Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur l'action de la police et de la gendarmerie dans la lutte contre l'immigration clandestine, la criminalite transnationale et le terrorisme, sur la coopération policière et douanière internationale, la réforme de l'outil de coopération à l'étranger et le renforcement de la coopération avec Europol, Paris le 1er septembre 2003.

Prononcé le 1er septembre 2003

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Circonstance : 13ème colloque annuel du service de coopération technique de police (SCTIP) à Paris le 1er septembre 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous recevoir à l'Hôtel de Beauvau pour ouvrir le 13ème colloque du Service de coopération technique international de police. C'est la deuxième fois que nous nous retrouvons. Depuis un an, la délinquance recule. Les chiffres depuis le début de l'année le confirment puisque la baisse est de l'ordre de 4 % en France, soit 100 000 victimes évitées. La délinquance de voie publique, celle qui laisse tant de séquelles dans les cités, dans les banlieues et même dans les campagnes régresse de 10 %.
Ces résultats, nous les devons à l'engagement de chaque policier et gendarme. Les infractions révélées par l'action des services augmentent de 15,5 %. Le nombre de faits élucidés a augmenté en France de presque 9 %.
Depuis un an, que de réformes jugées impossibles ont été menées à leur terme !
La réunion de la police et de la gendarmerie nationale sous une seule autorité opérationnelle est maintenant une réalité quotidienne. Par ailleurs, nous développons la coopération quotidienne des services à travers les Groupes d'intervention régionaux. Depuis leur création, ils ont contribué à la résolution de 491 affaires et ont permis l'arrestation de 3 827 personnes présumées coupables. Parmi les réformes réalisées, je pense encore au redéploiement entre les zones de compétence de la police et de la gendarmerie nationale ou à l'utilisation désormais principalement zonale des forces mobiles.
Depuis un an, ma conviction que votre action est essentielle s'est encore renforcée. Je commence demain à Lille un Tour de France au terme duquel j'aurai rencontré 20 000 policiers et gendarmes. Il serait incomplet si je ne voyais pas ceux qui mènent une action de police à l'étranger. Car ce qui doit guider votre travail quotidien, c'est l'obsession de la sécurité des Français. Soyez-en persuadés : le travail de lutte contre l'insécurité en France commence désormais à l'étranger. Au-delà de la mission de coopération technique, qui se traduit par un travail d'aide et de formation des autorités policières de vos pays de résidence, l'instruction que je vous donne aujourd'hui est, en conséquence, la suivante : en gardant toujours à l'esprit que vous n'êtes pas des diplomates mais des gendarmes et des policiers, vous devez agir directement dans trois domaines : la lutte contre l'immigration irrégulière, la lutte contre la criminalité transnationale et la lutte contre le terrorisme. Ces trois phénomènes prennent leur source à l'étranger. Si nous ne sommes pas capables de les traiter à la source, lutter contre leurs manifestations en France devient impossible.
C'est ce que nous avons fait depuis un an.
Avec nos voisins, nous avons mis en uvre une véritable coopération policière transfrontalière. Nous avons ouvert des centres de coopération policière et douanière communs avec nos partenaires allemands, espagnols, italiens, belges, luxembourgeois et suisses. Nous avons mis en uvre des patrouilles mixtes avec la police, la gendarmerie et la douane, réglé les problèmes de port d'armes, créé des équipes mixtes d'enquête. C'est bien mais ce n'est pas suffisant. Je le dirai demain à Lille. La frontière ne doit plus entraver l'action des policiers : ceux-ci doivent pouvoir interpeller des délinquants en territoire étranger si une poursuite le rend nécessaire. Je saisirai le Conseil d'Etat afin que celui-ci précise si une telle décision serait anticonstitutionnelle ou non.
Avec nos voisins britanniques, depuis l'an dernier, nous avons fermé le centre de Sangatte et approfondi notre coopération policière afin de lutter efficacement et durablement contre l'immigration irrégulière dans le Calaisis. Des policiers français en armes sont désormais présents à la gare de Waterloo, à Londres, et le seront demain dans le port anglais de Douvres. Dans le même temps, des fonctionnaires britanniques sont présents à Calais et le seront demain à Dunkerque et Cherbourg. Du matériel britannique de détection de clandestins est installé dans ces ports.
