Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine, à France 2 le 12 mai 2003, sur la réforme de la loi Neiertz sur le surendettement des ménages, la rénovation urbaine et la réforme des retraites.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde - Nous allons parler avec J.-L. Borloo, le ministre de la Ville, de son actualité, puisqu'il s'occupe des surendettements et des quartiers en difficultés. Mais j'aimerais d'abord entendre votre point de vue sur le dossier des retraites. Ce matin, dans la presse, des sondages qui montrent que les Français, encore une fois, sont plutôt solidaires, ont plutôt de la sympathie à l'égard du mouvement de protestation de mardi. Qu'en pensez-vous de ce dossier des retraites ? Que c'est un défi, un test extrêmement difficile pour le Gouvernement ?
- "Non, je pense que c'est un dossier qui a trop tardé, cela fait sept ou huit ans que tout le monde sait qu'il faut bouger. Je retiens des sondages de ce matin que l'idée de base c'est : un, la répartition est sacrée en France, où il y avait le débat capitalisation-répartition, c'est réglé - le président de la République l'a rappelé formellement. Deuxièmement, que l'idée d'allonger la durée de cotisation, celle-là est soutenue par le sondage."
Oui, parce que 78 % des Français sont pour l'idée qu'effectivement les fonctionnaires et les autres cotisent la même durée.
- "Je crois que tout le monde est à peu près d'accord là-dessus. Après, on rentre dans des sujets plus compliqués. Je pense notamment à l'Education nationale, qui est un métier qui est de plus en plus difficile, dans des conditions de travail - je parle de l'environnement autour de l'école - de plus en plus dures. Et là, tout se téléscope un petit peu autour de ce sujet des retraites. C'est un sujet délicat. F. Fillon reçoit à nouveau les syndicats mercredi matin, je pense qu'il y a des marges de négociation et qu'ils sauront les uns et les autres les utiliser."
J.-P. Raffarin a raison de dire que ce n'est pas à la rue de décider, qu'il faut garder une fermeté absolue là-dessus ?
- "Oui, et puis en même temps, on est dans un pays de dialogue social. Je crois que le Gouvernement s'est donné un an pour discuter de ce sujet-là. Dans une démocratie, il y a les représentants de son gouvernement et puis il y a aussi le droit de manifester. Tout ceci doit trouver une forme d'équilibre. Je crois qu'on va y arriver."
Et il se pourrait que l'on aille jusqu'à un référendum là-dessus si tout était bloqué ?
- "Je n'en sais rien. Le référendum appartient au président de la République. Ce n'est pas de ma responsabilité."

Revenons justement aux vôtres. Le dossier surendettement. Il y a un an, au lendemain de l'élection présidentielle, vous aviez dit que le vote Le Pen s'expliquait pour partie par ce million de familles broyées par les conditions sociales, c'est votre expression je crois.
- "Oui, parce que l'idée qu'il y ait 35 % de gens qui votent pour les extrêmes c'était, entre autres, l'idée qu'il ne sert à rien d'avoir des gouvernements parce que "les drames que je vis, moi, avec ma famille, ma femme ou ma nouvelle compagne, et mes enfants ne sont pas pris en compte par la société". Et je prenais comme exemple ce million de familles, qui sont des travailleurs, les courageux du pays - pas les frimeurs, pas les fraudeurs -, qui, à un moment donné se retrouvent dans une spirale infernale où, pour quelques milliers de francs, quelques milliers d'euros, la chasse déclenchée entre eux d'ailleurs, pour se battre, vous mettent dix, quinze, vingt procédures judiciaires, les huissiers ! Savez-vous que dans ce pays, on saisit les allocations adultes handicapés ! Invraisembable ! Savez-vous que, dans ce pays, pour quelques centaines ou milliers de francs, on peut préempter votre retraite jusqu'à la fin de vos jours ! Mais la retraite la plus petite, y compris la retraite agricole. L'idée, c'était qu'un gouvernement ça doit aussi s'occuper de choses qui concernent directement les drames personnels. On parle de l'exclusion, on en parle beaucoup. On en parle l'hiver, quand on voit quelques images de télé. Mais la route vers l'exclusion c'est ça. Alors, qui sont ces familles-là - parce qu'il y a des malentendus là-dessus - ? Ce million de familles, ce sont des gens qui ont toujours travaillé, qui à un moment donné se retrouvent au chômage pendant quelques mois ou quelques trimestres, qui ne peuvent plus payer le crédit du pavillon, on leur met en vente à toute vitesse à la barre, cela ne vaut plus que la moitié du prix, et la spirale infernale, avec les indemnités de retard, les pénalités etc... Donc, c'est la machine à broyer qu'on a voulu arrêter. Il ne s'agit pas d'effacer comme cela. Il s'agit de dire : il y a une situation particulière, il y a une maladie..."
On regarde...
- "...on regarde devant le juge, c'est public, c'est dans la démocratie de ce pays. Et puis, vous allez faire un pan de remboursement cohérent avec vos capacités et dans les cas les plus extrêmes, où vraiment on est dans la détresse complètement, il peut y avoir une liquidation avec un nouveau départ dans la vie. C'est pour cela qu'on l'a appelée la loi de la deuxième chance."
Jusqu'à présent, la loi sur le surendettement c'est la loi Neiertz, qui va devenir la loi Borloo. Quelle est la différence ? Aujourd'hui, on peut être ... On va devant le juge et on peut être personnellement mis en liquidation judiciaire pour avoir un effacement des dettes ?
