Texte intégral
R. Sicard-. C'est aujourd'hui jour de grève à l'Education nationale, dans le contrôle aérien, et aussi à La Poste ?
- "Et aussi à La Poste. "
Vous êtes postier. Etes-vous aussi en grève ?
- "Aussi en grève, en grève reconductible. C'est à dire que, comme des dizaines de milliers d'autres grévistes, enseignants, infirmières, ce n'est pas mon premier jour de grève et ce n'est pas non plus le dernier. On est en grève jusqu'à ce que le plan Fillon soit complètement retiré, parce que je crois qu'il s'agit d'une injustice sociale terrible. On va voir une majorité de la population qui va travailler, non seulement, plus longtemps, mais qui va gagner des retraites de misère, particulièrement les femmes. Il faut savoir que pour des petits salaires comme ceux des postiers par exemple, il va s'agir de retraites à 4 ou 5.000 francs, et puis, pendant que la majorité de la population va trimer un peu plus, on va avoir une toute petite minorité qui va s'en mettre plein les poches, c'est-à-dire des assureurs qui vont bientôt aller claquer au casino de la Bourse l'argent de nos cotisations de retraite grâce aux fonds de pension qui seront probablement, dans quelques années, instaurés. "
C'est un peu caricatural, mais revenons-en à La Poste un instant. Faut-il s'attendre à de très grosses perturbations dans les jours à venir ?
- "Je crois qu'aujourd'hui, cela va être une très grosse journée de mobilisation. Aujourd'hui, demain et la semaine prochaine, à partir du 3 juin avec les transports, c'est une grève générale qui va probablement débuter dans ce pays. En tous les cas, c'est ce qu'il faut espérer, une grève générale, à la fois, du public mais aussi du privé parce que je crois qu'il n'y a que de cette manière là qu'on arrivera à faire reculer le Gouvernement. "
Justement, vous appelez à une grève générale mais ce n'est pas le cas de la plupart des syndicats qui disent qu'une grève générale ne se décrète pas. M. Blondel dit que ce serait un appel à "l'insurrection". N'allez-vous pas un petit peu trop loin ?
- "Je crois qu'une grève générale, ça ne se décrète effectivement pas, mais cela se prépare. Et je crois que surtout, c'est le moyen le plus efficace aujourd'hui d'y aller tous ensemble. Parce que vous savez, il y a des enseignants qui sont en grève depuis le 6 mai dernier, en grève reconductible, et ça aussi ça fait mal à la paye. Il y en a qui sont en grève depuis encore plus longtemps. Alors, évidemment, on peut continuer à y aller en ordre dispersé, on peut continuer à faire des journées d'action de 24 heures, mais je crois que le Gouvernement cherche la bagarre, parce qu'il pense qu'il va pouvoir gagner, il ne veut rien céder. Je crois donc que, quand il nous cherche la bagarre il faut partir dans cette épreuve de force, il y aura un vainqueur, il y aura un vaincu, et je pense qu'aujourd'hui on peut être vainqueur. Je ne dis pas que c'est perdu, tout cela va se jouer dans un mouchoir de poche, mais je crois qu'on n'a pas le choix. Il faudrait reproduire ce qui avait coûté très cher à la droite à l'époque, c'était en décembre 1995, mais cette fois-ci réussir avec les gens du privé. "
Mais quand M. Blondel dit qu'"un appel à la grève générale est un appel à l'insurrection", comment réagissez-vous à cela ?
- "Je crois que c'est d'abord un appel à l'efficacité, plus qu'à "l'insurrection". Il y a des questions évidemment politiques. Je crois que cette grève générale n'oppose pas simplement le Gouvernement au monde du travail, qu'on soit du public ou du privé, cela oppose effectivement aussi deux projets de société : un projet de société libérale, qu'on subit depuis plus de vingt ans maintenant, et puis des solutions anticapitalistes qu'on voit apparaître effectivement dans le cadre de ces mobilisations. C'est-à-dire comment fait-on aujourd'hui pour distribuer différemment les richesses et financer un système de retraite équitable de solidarité entre générations. Parce que, contrairement à ce qu'on nous dit, les solutions existent. "
Vous êtes le porte-parole d'un parti politique. N'y a-t-il pas une tentative de récupération des partis politiques, notamment de gauche, et surtout d'extrême gauche, du mouvement social ?
