Texte intégral
Q - La réforme des institutions de l'Union européenne est le grand dossier de la présidence française. Ne craignez-vous pas qu'un éventuel blocage de l'Autriche - si les sanctions n'étaient pas levées d'ici là - fasse capoter la conclusion du "traité de Nice" ?
R - La décision, prise à quatorze, de restreindre nos relations bilatérales avec l'Autriche ne remet pas en cause la place de ce pays dans l'Union européenne. Tout au long de notre présidence, nous ferons un accueil absolument normal à nos collègues autrichiens dans toutes les réunions. Cela dit, le gouvernement de Wolfgang Schüssel a pris la décision de lancer une consultation populaire visant à autoriser le gouvernement à user de tous les moyens pour obtenir la levée des sanctions. Je crois que c'est une mauvaise démarche qui ne fait qu'affaiblir la position de l'Autriche. Mais ce que je veux retenir, c'est que le chancelier Schüssel ainsi que la ministre des Affaires étrangères Ferrero-Waldner ont dit, contrairement à leur partenaire de coalition Haider, que l'Autriche ne bloquerait pas le fonctionnement de l'Union.
Q - Quelle est la philosophie générale de la présidence française sur la réforme des institutions ?
R - Nous voulons une Union européenne plus efficace. Cela suppose que la Commission soit réformée. Nous voulons une Union plus légitime et plus démocratique. Cela suppose que la pondération des voix au Conseil nous mette à l'abri des majorités absurdes et que l'on étende la majorité qualifiée à une série de questions extrêmement vaste. Enfin, nous voulons une Europe capable de s'élargir et donc suffisamment souple et flexible. C'est pour cela qu'il faut assouplir considérablement le système des coopérations renforcées. C'est à travers cette grille de lecture et en reliant les problèmes les uns aux autres que nous comptons aborder la Conférence intergouvernementale (CIG). Il s'agit donc d'un arbitrage global.
Q - Commençons donc par les coopérations renforcées. Elles existent hors traité comme Schengen à l'origine ou l'Eurororps actuellement. Quel intérêt d'intégrer ce sujet dans la CIG ?
R - Une question est posée qui n'est pas contournable : comment fonctionner à trente membres au terme du processus d'élargissement ? Il est clair que cette Europe sera plus hétérogène qu'elle ne l'est aujourd'hui. Sur le plan économique, sur le plan politique, en termes de structures sociales, en termes de population. Dans une Europe à trente, on a besoin de permettre effectivement à une avant-garde de se dégager. Et le meilleur moyen d'y arriver, tout en laissant le système ouvert, c'est d'introduire des mécanismes souples d'association au sein du traité entre un certain nombre de pays qui décideraient d'avancer ensemble.
Q - Ne serait-ce pas l'Europe "à la carte" ?
R - Je préfère parler d'Europe souple, d'Europe de projets, pour peu que trois éléments soient introduits. Premièrement, il faut qu'un nombre significatif d'Etats membres décident de lancer une coopération renforcée. Deuxièmement, il ne faut pas que le veto d'un Etat soit possible. Enfin, élément pour moi très important qui permettra d'éviter l'écueil d'une Europe à plusieurs vitesses, une coopération renforcée doit être ouverte sur des bases claires: d'autres pays doivent pouvoir la rejoindre.
Q - Mais le Royaume-Uni est très hostile à cette suppression au veto
R - Soyons clairs. Il ne s'agit pas de mettre fin au "compromis de Luxembourg", qui autorise le veto d'un pays qui juge ses intérêts vitaux en jeu. Il s'agit d'exclure le droit de veto institutionnalisé dans le cas des coopérations renforcées.
Q - En ce qui concerne la réforme de la Commission, les "petits pays" exigent l'affirmation de la règle "un pays, un commissaire". Comment avancer ?
R - On ne peut avoir un collège qui fonctionne à trente membres. C'est pourquoi la France pense qu'il faut impérativement plafonner le nombres des commissaires. Ou alors, on change de logique. On passe d'un système collégial à un système hiérarchique, comme c'est le cas des gouvernements nationaux où vous avez des ministres, des ministres délégués, des secrétaires d'Etat. Mais l'on ne peut pas avoir un commissaire par Etat sans hiérarchie. Cela, c'est l'anarchie, l'inefficacité qui ruinerait la confiance dans la Commission.
Q - Comment allez-vous en convaincre les "petits pays" ?
