Texte intégral
(Interview à Europe 1 à Paris, le 17 mars 2003) :
Q - Tony Blair a donné une nuit aux Français, une nuit pour changer et se rallier à la guerre.
R - Je veux d'abord dire à nos amis américains, britanniques ou espagnols, la crise iraquienne n'est pas un problème entre eux et la France. C'est un problème entre ceux qui décident d'avancer dans une logique de force, dans une logique de guerre et la communauté internationale qui, dans sa très très grande majorité pense que ce n'est pas opportun, que tout n'a pas été essayé, et même, lorsque l'on écoute les inspecteurs, que l'on peut avancer dans la voie d'un désarmement pacifique de l'Irak.
Q - Mais, aujourd'hui, les inspecteurs, c'est trop tard. Certains quittent la frontière entre le Koweït et l'Irak et peut-être même bientôt l'Irak.
R - Et d'ailleurs, j'ai été surpris en écoutant hier la conférence de presse des Açores qu'ils n'aient pas été mentionnés alors qu'ils sont le coeur de la résolution 1441. Ils sont l'oeil et la main de la communauté internationale et ce sont eux qui, sur le terrain, voient l'évolution de ce désarmement, qui le constatent et qui nous le disent.
Q - Un autre mot n'a pas été employé alors qu'il était dans tous les esprits, la guerre. Or, c'est de cela qu'il s'agit.
Nous sommes lundi 17 mars, ce jour à la fois attendu et redouté, selon George Bush, c'est un moment de vérité pour le monde entier.
R - Cette épreuve de vérité, la France y a répondu depuis déjà plusieurs mois. Nous l'avons dit à nos amis américains, britanniques et espagnols, nous avons dit ce que la France ferait. La France ne peut accepter la résolution qui se trouve sur la table aujourd'hui à New York, c'est une résolution américaine, anglaise et espagnole qui pose un ultimatum et qui envisage le retour automatique à la force, ce qui fait donc aujourd'hui le jeu de la guerre.
La France ne peut accepter cela, mais nous n'avons cessé de faire des propositions, comme d'ailleurs la plupart des partenaires du Conseil de sécurité, ce qui montre bien qu'il n'y a pas aujourd'hui de majorité pour voter la guerre au Conseil de sécurité.
Q - Donc, aujourd'hui, il n'y a pas aujourd'hui de deuxième résolution possible.
R - Je ne vois pas comment cette résolution peut être envisagée, compte tenu de l'affirmation par les uns et par les autres d'un choix qui est celui d'avancer par le désarmement pacifique de l'Irak.
Q - Et l'Amérique peut-elle trouver, dans la première résolution, la 1441, une caution légale pour déclencher la guerre ?
R - Cette première résolution - et Dieu sait si nous avons travaillé sur cette résolution tous ensemble, pendant de longues semaines, mais c'est le président Chirac qui en a fixé l'inspiration -, dit qu'il y a deux temps : un premier qui est celui des inspections et, s'il y a un blocage sur la base des rapports des inspecteurs, alors nous prendrons nos responsabilités, nous voterons une seconde résolution. Il n'y a pas de blocage actuellement de ces inspections. Les inspecteurs nous disent qu'il y a une coopération active, ils peuvent travailler sur le terrain, il n'y a donc pas lieu de passer à ce second stade. Mais nous devons proposer d'accélérer, de fixer un programme extrêmement strict, c'est ce que nous avons fait et proposé aux inspecteurs.
Q - Hans Blix vient de confirmer, à l'instant, sans vous entendre, pour son pays la Suède ce que vous dites, les inspecteurs resteront aussi longtemps que possible en Irak.
La France voudrait-elle donner un nouveau délai, mais de combien ?
R - Le président de la République a parlé hier soir devant les Américains d'un délai d'un mois, c'est-à-dire quelques semaines. Le délai, ce sont les inspecteurs qui doivent nous dire exactement sa durée. Quel est le temps nécessaire pour réaliser les tâches clefs du désarmement ? Nous le leur avons demandé dès le 7 mars. Nous avons demandé à la fois un programme de travail très strict d'identification de ces tâches et en même temps, qu'ils nous fixent le délai raisonnable pour travailler efficacement dans la voie du désarmement. Ce qui est paradoxal dans cette situation, c'est que nous avançons vers la guerre alors même qu'aujourd'hui, il est possible de désarmer pacifiquement l'Irak. C'est donc un calendrier militaire qui s'impose à la communauté internationale. George Bush a raison de dire que c'est l'épreuve de vérité, mais c'est surtout l'épreuve de responsabilité. Et, tant les Etats-Unis que le Royaume-Uni et l'Espagne doivent faire face à cette question cruelle, aujourd'hui : est-ce que la guerre est vraiment nécessaire ?
La réponse, nous l'avons apportée, nous l'avons dit clairement, les yeux dans les yeux, en regardant nos partenaires. Cette guerre aujourd'hui n'est pas nécessaire. On peut faire autrement et on peut le faire avec les inspecteurs.
Q - Aujourd'hui, les yeux dans les yeux, puisque l'on demande aux Français de les regarder les yeux dans les yeux, vous dites qu'elle est illégitime, elle est inutile, elle est nuisible sans doute ?
R - Elle n'est pas nécessaire, car les inspections fonctionnent sur le terrain et l'on peut donc faire autrement.
Q - Et pourtant, vous dites, on avance vers la guerre, c'est-à-dire que les dés sont jetés. N'est-ce pas une manière de répondre à un calendrier, à un programme militaire déjà établi par les Etats-Unis ?
