Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur les effets de la consommation de drogue sur la santé mentale, Marseille le 13 février 2003.

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Circonstance : Débat sur l'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale à Marseille le 13 février 2003

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Députés, Sénateurs
Je suis très heureux de vous retrouver pour conclure ce débat sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur et sur lequel j'ai d'ailleurs beaucoup travaillé sur le terrain, à Marseille.
Christian CABAL l'a souligné dans son rapport, les prises de position sur la drogue ont souvent été plus passionnelles que fondées sur une réelle analyse scientifique des données disponibles.
Or, c'est bien d'un éclairage scientifique dont nous avons besoin.
Et c'est tout l'intérêt de ce débat conduit par l'Office parlementaire, que je connais bien; qui à de nombreuses reprises, a su aider le choix des parlementaires sur des sujets engageant l'avenir de notre société, en apportant un regard clair et objectif sur des questions complexes.
I. C'est bien l'impact des drogues sur la santé qui doit nous guider dans nos choix politiques, et c'est bien mon souci.
Il faut le souligner. Cela n'a pas toujours été le cas.
Avant 1985, la drogue a été politiquement parlant avant tout perçue comme un problème d'ordre public, abordée essentiellement sous l'angle de la dangerosité sociale liée aux conduites agressives et incontrôlées, induites par le produit ou par la dépendance qu'il suscite.
Le drame du Sida a bouleversé cette vision en obligeant les pouvoirs publics à s'engager dans des actions de réduction des risques pour éviter l'hécatombe.
Ce nouveau regard a conduit à considérer les drogués non comme des coupables mais comme des patients qui nécessitaient de l'aide, de l'humanité, des soins.
Dès lors la drogue est devenue un problème de santé publique majeur.
Parallèlement, alors que la consommation des drogues dites dures a semble-t-il diminué, celle du cannabis a considérablement augmenté, nous obligeant à nous interroger sur sa dangerosité. Vous le savez, la France possède le record d'Europe de la consommation de cannabis chez les jeunes !
II. La question qui fait l'objet de cette journée est celle de l'impact des drogues sur le cerveau et ses conséquences sur la santé mentale des consommateurs.
A la lecture du rapport de Christian CABAL et à la suite des communications et du débat d'aujourd'hui, je suis frappé par deux choses.
1) Les avancées très spectaculaires réalisées par les neurosciences ces dix dernières années
Ces avancées portent sur la compréhension des mécanismes neurobiologiques impliqués dans la dépendance aux drogues dont la 2ème table ronde de ce matin a pu rendre compte.
J'ai noté que la dépendance au cannabis a été longtemps discutée. Elle semble maintenant démontrée aussi bien chez l'animal que chez l'homme. Elle touche particulièrement les jeunes entre 15 et 24 ans. Les adolescents sont donc 2 fois plus exposés au risque que les adultes.
Bien sûr, de nombreuses questions se posent encore. Notamment, pourquoi la consommation précoce de cannabis (avant 17 ans) est associée à un risque plus élevé de consommation d'autres drogues illicites. L'influence de facteurs environnementaux ou génétiques, un phénomène biologique de sensibilisation croisée ont été évoqués.
2) L'autre aspect que je retiens est la complexité des relations entre la consommation de drogues et les troubles psychopathologiques.
Non pas tant les troubles aigus puisque les psychoses cannabiques sont bien reconnues.Mais le développement à long terme de maladies mentales en particulier la schizophrénie.
L'association entre cannabis et schizophrénie est bien établie. Mais le rôle exact du cannabis dans le développement d'une schizophrénie semble encore faire débat.
Comme le soulignent les psychiatres ici présents - et j'y suis très sensible - les arguments scientifiques en faveur d'une relation causale, viennent appuyer un certain nombre d'observations cliniques de troubles psychopathologiques survenant chez de jeunes consommateurs de cannabis.
Ce débat sur les effets chroniques du cannabis est essentiel.
Il ne doit cependant pas occulter d'autres effets précoces, bien démontrés et très fréquents : les altérations de l'attention et de la mémoire, la diminution des performances intellectuelles et le retentissement sur le travail scolaire et l'adaptation sociale.
