Saddam Hussein.
R - Je crois que ceux qui suivent l'actualité internationale l'ont bien compris : la France défend ses principes, la France est déterminée et agit sans aucune complaisance. Nous n'avons cessé de dénoncer la cruauté du régime de Saddam Hussein. Mais nous sommes aussi comptables du désordre du monde, des dangers du monde et nous prenons en compte le fait qu'aujourd'hui, il est possible d'atteindre l'objectif de la communauté internationale, le désarmement pacifique de l'Iraq. Il est possible de le dire dans la mesure où les inspecteurs nous disent que sur le terrain, les inspections progressent. Alors, faisons preuve de détermination, continuons d'avancer dans cette voie, et ce n'est qu'en cas d'impasse que nous pourrions alors envisager les autres solutions, y compris le recours à la guerre.
Q - Que répondez-vous aux Britanniques qui vous accusent de bloquer justement cette négociation en rejetant d'emblée leurs propositions ? Ils vous accusent de bloquer le jeu diplomatique.
R - Je dis à nos amis Britanniques, comme à l'ensemble de nos partenaires du Conseil de sécurité : si nous décidons de faire des propositions, que ces propositions soient des propositions constructives et réalistes. Nous constatons que les propositions britanniques ne modifient pas les termes de la résolution qui a été présentée par les Anglais, les Américains et les Espagnols. Nous pensons qu'aujourd'hui, les propositions doivent prendre en compte la réalité des propositions faites au Conseil, c'est-à-dire à la fois viser à défendre un programme de travail équilibré, sérieux des inspecteurs et en même temps insister : un tel réalisme est raisonnable. Sur cette base là, je crois qu'il y a une vraie possibilité de travail à condition d'accepter la logique de la résolution 1441 qui ne prévoit pas d'ultimatum, qui s'inscrit dans une logique de désarmement pacifique et non pas...
Q - Est-ce que l'annonce du vote négatif n'a pas justement accéléré le calendrier rendant impossible toute marge de manoeuvre ?
R - L'administration américaine a, à maintes reprises, dit quel était son calendrier, quel était son objectif, son impatience d'avancer dans la voie d'une intervention militaire. La position de la France précise et dit clairement quel est l'esprit de responsabilité de la France, sa volonté d'avancer dans la voie d'un désarmement pacifique. C'est un élément de clarification, certainement pas de précipitation. Merci.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 2003)