Texte intégral
Q - Qu'est-ce qui change lorsque, de théoricien de la politique étrangère, on devient au sein du gouvernement le patron de la diplomatie française ?
R - Je n'étais pas théoricien mais déjà praticien, dans l'ombre et comme conseiller de François Mitterrand. Ce qui change ? Tout. Le poids de la responsabilité directe, la prise de décision, l'emploi du temps fou, l'obligation d'agir et de parler presque en permanence en public avec les risques correspondants car ceux là même qui dénoncent la langue de bois réagissent avec des cris d'orfraie à toute parole libre !
En quittant l'Elysée, j'imaginais pourtant la page définitivement tournée et j'avais commencé une autre vie professionnelle.
Q - Aviez-vous franchi ce pas sans nostalgie ?
R - Je mentirais en disant oui ! Parfois, dans l'autobus 63, alors que je me rendais à mon cabinet d'avocats, j'avais une bouffée de nostalgie en passant devant le Quai d'Orsay. J'en rêvais malgré tout.
Q - Est-il vraiment compliqué d'être ministre des affaires étrangères en période de cohabitation ?
R - Compliqué ? C'est passionnant, stimulant, difficile et motivant à la fois. Pour bien travailler, le ministre doit avoir la confiance des deux principaux responsables du pays. Le Premier ministre m'a choisi, et je m'entends bien avec le Président. L'élaboration et la mise en oeuvre de la politique étrangère de la France se fait dans ce dialogue à trois.
Q - Ressentez-vous la cohabitation comme un avantage ou un inconvénient en matière de politique étrangère ?
R - La cohabitation est à prendre comme un état de fait. C'est une situation politiquement anormale et qui n'est pas globalement bénéfique, mais dès lors que les Français l'ont créée par leur vote, il reste à l'assumer le mieux possible. Sur la politique étrangère, elle a des effets contrastés. D'aucuns pensent qu'elle contrarie les grandes initiatives, mais je ne vois pas pour ma part de grandes initiatives de Lionel Jospin ou de Jacques Chirac qui auraient été freinées par elle. J'irai plus loin: comme les deux piliers de la cohabitation ont décidé dès le départ que les choses devraient bien se passer en matière internationale, un mécanisme de mise en convergence a été mis en place. Cela aboutit, à l'extérieur, à des positions souvent plus homogènes que celles de bien des gouvernements de coalition. Mais n'en faisons pas une théorie !
Q - Après le discours du Président de la République à Berlin, le Premier Ministre a fait savoir et dire qu'il n'appréciait pas ses propos : avouez que pour nos partenaires ça fait désordre.
R - Il faut distinguer les positions françaises élaborées et défendues conjointement par le président et le gouvernement, par exemple sur la CIG, et les libres réflexions de chacun, président, gouvernement, sur l'Europe à long terme. Chacun, y compris nos partenaires, peut comprendre cette distinction.
Q - L'harmonie va être précieuse pour la France qui assume la présidence européenne depuis le premier juillet. Elle doit élaborer un traité pour accueillir douze nouveaux pays et donc réformer les institutions. Comment appréhendez-vous cette tâche ingrate ?
R - Avec détermination, mais lucidité. Nos orientations prioritaires selon notre cur sont l'agenda social, le renforcement du pilotage politique de l'euro, l'Europe de la nouvelle économie, ainsi que " L'Europe du citoyen " qui recouvre des sujets importants comme la sécurité alimentaire, l'espace judiciaire commun, la coordination des politiques d'immigration... Pour autant, le calendrier européen est tel, qu'il nous revient de préparer le grand élargissement de l'Europe en réussissant la réforme des institutions : il nous faut résoudre quatre sujets majeurs : étendre le vote à la majorité, et pour cela obtenir une repondération substantielle des votes des grands pays ; plafonner ou hiérarchiser la Commission ; assouplir et faciliter le recours aux coopérations renforcées.
Q - Joschka Fischer disait qu'il n'attendait pas grand-chose de la présidence française...
R - Il a dit cela ? Au risque de vous surprendre, je préfère cela à ceux qui disent en attendre des miracles. Je rappelle que la conférence intergouvernementale (CIG) de 1996-1997 sur les questions institutionnelles s'est soldée par un échec et que pour l'actuelle CIG, nous nous gardons du moindre effet de manche et mettons l'accent sur notre détermination. Je suis convaincu que nous bénéficierons du soutien de l'Allemagne.
Q - Vous êtes bien optimiste ! Croyez-vous que l'Allemagne vous aidera à mener à bien ces réformes indispensables ?