R - Le calendrier militaire américain est en marche depuis maintenant plusieurs mois. Depuis le début du mois de janvier, on a vu les choses s'accélérer. Il a été indiqué que c'était dans une logique de pression et de pression politique sur l'Irak. On voit bien aujourd'hui que l'on passe de la pression à la guerre et la décision qui reste à prendre, c'est celle-là même, sans doute qu'annoncera le président Bush devant le peuple américain ce soir. C'est cette décision pour laquelle nous souhaitons qu'il intègre ce paramètre de réalité. Aujourd'hui, il est possible de faire autrement.
Q - C'est la journée décisive et vous sentez que le président américain décidera et annoncera sa décision cette nuit, au plus tard demain. Lorsque vous l'entendrez, que direz-vous ? Le condamnera-t-on ?
R - La diplomatie n'est pas un exercice de prophétie, c'est un exercice de volonté. Bien évidemment, et le président de la République l'a dit encore très clairement hier, nous sommes les amis et les alliés des Américains et nous le resterons. Ne nous embarrassons pas de polémiques à cette heure, ce n'est pas le sujet. La question est de savoir comment les choses se passeront si la guerre est décidée. Le président de la République l'a dit, nous souhaitons que ce soit une guerre la plus rapide passible, qu'il y ait le moins de morts possible. Ce qui nous frappe, c'est que ce même résultat aurait sans doute pu être obtenu sans mort du tout et quel succès pour les Etats-Unis s'ils avaient choisi d'aller jusqu'au bout !
Q - Craignez-vous une escalade dans l'usage des armes, car certains disent que des armes chimiques seront utilisées, que l'on pourrait répondre par des armes biologiques et chimiques ou par des armes nucléaires. En sommes-nous là ? Il y a cette peur dans l'opinion.
R - La guerre, c'est toujours un temps d'incertitude. Personne ne peut prévoir demain ce qui se passera exactement. Il y a des programmes, des scénarios, des plans et il y a la réalité des choses. Elle ne se passe pas toujours comme on le pense. Ce que nous souhaitons, bien évidemment, si la guerre doit avoir lieu, qu'elle soit rapide et qu'il y ait le moins de morts possible.
Q - Dans ce cas et avec ce que vous prévoyez, avec ce que pourrait dire le président américain, irez-vous aux Nations unies à New York, aujourd'hui ou demain ?
R - Nous verrons ce que décide le président des Etats-Unis. En fonction de cela, nous verrons s'il y a encore une chance pour la diplomatie. 24 heures pour la communauté internationale pour trancher, alors même que nous connaissons tous la réponse puisque dans le fond, le choix, c'est la guerre dans tous les cas de figure, soit avec la caution des Nations unies, soit sur une base unilatérale. C'est un choix qui ne nous paraît pas refléter les exigences de la situation irakienne aujourd'hui.
Q - Si la guerre d'Irak commence, si elle est engagée, que fait tout de suite la France, aussitôt ?
R - Bien évidemment, nous nous concerterons avec l'ensemble de nos alliés du Conseil de sécurité. Nous l'avons dit, quoiqu'il arrive, le Conseil de sécurité devra rester au coeur de la gestion de la crise irakienne.
Q - C'est-à-dire, de suite, un appel au Conseil de sécurité ?
R - Il faudra que le Conseil de sécurité examine la situation, ne serait-ce que parce que nous risquons de nous trouver devant des conséquences humanitaires extrêmement graves, le problème des réfugiés, celui des populations civiles, le problème des approvisionnements. Il y a là, beaucoup de questions qu'il faudra résoudre. Par ailleurs, chacun sait que l'on peut gagner rapidement la guerre mais aucun pays, seul, ne peut construire la paix et c'est pour cela que nous pensons que les Nations unies seront incontournables, au coeur de la réflexion sur la gestion de l'Irak après Saddam Hussein.
Q - Et la France, maintient-elle ce que disait d'ailleurs le président de la République, qu'elle n'accordera, en dehors du fait que l'on acceptera que les avions américains survolent le territoire français, aucune aide, aucun soutien militaire d'aucune sorte aux belligérants ?
R - Je vous le redis, les Etats-Unis sont nos amis et nos alliés. C'est pour cela que le président de la République a dit que, si les Américains avaient besoin de survoler le territoire français, ils le feront, c'est pour cela que nous disons, si les Etats-Unis et nos alliés devaient faire face à une situation nouvelle, non prévisible aujourd'hui, d'une crise particulière, chimique, biologique, la France bien évidemment serait à leurs côtés pour marquer sa solidarité devant une crise d'un type exceptionnel.
Q - Aujourd'hui, la France passe pour un bouc émissaire, on lui tape dessus de tous côtés, en tout cas du côté américain, anglais, espagnol et ceux qui sont favorables à la guerre. Le ressentez-vous au Quai d'Orsay et à l'Elysée ?
R - Bien sûr, mais c'est oublier la réalité des choses, c'est la communauté internationale, l'immense majorité du Conseil de sécurité, l'ensemble des déclarations, nous les avons signées avec nos amis allemands, russes, avec le soutien des Chinois, la France exprime ce que pense une très large majorité des peuples du monde.
Q - Vous avez donc le soutien des peuples et des citoyens du monde, c'est ce que vous ressentez ?
