Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur les mesures prises pour l'aide aux victimes, l'importance de la police de proximité et de sa capacité d'intervention, et sur l'accès des associations d'aide et des travailleurs sociaux dans les commissariats, Paris le 29 septembre 1999.

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Circonstance : Installation du Conseil national d'aide aux victimes à Paris le 29 septembre 1999

Texte intégral

Madame la Ministre, et chère Collègue,
Mesdames et messieurs les membres du Conseil,
Mesdames et messieurs,
Je me réjouis également de l'installation du Conseil National de l'Aide aux Victimes décidé lors du Conseil de Sécurité Intérieur du 19 avril dernier et qui s'inscrit dans les initiatives prises depuis le début des années 1980 en faveur des victimes d'infraction pénales. Ces initiatives souvent locales, ont été fortement relayées par les services de l'Etat, et ont conduit à un développement sans précédent des actions menées par les collectivités locales et les associations. Elles induisent aussi une nouvelle approche de la sécurité, fondée sur le concept de proximité et sur la solidarité nationale.
Les dispositifs actuels en faveur de la victime restent toutefois trop souvent segmentés et localisés, et les victimes sont parfois tenues en lisière de l'action policière et judiciaire. Je dirai que si les services de police et de gendarmerie - au premier contact avec les victimes d'infractions pénales - ne peuvent les ignorer, puisque la prise de plainte, l'audition, la collaboration conditionnent la bonne réussite de l'enquête, il faut bien reconnaître que souvent les rapports des enquêteurs avec ces personnes s'arrêtent à l'établissement de la matérialité de l'infraction et à la recherche de leurs auteurs.
Or, face à l'insécurité, facteur d'inégalité, parce qu'il est vrai que la sûreté des biens et des personnes n'est pas donnée à tout le monde de la même façon, la police doit voir ses missions renouvelées et ses modes de travail modifiés. Il s'agit d'établir une relation avec ce public fondée sur le dialogue, la volonté d'écoute permanente et la résorption des difficultés de vie quotidienne qui surviennent immédiatement après la commission de l'infraction.
Pour assurer les missions de sécurité publique, il faut mieux accueillir, mieux renseigner, mieux écouter au sein des services publics de police et de gendarmerie. C'est pourquoi, la police nationale et la gendarmerie nationale doivent évoluer en profondeur et transformer leur mode d'intervention.
La priorité que j'entends donner à la mise en place de la police de proximité va au-delà d'un nouveau mode d'organisation des services ou d'un nouveau mode d'emploi des effectifs : il ne s'agit pas de mettre davantage d'îlotier ici plutôt que là, mais bien d'une autre conception, d'une autre philosophie de la présence et de l'action des policiers dans la société. A une police chargée principalement du maintien de l'ordre public doit progressivement se substituer une police qui ait pour objectif premier la sécurité quotidienne de nos concitoyens contre la délinquance de masse et le développement des incivilités, c'est à dire de ces comportements qui font monter les tensions et qui sont très éloignés de la norme sociale.
Il nous revient d'être capable d'apporter des réponses adaptées aux faits de petite et moyenne délinquance et donc d'aller vers une police non seulement territorialisée, mais aussi responsabilisée, connaissant la vie des quartiers, capable d'agir en partenariat avec tous les acteurs de la vie locale, qui puisse combiner capacité à réagir à l'événement et aptitude à anticiper, à agir pour prévenir le différend, la commission d'une infraction ou d'acte d'incivilité.
Connaître la vie des quartiers et agir en coopération. En effet, dans un contexte caractérisé par un chômage important et la dilution corrélative du lien social, les attentes à l'égard de la police augmentent également à raison des difficultés que d'autres institutions - famille, école, collectivités locales, associations - éprouvent à remplir leur rôle. Il est utile alors que le policier - au contact de ces réalités et de ces difficultés - marque les limites, rappelle les règles sans lesquelles il n'est pas de vie démocratique et civilisée possible, en s'appuyant sur le corps social et sur le sentiment de confiance qu'inspire encore nos institutions. Le policier ou le gendarme doivent relayer et aider l'action de tous ceux qui exercent une mission de service public qu'ils remplissent avec compétence, dévouement et professionnalisme, notamment dans ces cités et quartiers réputés difficiles.
