Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur le rôle de la gendarmerie pour la sécurité intérieure et dans la rénovation de l'appareil de défense, Saint-Chaffrey le 21 mars 1996.

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Circonstance : Déplacement dans les Hautes-Alpes le 21 mars 1996-visite à la gendarmerie de Saint-Chaffrey

Texte intégral

Gendarmerie nationale (visite du Premier ministre)
Mesdames et Messieurs les parlementaires et les élus, Monsieur le Directeur général, Mesdames et Messieurs, j'ai tenu à rendre visite, aujourd'hui, à la Gendarmerie nationale pour marquer l'estime que porte le gouvernement à cette institution et montrer l'intérêt qu'il attache, à travers elle, à deux facteurs essentiels de la vie de notre pays : la sécurité des Françaises et des Français et la solidité des structures de notre nation. Comme vous le savez, sans doute, j'ai déjà rendu visite aux armées qui assurent notre sécurité extérieure et qui, dans les moments les plus difficiles, renforcent votre propre action.
Sécurité publique, police judiciaire, maintien de l'ordre
Je souhaite aujourd'hui m'adresser, à travers vous, à tous ceux qui, dans la Gendarmerie départementale, dans la Gendarmerie mobile et dans toutes les autres formations de la Gendarmerie nationale, concourent quotidiennement à la sécurité intérieure de la France. Votre rôle, dans les domaines de la police judiciaire, de la sécurité publique, du maintien de l'ordre et du secours aux victimes de la route, de la mer ou de la montagne, est essentiel à la bonne marche du pays, à la tranquillité, à la qualité de la vie quotidienne de nos concitoyens.
Et c'est parce que le Gouvernement attend beaucoup de la Gendarmerie que je veux aujourd'hui, accompagné du ministre de la Défense, vous exprimer rites encouragements pour votre action quotidienne et vous indiquer le rôle que votre institution va jouer dans la rénovation globale de notre appareil de Défense.
Pour ce qui concerne la sécurité intérieure, la Gendarmerie peut se flatter d'un bilan qui lui vaut la confiance entière du Gouvernement et l'estime des Français. Cette confiance, vous l'avez gagnée dans l'exercice de vos missions traditionnelles et je ne doute pas que vous la conserverez par votre capacité à faire face aux défis du futur.
Secours en montagne
Ici, à Saint-Chaffrey, j'ai pu mesurer l'importance et la qualité des services rendus par les gendarmes qui se consacrent au secours en montagne. Cette technicité illustre au mieux le savoir-faire que la Gendarmerie déploie dans l'ensemble de ses activités. J'ai été très impressionné à la fois par les quelques démonstrations qui nous ont été donné à l'instant même et également par l'inventivité des officiers et des sous-officiers qui mettent à profit leur longue expérience pour mettre au point toute une série de dispositifs ou de matériels adaptés. Des exemples nombreux et récents ont montré l'efficacité de l'action de la Gendarmerie.
Plan "Vigipirate"
Nul n'a en effet oublié les moments forts du plan "Vigipirate". Policiers, gendarmes et militaires, associés dans cette mission, se sont déployés dans les zones les plus sensibles : aux frontières, dans les gares et les aéroports ou sur les réseaux de transports en commun. Ces forces ont contribué à écarter le danger, elles ont rassuré les Français et pris une part importante dans la lutte contre les réseaux terroristes.
Cet engagement a été celui de la Gendarmerie Départementale mais aussi celui de la Gendarmerie Mobile. Je sais l'effort exceptionnel que cette subdivision d'arme accomplit depuis plusieurs mois dans la lutte anti-terroriste mais aussi, outre-mer et en métropole, pour sécuriser les populations et maintenir l'ordre. Je sais en particulier ce que représente, pour ces personnels et leurs familles, la moyenne de 200 000 journées en mission pour l'année 1995.
Parmi les missions auxquelles vous êtes le plus attachés, l'exercice de la police judiciaire vous donne l'occasion de conduire des enquêtes souvent délicates avec d'excellents résultats. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer la progression de ces résultats sur les derniers mois, qu'il s'agisse de la lutte contre les stupéfiants par la prévention et par la répression, de la lutte contre le travail clandestin, de la baisse générale de la délinquance dans les secteurs surveillés par la Gendarmerie Nationale.
Gendarmerie nationale (proximité, prévention)
Ces caractéristiques traditionnelles de la Gendarmerie ne sont certainement pas étrangères à de tels succès :
o la première que je veux souligner devant vous et devant les élus de cette ville et de cette région, c'est d'abord la proximité, bien sûr, entre le gendarme et la population. Nos concitoyens le savent, peuvent en témoigner, ils y sont attachés. C'est un gage d'efficacité et de confiance.
Dans les zones rurales, en montagne comme ici à Saint-Chaffrey, vous êtes l'une des incarnations les plus vivantes de l'État et vous apportez ainsi une contribution essentielle à l'aménagement de notre territoire. Dans les zones urbaines où ils sont chargés de la sécurité publique, la présence des gendarmes et de leurs familles au cur de la cité, en contact permanent avec la population, participe aussi pleinement à la prévention.
o proximité donc, mais aussi statut militaire de la Gendarmerie qui constitue l'autre spécificité et l'autre atout de cette force dont les valeurs de disponibilité, de dévouement, de sacrifice, quand il le faut, se trouvent ainsi confortées.