R - Oui, et nous avons surtout le sentiment d'être en phase avec la réalité de cette crise. Demain, il nous faudra gérer d'autres crises. Comment ferons-nous pour la Corée du Nord, pour les autres Etats proliférants de cette région du Moyen-Orient, faudra-t-il encore faire la guerre ?
Nous pensons que les Nations unies, avec cet outil des inspections, ont un outil exceptionnel pour faire face aux crises de prolifération et par ailleurs, je crois qu'il faut éviter un malentendu : c'est le lien parfois fait, souvent fait dans l'esprit des Américains entre le terrorisme et l'Irak. Il n'y a pas de lien prouvé aujourd'hui entre Al Qaïda et l'Irak et on peut penser que la communauté internationale devra donc, dans ce contexte, faire face à de nouvelles menaces, qu'il s'agisse du terrorisme, des crises de prolifération, qu'il s'agisse des crises régionales, nous voyons tous la situation au Proche-Orient. Face à tout cela, il faudra beaucoup d'unité, beaucoup de mobilisation de la communauté internationale et la France sera, là, la première au rendez-vous.
Q - Voulez-vous dire que cette guerre d'Irak est porteuse en elle-même d'autres guerres ?
R - L'incompréhension est toujours porteuse de division et ce que nous regrettons, c'est qu'à un moment où nous sommes confrontés justement, à un monde qui vit sous la tension, nous ne soyons pas capables de trouver les moyens de coopération, les moyens d'unité pour travailler ensemble, alors que nous l'avons fait depuis le 11 septembre sur le terrorisme et que nous avons voté à l'unanimité la résolution 1441.
Q - La guerre, est-ce une défaite de l'ONU, une défaite de la France ?
R - Certainement pas une défaite de l'ONU, certainement pas une défaite de la France. C'est un choix aujourd'hui, c'est un choix des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l'Espagne. Si ce choix se confirme une fois de plus, c'est d'autant plus un choix et c'est pour cela que je parlais de moments de responsabilité, d'autant plus un choix qu'une autre voie est possible.
Q - Vous prévoyez un monde plus déréglé, plus dangereux, les Anglo-Américains promettent la paix, une nouvelle carte géopolitique. Vous avez entendu, un deuxième Etat pour la Palestine, l'affaiblissement du terrorisme, l'instauration partout de la démocratie et du progrès, et s'ils avaient raison, eux ?
R - C'est un débat aussi vieux que l'humanité. Je me rappelle Benjamin Constant au début du 19ème siècle qui s'adressait à Napoléon en lui disant : "Mais aujourd'hui la puissance, ce n'est pas le nombre de canons, c'est la liberté, c'est le commerce."
Je crois qu'il faut méditer tout cela si l'on veut éviter de répéter les erreurs de l'Histoire. La puissance, c'est aussi la capacité d'une culture à trouver en elle-même les ressources pour faire face à des situations difficiles, et pas toujours par la force. C'est un réflexe ancien que de se servir de sa force. L'Histoire du monde nous apprend que ce réflexe conduit souvent à des représailles, des engrenages, c'est bien ce que nous souhaitons éviter. Il n'y a pas de raccourcis pour le monde, il n'y a pas de solutions qui permettent rapidement de régler les choses. C'est pour cela qu'il nous faut nous armer de courage, armons-nous de constance, agissons ensemble sur le terrorisme, sur la prolifération et les crises. C'est par la volonté, avec patience et détermination que le monde parviendra à surmonter ces difficultés.
Q - C'est dit avec beaucoup de lyrisme et de force, avec un sens épique du propos, mais nous allons vers la tragédie. Nous ne pouvons pas éviter cette guerre et les Américains la voulaient-ils, l'avaient-ils choisie depuis longtemps, la guerre ?
R - Une fois de plus, il y avait un calendrier militaire, il y avait une perspective politique et diplomatique. Je crois que les Nations unies, dans ce contexte, ont véritablement rempli leur mission, de façon exceptionnelle, très au-delà de ce que l'on pouvait espérer il y a quelques mois. C'est donc, pour les Nations unies, un moment très important mais ils seront au rendez-vous de la reconstruction, j'en suis sûr.
Q - Et s'il y a la guerre, faut-il éliminer Saddam Hussein ou l'arrêter pour le juger ?
R - C'est un choix qu'il appartiendra de faire à ceux qui sont sur place. La communauté internationale réfléchira bien sûr à tous ces éléments. Aujourd'hui, nous en sommes réduits à des hypothèses qui apparaissent décalées par rapport aux enjeux, le choix de la guerre et de la paix.
Q - A ceux qui, dans l'opinion française et dans votre propre majorité, ont moins peur de la guerre anti-Saddam que de la rupture avec l'Amérique de Georges Bush, que leur dites-vous ?
R - D'abord, je leur dit que lorsque l'on a un ami aussi précieux que le sont, pour nous, les Américains, on les regarde dans les yeux et on leur dit la vérité et la responsabilité, ce que nous pensons du risque qui aujourd'hui peut menacer le monde. C'est ce que nous avons fait tout au long de ces mois et je ne crains pas pour les relations franco-américaines parce que, bien évidemment, nous nous retrouverons. Personne ne peut douter aux Etats-Unis, et certainement pas le président Bush, certainement pas Colin Powell, qui ont su, tout au long de ces longs mois, ce que nous pensions et ce que nous ferons.
Q - En permanence, il y a toujours eu des contacts avec Colin Powell ?
R - En permanence. J'ai encore eu Colin Powell il y a deux jours. Lorsque je l'ai vu le 7 mars, le 14 février, je lui ai dit à chaque étape, ce que nous ferions.
