Déclaration de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, sur la prise en charge des handicapés, notamment les mesures spécifiques pour les jeunes, le maintien en milieu ordinaire et l'autonomie des handicapés et l'accueil en établissements, Paris le 20 mai 2000.

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Circonstance : Congrés de l'APF (Association des Paralysés de France) à Paris le 20 mai 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
En dépit des droits et des libertés qui leur sont reconnus par la Constitution, nos concitoyens handicapés sont encore souvent victimes d'inégalités et d'injustices.
Rompre avec des situations aussi douloureuses qu'inacceptables, reconnaître à chacun une égale dignité, exige une politique globale, ambitieuse et déterminée, cohérente et équilibrée, que le Premier Ministre a lui-même présentée devant le CNCPH, le 25 janvier dernier.
Monsieur le Président BOULINIER, je sais combien le juste combat mené, pendant de nombreuses années, par votre association, a contribué à cette nécessaire évolution.
Je ne saurais trop vous remercier pour votre détermination, votre pugnacité et votre force de conviction qui ont permis qu'enfin " le jour se lève ".
I- Créer les conditions d'un vrai choix de vie
En dépit d'une volonté d'intégration clairement définie dans l'article premier de la loi d'orientation du 30 juin 1975, les actions conduites par les Pouvoirs Publics ont contribué, pendant de nombreuses années, au développement de la prise en charge en institutions spécialisées.
Si elles étaient tout à la fois nécessaires et demandés par les associations représentatives des personnes handicapées, ces solutions n'en ont pas moins pris le pas sur celles qui auraient pu favoriser le maintien en milieu de vie ordinaire.
De nos jours, les personnes handicapées aspirent profondément à assumer leur choix de vie. Elles se sont exprimées avec force et le Gouvernement les a entendues.
C'est pourquoi :
-en privilégiant résolument l'autonomie des personnes et leur intégration dans le milieu de vie ordinaire ;
-en répondant aussi aux besoins de prise en charge des personnes les plus lourdement handicapées ;
-en assurant la modernisation des instruments sur lesquels s'appuie son action ;
-en s'inscrivant dans la durée avec des objectifs financés à échéance pluriannuelle ;
-la politique qu'il entend mener marque un infléchissement déterminé et une orientation nouvelle par rapport à celles qui l'ont précédée.
I-a Les mesures spécifiques pour les jeunes
C'est d'abord en direction des plus jeunes et de leurs parents que notre action s'est renforcée.
Pour assumer leur rôle et leurs responsabilités à l'égard de leur enfant handicapé, les parents ont besoin de lieux où on les écoute, où on les soutienne, et où on les accompagne, sitôt faîte l'annonce du handicap.
L'importance des centres d'action médico-sociale précoce en matière de dépistage, de diagnostic, de prévention et d'intervention précoce auprès de l'enfant et de sa famille, n'est plus à démontrer. Les réponses apportées à ce besoin étaient encore loin d'être satisfaisantes. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé d'amplifier l'action engagée, dès 1998, en faveur de leur développement.
C'est ainsi que 24 CAMSP ont été créés ou étendus entre 1998 et 1999. A l'exception de huit d'entre eux, tous les départements métropolitains et d'Outre Mer disposent aujourd'hui d'au moins un de ces centres. Les mesures nouvelles de cette année et celles du plan pluriannuel, qui prendront le relais jusqu'en 2003, vont permettre de doter les départements non pourvus - dès lors qu'ils nous présenteront un projet - et de renforcer les départements les moins bien pourvus au regard de leurs besoins.
Vous le savez également, nous voulons tout autant améliorer l'éducation spéciale et la scolarisation des jeunes handicapés dans l'école ordinaire.
La loi d'orientation du 30 juin 1975, en faisant de l'intégration sociale des personnes handicapées une priorité nationale, a initié un processus irréversible. Dans cette logique, la scolarisation en milieu ordinaire aurait dû, à ce jour, devenir la solution majoritairement proposée aux jeunes handicapés. Même si les chiffres très approximatifs fournis par nos actuels outils statistiques proviennent d'études cloisonnées, fragmentaires et incomplètes, force est de constater que nous sommes actuellement dans la situation où un tiers d'entre eux seulement bénéficie de telles orientations.
Je sais que les grands principes sont parfois difficiles à respecter sur le terrain, pour de nombreuses raisons : manque de personnel, de moyens et parfois de locaux, insuffisance de l'offre d'accompagnement en intégration par les SSESAD et de places en établissement spécialisé pour les plus lourdement handicapés.
