Texte intégral
Richard Arzt .- Bonjour F. Chérèque. Les dernières estimations du nombre de décès supplémentaires pendant la période de canicule sont plus de 10.000. Le débat est en train de s'installer sur la base de ces chiffres.
François Chérèque .- " Le débat est effectivement autour de ces chiffres. Mais je pense que l'essentiel du débat n'est pas là. Même s'il faut noter - et ça il ne faudra jamais l'oublier - qu'on vient de traverser une situation climatique et une crise sanitaire sans égal dans l'histoire de notre pays, ce qui relativise bien sûr les difficultés. On n'a jamais vu ça, et tous les pays qui ont été confrontés à ces difficultés-là - on le voit en Italie, on le voit en Espagne, on l'a vu, il y a quelques années aux Etats-Unis - ont eu ces difficultés. Maintenant, le problème qui se pose c'est : pourquoi il y a eu ces torpeurs estivales et ce décalage dans la réaction des services publics ? Et là on a une question. "
C'est le système de santé ? C'est le Gouvernement ? Où est-ce que vous mettez la responsabilité ?
- " La responsabilité du Gouvernement, bien sûr. Tout gouvernement doit prendre ses responsabilités. On peut reprocher à la majorité et au Gouvernement d'avoir essayé de trouver des responsabilités dans les 35 heures à l'hôpital, dans les Français, qui auraient abandonné toutes leurs personnes âgées, dans tel ou tel responsable de l'administration.
Je crois que dans ces cas-là, il faut reconnaître qu'il y a eu une difficulté dans les services publics, et la proposition de faire tout de suite une commission d'enquête doit être acceptée, pour voir comment les services publics ont failli, et pourquoi il y a eu un problème d'alerte sanitaire dans notre pays. Donc voilà le problème qui se pose. "
Et au-delà, sur la santé, l'organisation, qu'est-ce que vous proposez ?
- " Il y a deux problèmes qui se posent. C'est un problème de société. Qu'est-ce qu'on veut, nous, collectivement les Français, mettre sur la table ? Quels sont les moyens que l'on veut mettre en oeuvre pour prendre en charge le vieillissement de la population, ce phénomène est un phénomène nouveau, et qu'on ne doit pas éviter. On est dans la même situation par exemple que pour les retraites. Est-ce qu'on est capable de faire un bon diagnostic, de reconnaître qu'il y a une évolution démographique dans notre pays, et en face quels sont les moyens qu'on y met ? Sinon, ce sera encore une fois les personnes âgées les plus modestes, les personnes isolées qui vont subir les conséquences, et notre système de solidarité faillira par rapport à eux. Et le deuxième sujet, c'est notre système de santé. On parle beaucoup de l'hôpital aujourd'hui, mais je voudrais parler du système libéral. On a eu cet été, comme tous les étés, une faillite du système de la médecine libérale. "
C'est-à-dire des médecins généralistes ?
- " Ecoutez, on n'en parle pas, mais je suis surpris. Effectivement, il y a eu un engorgement des urgences. Mais pourquoi ? Essayez de trouver un médecin libéral la semaine du 15 août, dans une grande agglomération dans notre pays ! Impossibilité totale ! Moi j'ai eu le cas pour un de mes neveux, obligé d'aller aux urgences pour un problème d'otite, parce qu'il y avait une incapacité de trouver un médecin libéral la semaine du 15 août en Provence/Alpes/Côte d'Azur, une région où on double le nombre de personnes l'été ! Donc là, on a une faillite de notre système de santé, qui n'est pas seulement la difficulté de l'hôpital, qui est aussi le problème du lien entre la médecine de ville et l'hôpital. "
En tout cas une des solutions, ce sera des moyens supplémentaires pour la santé ?
- " Des moyens supplémentaires, certes, et on le voit bien pour les personnes âgées. On l'a vu, les chiffres ont été donnés : lorsqu'il y a une personne en France auprès d'une personne âgée dans une maison de retraite, il y en a trois en Allemagne. Donc on voit bien qu'on a un retard important, mais surtout des problèmes d'organisation. Parce que mettre des moyens supplémentaires, par exemple aux urgences, ça sera à certains endroits nécessaires. Mais si la médecine libérale n'assume plus sa responsabilité de service public, qui est la sienne également - on sait, et ça je crois que dans la mission d'enquête il faudra qu'on regarde, qu'il y a certains endroits où des médecins ont refusé de faire leur garde le week-end du 15 août - ça, c'est un vrai problème, parce que quand les gardes ne sont pas assumées, les gens vont à l'hôpital ! "
F. Chérèque, je parlais de moyens supplémentaires, à un moment où ça va devenir difficile puisque la croissance recule, on le sait d'après les calculs publiés par l'Insee, hier.