Inversement, pour réussir cette transformation, les associations, les collectivités locales, les personnes qui s'emploient à recréer ce lien social doivent donner du grain à moudre à nos personnels de police et de gendarmerie et leur permettre d'être utilement associés aux actions locales qui favorisent l'émergence de repères civiques et républicains.
Cependant, l'accueil des victimes dans les services de police est une donnée incontournable de la relation de la police avec le public, qui conditionne le succès du concept de police de proximité et la perception de service rendu à l'usager. Les victimes reconnaissent à la police un rôle essentiel dans le système pénal ; elles attendent aussi du policier qu'il contribue à la résolution de leurs troubles par un soutien moral et une aide pratique.
A cette fin, plusieurs initiatives et directives ont été prises.
- D'abord, un développement et un renforcement tant humains que matériels des moyens mis en uvre dans chaque département pour l'information des victimes : c'est ainsi que chaque département dispose d'une équipe de "personnes ressources", formée aux questions de l'accueil, qui ont pour but de coordonner l'ensemble de ces questions au sein du département et de sensibiliser tous les fonctionnaires aux divers étapes de l'accueil. La généralisation des moyens informatiques et d'un outil "le Guide de l'Accueil Policier Informatisé" (GAPI), installé sur 266 sites de sécurité publique, vont rendre plus cohérent sur l'ensemble du territoire national l'information des usagers et des victimes.
- C'est ensuite la diffusion de l'information à partir d'un formulaire d'aide aux victimes incorporé dans le logiciel de rédaction des procédures depuis le mois d'avril 1997. Ce document est remis aux plaignants par les services de police au moment du dépôt de plainte, lorsqu'il s'agit d'infractions entrant dans le domaine d'action de l'INAVEM (vols avec violences sur voie publique, cambriolages, vols par ruse à l'égard des personnes âgées, agressions, accidents de la circulation avec dommages corporels).Il renseigne sur les suites procédurales attendues et donne une indication sur les assistances possibles, notamment au niveau des associations départementales d'aide aux victimes ou des permanences des Barreaux.
J'encourage toute initiative allant dans le sens d'une meilleure assistance aux personnes après le recueil de la plainte ou d'un témoignage. A ce sujet, la direction centrale de la sécurité publique a adressé, par note du 16 juin 1999, à tous les directeurs départementaux de la sécurité publique des instructions afin que soit systématisée, à la victime d'une infraction ou au témoin d'une affaire pouvant se révéler traumatisante, la remise immédiate des coordonnées des associations d'aides aux victimes auxquelles ils peuvent avoir recours.
- En troisième point, je remarque qu'un véritable dialogue s'est engagé entre les services de police locaux et les associations d'aide aux victimes, souvent par les discussions et évaluations effectuées dans le cadre des Contrats Locaux de Sécurité (CLS). Cette relation perdure au travers de réunions de concertation à caractère ponctuel ou régulier de type bipartite ou élargies à d'autres interlocuteurs tels que la municipalité, le Parquet ou les travailleurs sociaux.
Ces actions sont révélatrices de la volonté des acteurs locaux que représentent en partie les policiers, de dépasser le simple rôle d'information des usagers pour parvenir à une concertation fructueuse avec les associations.
Ce dialogue est effectif dans les circonscriptions d'une cinquantaine de départements.
