Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur la contribution du Luxembourg et de Pierre Werner, ancien premier ministre luxembourgeois au projet européen, et sur les perspectives d'avenir de l'Union européenne, Luxembourg le 13 octobre 2003.

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Circonstance : Inauguration de L'Institut Pierre Werner (ancien premier ministre luxembourgeois) à Luxembourg le 13 octobre 2003

Texte intégral

Mesdames, messieurs
Je suis heureux de me trouver parmi vous ce soir à Luxembourg, au cur de la vieille ville, sous la voûte rénovée de l'ancienne abbaye de Neumünster, pour saluer l'accomplissement de ce projet qui nous tient tant à coeur.
Alors que notre continent traverse une période agitée, pleine d'épreuves et de doutes, nous avons l'occasion de marquer ce soir, tous ensemble, un temps d'arrêt. Je veux ici avec vous me tourner vers le chemin parcouru par l'Europe, pour aborder avec davantage de confiance et de sérénité les temps à venir.
Véritable lieu de mémoire européen, cette abbaye incarne plusieurs facettes de notre histoire. Consacrée à l'étude et à la spiritualité, Neumünster est d'abord l'un de ces sites de l'humanisme européen. A la faveur des avancées accomplies par l'imprimerie, il participe à l'émergence d'une véritable conscience européenne. Car si ces pierres incitaient au recueillement elles invitaient également à essaimer la nouvelles idée de l'homme à travers l'Europe.
Le Grand-Duché est lui aussi au carrefour des expériences multiples que nous avons connues tout au long de notre histoire. Région tant de fois convoitée par les puissances hégémoniques, le Luxembourg a connu les drames de la rivalité européenne. Est-ce un hasard si c'est en cette terre symbolique que Robert Schuman, Français né au Luxembourg, a jeté les bases de la Communauté économique du charbon et de l'acier qui devait conjurer, vous le savez, la guerre entre la France et l'Allemagne ? Chaque jour, la Cour de justice de l'Union rappelle depuis le plateau de Kirchberg le caractère profondément européen de votre pays, son souci du respect des lois et des Droits de l'Homme qui sont au fondement de notre démarche démocratique. A quelques kilomètres d'ici est né l'Espace de Schengen qui a permis la liberté de circulation des Européens, en leur apportant les premiers bénéfices concrets de l'intégration. Combien de pays peuvent se prévaloir d'un tel engagement, d'une telle implication dans le projet européen ? Quel pays peut se prévaloir d'être à ce point terre d'accueil de tant d'Européens, Portugais, Français et d'autres demain.
Parrain de ce centre culturel unique en son genre, le nom de Pierre Werner incarnera une constante source d'exigence, à la hauteur de l'ambition européenne dont il a toujours fait preuve. Ancien Premier ministre du Luxembourg, l'un des pères fondateurs de l'euro, homme de vision, homme de culture, homme d'engagement européen, il témoigne de cette audace dont l'Europe ne peut se passer. Faut-il rappeler le caractère révolutionnaire de la monnaie unique qui est aujourd'hui entrée dans les habitudes quotidiennes de millions d'Européens ?
Alors que l'élargissement est d'ores et déjà une réalité, l'Europe s'apprête aujourd'hui à franchir une nouvelle étape. Les travaux de la Convention, le projet de Constitution remis par Valéry Giscard d'Estaing témoignent de notre volonté d'aller de l'avant, car le temps est venu de donner une nouvelle dimension à notre Europe.
Une dimension politique d'abord, pour que les citoyens européens se reconnaissent dans une Europe plus démocratique et plus unie. En se dotant d'institutions plus simples et plus efficaces, l'Europe pourra enfin exister comme telle sur la scène internationale. Grâce à l'émergence d'une véritable politique de défense commune, nous pourrons également assumer nos responsabilités et notre vision propre d'un monde à la fois plus juste et plus stable. Je salue l'effort commun de nos trois pays ainsi que de la Belgique, pour doter l'Europe d'un projet de défense, auquel nous voulons associer nos amis britanniques comme tous les partenaires qui souhaitent participer.
Pour être fidèle à son héritage, l'Europe doit ensuite se doter d'une dimension culturelle forte et rayonnante. Le message dont nous sommes porteurs est à la fois simple et d'une portée considérable. La culture n'est rien lorsqu'elle s'isole, lorsqu'elle se replie, lorsqu'elle fuit le contact avec les autres. Elle rayonne quand elle est capable de synthèse, quand elle sait féconder tous les affluents dont elle est nourrie. Et c'est sur cette terre aux langues plurielles, habitée encore par les voix de Michel Rodange et de Michel Lentz, que je veux rappeler le message de diversité que l'Europe peut apporter au monde. Car de Lisbonne à Budapest notre continent est traversé de savoirs sans cesse confrontés les uns aux autres, d'identités qui se façonnent mutuellement.
Témoin de cette ouverture, Neumünster symbolise aussi une Europe qui se veut résolument tournée vers l'avenir et soucieuse d'apporter une contribution originale à la pensée humaine. L'Institut Pierre Werner doit constituer un vrai pôle d'excellence et de dynamisme, réaffirmant ainsi une vocation qui, depuis Ampère et Marie Curie, ne s'est jamais démentie. Pour encourager la recherche nous devons constituer un réseau d'universités et de laboratoires dignes de la tradition qui nous a donné la Sorbonne, Tübingen et Oxford. Ce réseau sera d'autant plus efficace qu'il s'ouvrira à des échanges fructueux avec d'autres pays en accueillant des étudiants venus du monde entier. Culture de la diversité, passion pour la recherche, volonté de partage, autant de facettes de notre identité dont le Centre Pierre Werner sera un exemple et un représentant privilégié.
Face à la fragilité de notre monde, face aux incertitudes dont notre continent est la proie, nous avons la responsabilité d'affirmer notre engagement européen. Notre expérience de membre fondateur, qui fait de nous des témoins et qui nous oblige, nous a montré que l'Europe avance par la force de la volonté, tout particulièrement lorsqu'elle franchit les étapes les plus décisives.
L'Institut Pierre Werner et les autres centres qu'inspirera son exemple ne seront pas seulement ces lieux de transmission de l'héritage européen : ils nous offriront de précieux points de repère pour guider notre parcours européen, et ils seront des passeurs de culture, de conscience européenne et de liberté.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 octobre 2003)