- "Sûrement pas de récupération, je ne suis pas le porte-parole de ce mouvement-là. Par contre, je suis gréviste. Alors, c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de porte-parole d'organisations politiques qui sont grévistes aujourd'hui, mais en attendant je suis là pour dire qu'il y a des solutions alternatives et, contrairement à ce qu'on nous raconte, la question des retraites n'est pas d'abord une question démographique. Bien sûr, on va vivre de plus en plus longtemps, et ça c'est tant mieux. Mais voyez-vous, ce n'est pas d'abord une question de rapport entre les plus jeunes et les plus anciens, c'est d'abord une question de rapport entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent plus. Alors, je le dis, mais il n'y aurait pas un seul chômeur en France, on ne parlerait même pas du problème des retraites, tout simplement, parce qu'il y aurait au minimum 2 millions et demi de cotisants de plus dans les caisses de la Sécurité sociale. Pour vous donner un seul exemple, un seul million d'emplois supplémentaires, c'est déjà 12 milliards d'euros supplémentaires dans les caisses de la Sécurité sociale. Et quand bien même il y aurait ce taux de chômage, aujourd'hui il y a des richesses dans ce pays pour financer autre chose. Vous savez qu'en plus de 20 ans à peu près, les profits ont pris 10 points là où les salaires en ont perdu 10. Cela veut dire, qu'aujourd'hui, les plus mauvais payeurs quand on parle de cotisation, ce sont l'Etat et les patrons. Alors oui, ce sont ceux-là qu'il faut faire payer. "
Concrètement, que proposez-vous pour les retraites, parce que tout le monde admet qu'il faut une réforme des retraites ?
- "Le Gouvernement, lui-même, estime qu'il faudrait, en gros, 30 ou 40 milliards d'euros pour financer le système des retraites. Voyez-vous, en une seule année, il y a 46 milliards d'euros qui partent en subventions publiques pour ces grandes entreprises qui licencient quand même. Eh bien, quand je vois des entreprises comme Metaleurop, Daewoo qui prennent, comme dans le cas de Daewoo, 400.000 francs par emploi, et qui licencient quand même 1.200 personnes, je trouve que c'est de l'argent volé. Tout ça pour dire que l'argent existe, contrairement à ce qu'on nous raconte. "
Mais ne pensez-vous pas que le Gouvernement, s'il pouvait faire passer la réforme des retraites sans augmenter la durée des cotisations, il le ferait, parce que serait quand même beaucoup plus populaire ?
- "Je crois qu'en l'occurrence, ce qui intéresse le Gouvernement, ce n'est pas forcément ce qui est extrêmement populaire, parce que s'il ne s'intéressait qu'à ça, il comprendrait qu'aujourd'hui l'opinion publique a basculé dans le camp des grévistes et que plus la mobilisation va continuer, plus ce sera le cas. Aujourd'hui, je crois que les gens en ont ras-le-bol de subir 20 ans de libéralisme qui font, qu'en gros, on va toujours puiser dans la poche de 80 % de la population pendant que le restant continue à s'enrichir. Je crois qu'aujourd'hui, il y a les moyens de financer tout simplement autre chose. "
Le Gouvernement ne dit pas que c'est populaire, mais il dit que c'est indispensable, et il dit aussi que ceux qui disent le contraire, finalement, sont des démagogues.
- "C'est pour cela que je parle de choix de société. Le Gouvernement fait, je dirais, une version "hard" de ce qui est appliqué depuis plus de 20 ans. Aujourd'hui, il y a la possibilité de faire autre chose, une fois de plus, parce que les richesses existent, c'est cela le plus gros bluff de ces 20 dernières années. Le problème est de savoir si oui ou non on s'attaque à ceux qui continuent à spéculer en Bourse, qui continuent à s'en mettre plein les poches. Il suffirait d'augmenter 0,3 % des cotisations patronales pour financer un autre système de retraite. C'est pour cela qu'aujourd'hui, visiblement, toute la gauche pourrait s'opposer ensemble au plan Fillon, mais quand il s'agit de proposer, là aussi, on n'est toujours pas d'accord. "
Ce sont quand même des solutions qui sont séduisantes, notamment pour la gauche. Comment expliquez-vous, précisément, que la gauche ne les ait pas faites quand elle était au pouvoir ?