Qui oserait aussi nier le rôle cancérigène du cannabis, au niveau des voies aero-digestives supérieures des gros consommateurs. Comment pourrait-il en être autrement puisque la quantité de goudron présent dans la fumée d'une cigarette de cannabis (environ 50 mg) est plus élevée que dans une cigarette de tabac ; que de plus, en France les deux produits coexistent souvent dans la même cigarette.
Enfin la question de la dangerosité routière du cannabis vient d'être évoquée.
III. Alors comment les pouvoirs publics doivent-ils se saisir de ces nouvelles données scientifiques et de ces incertitudes persistantes ?
A) Je crois fondamentalement que la politique de prévention doit obéir à trois principes :
1) D'abord le devoir d'information.
Nous avons le devoir d'informer nos concitoyens. Cette information doit refléter la vérité du moment même si nous savons que les progrès scientifiques peuvent nous amener à réviser notre jugement.
Nous devons dire ce que l'on sait et ce que l'on ignore. Cette transparence conditionne la crédibilité des pouvoirs publics.
Il me semble aussi essentiel (je partage l'avis du rapporteur) de parler de façon claire de la nocivité de chaque drogue, et de ne pas gommer dans un discours unique sur la lutte contre les dépendances les caractéristiques et les dangers propres à chaque produit.
La question : faut-il lutter contre les dépendances ou les produits ? me parait un débat stérile. Nous luttons contre la consommation de produits dangereux parce qu'ils peuvent entraîner des phénomènes de dépendance et des conséquences graves pour la santé. C'est cela la définition que je retiens pour la drogue.
Le cannabis, le tabac, l'alcool sont des drogues ! Je le redis !
Le terme drogue douce doit disparaître. Parler de drogues douces, c'est un peu comme lorsque les fabricants de tabac nous parlent de cigarettes légères ! Cette mention est désormais interdite sur l'emballage des cigarettes grâce à un nouvel article de loi que j'ai présenté dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale.
2) Le deuxième principe qui me paraît important c'est la cohérence et la pédagogie des messages.
Comment voulez-vous convaincre, lorsque dans un même discours, vous vous présentez comme farouchement opposé au tabac mais hésitant sur le cannabis, alors que le deuxième contient sans doute une teneur plus élevée en produits cancérigènes ? L'approche et les oppositions morales sont de ce point de vue totalement dépassées.
3) Enfin le troisième principe est celui que nous a enseigné l'histoire récente de la santé publique ; c'est le principe de précaution.
Faisons un instant abstraction de la consommation de tabac venue du fond des âges. Si nous avions soupçonné les risques sanitaires liés au tabac et si nous avions appliqué le principe de précaution lié au tabac avant sa diffusion massive en vente libre, nous n'aurions sans doute pas aujourd'hui 60 000 décès annuels attribuables directement ou indirectement au tabac dont 30 000 décès par cancers.
Nous venons d'augmenter sensiblement le prix du tabac. Il s'agit d'une mesure efficace (encore qu'elle s'émousse avec le temps et qu'il faudra sans doute y revenir) sur la baisse de la consommation. Pour la première fois depuis 4 ans les ventes de tabac ont diminué. Mais il faut veiller à ce que les fabricants de tabac ne puissent pas contourner l'augmentation des prix en proposant aux jeunes des paquets de 10 à 15 cigarettes, moins chers et donc plus attractifs.
Je viens de signer, avec le ministre délégué au budget, l'arrêté obligeant les fabricants à inscrire sur les paquets de cigarettes un message clair et sans ambiguïté : "fumer tue!".
Le chantier Cancer sera l'occasion de renforcer la réglementation du tabac.
Concernant le cannabis, nous en savons déjà assez sur ses effets délétères à court terme et son rôle potentiel dans le déclenchement ou l'aggravation d'une psychose sous-jacente pour appliquer le principe de précaution. Nous n'avons pas grand mérite. La décision est facile, bien plus facile que lorsque l'on a affaire à un médicament ou à un vaccin dont les effets bénéfiques sont importants. Qui pourrait prétendre aujourd'hui attribuer au cannabis de telles vertus pour la santé de la population ! A ceux qui nous disent d'attendre que les méfaits du cannabis soient plus solidement démontrés par d'autres études, je leur réponds que je préfère laisser un peu mesurer les autres...