De nombreux États à travers le monde, et en particulier aujourd'hui ceux qui s'ouvrent à la liberté et à la démocratie, s'inspirent du modèle français et créent des gendarmeries à l'image de la nôtre.
Statut militaire (lutte anti-terroriste...)
Par son statut militaire, sa capacité à passer rapidement du temps de paix au temps de crise voire, s'il le fallait, au conflit armé, la Gendarmerie nationale est à même de répondre à des menaces multiformes. Aujourd'hui, elle doit pourtant faire face à de nouveaux défis. La délinquance, malgré les résultats encourageants déjà évoqués, connaît des formes nouvelles, dispose de moyens puissants, s'organise en réseaux, franchit aisément les frontières.
Vous devez également affronter d'autres périls, le terrorisme, les activités maffieuses, l'immigration clandestine, le blanchiment de l'argent ou les trafics de toute nature qui, eux non plus, ne connaissent pas de trêve.
Hommage à la gendarmerie nationale
Pour l'activité qu'elle déploie face à ces menaces et pour l'efficacité qu'elle manifeste, votre institution mérite, je le répète, la reconnaissance de la population et du Gouvernement.
Défense nouvelle (place de la gendarmerie nationale)
Et c'est pourtant à un effort supplémentaire que je souhaite maintenant vous convier pour donner à la Gendarmerie la place qu'elle mérite dans notre outil de défense rénové. Tout va changer dans le système de défense. Le président de la République a tracé la voie. Des mutations à venir vont s'inscrire dans une double logique : d'une part, une logique de transformation de l'outil de défense et, d'autre part, une logique d'aménagement du territoire.
Vous connaissez l'importance et l'ampleur des transformations annoncées par le Président de la République le 22 février dernier. Dans cette réforme, ce ne sont pas seulement les armées qui sont concernées, mais la nation toute entière. Il est nécessaire, d'abord, que la France conserve, dans le monde tel qu'il est, une dissuasion crédible et qu'elle se dote d'une capacité d'intervention et de projection réellement moderne afin de maintenir ou de rétablir la paix là où elle est menacée. Et nous avons pris pour cela un certain nombre de décisions de principe.
Notre pays a aussi besoin, plus que jamais, d'une sécurité intérieure assurée par des forces bien entraînées et bien équipées. Cette réforme ambitieuse et globale, destinée à construire la défense de demain, sera pour les armées et pour la Gendarmerie le grand chantier des six années qui viennent. Le Président de la République a annoncé la professionnalisation des armées. De cette décision découlera, bien sûr, une profonde modification du service national.
L'importance des enjeux est telle que le Gouvernement vient de lancer un débat dans l'ensemble du pays. Ce débat se déroulera dans chaque commune puisque j'ai écrit, il y a quelques jours, à chacun des maires de France pour leur proposer d'organiser dans leur commune une discussion qui s'adresse à tout le monde et, en particulier, bien sûr, aux plus jeunes. Ces débats seront conduits en liaison avec les parlementaires. Les préfets seront appelés à en faire la synthèse dans chaque département et le Parlement, lui-même, pilotera la réflexion nationale.
12 000 gendarmes auxiliaires (débat sur le service national)
En toute hypothèse, il me paraît nécessaire, quel que soit le résultat de cette consultation et le choix qui sera définitivement fait entre service national obligatoire, à forte composante civile, ou un système de volontariat, de maintenir la possibilité pour les jeunes Français d'effectuer un temps de service au sein des armées ou de la gendarmerie. Il faut voir là, en particulier, la reconnaissance du rôle tenu par les 12 000 gendarmes auxiliaires qui sont ici présents, et je les salue. Ils savent combien leur service est apprécié de la population.
Effectifs (augmentation de 5 %)
Au cours des prochaines années, le format global des armées sera diminué, pas pour la gendarmerie qui, dans ce mouvement général, ne connaîtra pas de diminution de ses effectifs, mais, au contraire, une augmentation progressive de 5 % de son volume actuel pour atteindre près de 98 000 hommes.
L'essentiel de la contribution demandée à la gendarmerie résidera dans la protection du territoire national. Sa mission traditionnelle qui prend, aujourd'hui, des formes nouvelles, sans que les menaces d'ordre militaire puissent être écartées, chacun mesure bien que les risques d'atteintes à la sécurité publique sont désormais les plus immédiats.
Ces tâches seront donc, en premier lieu, les vôtres. Elles regroupent la totalité de vos modes d'action actuels : le maintien de l'ordre, la police judiciaire, le renseignement, la prévention et quand il le faut, la répression. Elles devront de plus en plus s'inscrire dans le cadre d'une coordination technique européenne. Bien qu'elle occupe une place spécifique, la gendarmerie va donc, elle aussi, prendre toute sa part dans la rénovation de notre défense.