- "C'est tout le problème de la gauche plurielle, c'est aussi tout le problème qui fait qu'aujourd'hui, précisément, quand il s'agit de proposer, là aussi, il y a deux gauches. Il y a une gauche qui continue à vous chanter la petite musique que vous chantaient Chirac et Jospin ensemble au Sommet de Barcelone : "Il va falloir travailler plus longtemps". Et puis il y a une autre gauche, dont je ne suis pas le seul représentant, mais qui est largement représentée dans le cadre de ces mobilisations, qui comprend tous ces militants actifs du mouvement social, ces militants, ces sympathisants, ces électeurs de l'ancienne gauche plurielle qui, aujourd'hui, pensent tout simplement qu'on pourrait faire passer les besoins sociaux avant les profits. Le problème, y compris quand on est de gauche, c'est de savoir si oui ou non on décide de s'opposer, ne serait-ce qu'un tout petit peu aux actionnaires. Parce que le vrai clivage entre la droite et la gauche, ça devrait être cela. On y verrait beaucoup plus clair, on verrait qu'il y a deux gauches dans ce pays, et on verrait précisément que J.-M. Le Pen qui, le 21 avril dernier, se faisait passer pour l'ami des plus faibles, aujourd'hui propose de travailler 70 ans. "
Etes-vous prêt à discuter avec les autres partis de gauche précisément ?
- "Je pense que toute la gauche sociale et toute la gauche politique doivent être rassemblées quand il s'agit de parler d'action, s'opposer ensemble, mais du point de vue des perspectives politiques je crois qu'il y a deux orientations qui sont complètement contradictoires. Vous l'avez dit vous-même, les mesures Balladur en 1993 ont fait extrêmement de mal à des millions de personnes dans le secteur privé..."
Je n'ai pas dit ça !
- " ... et que la gauche quand elle était au pouvoir, ce que vous venez de sous-entendre en tous les cas tout à l'heure, elle ne l'avait pas défait."
Vous appelez à la grève générale, cela veut dire sans doute un blocage du pays. Si cela se réalise, un blocage va pénaliser beaucoup de monde. Cela ne vous inquiète pas ?
- "Je n'appelle pas à la grève générale, comme je ne la décrète pas Aujourd'hui, je fais grève et cette grève-là, elle se prépare par le personnel lui-même, que l'on soit du public ou du privé. Ce qui est en train de se passer dans ces assemblées générales qui se développent un petit peu partout, c'est d'abord et avant tout, l'acquis de ces dernières années dans le mouvement social, c'est la démocratie, cela se passe par vote. La démocratie, la transparence, de façon complètement publique. Savez-vous qu'il y a beaucoup plus de gens qui sont - qu'on veut bien laisser entendre - entre le public et le privé Je crois que le 3 juin prochain, on verra beaucoup de gens dans le cadre de l'automobile, par exemple, qui ont déjà déposé des préavis, comme on en voit actuellement à Clermont-Ferrand, à Rouen, à Bordeaux, à Marseille qui seront présents. Et puis, en un seul mot, à la Poste, sur les 300.000 salariés de la Poste, il y a déjà pratiquement 90.000 personnes qui sont des gens de droit privé. On est donc bien placé pour savoir que public ou privé c'est à la même sauce qu'on est en train de se faire bouffer. "
Mais sur la gêne que peuvent avoir les usagers des transports publics, vous y pensez aussi ?
- "En tous les cas, le seul moyen pour nous c'est de s'arrêter le même jour à la même heure. La gêne, c'est d'abord pour ceux qui font la grève. Quand on a plusieurs journées de grève dans les pattes, la paye elle en prend un sacré coup. On ne fait pas la grève pour se reposer, on ne fait pas la grève pour dormir, on fait la grève pour manifester. Aujourd'hui, dans ces temps de situation sociale extrêmement grave, en général, c'est un choix assez douloureux. On parle de mai 1968 aujourd'hui, mais je crois que " l'insouciance ", entre guillemets, aura plutôt fait place à la gravité. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 mai 2003)
- "Et aussi à La Poste. "
Vous êtes postier. Etes-vous aussi en grève ?