Il nous faut lutter contre la consommation de cannabis. Notre objectif est clair : prévenir l'expérimentation chez les jeunes et tout faire pour éviter le passage à la consommation régulière chez les expérimentateurs.
L'interdiction de la consommation de cannabis doit être maintenue.
En revanche, la loi de 1970 qui se révèle inadaptée doit être modifiée. Si l'on a des messages clairs sur la dangerosité du cannabis, on peut adapter les peines sans craindre que cela soit compris comme une "dépénalisation" du cannabis. C'est cela aussi la pédagogie du discours politique !
B) Bien sûr, informer n'est pas suffisant pour prévenir. Il faut agir à d'autres niveaux en poursuivant une politique de vigilance.
1) D'une part les facteurs de vulnérabilité individuelle aux drogues ont été bien mis en évidence
Sur certains d'entre eux les pouvoirs publics ne pourront pas agir.
Mais ce qui a aussi été montré c'est que l'environnement social, l'exemple des parents, des amis de lycée, la disponibilité des produits c'est-à-dire la multiplication des occasions de consommer, joue un rôle fondamental notamment au cours de l'adolescence qui constitue en elle-même un des facteurs de vulnérabilité aux drogues.
Cela est de notre responsabilité !
C'est pourquoi en ce qui concerne le tabac, il est si choquant de voir que la loi Evin n'est réellement appliquée, par les adultes eux-mêmes, que dans 46 % des écoles et 54 % des lycées.
C'est pourquoi il nous faut combattre sans indulgence le trafic de cannabis en milieu scolaire. C'est la première vigilance.
2) D'autre part, la prise en charge des usagers de drogues par voie intraveineuse a fait ces dernières années de grands progrès avec la mise en place d'un réseau de soins spécialisés capable d'apporter une réponse médicale et sociale, un projet thérapeutique de substitution et un accompagnement des usagers y compris les plus marginalisés.
Je viens de signer les décrets permettant le transfert des financements des Centre spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST) de l'Etat à l'assurance maladie pour que la force de la symbolique soit là.
Pour autant, tout n'est pas résolu.
Le détournement de Subutex utilisé comme drogue par voie intraveineuse est particulièrement préoccupant.
De véritables progrès doivent être faits pour le repérage plus précoce et la prise en charge des adolescents consommateurs problématiques de cannabis ou polyconsommateurs, plusieurs dizaines de milliers en France. Les psychiatres doivent apporter leur expérience et leur compétence. C'est aussi un devoir de vigilance.
3) Enfin, étant donné les enjeux en terme de santé publique, il est impératif dans les 5 années à venir de développer la recherche neurologique mais aussi clinique et épidémiologique dans le domaine des drogues et de leurs conséquences sur la santé mentale.
Nous le ferons à trois niveaux.
1 - Dans le cadre du plan Cancer, je souhaite renforcer la recherche épidémiologique et en sciences sociales afin que les pouvoirs publics soient mieux éclairés sur les actions à mettre en oeuvre pour diminuer la consommation de drogues et les dépendances.
Le décalage entre recherche et décision politique doit être réduit.
2 - La recherche clinique en psychiatrie est insuffisamment développée. Elle est au coeur de notre réflexion sur la dangerosité des drogues. Je veillerai à ce que cette dimension soit présente dans la redéfinition de la politique de santé mentale.
3 - La MILDT doit continuer à jouer un rôle majeur dans la stimulation de la recherche sur les drogues. C'est pourquoi je souhaite que la recherche soit l'une des ses priorités d'actions dans le cadre du prochain plan quinquennal de lutte contre les drogues qui sera adopté par le Gouvernement au printemps.
Toujours chercher à mieux savoir, à mieux comprendre, c'est encore un devoir de vigilance !
Permettez-moi pour terminer de féliciter M. Christian CABAL pour son très bon travail de synthèse et de remercier l'ensemble des médecins, scientifiques, acteurs associatifs ici présents, de leur engagement et de leur aide dans le combat contre la drogue en France.



(source http://www.sante.gouv.fr, le 24 février 2003)