Q - Et depuis quand le président Chirac et M. Bush ne se sont pas parlé au téléphone ?
R - Ils se sont parlé au cours des dernières semaines.
Q - Pas hier ou avant-hier.
R - Pas au cours des derniers jours mais les contacts sont extrêmement réguliers entre nous, je ne crains pas cette détérioration. Nous sommes capables de nous unir sur ce qui constitue aujourd'hui l'essentiel, c'est-à-dire, faire face aux défis du monde.
Q - Faut-il qu'ils acceptent que la France joue un rôle dans la phase de l'après-guerre à Bagdad et en Irak ?
R - Mais, pas seulement la France. Il faut accepter que l'on a besoin de tout le monde et l'une des conclusions, je m'en réjouis parce que nous avons beaucoup travaillé en ce sens, l'une des conclusions du sommet des Açores, c'était bien de dire que, quoiqu'il arrive, la communauté internationale tout entière devrait être au rendez-vous, les Nations unies devaient être au rendez-vous. Je crois que c'est un acquis et c'est un point important.
Q - Nous parlerons une autre fois de la manière de reconstruire les Nations unies ou de les réformer, de reconstruire l'Europe. Merci en tout cas d'être venu sur Europe 1, une telle journée lourde d'Histoire, en direct du studio où Jean-Luc Lagardère continuera, chaque matin, simplement, à m'inspirer.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2003)
(Interview à l'hebdomadaire Marianne à Paris, le 17 mars 2003) :
Q - Etes-vous sûr que la France ait choisi la bonne ligne ?
R - Des interrogations peuvent légitimement apparaître à propos de la crise irakienne sur les dégâts collatéraux et les risques encourus sur la scène internationale : divisions européennes, questions au sein de l'OTAN. Cela peut donner le vertige, on peut redouter d'être isolés ou incompris. Mais nos principes sont si importants que nous avons un devoir d'exemplarité. C'est vrai de l'Europe, et c'est aussi vrai de la France. Si certains ont le sentiment - à tort - d'un choc entre la France et l'Amérique, c'est bien parce que les deux pays ont chacun leur vision du monde. D'où une grande sensibilité au regard de l'autre. Nous devons, entre amis, avoir le courage de la franchise avec, pour objectif, de donner la priorité à la double exigence de légitimité et d'efficacité. Au sein de la communauté internationale, pour être efficace, il faut être légitime...
Q - Et inversement, d'accord...
R - Il faut être clair sur ce point : le Conseil de sécurité ne doit pas être une enceinte de dupes. Sa vocation doit être réaffirmée dans un monde débarrassé de la logique des blocs, même si une puissance est plus puissante que les autres. Sans l'ONU, au lendemain de la guerre, toute présence étrangère en Irak ne manquera pas de se heurter à un problème de légitimité. Imaginez les conséquences en termes de terrorisme, d'incompréhensions, de fractures dans le monde arabe, de mobilisation des masses, d'instabilité. La meilleure protection restera toujours la légalité internationale.
Q - Le Conseil aura sans doute montré son incapacité à empêcher la guerre...
R - Si les Américains veulent mener la guerre unilatéralement, personne ne peut les en empêcher. Mais une telle opération n'aurait pas la caution internationale. Au-delà du temps de la guerre viendra ensuite le temps de la paix. Or, gagner la paix ne sera pas possible sans la mobilisation des Nations unies.
Q - Le monde est-il plus dangereux aujourd'hui ?
R - Nous avons connu trois ruptures. La chute du mur de Berlin a fait souffler le vent de la liberté, mais a créé un vertige du monde, un déséquilibre du monde. Par ailleurs, si la mondialisation est le fruit d'un temps long entamé à la fin du Moyen Age, on a vu ces dernières années sa face noire, inquiétante. On ne saurait, enfin, sous-estimer la rupture du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis ont été frappés au coeur. Depuis, la tentation est grande pour l'administration américaine de tout analyser à l'aune de la sécurité. Notre démarche est différente. Il faut faire face à toutes les menaces en même temps: terrorisme, prolifération, intégrisme, crise régionale, avec le souci de solidarité et de justice pour bâtir un véritable monde multipolaire. La clef doit être la responsabilité collective dans un monde où la force ne peut être qu'un dernier recours. Mais nous devons, bien sûr, prendre en compte l'immense émotion provoquée par le 11 septembre dans la conscience américaine, avec la volonté de maintenir l'unité de la communauté internationale.
Q - Etes-vous si sûr que nous avons "les mêmes valeurs" ?
Dans l'après-guerre froide, la notion d'Occident a-t-elle un sens ?
R - C 'est un vaste débat. On le voit au sujet du droit international, du développement, de la morale. Plusieurs lectures sont possibles, et c'est la diversité qui illustre les rapports, par exemple, entre l'Europe et l'Amérique. Cette crise majeure doit permettre de clarifier ce débat et de répondre au grand défi que constitue la mise à jour de la relation transatlantique. Nous souhaitons tous une relation d'amitié avec le Etats-Unis; ce n'est pas un sujet qui doit nous diviser.
Q - La France a-t-elle le ressort moral de sa politique ?
R - La chance et la force de la France, c'est le consensus qui s'exprime autour de la crise irakienne, consensus politique, consensus national. La diplomatie française traduit une vision affirmée de notre identité et de l'avenir du monde. Elle correspond à une ambition, une vision, des choix politiques clairs qu'il s'agit de défend partout et en toutes circonstances sur la scène mondiale.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2003)
Q - Tony Blair a donné une nuit aux Français, une nuit pour changer et se rallier à la guerre.