- "Aussi en grève, en grève reconductible. C'est à dire que, comme des dizaines de milliers d'autres grévistes, enseignants, infirmières, ce n'est pas mon premier jour de grève et ce n'est pas non plus le dernier. On est en grève jusqu'à ce que le plan Fillon soit complètement retiré, parce que je crois qu'il s'agit d'une injustice sociale terrible. On va voir une majorité de la population qui va travailler, non seulement, plus longtemps, mais qui va gagner des retraites de misère, particulièrement les femmes. Il faut savoir que pour des petits salaires comme ceux des postiers par exemple, il va s'agir de retraites à 4 ou 5.000 francs, et puis, pendant que la majorité de la population va trimer un peu plus, on va avoir une toute petite minorité qui va s'en mettre plein les poches, c'est-à-dire des assureurs qui vont bientôt aller claquer au casino de la Bourse l'argent de nos cotisations de retraite grâce aux fonds de pension qui seront probablement, dans quelques années, instaurés. "
C'est un peu caricatural, mais revenons-en à La Poste un instant. Faut-il s'attendre à de très grosses perturbations dans les jours à venir ?
- "Je crois qu'aujourd'hui, cela va être une très grosse journée de mobilisation. Aujourd'hui, demain et la semaine prochaine, à partir du 3 juin avec les transports, c'est une grève générale qui va probablement débuter dans ce pays. En tous les cas, c'est ce qu'il faut espérer, une grève générale, à la fois, du public mais aussi du privé parce que je crois qu'il n'y a que de cette manière là qu'on arrivera à faire reculer le Gouvernement. "
Justement, vous appelez à une grève générale mais ce n'est pas le cas de la plupart des syndicats qui disent qu'une grève générale ne se décrète pas. M. Blondel dit que ce serait un appel à "l'insurrection". N'allez-vous pas un petit peu trop loin ?
- "Je crois qu'une grève générale, ça ne se décrète effectivement pas, mais cela se prépare. Et je crois que surtout, c'est le moyen le plus efficace aujourd'hui d'y aller tous ensemble. Parce que vous savez, il y a des enseignants qui sont en grève depuis le 6 mai dernier, en grève reconductible, et ça aussi ça fait mal à la paye. Il y en a qui sont en grève depuis encore plus longtemps. Alors, évidemment, on peut continuer à y aller en ordre dispersé, on peut continuer à faire des journées d'action de 24 heures, mais je crois que le Gouvernement cherche la bagarre, parce qu'il pense qu'il va pouvoir gagner, il ne veut rien céder. Je crois donc que, quand il nous cherche la bagarre il faut partir dans cette épreuve de force, il y aura un vainqueur, il y aura un vaincu, et je pense qu'aujourd'hui on peut être vainqueur. Je ne dis pas que c'est perdu, tout cela va se jouer dans un mouchoir de poche, mais je crois qu'on n'a pas le choix. Il faudrait reproduire ce qui avait coûté très cher à la droite à l'époque, c'était en décembre 1995, mais cette fois-ci réussir avec les gens du privé. "
Mais quand M. Blondel dit qu'"un appel à la grève générale est un appel à l'insurrection", comment réagissez-vous à cela ?
- "Je crois que c'est d'abord un appel à l'efficacité, plus qu'à "l'insurrection". Il y a des questions évidemment politiques. Je crois que cette grève générale n'oppose pas simplement le Gouvernement au monde du travail, qu'on soit du public ou du privé, cela oppose effectivement aussi deux projets de société : un projet de société libérale, qu'on subit depuis plus de vingt ans maintenant, et puis des solutions anticapitalistes qu'on voit apparaître effectivement dans le cadre de ces mobilisations. C'est-à-dire comment fait-on aujourd'hui pour distribuer différemment les richesses et financer un système de retraite équitable de solidarité entre générations. Parce que, contrairement à ce qu'on nous dit, les solutions existent. "
Vous êtes le porte-parole d'un parti politique. N'y a-t-il pas une tentative de récupération des partis politiques, notamment de gauche, et surtout d'extrême gauche, du mouvement social ?
