Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur les principaux axes de la politique d'intégration des populations immigrées, Paris le 27 mai 1994.

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Circonstance : Séance plénière du Conseil national pour l'intégration des populations immigrés (CNIPI), à Paris le 27 mai 1994. Point de presse le même jour

Texte intégral

La séance du Conseil National pour ]'Intégration des Populations Immigrées de ce matin venait en conclusion d'une consultation qui a eu lieu, pendant les dernières semaines, au sein de groupes de travail et du bureau de ce Conseil.
Il s'agissait d'examiner une douzaine (le mesures, très concrètes, qui sont la traduction des priorités que j'ai fiées, parce que je les crois essentielles, à la politique d'intégration : l'action en faveur des familles, la promotion des femmes, l'aide aux jeunes auxquelles s'ajoutent comme toujours des mesures d'adaptation du service public.
Avant de vous en dire un mot, je souhaite les restituer par quelques observations.
La première, c'est que ces treize mesures ne sont pas le seul moyen par lequel j'ai mis en uvre ces priorités. Dès mon entrée en fonction, je les ai définies et annoncées notamment en installant ce même Conseil National pour l'Intégration, au début de l'été 93.
Elles ont inspiré les choix et l'action de mes services, et notamment celle du Fonds d'Action Sociale, en particulier dans la construction de son budget pour 1994.
La deuxième observation, c'est que bien sûr les priorités que j'ai fixées ne sont pas exclusives d'autres domaines d'action : si j'y ai mis l'accent, c'est parce qu'elles me semblent répondre à des besoins, et pouvoir donner lieu à une intervention efficace au moment où nous nous trouvons. Cela n'exclut nullement d'autres secteurs importants de la politique d'intégration. En matière de logement, par exemple, M. de CHARETTE et moi-même avons fait réaliser un rapport par le Président de la Commission Nationale pour le Logement des Immigrés, qui vient de nous le remettre : les deux Ministères vont maintenant se concerter, et pour ma part je considère que la politique de logement des immigrés, doit être poursuivie et réorientée pour devenir une politique d'intégration par le logement.
Je souhaite donc que nous prenions prochainement les mesures nécessaires pour un meilleur emploi des très importants crédits que la loi affecte à cet objet.
Troisième et dernière observation : à côté des actions spécifiques dont nous parlons aujourd'hui, toutes les politiques que mène le Gouvernement en faveur de la cohésion sociale et de l'éducation concourent à l'intégration.
C'est bien sûr le cas de la politique de la ville, et dès l'automne dernier j'ai formalisé l'intervention du Fonds d'Action Sociale dans le financement mais aussi dans la négociation des contrats de ville.
Mais citerai aussi la loi sur la famille, la loi quinquennale sur l'emploi, le plan de lutte contre l'exclusion, les mesures pour l'école annoncées par M. BAYROU. Je veille, et c'est une tâche plus discrète mais tout aussi importante que la politique d'intégration au sens strict, à ce que les difficultés propres aux immigrés, très concernés par tous ces problèmes, soient bien prises en compte dans ces politiques générales.
Bien souvent en effet, les difficultés spécifiquement liées à l'origine étrangère seraient facilement surmontées si elles ne venaient s'ajouter à des handicaps sociaux qui sont ceux, hélas, de beaucoup d'habitants de ce pays.
Elles doivent néanmoins être prises en considération et traitées : c'est l'objet des mesures que nous avons examinées ce matin.
Le premier axe, c'est l'accueil des familles, à partir de ce moment-clé de l'intégration qu'est l'arrivée en France.
J'ai demandé aux préfets, vous le savez, de mettre en uvre dans chaque département des plans d'accueil des familles permettant d'associer l'ensemble des partenaires services de l'Etat, collectivités locales, travailleurs sociaux...
Axe majeur de ce plan, le dispositif pilote expérimenté en 1993 dans six départements montera progressivement en charge en 1994 jusqu'à couvrir les quinze départements les plus concernés, ce qui permettra de toucher en 1995 la moitié des familles rejoignantes, soit environ 12.000 personnes.
Par convention entre l'OMI et le Service Social d'Aide aux Emigrants, ce dernier assure auprès de chaque bénéficiaire une visite de pré-accueil et une visite d'accueil.