Avec l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne et le Royaume-Uni, la coopération en matière de lutte contre le terrorisme s'est renforcée, qu'il s'agisse de l'ETA ou du terrorisme islamiste. Les résultats sont là. En cette matière, c'est l'absence de coopération internationale qui rend vulnérable. C'est ce que j'ai expliqué à mes homologues algérien, marocain et tunisien que je suis allé voir, après l'attentat de Casablanca. La création d'un espace de sécurité n'est pas envisageable sans travail en commun et échange d'informations. C'est dans cet esprit que les services français étaient présents sur les théâtres des attentats les plus dramatiques de ces derniers mois : Karachi en mai 2002, Bali en octobre, Riyad et Casablanca en mai 2003, et tout récemment Djakarta le 5 août dernier.
C'est également avec des représentants de nos partenaires espagnols et britanniques que je me suis rendu en Colombie en juillet pour bâtir, en coopération étroite avec les autorités colombiennes, un dispositif qui nous permette d'être plus efficaces dans la lutte contre le trafic de cocaïne, en associant notamment des officiers de liaison américains et colombiens. C'est dans cet esprit que j'ai noué des contacts avec les autorités du Pakistan, où je me rendrai, et que je vais recevoir prochainement mon homologue turc.
En matière de lutte contre l'immigration irrégulière, ma logique est la même. Pour régler le problème de Sangatte, nous avons pris conscience qu'il nous fallait travailler avec les Britanniques, mais aussi avec les autorités afghanes, avec les représentants de la coalition présente en Irak, avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés.
C'est également pour cela que je me suis rendu en Roumanie et en Bulgarie, où j'ai installé des policiers qui travaillent directement avec les services locaux, de façon opérationnelle. Les résultats sont spectaculaires, autant en matière d'immigration que de criminalité organisée (trafic de voitures volées, de faux euros). Nous devons néanmoins faire mieux dans la lutte contre le proxénétisme et la prostitution : les dispositions de la LPSI doivent être appliquées plus efficacement pour ce qui est de l'éloignement des prostituées d'origine étrangère, d'autant plus que j'ai mis en place un dispositif de prise en charge sociale, psychologique et médicale des prostituées bulgares par des ONG locales à leur retour à Sofia.
Après le Mali, je me rendrai en octobre au Sénégal, avec lequel la coopération en matière d'éloignement des immigrants en situation irrégulière est exemplaire, car fondée sur le principe de la réciprocité : je n'impose à nos partenaires rien que nous ne puissions nous voir imposer en retour. La lutte contre l'immigration irrégulière passe en effet par une action concertée avec les pays sources. Ces jours-ci la population de la zone d'attente de Roissy est tombée à moins de cent non-admis. C'est le résultat de notre action déterminée en matière de retours, notamment groupés, vers les aéroports d'embarquement. Nous devons néanmoins poursuivre notre effort en direction des pays sources les plus importants, comme les pays du Maghreb ou la Chine. C'est ainsi que je me rendrai en Algérie les 5 et 6 octobre, avant d'aller en Chine.
L'objectif de votre mission étant la sécurité de nos concitoyens en plus de la coopération avec les autorités de votre pays de résidence, votre profil professionnel doit rester celui d'un policier ou d'un gendarme. Je pense là moins au corps d'appartenance qu'à la qualification professionnelle, ce qui exclut que les fonctionnaires du SCTIP fassent une trop longue carrière loin du terrain en France. Votre mission quotidienne à l'étranger requiert, pour être menée à bien, une excellente culture policière de terrain actualisée, récente et diversifiée. J'ai donc donné instruction que soient évitées les expatriations de trop longue durée, car elles sont néfastes à la qualité de notre coopération.
De la même manière, il est essentiel de valoriser cette expérience internationale : un policier ou un gendarme qui s'est enrichi d'une expérience à l'étranger doit constituer une plus-value dans un service.
Je souhaite aussi insister sur le fait que le métier de policier ou de gendarme que vous exercez entraîne de nombreuses responsabilités. La première d'entre elles est d'atteindre les objectifs fixés par le gouvernement. Dans cet esprit, vous devez être porteurs d'une culture du résultat et de l'évaluation, que je souhaite voir instaurée dans toutes les équipes. Dès l'année prochaine - nous y travaillons avec vos représentants - il y aura une prime pour récompenser les efforts et les mérites de ceux qui auront travaillé plus et mieux. La réforme de l'Etat passe par cette reconnaissance du mérite, qui est un élément d'équité dans la gestion des hommes et d'efficacité pour le service public. Le devoir que je vous assigne est donc de reconnaître le mérite de vos collaborateurs.
J'en viens à la réforme de notre outil de coopération à l'étranger.
Le SCTIP, à l'origine en 1961 de dimension modeste, connaît depuis quelques années un développement considérable. Quatre-vingt-quinze implantations à l'étranger existeront à la fin du mois ! Mais pour mener à bien sa mission, le SCTIP lui-même doit se réformer pour tenir compte du nouveau contexte créé par l'existence même de ce ministère de la Sécurité intérieure. Aux termes de la LOPSI, la coopération de sécurité intérieure relève de ma responsabilité, qu'elle soit mise en uvre par des policiers ou des gendarmes.