- "Sûrement pas de récupération, je ne suis pas le porte-parole de ce mouvement-là. Par contre, je suis gréviste. Alors, c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de porte-parole d'organisations politiques qui sont grévistes aujourd'hui, mais en attendant je suis là pour dire qu'il y a des solutions alternatives et, contrairement à ce qu'on nous raconte, la question des retraites n'est pas d'abord une question démographique. Bien sûr, on va vivre de plus en plus longtemps, et ça c'est tant mieux. Mais voyez-vous, ce n'est pas d'abord une question de rapport entre les plus jeunes et les plus anciens, c'est d'abord une question de rapport entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent plus. Alors, je le dis, mais il n'y aurait pas un seul chômeur en France, on ne parlerait même pas du problème des retraites, tout simplement, parce qu'il y aurait au minimum 2 millions et demi de cotisants de plus dans les caisses de la Sécurité sociale. Pour vous donner un seul exemple, un seul million d'emplois supplémentaires, c'est déjà 12 milliards d'euros supplémentaires dans les caisses de la Sécurité sociale. Et quand bien même il y aurait ce taux de chômage, aujourd'hui il y a des richesses dans ce pays pour financer autre chose. Vous savez qu'en plus de 20 ans à peu près, les profits ont pris 10 points là où les salaires en ont perdu 10. Cela veut dire, qu'aujourd'hui, les plus mauvais payeurs quand on parle de cotisation, ce sont l'Etat et les patrons. Alors oui, ce sont ceux-là qu'il faut faire payer. "
Concrètement, que proposez-vous pour les retraites, parce que tout le monde admet qu'il faut une réforme des retraites ?
- "Le Gouvernement, lui-même, estime qu'il faudrait, en gros, 30 ou 40 milliards d'euros pour financer le système des retraites. Voyez-vous, en une seule année, il y a 46 milliards d'euros qui partent en subventions publiques pour ces grandes entreprises qui licencient quand même. Eh bien, quand je vois des entreprises comme Metaleurop, Daewoo qui prennent, comme dans le cas de Daewoo, 400.000 francs par emploi, et qui licencient quand même 1.200 personnes, je trouve que c'est de l'argent volé. Tout ça pour dire que l'argent existe, contrairement à ce qu'on nous raconte. "
Mais ne pensez-vous pas que le Gouvernement, s'il pouvait faire passer la réforme des retraites sans augmenter la durée des cotisations, il le ferait, parce que serait quand même beaucoup plus populaire ?
- "Je crois qu'en l'occurrence, ce qui intéresse le Gouvernement, ce n'est pas forcément ce qui est extrêmement populaire, parce que s'il ne s'intéressait qu'à ça, il comprendrait qu'aujourd'hui l'opinion publique a basculé dans le camp des grévistes et que plus la mobilisation va continuer, plus ce sera le cas. Aujourd'hui, je crois que les gens en ont ras-le-bol de subir 20 ans de libéralisme qui font, qu'en gros, on va toujours puiser dans la poche de 80 % de la population pendant que le restant continue à s'enrichir. Je crois qu'aujourd'hui, il y a les moyens de financer tout simplement autre chose. "
Le Gouvernement ne dit pas que c'est populaire, mais il dit que c'est indispensable, et il dit aussi que ceux qui disent le contraire, finalement, sont des démagogues.
- "C'est pour cela que je parle de choix de société. Le Gouvernement fait, je dirais, une version "hard" de ce qui est appliqué depuis plus de 20 ans. Aujourd'hui, il y a la possibilité de faire autre chose, une fois de plus, parce que les richesses existent, c'est cela le plus gros bluff de ces 20 dernières années. Le problème est de savoir si oui ou non on s'attaque à ceux qui continuent à spéculer en Bourse, qui continuent à s'en mettre plein les poches. Il suffirait d'augmenter 0,3 % des cotisations patronales pour financer un autre système de retraite. C'est pour cela qu'aujourd'hui, visiblement, toute la gauche pourrait s'opposer ensemble au plan Fillon, mais quand il s'agit de proposer, là aussi, on n'est toujours pas d'accord. "
Ce sont quand même des solutions qui sont séduisantes, notamment pour la gauche. Comment expliquez-vous, précisément, que la gauche ne les ait pas faites quand elle était au pouvoir ?