R - Il n'y a pas d'opposition entre "grands" et "petits" pays sur toutes les questions : je récuse ce clivage. Mais il faudra aussi avancer sur le dossier de la pondération des voix.
Q - A cet égard, la France parait réticente au système de la double majorité qui tiendrait compte des populations. Vous refusez donc l'idée que les 80 millions d'Allemands aient plus de droits de vote que les 60 millions de Français ?
R - Je vous rappelle un point d'histoire. Lors de la signature du Traité de Rome, Jean Monnet et Konrad Adenauer étaient d'accord sur un principe : la réconciliation franco-allemande suppose l'égalité perpétuelle entre les deux pays. A l'époque d'ailleurs, avec l'Union française, la France était plus peuplée. Avec la réunification, c'est maintenant le cas de l'Allemagne. Dans trente ans, la démographie nous donne à penser qu'il y aura de nouveau égalité. Cette égalité entre la France et l'Allemagne est donc plus qu'un simple problème de poids démographique, c'est un état d'esprit. Le bon sens commanderait de s'en remettre à la sagesse des pères fondateurs. Mais, comme l'ont répété le chancelier Schroeder et le président Chirac, cette question ne fera pas problème entre les deux pays.
Q - Court-on le risque d'aboutir à un traité "au rabais" à Nice ?
R - Je vais vous dire ce que serait selon moi un mauvais traité. Ce serait un commissaire par Etat membre sans réorganisation de la Commission; une repondération cosmétique au sein du Conseil ; un faible assouplissement des règles en matière de coopération renforcée et une faible extension du vote à la majorité. Dans ce cas, nous n'aurions répondu à aucun des défis qui nous sont posés. L'avenir de l'Europe peut se construire sur la base d'un traité de Nice réussi. Ou alors - scénario très imprévisible - certains pourront songer à repartir ensemble sur d'autres bases, à se lancer dans une refondation de l'Europe. Je ne suis pas de ceux qui croient sans réserve dans les vertus d'une telle crise. Car, avant de refonder, elle détruirait ce qui existe et pousserait certains à continuer en oubliant les autres. La France est absolument déterminée à aboutir à un bon traité. Mais, s'il le faut, plutôt qu'un mauvais traité de Nice, nous accepterons la crise.
Q - Vous avez exprimé des réticences après le discours de Jacques Chirac à Berlin sur l'avenir de l'Europe. On sa demande si la présidence française commence bien, si les deux têtes de l'exécutif parlent d'une seule voix.
R - La France parlera d'une seule voix pendant sa présidence de l'Union européenne. Les positions que nous défendrons ont été et seront arrêtées en commun entre le président de la république et le gouvernement. En revanche, au-delà de la présidence, quand il s'agira d'émettre des réflexions sur l'avenir de l'Europe à long terme, chacun comprendra que les opinions sont libres, que les gaullistes ne sont pas devenus socialistes, lesquels ne sont pas devenus chrétiens-démocrates. Donc le débat reste ouvert.
Q - Un bon traité à Nice ne va-t-il pas essentiellement stimuler la popularité de Jacques Chirac à quelques mois d'échéances électorales majeures ?
R - Une présidence réussie, c'est un bon point pour la France. Les bénéfices seront partagés. Si la France a bien mené sa présidence, cela voudra dire que le gouvernement aura bien dirigé l'ensemble des Conseils des ministres, que le Premier ministre aura bien animé l'action du gouvernement en la matière et que le président de la République aura bien présidé le Conseil européen. Je ne souhaite pas faire de la présidence française de l'Union européenne un débat de politique intérieure. En revanche, je suis convaincu que l'Europe sera un enjeu décisif pour les échéances qui viennent ensuite, notamment pour les législatives de 2002.
Q - Pourquoi ?
R - Parce qu'aujourd'hui l'Europe est un destin commun qui nous concerne tous. Dans tous les pays de l'Union, on assiste à une montée considérable du thème européen dans les consciences nationales et dans les politiques nationales. Ce débat est partout. On ne peut pas faire l'impasse sur la question européenne. Elle aura beaucoup plus d'importance en 2002 qu'elle n'en avait en 1997. Surtout du fait que nous avons retrouvé la croissance et la confiance, donc aussi une forme d'euro-optimisme, de désir d'Europe...
Q - Les positions européennes de la gauche et de la droite modérées sont-elles vraiment différentes ?