Pour améliorer les conditions d'orientation et le service rendu aux usagers, notamment en termes de délais et de qualité d'accueil, il fallait développer les capacités d'expertise des Commissions départementales de l'éducation spéciale. Nous nous en sommes donné les moyens et une enveloppe de 15 MF sera consacrée à cet effet, sur la période 2001-2003.
Il s'agissait aussi, de faire en sorte que les décisions d'orientation " par défaut " deviennent à terme exceptionnelles, grâce au développement cohérent des moyens nécessaires à la scolarisation des enfants handicapés.
Ainsi, lorsque l'intérêt de l'enfant impose l'intégration en milieu ordinaire, il est indispensable de la valoriser en assurant les prestations d'aide et de soutien éducatif, thérapeutiques ou rééducatifs définies par les commissions d'orientation. C'est pourquoi, le Gouvernement a déjà mobilisé 40 MF en 1999, mobilise actuellement 60 MF et mobilisera 300 MF sur la période 2001-2003, pour le développement des services médico-sociaux d'accompagnement des familles et d'appui à l'intégration scolaire.
Si par ailleurs, le jeune handicapé doit bénéficier, que ce soit temporairement ou de façon plus permanente, d'une éducation en établissement spécialisé, il faut aussi pouvoir répondre à cette décision d'orientation.
Je n'ignore pas, que dans un trop grand nombre de départements, certains de ces jeunes sont encore en attente d'admission dans un de ces établissements. Cette situation n'est pas tolérable et je m'attache à y remédier.
Le programme pluriannuel présenté par le Premier Ministre va relayer pendant trois ans les mesures déjà prises ces deux dernières années pour un montant de 220 MF. Il permettra la création de places supplémentaires pour les personnes les plus lourdement handicapées. C'est ainsi que 120 MF seront consacrés à l'accueil des enfants polyhandicapés et 150 MF à celui des autistes.
Certes, il faudra ajuster l'offre à la demande et les groupes HANDISCOL', mis en place par l'instruction ministérielle conjointe que Ségolène ROYAL et moi même avons signée le 19 novembre dernier, seront à cet effet, très précieux.
Dans le cadre d'un partenariat désormais formalisé ces groupes auront notamment la charge d'évaluer les besoins, et de proposer les dispositifs scolaires ou médico-sociaux qu'il convient de mettre en place pour y répondre.
Ils constitueront de véritables outils d'une action cohérente et coordonnée en faveur des jeunes handicapés et recevront prochainement une assise juridique par le biais des Comités Départementaux Consultatifs des Personnes Handicapées, auxquels ils seront rattachés.
I-b Les mesures favorisant le maintien des personnes handicapées en milieu ordinaire et leur autonomie
Le volet le plus innovant de la politique gouvernementale réside dans les mesures nouvelles prises pour favoriser le maintien ou le retour à domicile des personnes qui le souhaitent et développer ainsi leur autonomie.
Je sais combien l'APF a déjà uvré pour mettre en place des prestations répondant à cette aspiration. Beaucoup reste à faire, mais pour la première fois, l'Etat va dégager des moyens conséquents sur trois ans afin de faciliter l'accès aux aides techniques et humaines ainsi qu'aux adaptations des logements. Cet effort représentera un coût de 430 MF sur trois ans.
*L'accès aux aides techniques et à l'aménagement des lieux ordinaires de vie :
L'expérimentation menée depuis 1997 sur 4 sites (dont 1 site APF) a confirmé combien il était avantageux, pour la personne handicapée , de pouvoir disposer en un même lieu, des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'évaluation des besoins.
La préconisation, par une équipe pluridisciplinaire, d'aides techniques, d'aides humaines, d'aménagements ou d'adaptations du lieu de vie, est aussi apparue de nature à améliorer la qualité et l'adaptation de ces aides, tout en facilitant la mobilisation des différents financeurs.
Au regard de son efficacité et des services rendus aux personnes handicapées, le dispositif a donc été étendu, dès cette année, à 15 départements. Il couvrira progressivement l'ensemble du territoire d'ici 2003.
Bien évidemment, les problèmes posés par la répartition des prises en charge de ces aides entre les principaux financeurs, à savoir l'Etat, l'assurance maladie et les conseils généraux devront être abordés et résolus.