R - Je veux d'abord dire à nos amis américains, britanniques ou espagnols, la crise iraquienne n'est pas un problème entre eux et la France. C'est un problème entre ceux qui décident d'avancer dans une logique de force, dans une logique de guerre et la communauté internationale qui, dans sa très très grande majorité pense que ce n'est pas opportun, que tout n'a pas été essayé, et même, lorsque l'on écoute les inspecteurs, que l'on peut avancer dans la voie d'un désarmement pacifique de l'Irak.
Q - Mais, aujourd'hui, les inspecteurs, c'est trop tard. Certains quittent la frontière entre le Koweït et l'Irak et peut-être même bientôt l'Irak.
R - Et d'ailleurs, j'ai été surpris en écoutant hier la conférence de presse des Açores qu'ils n'aient pas été mentionnés alors qu'ils sont le coeur de la résolution 1441. Ils sont l'oeil et la main de la communauté internationale et ce sont eux qui, sur le terrain, voient l'évolution de ce désarmement, qui le constatent et qui nous le disent.
Q - Un autre mot n'a pas été employé alors qu'il était dans tous les esprits, la guerre. Or, c'est de cela qu'il s'agit.
Nous sommes lundi 17 mars, ce jour à la fois attendu et redouté, selon George Bush, c'est un moment de vérité pour le monde entier.
R - Cette épreuve de vérité, la France y a répondu depuis déjà plusieurs mois. Nous l'avons dit à nos amis américains, britanniques et espagnols, nous avons dit ce que la France ferait. La France ne peut accepter la résolution qui se trouve sur la table aujourd'hui à New York, c'est une résolution américaine, anglaise et espagnole qui pose un ultimatum et qui envisage le retour automatique à la force, ce qui fait donc aujourd'hui le jeu de la guerre.
La France ne peut accepter cela, mais nous n'avons cessé de faire des propositions, comme d'ailleurs la plupart des partenaires du Conseil de sécurité, ce qui montre bien qu'il n'y a pas aujourd'hui de majorité pour voter la guerre au Conseil de sécurité.
Q - Donc, aujourd'hui, il n'y a pas aujourd'hui de deuxième résolution possible.
R - Je ne vois pas comment cette résolution peut être envisagée, compte tenu de l'affirmation par les uns et par les autres d'un choix qui est celui d'avancer par le désarmement pacifique de l'Irak.
Q - Et l'Amérique peut-elle trouver, dans la première résolution, la 1441, une caution légale pour déclencher la guerre ?
R - Cette première résolution - et Dieu sait si nous avons travaillé sur cette résolution tous ensemble, pendant de longues semaines, mais c'est le président Chirac qui en a fixé l'inspiration -, dit qu'il y a deux temps : un premier qui est celui des inspections et, s'il y a un blocage sur la base des rapports des inspecteurs, alors nous prendrons nos responsabilités, nous voterons une seconde résolution. Il n'y a pas de blocage actuellement de ces inspections. Les inspecteurs nous disent qu'il y a une coopération active, ils peuvent travailler sur le terrain, il n'y a donc pas lieu de passer à ce second stade. Mais nous devons proposer d'accélérer, de fixer un programme extrêmement strict, c'est ce que nous avons fait et proposé aux inspecteurs.
Q - Hans Blix vient de confirmer, à l'instant, sans vous entendre, pour son pays la Suède ce que vous dites, les inspecteurs resteront aussi longtemps que possible en Irak.
La France voudrait-elle donner un nouveau délai, mais de combien ?
R - Le président de la République a parlé hier soir devant les Américains d'un délai d'un mois, c'est-à-dire quelques semaines. Le délai, ce sont les inspecteurs qui doivent nous dire exactement sa durée. Quel est le temps nécessaire pour réaliser les tâches clefs du désarmement ? Nous le leur avons demandé dès le 7 mars. Nous avons demandé à la fois un programme de travail très strict d'identification de ces tâches et en même temps, qu'ils nous fixent le délai raisonnable pour travailler efficacement dans la voie du désarmement. Ce qui est paradoxal dans cette situation, c'est que nous avançons vers la guerre alors même qu'aujourd'hui, il est possible de désarmer pacifiquement l'Irak. C'est donc un calendrier militaire qui s'impose à la communauté internationale. George Bush a raison de dire que c'est l'épreuve de vérité, mais c'est surtout l'épreuve de responsabilité. Et, tant les Etats-Unis que le Royaume-Uni et l'Espagne doivent faire face à cette question cruelle, aujourd'hui : est-ce que la guerre est vraiment nécessaire ?
La réponse, nous l'avons apportée, nous l'avons dit clairement, les yeux dans les yeux, en regardant nos partenaires. Cette guerre aujourd'hui n'est pas nécessaire. On peut faire autrement et on peut le faire avec les inspecteurs.
Q - Aujourd'hui, les yeux dans les yeux, puisque l'on demande aux Français de les regarder les yeux dans les yeux, vous dites qu'elle est illégitime, elle est inutile, elle est nuisible sans doute ?
R - Elle n'est pas nécessaire, car les inspections fonctionnent sur le terrain et l'on peut donc faire autrement.
Q - Et pourtant, vous dites, on avance vers la guerre, c'est-à-dire que les dés sont jetés. N'est-ce pas une manière de répondre à un calendrier, à un programme militaire déjà établi par les Etats-Unis ?
