Texte intégral
Quel rôle l'UDF peut-elle jouer dans la crise actuelle ?
Nous serons solidaires du gouvernement. On ne peut pas imaginer que la réforme des retraites échoue. Tout le monde en souffrirait, parce que l'on aurait l'impression que c'est la réforme elle-même qui est impossible en France.
Mais vous avez exprimé des réserves aussi bien sur la méthode que sur le fond...
Nous avions proposé une autre méthode et une autre réforme. Un référendum, dès les premières semaines, sur la question centrale de l'égalité devant la retraite. La question de l'égalité réglée par un "oui" massif des Français, on aurait alors pu ouvrir des négociations sur une nouvelle architecture des retraites, avec tous les partenaires, pouvoirs publics, syndicats et mouvements politiques de la majorité comme de l'opposition, pour obtenir un nouveau système, plus souple et mieux financé. Ce n'est pas la méthode que le gouvernement a choisie. Il restera donc beaucoup de questions sans réponses. Pour autant, il faut que la réforme aboutisse, puisqu'elle est nécessaire, et qu'il demeure le moins de cicatrices possible.
Au nombre des questions sans réponses, vous comptez le financement et la souplesse...
L'hypothèse d'un financement par disparition du chômage à court terme me paraît pour le moins risquée. Et pour la souplesse, un système à la carte, par points, sans pénalisation des années manquantes, géré par les partenaires sociaux, aurait offert une solution plus adaptable et mieux équilibrée dans le long terme.
Vous auriez souhaité que le gouvernement s'attaque aux régimes spéciaux. N'est-ce pas une façon de le pousser au crime ?
J'ai accepté de ne pas déposer d'amendement sur ce sujet pour ne pas gêner le gouvernement dans l'équilibre qu'il présentait. Mais on ne me fera pas dire qu'il est juste que la réforme s'attaque aux uns et ménage les autres. En vérité, les régimes spéciaux sont épargnés non pas parce qu'on estime qu'ils sont justifiés, mais parce que ceux qui en relèvent ont les moyens de bloquer la France. Cette "prime à la menace", à mon sens, c'est une injustice à l'égard des autres catégories.
La contestation est-elle, selon vous, l'expression d'intérêts catégoriels, ou révèle-t-elle une hostilité à la réforme de la société tout entière ?
Je crois qu'il y a une profonde inquiétude chez beaucoup de Français. La retraite, c'est une "vie nouvelle", notamment pour ceux dont la vie de travail n'est pas très épanouissante. Et puis il y a cette inquiétude que, depuis plus d'un siècle, le progrès technique a continuellement servi le progrès social et que, pour la première fois, il faudrait prendre le chemin inverse. Ce sont de grands sujets.
Comment répondre à ces inquiétudes ?
D'abord en y prêtant attention. Il ne suffit pas d'avoir toutes les majorités. Gouverner, c'est aussi obtenir l'adhésion du plus grand nombre. Et il faut faire attention, car même si la réforme est adoptée, et je crois qu'elle le sera, il peut en résulter beaucoup d'amertume et de suspicion réciproques. Et cela peut rendre les autres réformes, tout aussi indispensables pourtant, encore plus difficiles et peut-être impossibles.
Vous pensez à l'assurance-maladie ?
Par exemple. Ce débat s'annonce encore plus tendu que celui sur les retraites. Il faudra adopter une méthode différente.
Que pensez-vous de l'idée de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux à l'occasion des départs en retraite ?
Je ne partage pas cette approche sommaire. Il y a des fonctions publiques où on peut parfaitement réorganiser et économiser des emplois. Il y en a d'autres, au contraire, où on doit protéger les emplois, par exemple à l'école, ou dans la sécurité, ou dans la santé. Les économies de postes doivent être la conséquence des réformes, pas l'inverse.
Vu le contexte, Jacques Chirac devrait-il s'exprimer ?
Le silence du chef de l'Etat est surprenant. Un pays a besoin de dialoguer constamment et en confiance avec ses dirigeants, surtout dans les moments de crise. On peut ne pas être d'accord avec la vision de ces dirigeants. Mais les entendre exprimer une vision est rassurant en soi. Le président ne peut pas s'exprimer seulement sur la politique étrangère, surtout depuis que le quinquennat a changé le rythme des institutions.
Que dire aux enseignants ?
La situation dans l'éducation nationale est devenue très difficile. Selon moi, il ne s'agit pas seulement d'un mouvement corporatiste. C'est un mouvement qui a une assise large et qui exprime une inquiétude sur l'évolution de la société tout entière. L'école porte des valeurs de culture, d'égalité, d'émancipation par la connaissance. Ces valeurs paraissent niées par la société dans laquelle nous vivons, largement matérialiste, largement dominée par l'argent. A tort ou à raison, beaucoup d'enseignants ont l'impression qu'on essaie de les tirer vers ce monde où tout devient marchand, et que l'égalité des chances est un vain mot. Or un mode de gouvernement où l'on n'annonce pas la couleur, où les décisions "tombent du ciel", sans en avoir discuté préalablement, cela renforce leur doute. Et quand ils protestent, le langage qu'on leur adresse, c'est de la dénégation, ou de la commisération. Cela ne fait qu'élargir le fossé.
