Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un grand plaisir de remettre pour la première fois aujourd'hui la prestigieuse distinction de l'Equerre d'Argent. En dix-sept éditions, les prix décernés par le Moniteur se sont imposés comme un événement incontournable chez les professionnels et les amateurs d'architecture. Les plus grands créateurs, comme Renzo Piano, Christian de Portzamparc, Rem Koolhas ou Jean Nouvel, ont inscrit leur nom au palmarès de ce qui est désormais avec les grands prix nationaux la principale distinction française en ce domaine. Mais le groupe que vous dirigez, cher Marc Vigier, ne se contente pas de récompenser des valeurs déjà reconnues ; il prend aussi le risque d'encourager, par le Prix de la Première œuvre, l'éclosion des talents de demain. En cela, il participe de manière inestimable à la vitalité et au rayonnement de l'activité architecturale en France ; je voulais le saluer comme il se doit.
La terre, le fer, la pierre et l'eau. En récompensant deux remarquables variations sur ce thème, le palmarès de cette année se place résolument sous le signe de cette pléiade fondatrice.
Avec la passerelle de Solférino, Marc Mimram offre ainsi à Paris son 37e pont. Il achève par la même occasion le programme du Grand Louvre et pose un nouveau jalon d'une longue histoire, puisque le projet de relier les boulevards et le faubourg Saint-Germain par le chemin le plus court remonte à la Restauration. Un premier pont, inauguré en 1859, avait été démoli en 1960 ; depuis, une passerelle métallique provisoire s'était enracinée dans le paysage parisien, privilégiant la continuité des parcours urbains au détriment de l'esthétique. L'œuvre de Marc Mimram la remplace enfin, résolvant au passage le dilemme séculaire soulevé par un jardin des Tuileries tournant le dos au fleuve : la traversée qu'elle propose réconcilie et relie enfin les berges et les quais de la Seine.
Un parcours asymétrique dans une structure symétrique : telle est en effet la profonde originalité du programme élaboré par l'architecte-ingénieur. Marc Mimram a ordonné la matière de manière à installer le plus de vide et de transparence possible. L'arc unique dédoublé multiplie ingénieusement les possibilités de cheminement, intégrant le promeneur à la dynamique d'ensemble de la structure, tout en préservant une ligne d'une rare élégance.
Cette réalisation illustre les formidables potentialités de renouvellement architectural offertes par les progrès techniques. Marc Mimram est tout à la fois architecte et ingénieur, et cela se voit. Le résultat repousse d'ailleurs tellement les limites de la virtuosité technique qu'il a, dans le contexte météorologique difficile du mois de décembre dernier, suscité des inquiétudes qui ont conduit à suspendre un temps l'ouverture de la passerelle au public.
Je tiens aujourd'hui à confirmer qu'à la suite des rapports d'expertises commandés par le maître d'ouvrage, la pérennité de l'ouvrage n'est pas en cause. La mise en œuvre d'amortisseurs dynamiques pour apporter des améliorations de confort a été décidée d'un commun accord. Je suis heureuse de vous informer que ces travaux, permettant l'ouverture de la passerelle devraient être achevés courant septembre 2000.
Au-delà de ces péripéties, je tiens à féliciter Marc Mimram pour son uvre exemplaire et l'assurer de toute mon estime dont ma présence ici ce soir veut être le témoignage.
Le Prix de la Première œuvre est attribué à Tania Concko et Pierre Gautier. Leur virtuosité, leur tour de force, est d'avoir métamorphosé les friches industrielles des bords du Zaan en lieu de vie et d'agrément, tout en conservant la mémoire de ses affectations antérieures. Tania Concko et Pierre Gautier sont parvenus, sur un programme difficile et ambitieux, à associer la complexité des structures et des volumes à une grande lisibilité de formes. L'espace auquel ils ont redonné vie demeure habité par la mémoire du lieu : canaux, plates-formes, déclinaison architecturale du thème des containers, rappellent l'ancienne vocation du port industriel. Mais cet héritage est réinvesti au bénéfice d'une affectation sociale associant fonctionnalité et inventivité, dans une dialectique constante entre l'unité de l'espace public et le fractionnement des unités de vie, l'accès facile à l'habitat et la diversité des écritures architecturales.
Chacune à leur manière, ces deux réalisations témoignent ainsi d'une attention renouvelée portée à la ville, aux continuités urbaines et aux espaces publics. Marc Mimram inscrit sa passerelle dans la triple continuité des franchissements du fleuve, des parcours urbains et des déambulations culturelles - les musées du Louvre et d'Orsay, l'Orangerie et le Jeu de Paume, les Tuileries, le Grand et le Petit Palais se trouvant désormais unis, par-delà la Seine, au sein d'un grand espace culturel. Tania Concko et Pierre Gautier privilégient les continuités de l'histoire, du tissu urbain et du passage de l'eau à la terre, en réinventant la thématique du port. Tous trois montrent la voie à une architecture inscrite dans les flux et les mouvements, conciliant mémoire et création pour fabriquer la ville contemporaine et permettant à l'instar de Julien Gracq de nourrir " l'amour d'une ville ".
Cette remise de prix, aujourd'hui est aussi l'occasion de vous dire toute la place qu'occupent dans mon ministère l'architecture et les architectes qui doivent plus encore concourir à la fabrication de la ville, à sa beauté comme à sa vocation citoyenne. C'est cette conjugaison de la création et de la qualité architecturale avec la ville tissée, vécue, habitée, appropriée par les citoyens qui guidera ma politique de l'architecture. Nous y travaillons avec les praticiens et les élus. Mais c'est aussi à l'école, dans la formation, de l'enseignement primaire et secondaire, jusqu'à l'université que doit se faire l'approche de l'espace et être introduite et enseignée la discipline de l'architecture pour permettre l'initiation des futurs citoyens. Je m'emploie à développer de nouvelles actions en ce sens avec le Ministère de l'Education nationale dès la rentrée prochaine. Je m'attacherai à ces valeurs de partage de l'architecture qui passe à la fois par la revalorisation de la mission de l'architecte et par la prise en compte de la vocation sociale et démocratique de l'architecture qu'impliquent les usages de cultures diversifiées.
La création, la qualité architecturale, la valorisation du patrimoine, en particulier du XXème siècle, l'aménagement des villes et des espaces publics sont au cur de ma politique de l'architecture, ainsi les prochains rendez-vous de l'Architecture en novembre 2000 porteront ils sur le thème de la ville. C'est aussi le sens des préoccupations européennes qui sous la présidence française s'exprimeront lors du Forum Européen de l'Architecture Française qui se tiendra à Paris les 10 et 11 Juillet prochains.
Je tiens à dire ici tout mon intérêt pour ces questions et à affirmer mon engagement dans les grands chantiers de modernisation de la profession d'architecte et d'évolution de l'enseignement de l'architecture, de mise en uvre de la Cité de l'Architecture et du Patrimoine au Palais de Chaillot, conduits par la direction de l'architecture et du patrimoine. Je vous remercie.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 8 juin 2000)