- " Le Gouvernement est face à une ambiguïté et à une contradiction. On a, d'un côté, une politique au niveau des moyens de l'Etat, qui était uniquement sur la baisse d'impôts. La baisse d'impôts, soi-disant pour relancer la consommation. Or, on constate aujourd'hui que cette baisse d'impôts n'a pas relancé la consommation. Ca a permis aux personnes les plus aisées d'épargner plus. Et puis on voit à côté, et on le voit bien dans cette crise sanitaire, une demande de plus de service public. Or on ne peut pas avoir plus de service public avec moins de moyens financiers. Donc je crois qu'il faut que le Gouvernement ait un peu plus d'humilité. Quand il y a une difficulté dans une crise sanitaire, [il faut] reconnaître qu'elle existe. Quand on a fait une erreur au niveau politique, par exemple sur les moyens financiers, reconnaître.... "
.... C'est-à-dire en promettant des baisses d'impôts vous voulez dire. Elle est là l'erreur ?
- " L'erreur, peut-être pas de promesse des baisses d'impôts mais les baisses d'impôts qui ont été promises il y a deux ans, aujourd'hui du fait de la situation économique, ne peuvent pas être mises en oeuvre. Donc je pense qu'il n'est pas honteux de dire : on ne peut pas faire de baisses d'impôt. On a besoin de moyens, en particulier pour la politique publique de l'emploi. On a besoin de moyens, donc on ne fait pas les baisses d'impôts, et on garde - je dirais - un niveau financier élevé, parce que l'Etat a besoin d'argent actuellement. "
Cette croissance atone ne peut faire qu'augmenter le chômage. Il risque d'être aux alentours de 10 % à la fin de l'année. Là-dessus, vous attendez une politique volontariste du Gouvernement ?
- " Un chiffre qui fait froid dans le dos hein : 60.000 suppressions d'emplois depuis le début de l'année dans notre pays. C'est la première fois depuis dix ans qu'on est dans cette situation-là. Donc la politique de l'emploi, mise à part une décision qu'on n'attendait pas, mais dont on se félicite vis-à-vis d'Alstom cet été, la politique de l'emploi c'est pas d'accompagnement social. Et surtout, puisqu'on sait très bien que le problème de la croissance est un problème européen, on a besoin que le gouvernement français - je le dis et je le répète depuis six mois - que le gouvernement français ait un discours au niveau de l'Europe. La relance, elle se fait au niveau de l'Europe. Or, le débat est nul à ce niveau-là, au niveau européen. "
Est-ce qu'à votre avis il y a tous les ingrédients d'une rentrée agitée ? Vous savez que J. Bové a dit que le mois de septembre doit être, non pas chaud, mais "brûlant". Tout le monde doit aller dans la rue ?
- " Ecoutez, J. Bové a choisi de faire de la politique, qu'il fasse de la politique. C'est le président d'un syndicat agricole, d'exploitants agricoles. Exploitants agricoles, c'est-à-dire qu'il est responsable d'une exploitation. Il est par certains côtés employeur. D'ailleurs, je suis surpris que son syndicat agricole n'ait jamais signé une convention collective dans le milieu de l'agriculture. Donc il n'assume pas son rôle d'employeur. Donc je crois qu'il faut qu'il soit dans son domaine de responsable de syndicat agricole. Le domaine du social, c'est le domaine des syndicats de salariés. Qui peut dire aujourd'hui qu'il y aura une difficulté ? Ce que je sais, c'est que pour nous, la CFDT, la priorité c'est bien sûr l'emploi, parce que s'il n'y a pas une relance, s'il n'y a pas un travail sur l'emploi, c'est encore une fois les plus modestes qui vont trinquer, et c'est la ligne de la CFDT depuis un moment : réforme des retraites pour les plus modestes. "
Notamment par la négociation, pour le reste, avec le patronat...