Mais pouvait-on exonérer les enseignants de la réforme ?
Bien sûr que non. Mais était-il besoin de charger leur barque à ce point, en en faisant la cible d'une accumulation de menaces et de changements peu préparés ?
Êtes-vous favorable à la décentralisation des personnels non enseignants ?
Je suis pour que l'éducation en France demeure nationale. Cette décentralisation des techniciens, ouvriers, et personnels de service, n'était à ma connaissance demandée par aucun élu local. C'est une décision qui est si loin des vrais sujets qu'on se demande ce qui la fonde...
Pensez-vous que, pour le gouvernement, la décentralisation de ces personnels soit le prélude à la décentralisation des enseignants ?
Même pas. Mais l'insistance avec laquelle on sépare la "noblesse", les enseignants, à qui l'on garantit qu'ils resteront fonctionnaires d'État, et le "tiers-état", les TOS, qui seront bons pour la décentralisation, ce n'est pas une bonne approche. En vérité, l'unité des équipes est très importante dans l'éducation nationale. L'installation dans les établissements de deux hiérarchies différentes, l'une dépendant des autorités académiques, l'autre des élus locaux, cela n'aurait-il pas mérité qu'on en discute ?
En attendant, comment faire pour sortir de la crise ?
Je souhaite me tromper, mais je ne crois pas que la crise de l'éducation s'arrête par un tour de passe-passe. Il faut traiter des problèmes au fond et ne pas hésiter à tout remettre sur la table.
Si vous étiez toujours ministre de l'Éducation nationale, accepteriez-vous que le ministre de l'Intérieur soit chargé de la concertation avec les enseignants ?
Je ne l'aurais pas accepté. Pas une minute. S'il fallait mettre quelqu'un d'autre dans le jeu, le bon interlocuteur, c'était le premier ministre. Ce n'est pas une affaire de personne, mais l'éducation, pas plus que la justice, ne peut pas être mise sous tutelle du ministère de l'Intérieur. C'est une situation symboliquement dangereuse.
(Source http://www.udf.org, le 12 juin 2003)
Nous serons solidaires du gouvernement. On ne peut pas imaginer que la réforme des retraites échoue. Tout le monde en souffrirait, parce que l'on aurait l'impression que c'est la réforme elle-même qui est impossible en France.
Mais vous avez exprimé des réserves aussi bien sur la méthode que sur le fond...
Nous avions proposé une autre méthode et une autre réforme. Un référendum, dès les premières semaines, sur la question centrale de l'égalité devant la retraite. La question de l'égalité réglée par un "oui" massif des Français, on aurait alors pu ouvrir des négociations sur une nouvelle architecture des retraites, avec tous les partenaires, pouvoirs publics, syndicats et mouvements politiques de la majorité comme de l'opposition, pour obtenir un nouveau système, plus souple et mieux financé. Ce n'est pas la méthode que le gouvernement a choisie. Il restera donc beaucoup de questions sans réponses. Pour autant, il faut que la réforme aboutisse, puisqu'elle est nécessaire, et qu'il demeure le moins de cicatrices possible.
Au nombre des questions sans réponses, vous comptez le financement et la souplesse...
L'hypothèse d'un financement par disparition du chômage à court terme me paraît pour le moins risquée. Et pour la souplesse, un système à la carte, par points, sans pénalisation des années manquantes, géré par les partenaires sociaux, aurait offert une solution plus adaptable et mieux équilibrée dans le long terme.
Vous auriez souhaité que le gouvernement s'attaque aux régimes spéciaux. N'est-ce pas une façon de le pousser au crime ?
J'ai accepté de ne pas déposer d'amendement sur ce sujet pour ne pas gêner le gouvernement dans l'équilibre qu'il présentait. Mais on ne me fera pas dire qu'il est juste que la réforme s'attaque aux uns et ménage les autres. En vérité, les régimes spéciaux sont épargnés non pas parce qu'on estime qu'ils sont justifiés, mais parce que ceux qui en relèvent ont les moyens de bloquer la France. Cette "prime à la menace", à mon sens, c'est une injustice à l'égard des autres catégories.
La contestation est-elle, selon vous, l'expression d'intérêts catégoriels, ou révèle-t-elle une hostilité à la réforme de la société tout entière ?