- "Oui, si on le souhaite. D'abord c'est libre."
Pour avoir un effacement de dettes ?
- "Pour avoir une liquidation qui correspond effectivement à... On vend ce qu'on a, à l'exception de la peluche pour les enfants, de la vieille voiture si c'est pour aller travailler et des meubles, ou de la cuisinière. Mais on choisit librement. On dit : voilà, maintenant il y a eu un problème - à condition de ne pas être fraudeur parce que le juge vérifie bien sûr -, on a eu un moment très difficile, eh bien je redémarre dans la vie. Vous savez le nombre des familles qui n'ont même pas la force d'aller rechercher du boulot, parce qu'avec l'actuel système, on a un reste à vivre - le mot est atroce - de 2 350 francs par mois... A quoi sert-il d'aller bosser chez Peugeot à 7 000 balles ou à 8 000 francs, si c'est pour avoir un reste à vivre qui crée de nouveaux impôts etc. C'est cette spirale qu'on a voulu arrêter. Je crois qu'il y a 1 million de familles qui vont repartir dans la vie et même dans l'intérêt général du pays. C'est formidable."
Aujourd'hui, ce qui est nouveau c'est que, effectivement, même dans cette situation extrême, on a le choix entre le rééchelonnement de ce qu'on doit et cela se discute avec toujours les commissions surendettement de la Banque de France...
- "La Commission de surendettement, oui."
...Ou bien, effectivement, on choisit de vendre les quelques biens qu'on peut avoir.
- "Non. On peut aussi décider de payer sous contrôle du juge, mais avec tous les créanciers - car à la Commission de surendettement, il n'y pas les impôts par exemple. Donc c'est vraiment avec tout le monde, dans la sérénité, il n'y a plus de poursuites du jour au lendemain. C'est un plan d'apurement ou c'est la liquidation. C'est de toute façon sur la base de volontariat, c'est démocratique. Il faut que je vous dise aussi que, tous les grands pays au monde ont cette loi, presque tous. On est trois dans le monde à ne pas avoir une loi comme celle-là. Dans les grands pays modernes ... Vous savez, dans les pays réglementés, l'exclusion on bascule très très vite. C'est donc une loi anti-exclusion."
Un mot sur la Banque de France. On les a beaucoup vu manifester, parce qu'on va fermer un certain nombre de guichets. Et parmi les arguments des salariés de la BDF, c'est de dire : on s'occupe des dossiers de surendettement.
- "Ce qui est vrai."
Vous allez discuter avec J.-C. Trichet ? Etes-vous d'accord, avez-vous organisé un peu cela ?
- "Je vois J.-C. Trichet cette semaine à ce sujet. Lui a une réforme générale de la Banque de France. L'organisation a 200 ans, il faut la faire évoluer. Moi, je souhaite qu'il y ait une réflexion par bassin d'activités et non pas par département."
C'est-à-dire là où il y a beaucoup de surendettés, on garde davantage de guichets par exemple ?
- "Oui, et puis les Commissions de surendettement vont être allégées d'une partie de l'activité qui partira vers les tribunaux et donc vont mieux travailler. Il n'y a pas de télescopage. Mais c'est vrai que la Banque de France fait un travail formidable sur les commissions, et qu'il faut garder ce maillage sur le territoire."
Votre deuxième grand dossier, mais enfin qui est lié au premier, c'est ce que vous appelez le Plan Marshall pour les quartiers. Vous en êtes où ? Ca y est, il va y avoir, à la fois, un guichet unique dans certains quartiers difficiles, des zones franches nouvelles que vous mettez en place ?
- "La loi est donc partie au Conseil d'Etat, au Conseil Economique et Social. Je crois que c'est une loi absolument révolutionnaire. On se donne, là, tous les moyens de traiter de problèmes de ce qu'on appelle "les banlieues" ou les "quartiers sensibles". C'est-à-dire, à la fois, du développement économique pour le quartier, qu'on a un peu d'espoir de boulot... Il y a quatre fois moins de travail dans ces quartiers-là que quelques cent mètres plus loin dans le reste du bassin."
Donc ça, c'est les zones franches urbaines ?
- "C'est un peu plus que cela, vous verrez, vous allez découvrir cela dans la loi. Deuxièmement, casser les ghettos quand c'est nécessaire, reconstruire des petites maisons de ville, sortir de ce ghetto."
Vous allez démolir des immeubles ?
- "On va "résidentialiser", parce qu'on va démolir que quand c'est strictement nécessaire. Mais ça en fait beaucoup quand même, qui sont dans un état de délabrement scandaleux. Tout l'environnement autour, faire en sorte que ça soit des quartiers agréables à vivre. Modifier, améliorer considérablement les écoles. J'ai un grand projet avec L. Ferry sur ce sujet-là. Et puis, un truc incroyable, l'article 1 est ainsi rédigé : que "chaque organisation dans le pays, devra rendre compte tous les ans, en gros, de ce qu'elle a fait pour ces quartiers-là", chaque ville, chaque agglomération, chaque département, chaque région. Et enfin, ce guichet unique pour intervenir, qui s'est extrêmement bien doté. Je crois que ça va être en Europe une grande première. Et ce texte passera au mois de juin."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 12 mai 2003)