Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Le Parisien" du 10 janvier 2000, sur les responsabilités du gouvernement en matière de sécurité maritime et déclaration le 18 devant le Parlement européen sur la proposition de résolution commune déposée par DL et le Parti populaire européen, relative à la marée noire causée par le naufrage de l'Erika.

Prononcé le

Média : Le Parisien

Texte intégral

Ericka : les défaillances de l'Etat
Interview d'Alain Madelin, Le parisien 10 janvier 2000
Une certaine idée du libéralisme n'a-t-elle pas " coulé " avec le pétrolier Erika ?
La façon la plus simple de répondre à cette question est de rappeler que le pays qui aujourd'hui apparait comme le plus libéral, les Etats-Unis, est aussi le pays le plus strict en matière de secours, de réglementation, de controle et d'indemisation. J'accuse au contraire pour ma part le gouvernement français de faire preuve de démagogie pour camoufler ses responsabilités et tenter d'y échapper.
Pourquoi vous en prendre au gouvernement, et pas aux dirigeants de Totalfina ?
Le gouvernement dit aujourd'hui que Totalfina doit être financièrement responsable. Mille fois d'accord. Seulement les socialistes se moquent du monde, car il faut savoir que si les pétroliers sont aujourd'hui exonérés de toute responsabilité financière et juridique en cas de pollution c'est sur la base d'une convention internationale négociée et signée en novembre 1992 par un gouvernement socialiste. Roland Dumas était Ministre des affaires étrangères, Louis Le Pensec Ministre de la mer, et Ségolène Royal à l'environnement. Autre exemple. Monsieur Jospin a dit qu'il allait demander à l'Europe de renforcer les moyens de contrôles des navires pétroliers. Très bien. Mais là encore c'est se moquer du monde quand on sait que la France n'applique même pas les moyens de controle déjà prévu par une convention européenne qui impose aux Etats européens de contrôler l'état de navigabilité d'au moins un quart des navires qui relachent dans leur port et de publier une liste des bateaux déficients. Non seulement ces contrôles sont insuffisants en nombre, on a diminué le corps des inspecteurs au lieu de l'augmenter, mais le sérieux de ces contrôles laisse à désirer.
Vous, le libéral, vous trouvez, en somme, l'Etat déficient !....
Il n'y a pas de liberté sans règles. C'est la la première responasbilité de l'Etat, et l'exemple américain est là pour nous le rappeler. Mais à la défaillance des règles et des contrôles s'ajoute aussi sans doute dans l'affaire de l'Erika la défaillance de notre système de surveillance et d'assistance. Il y a beaucoup à dire sur la mise en oeuvre des moyens de secours en mer et à terre. Et c'est pourquoi Démocratie libérale a demandé avec François Goulard, dès le 17 décembre dernier, une commission d'enquête.
L'Elysée, et Matignon, revendiquent, ces jours-là plus d'Etat...
Le premier des rôles de l'Etat c'est d'assurer la sécurité. La sécurité des citoyens dans la rue ou le métro, la sécurité des transports aériens ou des transports maritimes. La vérité c'est qu'en France l'Etat exerce mal ce rôle essentiel. Il préfère s'occuper de légiférer dans le détail sur les 35 heures ! Les Etats Unis se sont donné avec la Fédéral Emergency Managment Agency des moyens considérables pour intervenir en cas d'urgence.
Chirac et Jospin n'ont-ils pas été tous les deux en retard ?
Je ne dirai pas cela, même si je note que la règle qui veut que le Premier Ministre reste en France quand le Président de la République est lui-même à l'étranger n'a pas été respectée, et que le ministre de l'environnement a elle-même longuement hésité à interrompre ses vacances. Ce qui est sûr c'est que entre le moment ou les premiers signes d'alerte ont été donné par l'Erika et la mise en oeuvre des secours, il y a eu beaucoup de temps perdu. Pourquoi le port de Saint Nazaire a-t-il refusé d'accueiller l'Erika en difficulté et pourquoi les secours dès lorsn'ont pas été aussitôt mobilisés ?
DL a demandé une commission d'enquête et Jeudi et vous organisez une table ronde à l'Assemblée nationale ?
Oui nous voulons connaitre toute la vérité, poser les bonnes questions, établir les bonnes responsabilités. Pour cela nous organisons une table ronde à l'Assemblée nationale avec Génération Ecologie. Et nous avons ouvert le dossier noir de l'Erika sur notre site internet
Que penser de la mobilisation ?
Ce qui a bien marché dès la première heure, c'est la mobilisation des élus locaux, des associations et des bénévoles. Devant l'absence des pouvoirs publics, alors que les moyens du plan Polmar étaient mobilisés au mauvais endroit, les initiatives locales, citoyennes et civiques, ont montré leur rapidité et leur efficacité dans une spontanéité généreuse.
Eriger en loi la reponsabilité des pétroliers n'est ce pas le plus efficace pour sécuriser le transport maritime ?
Tout ce qui responsabilise va dans le sens d'une meilleure sécurité. Et je répète que ce fut une erreur d'exonérer de toute responsabilité les pétroliers en 1992 et que les lois en vigueur aux Etats-Unis, l'Oil Pollution Act en 1990 réglemente et responsabilise de façon beaucoup plus stricte. Un Pétrolier, pour pouvoir entrer territoriales américaines, doit présenter un certificat de responsabilité financière et un plan d'urgence extrêmement rigoureux en cas d'avarie et de pollution. Et les coast guards sont très vigilents.