On voit ainsi s'instaurer un partenariat dynamique et je recense de nombreuses initiatives dont les principales sont les suivantes :
- Intervention d'un psychologue d'une association d'aide aux victimes dans le cadre des auditions d'enfants victimes ou de femmes victimes,
- Présence d'une permanence de l'association d'aide aux victimes dans les locaux des commissariats,
- Désignation d'un policier comme correspondant privilégié de l'association d'aide aux victimes dans le but d'impulser de nouvelles actions, en faveur de ces personnes, par exemple, pour certaines d'entre elles, de prendre réguliérement leur attache,
- Installation d'une ligne téléphonique au sein du service de police à l'attention des victimes qui peuvent ainsi prendre contact avec des interlocuteurs spécialisés,
- Création dans le cadre du conseil communal de prévention de la délinquance d'un comité de pilotage relatif à l'aide à apporter aux victimes, réunissant policiers, associations d'aide aux victimes, autorités judiciaires, services médico-légal, travailleurs sociaux, représentants de la municipalité,
- Mise en place de dispositifs d'hébergement d'urgence et de délivrance parfois de bons de transport (taxis) par les associations, en relation avec les commissariats qui gèrent ce dispositif en dehors des heures ouvrables des associations,
- Développement avec l'accord des Parquets des médiations dans le cadre, par exemple, d'affaires liées à des incivilités (problèmes d'environnement, de comportement, ou tout acte susceptible de créer des troubles de voisinages nuisibles à la tranquillité et à l'ordre public),
- Communication aux associations d'aide aux victimes, avec l'accord de l'Autorité judiciaire, de la liste des victimes d'infractions résidant dans les quartiers sensibles, afin qu'elles puissent être mieux suivies et conseillées par elles.
D'autres initiatives récentes ont été également prises dans l'accueil spécifique des femmes victimes de violences au sein du couple ; les difficultés relatives à la prise de plainte, le développement d'un accueil spécifique et immédiat des femmes victimes, permettant confidentialité et recours à des personnels sensibilisés et formés a fait l'objet, à l'occasion de la diffusion de la circulaire interministérielle, de directives du 31 mai 1999 de la Direction Centrale de la Sécurité Publique.
De même, l'information des familles victimes d'accident de la circulation a fait l'objet, dans ce domaine douloureux, d'une note du 19 janvier 1999, l'avis aux familles de personnes décédées ou hospitalisées étant une priorité de service, qui ne peut souffrir de contingences horaires.
Pour terminer mon propos, vous remarquerez comme moi au cours de vos futurs travaux que si l'on doit considérer, en effet, que les attentes à l'égard de la police sont fortes et finalement témoignent de la confiance de nos concitoyens, une grande part des atteintes portées à la connaissance des services de police ou de gendarmerie ne présente pas un caractère pénal mais appelle plutôt une réponse sociale. C'est pourquoi, j'ai encouragé à titre expérimental la présence des travailleurs sociaux dans les commissariats : c'est là, vous le comprenez une vaste révolution : il m'apparaissait, pourtant, comme une nécessité, dès lors qu'un service de police détenait des informations sur une situation sociale particulièrement dégradée ou difficile, que la rapidité de traitement ou de la prise de relais était un gage d'efficacité et répondait au devoir de solidarité nationale.
Cette expérience, qui concerne une douzaine de villes, est positive. Outre la synergie avec les services de police et la connaissance mutuelle du travail de l'un et de l'autre, le travailleur social a incontestablement joué un rôle de relais avec les différents services sociaux, d'orientation, de conseil et de suivi des situations sociales par l'utilisation des informations mises à sa disposition par les services de police permettent une intervention rapide, précise et de qualité en direction des personnes les plus en difficulté.
Il convient, cependant, de considérer que les modalités du financement, qui reposent selon les cas soit sur le Conseil Général soit sur les collectivités locales, relayées par les crédits de "la Politique de la Ville", doivent être améliorées et uniformisées si l'on veut poursuivre de telles expériences, et répondre aux attentes des Français.
Voici quelques points - il y en a beaucoup d'autres - qui sans doute concerneront les travaux futurs de votre Conseil parce qu'il doit tout à la fois, évaluer les dispositifs mis en place, coordonner les programmes de recherche de l'ensemble des acteurs de la politique publique d'aide aux victimes d'infractions pénales et formuler toute proposition pour l'élaboration d'une action concertée d'aide aux victimes, tendant à améliorer leur accueil, leur information ainsi que leur indemnisation et pris en charge.
Soyez assurés, mesdames et messieurs, que les services que j'ai l'honneur de diriger sauront tirer profit de vos travaux.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 16 février 2000)