A cet effet, et ainsi que je m'y suis engagée, une table ronde réunissant notamment la Caisse Nationale d'Assurance Maladie, l'Assemblée des Départements de France, et les services de l'Etat, se tiendra à l'automne prochain sous ma présidence. J'ai souhaité qu'elle soit précédée de rencontres techniques, la première d'entre elles a eu lieu le 5 mai dernier, à mon Cabinet.
De son côté, Martine AUBRY travaille à la réforme du TIPS et les perspectives sont proches où nous verrons des évolutions dans la politique des prix et celle des matériels qui y sont inscrits.
S'agissant de la participation de l'Etat au fonctionnement des sites départementaux pour la vie autonome, le Gouvernement s'est engagé, à assurer une contribution de 185 MF, étalée sur trois ans. Ces crédits, et je souhaite que d'autres partenaires en soient d'accord, pourraient participer à la constitution de fonds départementaux de compensation, destinés à améliorer le remboursement des aides préconisées.
Je voudrais aussi souligner, qu'au titre des prestations extra-légales qu'elle finance sur son fonds national d'action sanitaire et sociale, la Caisse Nationale d'Assurance Maladie a d'ores et déjà décidé d'accroître les crédits d'aides aux personnes handicapées vivant à leur domicile dans le cadre d'une programmation triennale 2001-2003.
Enfin, une réflexion visant à améliorer les conditions de remboursement des aides techniques inscrites au tarif interministériel des prestations sanitaires est à l'heure actuelle bien avancée.
*L'accès aux aides humaines :
La possibilité de recourir à une aide humaine conditionne, dans de nombreux cas, le maintien ou le retour en milieu ordinaire de vie. L'insuffisance des moyens pour couvrir les besoins des personnes concernées en ce domaine, n'est plus à démontrer.
Le gouvernement entend dans les trois années à venir, poursuivre deux objectifs :
-d'une part, ouvrir les prestations des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) aux personnes handicapées ;
-d'autre part, augmenter le nombre d'auxiliaires de vie.
Pour atteindre le premier, un décret réglementera, dans l'année, la mise en place de services polyvalents d'accompagnement et de soins à domicile. Ceux-ci pourront intervenir aussi bien auprès de personnes âgées malades ou dépendantes, qu'auprès de personnes handicapées adultes.
Parallèlement, 45 MF seront spécifiquement consacrés, sur la période 2001-2003, à la création de places dans ces services, au profit de personnes handicapées.
Pour ce qui est des auxiliaires de vie, formule de services sans laquelle le maintien à domicile serait difficilement concevable, je crois me souvenir que le concept est né, il y a quelques années, à Bordeaux, dans une délégation de l'APF. Depuis l'idée a fait son chemin, prouvant son utilité et toute son efficacité
Comme je vous le disais, un effort significatif sera engagé pour de développer le nombre d'auxiliaires de vie. Stabilisé autour de 1800 postes depuis de nombreuses années, celui-ci atteindra 5000 postes à l'échéance 2003, grâce à 200 MF de mesures nouvelles.
*L'accès à emploi, vecteur d'autonomie et d'insertion sociale
L'accès à l'emploi demeure pour de nombreuses personnes handicapées un objectif majeur, porteur de plus d'autonomie et d'une intégration sociale plus forte.
Comme vous le savez, Martine AUBRY a relancé d'une manière déterminée la politique de l'emploi des personnes handicapées, en s'appuyant sur un partenariat rénové.
La convention quinquennale signée entre l'Etat et l'Association de Gestion du Fonds d'Insertion Professionnelle des Handicapés permettra la mobilisation de 1,5 Milliard de francs sur trois ans, dans le cadre d'un programme exceptionnel d'action qui concerne tant l'accès à l'emploi que la formation professionnelle.
Les premiers résultats sont engrangés. Plus de 40000 travailleurs handicapés ont bénéficié l'an dernier du dispositif " nouveau départ ". Près de 80 000 autres ont bénéficié d'un contrat aidé.
II- Poursuivre les efforts engagés pour répondre de façon satisfaisante aux demandes d'accueil en établissements des personnes les plus lourdement handicapées :
L'insuffisance de places pour les adultes les plus lourdement handicapés, observée encore dans un grand nombre de départements, est à l'origine du plan quinquennal 1999-2003, en cours de réalisation.
Il importait de poursuivre ce plan et de l'amplifier, en répondant notamment aux besoins des personnes handicapées vieillissantes et de celles qui sont le plus lourdement atteintes.