Mauvaise séquence pour les libéraux, Seattle, Erika...?
La santé des français, la sécurité alimentaire, le commerce mondial, le transport maritime, sont autant de domaines d'inquiétudes qui illustrent une exigence de règles. Ces problèmes de sécurité alimentaire illustrent le besoin de règles, de mécanismes de responsabilité et de gardien de ces règles. Faut il rappeler que cela fait de années que les libéraux demandent la création d'une agence européenne de sécurité sanitaire et alimentaire. Et c'est bien parce que nous sommes par exemple partisans de mettre des règles au commerce international pour par exemple permettre aux pays pauvres d'exporter, pour exiger le respect des droits de l'homme, que nous souhaitons le renforcement de l'OMC.
Finalement, le " vrai " libéral, aujourd'hui, c'est Jospin, non ?
J'observe que l'on dit aujourd'hui que les socialistes sont modernes lorsqu'ils se montrent un peu libéraux. Voilà qui indique au moins le sens du vent. Il n'en reste pas moins que dans la famille socialiste européenne, Lionel Jospin est le moins ouvert aux nécessaires évolutions libérales.
Jospin encensé dans les sondages, estimé, sinon adulé , ça vous agace...
Depuis deux ans j'observe que tout se passe comme si la côte de Jospin était indexée sur Wall Street. En effet, Lionel Jospin bénéficie d'un retour d'une croissance française et européenne, elle-même tirée par la croissance américaine. Sa faute est de ne pas tirer profit de cette croissance pour entreprendre les réformes profondes dont notre pays a besoin.
Régulièrement, on murmure que vous vous intéressez, pour 2001, à la mairie de Paris...
Le jour ou je changerai de coiffure c'est que cela commencera à m'intéresser
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Proposition de résolution relative à la marée noire
Intervention d'Alain Madelin, Parlement Européen, Le 18 janvier 2000
Alain MADELIN, Président de Démocratie libérale, est intervenu cet après-midi, devant le Parlement européen, afin de défendre la proposition de résolution commune relative à la marée noire causée par le naufrage de l'Erika, et dont Françoise GROSSETETE, député européen DL, est à l'origine.
"Je suis directement concerné et choqué par ces événements. Nous avons, avec Françoise GROSSETETE et le PPE, déposé en effet une proposition de résolution. Nous voici aujourd'hui avec une proposition de compromis. Je m'en réjouis. Ce naufrage mutile, souille quelques unes des plus belles plages européennes avec des conséquences très graves pour le tourisme, pour les professionnels de la mer, pour les défenseurs de l'environnement. Mais aussi c'est une affaire européenne, car ce qui est en cause est la réglementation et le contrôle dont la dimension naturelle est à l'évidence la dimension européenne.
On le sait, une telle catastrophe ne serait pas produite au large des côtes américaines. Pourquoi ? Parce que les Américains ont su tirer la leçon de la catastrophe de l'Exxon Valdez et faire l'Oil Pollution Act en 1990 qui est à la fois plus responsabilisant puisqu'il peut impliquer la responsabilité de l'affréteur, plus contraignant et surtout mieux contrôler au travers de diverses réglementations, et notamment de l'existence du corps des coasts-guards américains. Si nous avions eu de telles dispositions, la catastrophe ne serait sans doute pas produite.
Voilà pourquoi nous pensons qu'il faut revoir les textes applicables et notamment le protocole de 1992 qui a exonéré les affréteurs, en l'occurrence le pétrolier affréteur, de toute responsabilité. Et s'il est exonéré, il est moins impliqué dans les contrôles à la charge des compagnies pétrolières. Merci, Madame la Commissaire, d'avoir pointé toutes les insuffisances aujourd'hui existantes de la réglementation européenne.
Il faut surtout renforcer les contrôles, les contrôles de l'état du pavillon, les contrôles des sociétés de classification - vous nous avons dit que le Rina était une société de classification de contrôle italienne reconnue par la Commission. Dans quelle condition se fait cette reconnaissance, quelles sont les garanties de sa fiabilité. Vous allez envoyer une mission. Nous en attendons les résultats avec beaucoup d'intérêt.
Il faut renforcer également les contrôles des autorités maritimes, le contrôle dans les ports européens. Il existe, il faut le rappeler, un memorendum de Paris qui implique un minimum de contrôle : un quart des bateaux relâchant dans les ports européens doivent être contrôler par les autorités maritimes du pays concerné. Cette obligation n'est pas respectée ni en France - et de loin -, ni dans beaucoup d'autres pays européens. Pourquoi ? On sait depuis longtemps les conséquences qu'en a déjà tiré ou que s'apprête à en tirer la Commission.
Enfin il me paraît nécessaire de renforcer les contrôles par l'affréteur. Si sa responsabilité financière est engagée, sans doute ce contrôle serait plus exercé. Enfin une coordination des autorités maritimes est nécessaire, pour aboutir à une sorte de dispositif européen analogue aux coasts-guards qui gardent bien les côtes des Etats-Unis."
(source http://www.demlib.com, le 19 janvier 2000)