Gendarmerie (modernisation et gestion des ressources humaines)
Il était nécessaire, qu'à l'instar des autres composantes de la défense, la gendarmerie poursuive ses efforts de modernisation déjà entrepris. Elle devra pour cela, j'en ai parlé avec votre Directeur général, assouplir la gestion de ses ressources humaines, simplifier ses procédures, mieux déconcentrer ses décisions : des initiatives ont déjà été prises en ce sens, pour augmenter sa cohérence avec l'ensemble de l'administration militaire. La gestion des hommes - qui sont évidemment la première de nos richesses -, devra prendre en compte beaucoup de technicités ou de diversités.
Dans les prochaines années, je souhaite qu'une priorité soit donnée à la reconnaissance du métier de chacun d'entre vous et que l'on recherche une correspondance précise entre ce métier que vous exercez et le statut qui le régit. Plus encore, dans le cadre de la restructuration de la Défense, la gendarmerie doit pouvoir bénéficier de militaires déjà formés, et être en mesure d'intégrer, sous réserve qu'ils remplissent les conditions exigées, les jeunes militaires qui souhaiteraient, après une première période de service dans les armées, trouver parmi vous un nouvel élan pour poursuivre leur carrière.
La réforme administrative doit, elle aussi, tendre à concentrer les ressources de la gendarmerie au profit des unités de terrain. Toutes les voies devront être explorées dans des domaines aussi divers que la réduction des administrations centrales, l'allégement des formations de soutien et la recherche d'un décloisonnement entre les services de la Défense. Je souhaite, en tous cas, que l'on ne cède pas à la facilité du conformisme. Au surplus, la réforme de l'État ne doit pas uniquement être guidée par la recherche d'économies, mais elle doit viser à plus de souplesse d'ouverture, de dynamisme ou de proximité.
Ces mesures, accompagnant la progression de vos effectifs globaux, ne pourront que concourir à rendre la gendarmerie plus efficace et mieux recentrée sur les unités de terrain. Elles seront nécessaires afin de faire face à tout l'éventail des responsabilités futures de la gendarmerie et à l'augmentation naturelle de ses charges. Il est donc clair que la gendarmerie devra être mieux encadrée encore, qu'il faudra veiller attentivement au déroulement des carrières de ses personnels ainsi qu'à la reconnaissance de leurs responsabilités. C'est une nécessité opéra-tionnelle et un impératif important.
Proximité, disponibilité
Mesdames, Messieurs, je l'ai dit, l'organisation de la gendarmerie doit répondre aussi à une logique d'aménagement du territoire car vous êtes, avant tout, un service public de proximité. Proximité qui est une des conditions de la sécurité et du mieux-être de nos concitoyens. Cet enracinement dans la vie locale - que j'ai pu à nouveau ressentir ici, en visitant la brigade territoriale de Saint-Chaffrey - est la tradition historique de la Gendarmerie. Cette proximité incombe d'abord des hommes. Cette disposition morale et professionnelle que l'on rencontre chez les gendarmes, vous en connaissez les grandeurs et les servitudes que vous acceptez avec discipline et sens du devoir. Je sais très bien de quel prix elles se paient souvent pour vous et vos familles.
Cette proximité résulte également d'une bonne adéquation du maillage de vos unités aux besoins de la population. La fermeture de nombre de brigades aurait eu pour effet d'accélérer le déclin de beaucoup de nos cantons ruraux. L'État ne peut se désengager des zones rurales où il a le devoir de maintenir une qualité de service public comparable à celle qu'il offre dans les villes. L'actualité nous rappelle hélas ! aussi que, dans certaines zones sub-urbaines où la gendarmerie est présente, les besoins de sécurité ainsi que les soucis d'ordre public sont très pressants. Le droit à la sécurité doit avoir un même contenu pour tous. La préoccupation d'un aménagement harmonieux du territoire doit donc nous guider dans nos choix des lieux d'implantation des unités de gendarmerie.
L'État ne peut, et chacun doit en avoir conscience, supporter à lui seul l'entière charge financière de ces choix que nous approuvons tous. A ce titre, le concours que lui apportent les collectivités territoriales pour la construction des casernements de gendarmerie est des plus précieux, et je tiens à saluer en particulier, ici, les efforts consentis en ce domaine par les communes et par les départements.
Mesdames, Messieurs les gendarmes, la France attend beaucoup de vous. Ses exigences sont à la hauteur des qualités qu'elle vous connaît, quel que soit votre grade, et que vous mettez au service de la Gendarmerie nationale. Votre responsabilité est donc grande. Responsabilité vis-à-vis de l'Etat, vis-à-vis de la République dont vous êtes parmi les plus fidèles serviteurs. Responsabilité à l'égard des citoyens, dont vous garantissez les libertés, la sécurité, le bien-être. Vous savez que vous avez la confiance des Français. Sachez que vous avez aussi la confiance du Gouvernement, la mienne plus particulièrement, dans l'exercice des responsabilités imminentes qui sont les vôtres, au sein d'un outil de défense rénové.