Il convient d'anticiper les effets du phénomène démographique du vieillissement des personnes handicapées pour proposer les solutions qui sont de nature à éviter toute rupture brutale de personnes concernées avec leur milieu ordinaire de vie, dans le respect de leurs propres choix. Conscient de cette nécessité, le Gouvernement mobilisera, sur la période 2001-2003, une enveloppe de 45 MF pour développer leur prise en charge institutionnelle.
Des solutions diversifiées sont d'ores et déjà mises en uvre par les associations, dans un grand nombre de départements, le plus souvent avec l'aide des Conseils généraux. Il s'agit d'unités spécifiques pour personnes handicapées âgées dans les établissements pour adultes handicapés, ou en maisons de retraite, ou encore d'accueil conjoint de parents âgés avec leur enfant handicapé vieillissant. Autant de formules qu'il nous faut évaluer avant de les généraliser.
Leur mise en uvre impliquera la nécessaire adaptation de ces structures aux besoins des personnes handicapées âgées et à leur exigence de qualité de vie. Des recommandations qualitatives d'équipement seront faites pour ces établissements, à l'instar de celles qui existent pour les établissements pour enfants handicapés.
Il n'y a pas de réponse simple aux problèmes posés par le statut juridique et les modes de prises en charge les plus adaptés aux personnes handicapées vieillissantes. Mais la complexité ne doit pas servir d'alibi à l'immobilisme. C'est pourquoi j'entends conduire très prochainement une réflexion approfondie, en liaison avec les associations représentatives, et dans le cadre du Comité national consultatif des personnes handicapées.
La prochaine séance de ce Conseil aura lieu le 14 juin prochain, et nous permettra d'ouvrir le débat sur ce nouveau problème de société.
Comme je vous l'ai signalé, le plan quinquennal 1998-2003 sera également utilement complété par les mesures qui, sur la période 2001-2003, vont prolonger et renforcer, grâce à 300 MF supplémentaires, les efforts engagés depuis 1995 en pour la prise en charge des personnes autistes et des personnes cérébro-lésés ou atteintes d'un traumatisme crânien grave.
Enfin, l'accueil des personnes atteintes d'un handicap dit rare se trouvera facilité par la publication, dans les semaines qui viennent, de l'arrêté portant définition de cette catégorie de handicaps.
[Conclusion]
Les grandes lignes d'une dynamique irréversible sont donc tracées et les objectifs à atteindre clairement identifiés. Il nous faudra encore travailler à la mise en uvre des conditions d'accueil et de prise en charge qui répondent aux aspirations des personnes handicapées, et à la création des solutions innovantes qui facilitent leur autonomie et leur intégration, à proximité des familles et dans le tissu social.
Le projet de loi révisant la loi de 75, qui va être déposé dans les mois qui viennent au Parlement, le Premier ministre s'y est solennellement engagé, et je vous le confirme, permettra de consacrer cette ligne politique en ouvrant le champ des missions et assouplissant les réponses institutionnelles, afin de pouvoir multiplier les passerelles entre vie institutionnelle et vie à domicile ou en milieu ordinaire. Il ouvrira des thèmes entièrement nouveaux, comme celui de l'évaluation et de la qualité. Il confirmera la nécessité d'une planification équilibrant sur le territoire l'offre d'institutions et de services. Enfin, surtout, il donnera une véritable place aux usagers en protégeant leur droit à la dignité, à l'information et à la participation à la vie de l'établissement qui les accueille. C'est ainsi d'un outil totalement rénové dont disposeront les professionnels du champ médico-social et social.
La réussite de notre action nécessite l'engagement de tous les acteurs concernés, qu'il s'agisse des personnes handicapées, des parents, des associations, des professionnels, des financeurs institutionnels, des collectivités territoriales ou des services ministériels, à quelque niveau qu'ils soient.
Il nous appartient donc, par une écoute attentive et une concertation renforcée, d'assumer avec vigilance le devoir de solidarité qui nous incombe et d'offrir à chacun une réponse adaptée à ses réelles capacités. Je ne doute pas que, tous ensemble, nous nous emploierons à la faire aboutir.
J'aimerai conclure en vous faisant part de ma conviction profonde : toute notre politique vise à changer durablement et profondément le regard que porte notre société sur la personne handicapée en substituant la solidarité à la compassion. A terme, c'est la prise en charge par la personne handicapée de son avenir, de son existence non plus à travers l'assistance mais par le soutien que nous visons. J'en suis persuadée : ensemble, nous gagnerons ce défi-là.


(source http://www.sante.gouv.fr, le 7 août 2000)