Je crois qu'il y a une profonde inquiétude chez beaucoup de Français. La retraite, c'est une "vie nouvelle", notamment pour ceux dont la vie de travail n'est pas très épanouissante. Et puis il y a cette inquiétude que, depuis plus d'un siècle, le progrès technique a continuellement servi le progrès social et que, pour la première fois, il faudrait prendre le chemin inverse. Ce sont de grands sujets.
Comment répondre à ces inquiétudes ?
D'abord en y prêtant attention. Il ne suffit pas d'avoir toutes les majorités. Gouverner, c'est aussi obtenir l'adhésion du plus grand nombre. Et il faut faire attention, car même si la réforme est adoptée, et je crois qu'elle le sera, il peut en résulter beaucoup d'amertume et de suspicion réciproques. Et cela peut rendre les autres réformes, tout aussi indispensables pourtant, encore plus difficiles et peut-être impossibles.
Vous pensez à l'assurance-maladie ?
Par exemple. Ce débat s'annonce encore plus tendu que celui sur les retraites. Il faudra adopter une méthode différente.
Que pensez-vous de l'idée de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux à l'occasion des départs en retraite ?
Je ne partage pas cette approche sommaire. Il y a des fonctions publiques où on peut parfaitement réorganiser et économiser des emplois. Il y en a d'autres, au contraire, où on doit protéger les emplois, par exemple à l'école, ou dans la sécurité, ou dans la santé. Les économies de postes doivent être la conséquence des réformes, pas l'inverse.
Vu le contexte, Jacques Chirac devrait-il s'exprimer ?
Le silence du chef de l'Etat est surprenant. Un pays a besoin de dialoguer constamment et en confiance avec ses dirigeants, surtout dans les moments de crise. On peut ne pas être d'accord avec la vision de ces dirigeants. Mais les entendre exprimer une vision est rassurant en soi. Le président ne peut pas s'exprimer seulement sur la politique étrangère, surtout depuis que le quinquennat a changé le rythme des institutions.
Que dire aux enseignants ?
La situation dans l'éducation nationale est devenue très difficile. Selon moi, il ne s'agit pas seulement d'un mouvement corporatiste. C'est un mouvement qui a une assise large et qui exprime une inquiétude sur l'évolution de la société tout entière. L'école porte des valeurs de culture, d'égalité, d'émancipation par la connaissance. Ces valeurs paraissent niées par la société dans laquelle nous vivons, largement matérialiste, largement dominée par l'argent. A tort ou à raison, beaucoup d'enseignants ont l'impression qu'on essaie de les tirer vers ce monde où tout devient marchand, et que l'égalité des chances est un vain mot. Or un mode de gouvernement où l'on n'annonce pas la couleur, où les décisions "tombent du ciel", sans en avoir discuté préalablement, cela renforce leur doute. Et quand ils protestent, le langage qu'on leur adresse, c'est de la dénégation, ou de la commisération. Cela ne fait qu'élargir le fossé.
Mais pouvait-on exonérer les enseignants de la réforme ?
Bien sûr que non. Mais était-il besoin de charger leur barque à ce point, en en faisant la cible d'une accumulation de menaces et de changements peu préparés ?
Êtes-vous favorable à la décentralisation des personnels non enseignants ?
Je suis pour que l'éducation en France demeure nationale. Cette décentralisation des techniciens, ouvriers, et personnels de service, n'était à ma connaissance demandée par aucun élu local. C'est une décision qui est si loin des vrais sujets qu'on se demande ce qui la fonde...
Pensez-vous que, pour le gouvernement, la décentralisation de ces personnels soit le prélude à la décentralisation des enseignants ?
Même pas. Mais l'insistance avec laquelle on sépare la "noblesse", les enseignants, à qui l'on garantit qu'ils resteront fonctionnaires d'État, et le "tiers-état", les TOS, qui seront bons pour la décentralisation, ce n'est pas une bonne approche. En vérité, l'unité des équipes est très importante dans l'éducation nationale. L'installation dans les établissements de deux hiérarchies différentes, l'une dépendant des autorités académiques, l'autre des élus locaux, cela n'aurait-il pas mérité qu'on en discute ?
En attendant, comment faire pour sortir de la crise ?
Je souhaite me tromper, mais je ne crois pas que la crise de l'éducation s'arrête par un tour de passe-passe. Il faut traiter des problèmes au fond et ne pas hésiter à tout remettre sur la table.
Si vous étiez toujours ministre de l'Éducation nationale, accepteriez-vous que le ministre de l'Intérieur soit chargé de la concertation avec les enseignants ?
Je ne l'aurais pas accepté. Pas une minute. S'il fallait mettre quelqu'un d'autre dans le jeu, le bon interlocuteur, c'était le premier ministre. Ce n'est pas une affaire de personne, mais l'éducation, pas plus que la justice, ne peut pas être mise sous tutelle du ministère de l'Intérieur. C'est une situation symboliquement dangereuse.
(Source http://www.udf.org, le 12 juin 2003)