R - Le calendrier militaire américain est en marche depuis maintenant plusieurs mois. Depuis le début du mois de janvier, on a vu les choses s'accélérer. Il a été indiqué que c'était dans une logique de pression et de pression politique sur l'Irak. On voit bien aujourd'hui que l'on passe de la pression à la guerre et la décision qui reste à prendre, c'est celle-là même, sans doute qu'annoncera le président Bush devant le peuple américain ce soir. C'est cette décision pour laquelle nous souhaitons qu'il intègre ce paramètre de réalité. Aujourd'hui, il est possible de faire autrement.
Q - C'est la journée décisive et vous sentez que le président américain décidera et annoncera sa décision cette nuit, au plus tard demain. Lorsque vous l'entendrez, que direz-vous ? Le condamnera-t-on ?
R - La diplomatie n'est pas un exercice de prophétie, c'est un exercice de volonté. Bien évidemment, et le président de la République l'a dit encore très clairement hier, nous sommes les amis et les alliés des Américains et nous le resterons. Ne nous embarrassons pas de polémiques à cette heure, ce n'est pas le sujet. La question est de savoir comment les choses se passeront si la guerre est décidée. Le président de la République l'a dit, nous souhaitons que ce soit une guerre la plus rapide passible, qu'il y ait le moins de morts possible. Ce qui nous frappe, c'est que ce même résultat aurait sans doute pu être obtenu sans mort du tout et quel succès pour les Etats-Unis s'ils avaient choisi d'aller jusqu'au bout !
Q - Craignez-vous une escalade dans l'usage des armes, car certains disent que des armes chimiques seront utilisées, que l'on pourrait répondre par des armes biologiques et chimiques ou par des armes nucléaires. En sommes-nous là ? Il y a cette peur dans l'opinion.
R - La guerre, c'est toujours un temps d'incertitude. Personne ne peut prévoir demain ce qui se passera exactement. Il y a des programmes, des scénarios, des plans et il y a la réalité des choses. Elle ne se passe pas toujours comme on le pense. Ce que nous souhaitons, bien évidemment, si la guerre doit avoir lieu, qu'elle soit rapide et qu'il y ait le moins de morts possible.
Q - Dans ce cas et avec ce que vous prévoyez, avec ce que pourrait dire le président américain, irez-vous aux Nations unies à New York, aujourd'hui ou demain ?
R - Nous verrons ce que décide le président des Etats-Unis. En fonction de cela, nous verrons s'il y a encore une chance pour la diplomatie. 24 heures pour la communauté internationale pour trancher, alors même que nous connaissons tous la réponse puisque dans le fond, le choix, c'est la guerre dans tous les cas de figure, soit avec la caution des Nations unies, soit sur une base unilatérale. C'est un choix qui ne nous paraît pas refléter les exigences de la situation irakienne aujourd'hui.
Q - Si la guerre d'Irak commence, si elle est engagée, que fait tout de suite la France, aussitôt ?
R - Bien évidemment, nous nous concerterons avec l'ensemble de nos alliés du Conseil de sécurité. Nous l'avons dit, quoiqu'il arrive, le Conseil de sécurité devra rester au coeur de la gestion de la crise irakienne.
Q - C'est-à-dire, de suite, un appel au Conseil de sécurité ?
R - Il faudra que le Conseil de sécurité examine la situation, ne serait-ce que parce que nous risquons de nous trouver devant des conséquences humanitaires extrêmement graves, le problème des réfugiés, celui des populations civiles, le problème des approvisionnements. Il y a là, beaucoup de questions qu'il faudra résoudre. Par ailleurs, chacun sait que l'on peut gagner rapidement la guerre mais aucun pays, seul, ne peut construire la paix et c'est pour cela que nous pensons que les Nations unies seront incontournables, au coeur de la réflexion sur la gestion de l'Irak après Saddam Hussein.
Q - Et la France, maintient-elle ce que disait d'ailleurs le président de la République, qu'elle n'accordera, en dehors du fait que l'on acceptera que les avions américains survolent le territoire français, aucune aide, aucun soutien militaire d'aucune sorte aux belligérants ?
R - Je vous le redis, les Etats-Unis sont nos amis et nos alliés. C'est pour cela que le président de la République a dit que, si les Américains avaient besoin de survoler le territoire français, ils le feront, c'est pour cela que nous disons, si les Etats-Unis et nos alliés devaient faire face à une situation nouvelle, non prévisible aujourd'hui, d'une crise particulière, chimique, biologique, la France bien évidemment serait à leurs côtés pour marquer sa solidarité devant une crise d'un type exceptionnel.
Q - Aujourd'hui, la France passe pour un bouc émissaire, on lui tape dessus de tous côtés, en tout cas du côté américain, anglais, espagnol et ceux qui sont favorables à la guerre. Le ressentez-vous au Quai d'Orsay et à l'Elysée ?
R - Bien sûr, mais c'est oublier la réalité des choses, c'est la communauté internationale, l'immense majorité du Conseil de sécurité, l'ensemble des déclarations, nous les avons signées avec nos amis allemands, russes, avec le soutien des Chinois, la France exprime ce que pense une très large majorité des peuples du monde.
Q - Vous avez donc le soutien des peuples et des citoyens du monde, c'est ce que vous ressentez ?
R - Oui, et nous avons surtout le sentiment d'être en phase avec la réalité de cette crise. Demain, il nous faudra gérer d'autres crises. Comment ferons-nous pour la Corée du Nord, pour les autres Etats proliférants de cette région du Moyen-Orient, faudra-t-il encore faire la guerre ?