R - Pour moi, l'Europe continue au contraire d'être un élément fondamental d'identité et une ligne de clivage essentielle dans le débat politique.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)
R - La décision, prise à quatorze, de restreindre nos relations bilatérales avec l'Autriche ne remet pas en cause la place de ce pays dans l'Union européenne. Tout au long de notre présidence, nous ferons un accueil absolument normal à nos collègues autrichiens dans toutes les réunions. Cela dit, le gouvernement de Wolfgang Schüssel a pris la décision de lancer une consultation populaire visant à autoriser le gouvernement à user de tous les moyens pour obtenir la levée des sanctions. Je crois que c'est une mauvaise démarche qui ne fait qu'affaiblir la position de l'Autriche. Mais ce que je veux retenir, c'est que le chancelier Schüssel ainsi que la ministre des Affaires étrangères Ferrero-Waldner ont dit, contrairement à leur partenaire de coalition Haider, que l'Autriche ne bloquerait pas le fonctionnement de l'Union.
Q - Quelle est la philosophie générale de la présidence française sur la réforme des institutions ?
R - Nous voulons une Union européenne plus efficace. Cela suppose que la Commission soit réformée. Nous voulons une Union plus légitime et plus démocratique. Cela suppose que la pondération des voix au Conseil nous mette à l'abri des majorités absurdes et que l'on étende la majorité qualifiée à une série de questions extrêmement vaste. Enfin, nous voulons une Europe capable de s'élargir et donc suffisamment souple et flexible. C'est pour cela qu'il faut assouplir considérablement le système des coopérations renforcées. C'est à travers cette grille de lecture et en reliant les problèmes les uns aux autres que nous comptons aborder la Conférence intergouvernementale (CIG). Il s'agit donc d'un arbitrage global.
Q - Commençons donc par les coopérations renforcées. Elles existent hors traité comme Schengen à l'origine ou l'Eurororps actuellement. Quel intérêt d'intégrer ce sujet dans la CIG ?
R - Une question est posée qui n'est pas contournable : comment fonctionner à trente membres au terme du processus d'élargissement ? Il est clair que cette Europe sera plus hétérogène qu'elle ne l'est aujourd'hui. Sur le plan économique, sur le plan politique, en termes de structures sociales, en termes de population. Dans une Europe à trente, on a besoin de permettre effectivement à une avant-garde de se dégager. Et le meilleur moyen d'y arriver, tout en laissant le système ouvert, c'est d'introduire des mécanismes souples d'association au sein du traité entre un certain nombre de pays qui décideraient d'avancer ensemble.
Q - Ne serait-ce pas l'Europe "à la carte" ?
R - Je préfère parler d'Europe souple, d'Europe de projets, pour peu que trois éléments soient introduits. Premièrement, il faut qu'un nombre significatif d'Etats membres décident de lancer une coopération renforcée. Deuxièmement, il ne faut pas que le veto d'un Etat soit possible. Enfin, élément pour moi très important qui permettra d'éviter l'écueil d'une Europe à plusieurs vitesses, une coopération renforcée doit être ouverte sur des bases claires: d'autres pays doivent pouvoir la rejoindre.
Q - Mais le Royaume-Uni est très hostile à cette suppression au veto
R - Soyons clairs. Il ne s'agit pas de mettre fin au "compromis de Luxembourg", qui autorise le veto d'un pays qui juge ses intérêts vitaux en jeu. Il s'agit d'exclure le droit de veto institutionnalisé dans le cas des coopérations renforcées.
Q - En ce qui concerne la réforme de la Commission, les "petits pays" exigent l'affirmation de la règle "un pays, un commissaire". Comment avancer ?
R - On ne peut avoir un collège qui fonctionne à trente membres. C'est pourquoi la France pense qu'il faut impérativement plafonner le nombres des commissaires. Ou alors, on change de logique. On passe d'un système collégial à un système hiérarchique, comme c'est le cas des gouvernements nationaux où vous avez des ministres, des ministres délégués, des secrétaires d'Etat. Mais l'on ne peut pas avoir un commissaire par Etat sans hiérarchie. Cela, c'est l'anarchie, l'inefficacité qui ruinerait la confiance dans la Commission.
Q - Comment allez-vous en convaincre les "petits pays" ?
R - Il n'y a pas d'opposition entre "grands" et "petits" pays sur toutes les questions : je récuse ce clivage. Mais il faudra aussi avancer sur le dossier de la pondération des voix.