- " ... des moyens pour les personnes âgées pour éviter l'exclusion des plus modestes, la lutte contre l'emploi et des négociations sur la formation continue dès le 5 septembre. Et là, le Medef a ses responsabilités. S'il reste dans un blocage sur cette négociation, c'est-à-dire demander que ce soient les salariés qui fassent l'effort pour leur propre formation, on n'arrivera pas à un accord dans les jours qui viennent. "
(source http://www.cfdt.fr, le 22 août 2003)
François Chérèque .- " Le débat est effectivement autour de ces chiffres. Mais je pense que l'essentiel du débat n'est pas là. Même s'il faut noter - et ça il ne faudra jamais l'oublier - qu'on vient de traverser une situation climatique et une crise sanitaire sans égal dans l'histoire de notre pays, ce qui relativise bien sûr les difficultés. On n'a jamais vu ça, et tous les pays qui ont été confrontés à ces difficultés-là - on le voit en Italie, on le voit en Espagne, on l'a vu, il y a quelques années aux Etats-Unis - ont eu ces difficultés. Maintenant, le problème qui se pose c'est : pourquoi il y a eu ces torpeurs estivales et ce décalage dans la réaction des services publics ? Et là on a une question. "
C'est le système de santé ? C'est le Gouvernement ? Où est-ce que vous mettez la responsabilité ?
- " La responsabilité du Gouvernement, bien sûr. Tout gouvernement doit prendre ses responsabilités. On peut reprocher à la majorité et au Gouvernement d'avoir essayé de trouver des responsabilités dans les 35 heures à l'hôpital, dans les Français, qui auraient abandonné toutes leurs personnes âgées, dans tel ou tel responsable de l'administration.
Je crois que dans ces cas-là, il faut reconnaître qu'il y a eu une difficulté dans les services publics, et la proposition de faire tout de suite une commission d'enquête doit être acceptée, pour voir comment les services publics ont failli, et pourquoi il y a eu un problème d'alerte sanitaire dans notre pays. Donc voilà le problème qui se pose. "
Et au-delà, sur la santé, l'organisation, qu'est-ce que vous proposez ?
- " Il y a deux problèmes qui se posent. C'est un problème de société. Qu'est-ce qu'on veut, nous, collectivement les Français, mettre sur la table ? Quels sont les moyens que l'on veut mettre en oeuvre pour prendre en charge le vieillissement de la population, ce phénomène est un phénomène nouveau, et qu'on ne doit pas éviter. On est dans la même situation par exemple que pour les retraites. Est-ce qu'on est capable de faire un bon diagnostic, de reconnaître qu'il y a une évolution démographique dans notre pays, et en face quels sont les moyens qu'on y met ? Sinon, ce sera encore une fois les personnes âgées les plus modestes, les personnes isolées qui vont subir les conséquences, et notre système de solidarité faillira par rapport à eux. Et le deuxième sujet, c'est notre système de santé. On parle beaucoup de l'hôpital aujourd'hui, mais je voudrais parler du système libéral. On a eu cet été, comme tous les étés, une faillite du système de la médecine libérale. "
C'est-à-dire des médecins généralistes ?
- " Ecoutez, on n'en parle pas, mais je suis surpris. Effectivement, il y a eu un engorgement des urgences. Mais pourquoi ? Essayez de trouver un médecin libéral la semaine du 15 août, dans une grande agglomération dans notre pays ! Impossibilité totale ! Moi j'ai eu le cas pour un de mes neveux, obligé d'aller aux urgences pour un problème d'otite, parce qu'il y avait une incapacité de trouver un médecin libéral la semaine du 15 août en Provence/Alpes/Côte d'Azur, une région où on double le nombre de personnes l'été ! Donc là, on a une faillite de notre système de santé, qui n'est pas seulement la difficulté de l'hôpital, qui est aussi le problème du lien entre la médecine de ville et l'hôpital. "
En tout cas une des solutions, ce sera des moyens supplémentaires pour la santé ?
- " Des moyens supplémentaires, certes, et on le voit bien pour les personnes âgées. On l'a vu, les chiffres ont été donnés : lorsqu'il y a une personne en France auprès d'une personne âgée dans une maison de retraite, il y en a trois en Allemagne. Donc on voit bien qu'on a un retard important, mais surtout des problèmes d'organisation. Parce que mettre des moyens supplémentaires, par exemple aux urgences, ça sera à certains endroits nécessaires. Mais si la médecine libérale n'assume plus sa responsabilité de service public, qui est la sienne également - on sait, et ça je crois que dans la mission d'enquête il faudra qu'on regarde, qu'il y a certains endroits où des médecins ont refusé de faire leur garde le week-end du 15 août - ça, c'est un vrai problème, parce que quand les gardes ne sont pas assumées, les gens vont à l'hôpital ! "
F. Chérèque, je parlais de moyens supplémentaires, à un moment où ça va devenir difficile puisque la croissance recule, on le sait d'après les calculs publiés par l'Insee, hier.