- "C'est tout le problème de la gauche plurielle, c'est aussi tout le problème qui fait qu'aujourd'hui, précisément, quand il s'agit de proposer, là aussi, il y a deux gauches. Il y a une gauche qui continue à vous chanter la petite musique que vous chantaient Chirac et Jospin ensemble au Sommet de Barcelone : "Il va falloir travailler plus longtemps". Et puis il y a une autre gauche, dont je ne suis pas le seul représentant, mais qui est largement représentée dans le cadre de ces mobilisations, qui comprend tous ces militants actifs du mouvement social, ces militants, ces sympathisants, ces électeurs de l'ancienne gauche plurielle qui, aujourd'hui, pensent tout simplement qu'on pourrait faire passer les besoins sociaux avant les profits. Le problème, y compris quand on est de gauche, c'est de savoir si oui ou non on décide de s'opposer, ne serait-ce qu'un tout petit peu aux actionnaires. Parce que le vrai clivage entre la droite et la gauche, ça devrait être cela. On y verrait beaucoup plus clair, on verrait qu'il y a deux gauches dans ce pays, et on verrait précisément que J.-M. Le Pen qui, le 21 avril dernier, se faisait passer pour l'ami des plus faibles, aujourd'hui propose de travailler 70 ans. "
Etes-vous prêt à discuter avec les autres partis de gauche précisément ?
- "Je pense que toute la gauche sociale et toute la gauche politique doivent être rassemblées quand il s'agit de parler d'action, s'opposer ensemble, mais du point de vue des perspectives politiques je crois qu'il y a deux orientations qui sont complètement contradictoires. Vous l'avez dit vous-même, les mesures Balladur en 1993 ont fait extrêmement de mal à des millions de personnes dans le secteur privé..."
Je n'ai pas dit ça !
- " ... et que la gauche quand elle était au pouvoir, ce que vous venez de sous-entendre en tous les cas tout à l'heure, elle ne l'avait pas défait."
Vous appelez à la grève générale, cela veut dire sans doute un blocage du pays. Si cela se réalise, un blocage va pénaliser beaucoup de monde. Cela ne vous inquiète pas ?
- "Je n'appelle pas à la grève générale, comme je ne la décrète pas Aujourd'hui, je fais grève et cette grève-là, elle se prépare par le personnel lui-même, que l'on soit du public ou du privé. Ce qui est en train de se passer dans ces assemblées générales qui se développent un petit peu partout, c'est d'abord et avant tout, l'acquis de ces dernières années dans le mouvement social, c'est la démocratie, cela se passe par vote. La démocratie, la transparence, de façon complètement publique. Savez-vous qu'il y a beaucoup plus de gens qui sont - qu'on veut bien laisser entendre - entre le public et le privé Je crois que le 3 juin prochain, on verra beaucoup de gens dans le cadre de l'automobile, par exemple, qui ont déjà déposé des préavis, comme on en voit actuellement à Clermont-Ferrand, à Rouen, à Bordeaux, à Marseille qui seront présents. Et puis, en un seul mot, à la Poste, sur les 300.000 salariés de la Poste, il y a déjà pratiquement 90.000 personnes qui sont des gens de droit privé. On est donc bien placé pour savoir que public ou privé c'est à la même sauce qu'on est en train de se faire bouffer. "
Mais sur la gêne que peuvent avoir les usagers des transports publics, vous y pensez aussi ?
- "En tous les cas, le seul moyen pour nous c'est de s'arrêter le même jour à la même heure. La gêne, c'est d'abord pour ceux qui font la grève. Quand on a plusieurs journées de grève dans les pattes, la paye elle en prend un sacré coup. On ne fait pas la grève pour se reposer, on ne fait pas la grève pour dormir, on fait la grève pour manifester. Aujourd'hui, dans ces temps de situation sociale extrêmement grave, en général, c'est un choix assez douloureux. On parle de mai 1968 aujourd'hui, mais je crois que " l'insouciance ", entre guillemets, aura plutôt fait place à la gravité. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 mai 2003)