Le pré-accueil intervient après la décision d'autorisation du regroupement. Il a pour but d'aider le demandeur à préparer la venue de sa famille et d'établir un premier diagnostic sur les besoins d'insertion des personnes rejoignantes.
La visite d'accueil auprès de la famille permet de l'informer sur le contexte dans lequel va désormais s'inscrire, sur les droits et devoirs liés à son séjour en France. Elle dispense également des informations pratiques et des orientations sur l'ensemble des services publics : l'école, le logement, la sécurité sociale, les transports...
Une dizaine de millions seront affectés à cette action cofinancée par l'OMI et le FAS.
D'autres mesures concourront à enrichir cet accueil : par exemple , l'encouragement donné aux femmes rejoignantes pour un apprentissage rapide du français par l'octroi d'un crédit de 200 heures de formation à utiliser sous deux ans.
Des expériences de défraiement forfaitaire de ces femmes (500 F/mois) seront menées dans deux départements.
8 millions de francs seront affectés à ces actions dans le budget du FAS.
Mieux insérer les familles dès leur arrivée, c'est une façon de les consolider, car l'arrivée dans une société étrangère a, c'est évident, un effet qui peut être destructeur. C'est face à de tels conflits, très dangereux pour les jeunes qui peuvent y perdre toute référence, que les services sociaux sont souvent démunis, faute de compétences adaptées.
C'est pour commencer à créer cette compétence que je propose donc d'une part, de développer plusieurs expériences de médiations répondant à ce besoin spécifique, d'autre part, de définir, à partir de ces expériences, des formations adaptées et destinées notamment aux services sociaux spécialisés.
Dix associations reconnues pour leur compétence seront sélectionnées pour créer des permanences d'écoute, et bénéficieront d'actions de formation pour leur personnel, ainsi que d'un forfait d'interventions.
Ma deuxième priorité, c'est d'aider les femmes à jouer encore mieux le rôle essentiel qui est le leur dans l'intégration. peut-être parce qu'elle est souvent pour elle une libération.
Je pense d'abord à celles qui, dans les associations de femmes-relais, s'engagent au service des autres : leur action sera mieux reconnue et soutenue. Dans les 15 départements prioritaires pour l'accueil des familles, des associations seront sélectionnées et recevront des financements sur la base d'un forfait de 800 heures d'interventions.
Cette reconnaissance leur permettra, en outre, de devenir les partenaires des services d'action sociale des départements, des communes, et des caisses de sécurité sociale, qui financeront les interventions effectuées pour leur compte.
Un appui particulier sera d'autre part proposé aux associations qui se consacrent à la promotion et à l'information sur leurs droits des femmes immigrées. Je souhaite ainsi voir se constituer peu à peu sur tout le territoire un véritable réseau d'écoute et d'entraide.
Mais, il v a aussi des situations qui appellent une réponse d'urgence. Tel est le cas lorsque les jeunes filles ou des femmes soumises à des violences familiales sont amenées à quitter leur domicile dans des conditions difficiles. La création de lieux d'hébergement d'urgence et de soutien social dans quatre régions prioritaires constitue une première réponse à ce type de besoin, dans le prolongement des initiatives engagéees par plusieurs associations.
Une centaine de places, et les postes nécessaires à un encadrement social réel, seront mis en place au cours de l'année par une procédure d'appel à projet.
Une action déterminée doit enfin être menée pour éradiquer la pratique odieuse des mutilations sexuelles, dont sont encore victimes, chaque année, plusieurs milliers de fillettes.
Les campagnes menées en Île de France en 1993 ont donné de bons résultats elles seront étendues à tous les départements concernés, une prévention efficace constituant le complément indispensable de la répression pénale de ces agissements. Je sais que les associations de femmes immigrées, très actives sur ce terrain, nous y aideront.
Troisième axe essentiel : les jeunes. En appui de l'effort d'adaptation fourni par l'Education Nationale, les " réseaux solidarité école " initiés en 1992 par mon ministère pour promouvoir de nouvelles formes d'accompagnement scolaire seront développés.
Ils touchent actuellement 1 500 élèves pur 80 sites. II faut sortir de cette phase quasi-expérimentale, et dès l'année 94/95, les moyens mis en place permettront le quadruplement de ce chiffre.