- " Le Gouvernement est face à une ambiguïté et à une contradiction. On a, d'un côté, une politique au niveau des moyens de l'Etat, qui était uniquement sur la baisse d'impôts. La baisse d'impôts, soi-disant pour relancer la consommation. Or, on constate aujourd'hui que cette baisse d'impôts n'a pas relancé la consommation. Ca a permis aux personnes les plus aisées d'épargner plus. Et puis on voit à côté, et on le voit bien dans cette crise sanitaire, une demande de plus de service public. Or on ne peut pas avoir plus de service public avec moins de moyens financiers. Donc je crois qu'il faut que le Gouvernement ait un peu plus d'humilité. Quand il y a une difficulté dans une crise sanitaire, [il faut] reconnaître qu'elle existe. Quand on a fait une erreur au niveau politique, par exemple sur les moyens financiers, reconnaître.... "
.... C'est-à-dire en promettant des baisses d'impôts vous voulez dire. Elle est là l'erreur ?
- " L'erreur, peut-être pas de promesse des baisses d'impôts mais les baisses d'impôts qui ont été promises il y a deux ans, aujourd'hui du fait de la situation économique, ne peuvent pas être mises en oeuvre. Donc je pense qu'il n'est pas honteux de dire : on ne peut pas faire de baisses d'impôt. On a besoin de moyens, en particulier pour la politique publique de l'emploi. On a besoin de moyens, donc on ne fait pas les baisses d'impôts, et on garde - je dirais - un niveau financier élevé, parce que l'Etat a besoin d'argent actuellement. "
Cette croissance atone ne peut faire qu'augmenter le chômage. Il risque d'être aux alentours de 10 % à la fin de l'année. Là-dessus, vous attendez une politique volontariste du Gouvernement ?
- " Un chiffre qui fait froid dans le dos hein : 60.000 suppressions d'emplois depuis le début de l'année dans notre pays. C'est la première fois depuis dix ans qu'on est dans cette situation-là. Donc la politique de l'emploi, mise à part une décision qu'on n'attendait pas, mais dont on se félicite vis-à-vis d'Alstom cet été, la politique de l'emploi c'est pas d'accompagnement social. Et surtout, puisqu'on sait très bien que le problème de la croissance est un problème européen, on a besoin que le gouvernement français - je le dis et je le répète depuis six mois - que le gouvernement français ait un discours au niveau de l'Europe. La relance, elle se fait au niveau de l'Europe. Or, le débat est nul à ce niveau-là, au niveau européen. "
Est-ce qu'à votre avis il y a tous les ingrédients d'une rentrée agitée ? Vous savez que J. Bové a dit que le mois de septembre doit être, non pas chaud, mais "brûlant". Tout le monde doit aller dans la rue ?
- " Ecoutez, J. Bové a choisi de faire de la politique, qu'il fasse de la politique. C'est le président d'un syndicat agricole, d'exploitants agricoles. Exploitants agricoles, c'est-à-dire qu'il est responsable d'une exploitation. Il est par certains côtés employeur. D'ailleurs, je suis surpris que son syndicat agricole n'ait jamais signé une convention collective dans le milieu de l'agriculture. Donc il n'assume pas son rôle d'employeur. Donc je crois qu'il faut qu'il soit dans son domaine de responsable de syndicat agricole. Le domaine du social, c'est le domaine des syndicats de salariés. Qui peut dire aujourd'hui qu'il y aura une difficulté ? Ce que je sais, c'est que pour nous, la CFDT, la priorité c'est bien sûr l'emploi, parce que s'il n'y a pas une relance, s'il n'y a pas un travail sur l'emploi, c'est encore une fois les plus modestes qui vont trinquer, et c'est la ligne de la CFDT depuis un moment : réforme des retraites pour les plus modestes. "
Notamment par la négociation, pour le reste, avec le patronat...
- " ... des moyens pour les personnes âgées pour éviter l'exclusion des plus modestes, la lutte contre l'emploi et des négociations sur la formation continue dès le 5 septembre. Et là, le Medef a ses responsabilités. S'il reste dans un blocage sur cette négociation, c'est-à-dire demander que ce soient les salariés qui fassent l'effort pour leur propre formation, on n'arrivera pas à un accord dans les jours qui viennent. "
(source http://www.cfdt.fr, le 22 août 2003)