Nous pensons que les Nations unies, avec cet outil des inspections, ont un outil exceptionnel pour faire face aux crises de prolifération et par ailleurs, je crois qu'il faut éviter un malentendu : c'est le lien parfois fait, souvent fait dans l'esprit des Américains entre le terrorisme et l'Irak. Il n'y a pas de lien prouvé aujourd'hui entre Al Qaïda et l'Irak et on peut penser que la communauté internationale devra donc, dans ce contexte, faire face à de nouvelles menaces, qu'il s'agisse du terrorisme, des crises de prolifération, qu'il s'agisse des crises régionales, nous voyons tous la situation au Proche-Orient. Face à tout cela, il faudra beaucoup d'unité, beaucoup de mobilisation de la communauté internationale et la France sera, là, la première au rendez-vous.
Q - Voulez-vous dire que cette guerre d'Irak est porteuse en elle-même d'autres guerres ?
R - L'incompréhension est toujours porteuse de division et ce que nous regrettons, c'est qu'à un moment où nous sommes confrontés justement, à un monde qui vit sous la tension, nous ne soyons pas capables de trouver les moyens de coopération, les moyens d'unité pour travailler ensemble, alors que nous l'avons fait depuis le 11 septembre sur le terrorisme et que nous avons voté à l'unanimité la résolution 1441.
Q - La guerre, est-ce une défaite de l'ONU, une défaite de la France ?
R - Certainement pas une défaite de l'ONU, certainement pas une défaite de la France. C'est un choix aujourd'hui, c'est un choix des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l'Espagne. Si ce choix se confirme une fois de plus, c'est d'autant plus un choix et c'est pour cela que je parlais de moments de responsabilité, d'autant plus un choix qu'une autre voie est possible.
Q - Vous prévoyez un monde plus déréglé, plus dangereux, les Anglo-Américains promettent la paix, une nouvelle carte géopolitique. Vous avez entendu, un deuxième Etat pour la Palestine, l'affaiblissement du terrorisme, l'instauration partout de la démocratie et du progrès, et s'ils avaient raison, eux ?
R - C'est un débat aussi vieux que l'humanité. Je me rappelle Benjamin Constant au début du 19ème siècle qui s'adressait à Napoléon en lui disant : "Mais aujourd'hui la puissance, ce n'est pas le nombre de canons, c'est la liberté, c'est le commerce."
Je crois qu'il faut méditer tout cela si l'on veut éviter de répéter les erreurs de l'Histoire. La puissance, c'est aussi la capacité d'une culture à trouver en elle-même les ressources pour faire face à des situations difficiles, et pas toujours par la force. C'est un réflexe ancien que de se servir de sa force. L'Histoire du monde nous apprend que ce réflexe conduit souvent à des représailles, des engrenages, c'est bien ce que nous souhaitons éviter. Il n'y a pas de raccourcis pour le monde, il n'y a pas de solutions qui permettent rapidement de régler les choses. C'est pour cela qu'il nous faut nous armer de courage, armons-nous de constance, agissons ensemble sur le terrorisme, sur la prolifération et les crises. C'est par la volonté, avec patience et détermination que le monde parviendra à surmonter ces difficultés.
Q - C'est dit avec beaucoup de lyrisme et de force, avec un sens épique du propos, mais nous allons vers la tragédie. Nous ne pouvons pas éviter cette guerre et les Américains la voulaient-ils, l'avaient-ils choisie depuis longtemps, la guerre ?
R - Une fois de plus, il y avait un calendrier militaire, il y avait une perspective politique et diplomatique. Je crois que les Nations unies, dans ce contexte, ont véritablement rempli leur mission, de façon exceptionnelle, très au-delà de ce que l'on pouvait espérer il y a quelques mois. C'est donc, pour les Nations unies, un moment très important mais ils seront au rendez-vous de la reconstruction, j'en suis sûr.
Q - Et s'il y a la guerre, faut-il éliminer Saddam Hussein ou l'arrêter pour le juger ?
R - C'est un choix qu'il appartiendra de faire à ceux qui sont sur place. La communauté internationale réfléchira bien sûr à tous ces éléments. Aujourd'hui, nous en sommes réduits à des hypothèses qui apparaissent décalées par rapport aux enjeux, le choix de la guerre et de la paix.
Q - A ceux qui, dans l'opinion française et dans votre propre majorité, ont moins peur de la guerre anti-Saddam que de la rupture avec l'Amérique de Georges Bush, que leur dites-vous ?
R - D'abord, je leur dit que lorsque l'on a un ami aussi précieux que le sont, pour nous, les Américains, on les regarde dans les yeux et on leur dit la vérité et la responsabilité, ce que nous pensons du risque qui aujourd'hui peut menacer le monde. C'est ce que nous avons fait tout au long de ces mois et je ne crains pas pour les relations franco-américaines parce que, bien évidemment, nous nous retrouverons. Personne ne peut douter aux Etats-Unis, et certainement pas le président Bush, certainement pas Colin Powell, qui ont su, tout au long de ces longs mois, ce que nous pensions et ce que nous ferons.
Q - En permanence, il y a toujours eu des contacts avec Colin Powell ?
R - En permanence. J'ai encore eu Colin Powell il y a deux jours. Lorsque je l'ai vu le 7 mars, le 14 février, je lui ai dit à chaque étape, ce que nous ferions.