Les actions de parrainage favorisant l'accès des jeunes à l'emploi, qui prolongent naturellement ce qui est fait autour de l'école, concerneront quant à elles quelques 3.000 jeunes cette année.
Nous agissons enfin, et vous comprendrez que j'y insiste, pour accompagner les jeunes étrangers nés en France dans leur accès à la nationalité.
Le législateur a souhaité faire de l'information des jeunes concernés une véritable obligation légale pour les services publics.
La sortie du décret s'accompagnera conformément au contenu précis qu'il donne à ce devoir d'information, de la mise en place d'un dispositif complet, qui ne se compare qu'à ceux qui concernent l'inscription sur les listes électorales et le service national.
L'ensemble des administrations à participé à la conception de ce dispositif, et notamment le Ministère de la Justice.
Une campagne gouvernementale d'information aura lieu à la rentrée prochaine, mais notre souci a été d'abord de mettre les administrations en mesure de répondre aux questions qui leur sont posées : depuis plusieurs mois déjà, les formations se succèdent.
Un numéro de téléphone permettra à tout fonctionnaire qui sera confronté à une question particulière de dialoguer avec un spécialiste et d'obtenir une réponse.
Enfin, dans les jours qui viennent, chaque mairie, chaque sous-préfecture, chaque organisme de sécurité sociale, chaque établissement scolaire - sans oublier les gendarmeries - recevra un dossier complet, avec un "guide" élaboré par le Ministère de la Justice et des modèles des documents destinés au public. Dès la parution du décret, les affiches seront apposées et des plaquettes diffusées dans les mairies, préfectures, tribunaux, collèges, mais aussi dans des lieux tels que les centres d'information pour la jeunesse, PAIO, Missions locales...
Les plaquettes seront diffusées, dès l'abord, à 1 million d'exemplaires, en particulier par l'Education Nationale qui consent un effort considérable.
Sans attendre la révision des programmes d'instruction civique, qui insistera sur cet aspect, les chefs d'établissement seront invités à faire évoquer le sujet par les enseignants. Des interlocuteurs seront désignés pour dialoguer avec les jeunes Concernés. En collaboration avec mon Ministère, qui en financera un millier, des conférences auront lieu dans les établissements qui en feront la demande.
Mais d'autres services interviendront les caisses d'allocations familiales, par exemple, adresseront aux jeunes concernés qui leur sont connus un courrier personnalisé.
Je pense que nous parviendrons ainsi, dans la durée, à permettre à tous les jeunes de faire leur choix, qui sera positif, je le souhaite et je le crois, dans la quasi-totalité des cas.
J'en viens pour finir à l'adaptation des services publics.
C'est d'abord dans le domaine de la formation des personnels que je souhaite faire porter un effort supplémentaire, par le triplement dès cette année du nombre des sessions de formation à l'accueil des usagers d'origine étrangère.
Une priorité sera donnée, pour l'accès à ces formations aux personnels médicaux, paramédicaux et d'accueil des établissements de soins (hôpitaux et dispensaires).
Mais ce devoir d'adaptation que nous nous efforçons de rappeler aux administrations généralistes s'applique d'abord, c'est l'évidence, à un établissement public spécialisé comme le Fonds d'Action Sociale pour les Travailleurs Immigrés et leurs Familles.
Il a été mis en évidence que certaines modalités de fonctionnement devaient être revues, notamment en vue d'accélérer les paiements aux associations.
Il s'agit pour l'essentiel de simplifier à la fois les circuits de décision et les procédures d'instruction des dossiers : les retouches nécessaires seront prochainement apportées aux textes.
Il s'agit là de réforme administratives, certes, mais elles sont chacun le sait une condition essentielle de l'exercice par les immigrés du droit d'association, qui est le support de leur engagement civique, lui-même élément central de l'intégration.
Et peut-être le lien entre toutes les mesures que je viens d'évoquer rapidement devant vous réside-t-il dans cette idée simple, mais essentielle : c'est en agissant pour leur permettre le plein exercice de leurs droits, quels qu'ils soient, que l'État peut le mieux aider les immigrés à s'intégrer.