Q - A cet égard, la France parait réticente au système de la double majorité qui tiendrait compte des populations. Vous refusez donc l'idée que les 80 millions d'Allemands aient plus de droits de vote que les 60 millions de Français ?
R - Je vous rappelle un point d'histoire. Lors de la signature du Traité de Rome, Jean Monnet et Konrad Adenauer étaient d'accord sur un principe : la réconciliation franco-allemande suppose l'égalité perpétuelle entre les deux pays. A l'époque d'ailleurs, avec l'Union française, la France était plus peuplée. Avec la réunification, c'est maintenant le cas de l'Allemagne. Dans trente ans, la démographie nous donne à penser qu'il y aura de nouveau égalité. Cette égalité entre la France et l'Allemagne est donc plus qu'un simple problème de poids démographique, c'est un état d'esprit. Le bon sens commanderait de s'en remettre à la sagesse des pères fondateurs. Mais, comme l'ont répété le chancelier Schroeder et le président Chirac, cette question ne fera pas problème entre les deux pays.
Q - Court-on le risque d'aboutir à un traité "au rabais" à Nice ?
R - Je vais vous dire ce que serait selon moi un mauvais traité. Ce serait un commissaire par Etat membre sans réorganisation de la Commission; une repondération cosmétique au sein du Conseil ; un faible assouplissement des règles en matière de coopération renforcée et une faible extension du vote à la majorité. Dans ce cas, nous n'aurions répondu à aucun des défis qui nous sont posés. L'avenir de l'Europe peut se construire sur la base d'un traité de Nice réussi. Ou alors - scénario très imprévisible - certains pourront songer à repartir ensemble sur d'autres bases, à se lancer dans une refondation de l'Europe. Je ne suis pas de ceux qui croient sans réserve dans les vertus d'une telle crise. Car, avant de refonder, elle détruirait ce qui existe et pousserait certains à continuer en oubliant les autres. La France est absolument déterminée à aboutir à un bon traité. Mais, s'il le faut, plutôt qu'un mauvais traité de Nice, nous accepterons la crise.
Q - Vous avez exprimé des réticences après le discours de Jacques Chirac à Berlin sur l'avenir de l'Europe. On sa demande si la présidence française commence bien, si les deux têtes de l'exécutif parlent d'une seule voix.
R - La France parlera d'une seule voix pendant sa présidence de l'Union européenne. Les positions que nous défendrons ont été et seront arrêtées en commun entre le président de la république et le gouvernement. En revanche, au-delà de la présidence, quand il s'agira d'émettre des réflexions sur l'avenir de l'Europe à long terme, chacun comprendra que les opinions sont libres, que les gaullistes ne sont pas devenus socialistes, lesquels ne sont pas devenus chrétiens-démocrates. Donc le débat reste ouvert.
Q - Un bon traité à Nice ne va-t-il pas essentiellement stimuler la popularité de Jacques Chirac à quelques mois d'échéances électorales majeures ?
R - Une présidence réussie, c'est un bon point pour la France. Les bénéfices seront partagés. Si la France a bien mené sa présidence, cela voudra dire que le gouvernement aura bien dirigé l'ensemble des Conseils des ministres, que le Premier ministre aura bien animé l'action du gouvernement en la matière et que le président de la République aura bien présidé le Conseil européen. Je ne souhaite pas faire de la présidence française de l'Union européenne un débat de politique intérieure. En revanche, je suis convaincu que l'Europe sera un enjeu décisif pour les échéances qui viennent ensuite, notamment pour les législatives de 2002.
Q - Pourquoi ?
R - Parce qu'aujourd'hui l'Europe est un destin commun qui nous concerne tous. Dans tous les pays de l'Union, on assiste à une montée considérable du thème européen dans les consciences nationales et dans les politiques nationales. Ce débat est partout. On ne peut pas faire l'impasse sur la question européenne. Elle aura beaucoup plus d'importance en 2002 qu'elle n'en avait en 1997. Surtout du fait que nous avons retrouvé la croissance et la confiance, donc aussi une forme d'euro-optimisme, de désir d'Europe...
Q - Les positions européennes de la gauche et de la droite modérées sont-elles vraiment différentes ?
R - Pour moi, l'Europe continue au contraire d'être un élément fondamental d'identité et une ligne de clivage essentielle dans le débat politique.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)