Q - Et depuis quand le président Chirac et M. Bush ne se sont pas parlé au téléphone ?
R - Ils se sont parlé au cours des dernières semaines.
Q - Pas hier ou avant-hier.
R - Pas au cours des derniers jours mais les contacts sont extrêmement réguliers entre nous, je ne crains pas cette détérioration. Nous sommes capables de nous unir sur ce qui constitue aujourd'hui l'essentiel, c'est-à-dire, faire face aux défis du monde.
Q - Faut-il qu'ils acceptent que la France joue un rôle dans la phase de l'après-guerre à Bagdad et en Irak ?
R - Mais, pas seulement la France. Il faut accepter que l'on a besoin de tout le monde et l'une des conclusions, je m'en réjouis parce que nous avons beaucoup travaillé en ce sens, l'une des conclusions du sommet des Açores, c'était bien de dire que, quoiqu'il arrive, la communauté internationale tout entière devrait être au rendez-vous, les Nations unies devaient être au rendez-vous. Je crois que c'est un acquis et c'est un point important.
Q - Nous parlerons une autre fois de la manière de reconstruire les Nations unies ou de les réformer, de reconstruire l'Europe. Merci en tout cas d'être venu sur Europe 1, une telle journée lourde d'Histoire, en direct du studio où Jean-Luc Lagardère continuera, chaque matin, simplement, à m'inspirer.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2003)
(Interview à l'hebdomadaire Marianne à Paris, le 17 mars 2003) :
Q - Etes-vous sûr que la France ait choisi la bonne ligne ?
R - Des interrogations peuvent légitimement apparaître à propos de la crise irakienne sur les dégâts collatéraux et les risques encourus sur la scène internationale : divisions européennes, questions au sein de l'OTAN. Cela peut donner le vertige, on peut redouter d'être isolés ou incompris. Mais nos principes sont si importants que nous avons un devoir d'exemplarité. C'est vrai de l'Europe, et c'est aussi vrai de la France. Si certains ont le sentiment - à tort - d'un choc entre la France et l'Amérique, c'est bien parce que les deux pays ont chacun leur vision du monde. D'où une grande sensibilité au regard de l'autre. Nous devons, entre amis, avoir le courage de la franchise avec, pour objectif, de donner la priorité à la double exigence de légitimité et d'efficacité. Au sein de la communauté internationale, pour être efficace, il faut être légitime...
Q - Et inversement, d'accord...
R - Il faut être clair sur ce point : le Conseil de sécurité ne doit pas être une enceinte de dupes. Sa vocation doit être réaffirmée dans un monde débarrassé de la logique des blocs, même si une puissance est plus puissante que les autres. Sans l'ONU, au lendemain de la guerre, toute présence étrangère en Irak ne manquera pas de se heurter à un problème de légitimité. Imaginez les conséquences en termes de terrorisme, d'incompréhensions, de fractures dans le monde arabe, de mobilisation des masses, d'instabilité. La meilleure protection restera toujours la légalité internationale.
Q - Le Conseil aura sans doute montré son incapacité à empêcher la guerre...
R - Si les Américains veulent mener la guerre unilatéralement, personne ne peut les en empêcher. Mais une telle opération n'aurait pas la caution internationale. Au-delà du temps de la guerre viendra ensuite le temps de la paix. Or, gagner la paix ne sera pas possible sans la mobilisation des Nations unies.
Q - Le monde est-il plus dangereux aujourd'hui ?
R - Nous avons connu trois ruptures. La chute du mur de Berlin a fait souffler le vent de la liberté, mais a créé un vertige du monde, un déséquilibre du monde. Par ailleurs, si la mondialisation est le fruit d'un temps long entamé à la fin du Moyen Age, on a vu ces dernières années sa face noire, inquiétante. On ne saurait, enfin, sous-estimer la rupture du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis ont été frappés au coeur. Depuis, la tentation est grande pour l'administration américaine de tout analyser à l'aune de la sécurité. Notre démarche est différente. Il faut faire face à toutes les menaces en même temps: terrorisme, prolifération, intégrisme, crise régionale, avec le souci de solidarité et de justice pour bâtir un véritable monde multipolaire. La clef doit être la responsabilité collective dans un monde où la force ne peut être qu'un dernier recours. Mais nous devons, bien sûr, prendre en compte l'immense émotion provoquée par le 11 septembre dans la conscience américaine, avec la volonté de maintenir l'unité de la communauté internationale.
Q - Etes-vous si sûr que nous avons "les mêmes valeurs" ?
Dans l'après-guerre froide, la notion d'Occident a-t-elle un sens ?
R - C 'est un vaste débat. On le voit au sujet du droit international, du développement, de la morale. Plusieurs lectures sont possibles, et c'est la diversité qui illustre les rapports, par exemple, entre l'Europe et l'Amérique. Cette crise majeure doit permettre de clarifier ce débat et de répondre au grand défi que constitue la mise à jour de la relation transatlantique. Nous souhaitons tous une relation d'amitié avec le Etats-Unis; ce n'est pas un sujet qui doit nous diviser.
Q - La France a-t-elle le ressort moral de sa politique ?
R - La chance et la force de la France, c'est le consensus qui s'exprime autour de la crise irakienne, consensus politique, consensus national. La diplomatie française traduit une vision affirmée de notre identité et de l'avenir du monde. Elle correspond à une ambition, une vision, des choix politiques clairs qu'il s'agit de défend partout et en toutes circonstances sur la scène mondiale.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2003)