C'est ce défi nouveau qui m'a conduit à en confier la direction au préfet Jacques Franquet, dont chacun ici sait qu'il a une grande expérience de la police de terrain, du travail interministériel, de l'action internationale et même du SCTIP.
Le SCTIP est en effet à une période charnière de son existence. Sa structure actuelle n'est plus adaptée à son développement et son fonctionnement doit intégrer plus de gendarmes, dans le cadre du réseau unique police/gendarmerie. Il est également indispensable de réaliser l'unité d'action à l'échelon central en matière de renseignement à caractère technique et opérationnel, dans l'objectif de retour en sécurité intérieure.
Dans cet esprit, une cellule opérationnelle commune à la police et à la gendarmerie sera créée au SCTIP pour diffuser à la DGPN et à la DGGN les renseignements que vous obtiendrez sur le terrain à l'étranger, et animer votre action en vous fixant les thèmes de recherche.
Un état major commun sera également créé pour répondre aux demandes de coopération. Organe investi d'une mission d'ingénierie, l'état-major orientera selon le domaine concerné (géographique ou technique) les actions de coopération vers la DGPN ou la DGGN, chargées d'en assurer la mise en uvre.
J'ai demandé au préfet Franquet et au général Rémy de me soumettre une proposition commune, dont les grandes lignes vous seront présentées lors ce colloque. Je souhaite que le texte qui fixe les principes d'application et les règles de conduite soit présenté très rapidement.
Vous le constatez, nous changeons complètement de logique. C'est pourquoi je souhaite que le SCTIP change de dénomination pour intégrer cette notion de sécurité intérieure.
Avant d'en terminer, je souhaiterais dire quelques mots de l'action que j'entends mener au sein d'Europol.
Dès mon arrivée au ministère de l'Intérieur, l'importance de cette structure ne m'a pas échappé. C'est pourquoi j'ai très rapidement confié une mission conjointe de réflexion à son propos à l'Inspection générale de l'administration, l'Inspection générale de la police nationale et l'Inspection générale de la gendarmerie nationale. J'ai souhaité revoir sensiblement la politique de la France à Europol.
La France doit davantage s'impliquer dans l'activité opérationnelle d'Europol. Je demande au directeur central de la police judiciaire d'y veiller personnellement et de me faire, sous couvert du directeur général de la police nationale, des propositions pour que la France utilise davantage le circuit Europol. Il n'est pas acceptable que la France, qui est à l'origine de cette création et qui contribue de façon très importante à son fonctionnement, soit un des pays qui fasse le moins appel à cette institution. Nous avons beaucoup à attendre d'une coopération plus active avec Europol en termes de sécurité intérieure. Il faut que nous utilisions davantage Europol.
Il faut également que la France y soit davantage présente par le nombre et la qualité des fonctionnaires qui y sont détachés ou mis à disposition.
Pour cela, il faut désormais qu'Europol soit plus opérationnel. Je ferai moi-même des propositions à nos partenaires de l'Union européenne lors du prochain Conseil JAI le 12 septembre. Le système des officiers de liaisons au sein des unités nationales Europol, rattachés en France à la DCPJ, doit être amélioré. La base de données Europol et le fichier de travail qui doivent être mis en uvre ont pris beaucoup de retard et l'on ne sait pas toujours quand il sera enfin opérationnel. Il faut que ceci fonctionne sans délai et que bien sûr le fichier soit approvisionné.
Europol doit aussi développer une mission d'assistance sur le terrain des polices nationales. A la fois pour montrer la détermination de la France à faire d'Europol une force de frappe européenne contre les grandes délinquances et pour conduire cette politique, j'ai informé mes collègues européens que le gouvernement français, avait sur ma proposition, désigné un candidat pour prendre la succession de M. Storbeck à la tête d'Europol ; il s'agit de votre chef de service, le Préfet Jacques Franquet.
Dès lors tous les services du ministère de l'Intérieur et du ministère des Affaires étrangères vont se mobiliser sans attendre pour soutenir cette candidature. Ayant une certaine expérience des élections, je sais qu'en la matière, rien n'est jamais gagné. Je ne cache pas que l'élection d'un français à la tête d'Europol ne sera pas facile C'est pourquoi, il faut s'engager rapidement et avec détermination.
Comme vous l'avez compris, j'entends que l'action internationale de la police et de la gendarmerie prenne encore plus d'ampleur, car elle est efficace. Je compte donc sur votre engagement
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 septembre 2003)