R - Oui ! Le climat d'amitié et d'entente que j'ai noué avec Joschka Fischer marque désormais depuis la rencontre de Rambouillet, toutes les relations Paris-Berlin. Aucun accord ne peut intervenir sans une entente globale franco-allemande.
Q - Le dialogue paraissait plus fluide entre Mitterrand et Kohl
R - Sans doute. Mais après les changements politiques de 1995, 97, 98 et les mises au point qui s'en sont suivies, les choses se remettent en place. Le moteur franco-allemand tourne.
Q - Est-ce un moteur de Formule I ? Jugez-vous qu'à Berlin, Jacques Chirac a dit ce qu'il fallait pour relancer le moteur ?
R - C'est sans aucun doute un moteur haut de gamme. Et, les passages les plus applaudis du discours du Président à Berlin ont d'ailleurs été ses propositions de relance de la coopération bilatérale franco-allemande.
Q - Les propositions de Joschka Fischer vous servent ou vous desservent ?
R - Elles stimulent le débat à long terme et ne doivent pas compliquer la négociation à court terme. Cela dit, j'ai été le premier à dire que l'Europe ne pourrait pas fonctionner telle quelle à trente et qu'il faut réfléchir aux conséquences de son élargissement sur son fonctionnement. Les propositions de Joschka Fischer s'inspirent de la fédération d'Etats-nations de Delors et reprennent mon idée des coopérations renforcées comme première étape. Il y a là matière à discussion d'autant que ses propositions sont ouvertes et comportent de multiples options.
Q - Faut-il que l'Europe se dote d'une constitution ? Les Français y sont favorables.
R - Fort bien mais quelle constitution ? Une vraie constitution qui rend caduques toutes les constitutions des pays membres ou l'emporte sur elles et crée, avec un " peuple européen souverain ", un ordre constitutionnel et juridique radicalement nouveau et post national ? Ou s'agit-il de jouer sur les mots et de baptiser " constitution " les traités existants réécrits plus lisiblement ? Cela n'a rien à voir ! Même dans ce cas, s'il s'agit de préciser " qui fait quoi ", ce qui répond à un vrai besoin, il faudra auparavant s'être mis d'accord : quels pouvoirs aux régions ? A l'Union ? A une éventuelle fédération ? En laissant quels pouvoirs aux Etats-nations ? Pour tous les Etats-membres ou pour une avant-garde ? Quelle organisation des pouvoirs au sein de l'Union ? Bref toutes les questions que j'ai formulées après le discours de Joschka Fischer et auxquelles personne jusqu'ici n'a pu répondre. Et comment répondre à ces questions assez clairement pour que ce ne soit pas demain un tribunal constitutionnel qui gouverne l'Europe en tranchant en permanence d'inextricables conflits de compétences ? Les projets de constitution vont foisonner et il n'y en aura pas deux semblables ! Vous voyez qu'il faut préparer cette phase ultérieure de nos débats avec sérieux et il n'est pas trop tôt pour y réfléchir.
Q - Beaucoup pensent que nous sommes allés trop loin en matière d'élargissement.
R - Beaucoup de Français, peut-être, mais pas les autres Européens pour qui l'élargissement, on nous le répète à l'envi, doit être une " priorité ". Après que les pays d'Europe centrale et orientale ont retrouvé ou construit la démocratie, comment pourriez-vous leur dire qu'ils n'ont pas vocation à entrer dans l'Europe ? C'est impossible ! Il n'empêche qu'il faut négocier sérieusement et réussir ce nouvel élargissement.
Q - Ces réserves sont donc purement françaises ?
R - Pas uniquement. D'autres Etats-membres expriment leurs craintes de perdre après l'élargissement certains bénéfices des politiques communes, notamment les fonds structurels, qui sont essentiels pour des pays tels que le Portugal, l'Espagne ou la Grèce.
Contrairement aux pays qui font de l'élargissement la seule priorité, la France plaide pour le renforcement de l'Europe afin qu'elle devienne la puissance que nous voulons bâtir et dont nous pensons que le monde a besoin, y compris d'ailleurs les pays candidats. Cela passe par la réussite simultanée de l'élargissement et de la réforme des institutions.
Q - En lisant votre livre, on a l'impression parfois que vous enviez le rôle de Madeleine Albright...
R - Non, je suis bien trop français pour cela! S'il y a un pays qui me fascine, c'est la France. J'éprouve néanmoins une grande curiosité et souvent de la sympathie pour les Etats-Unis. Je trouvais stérile une certaine tradition diplomatique issue d'une dénaturation du gaullisme qui nous assignait la guérilla permanente avec eux comme un objectif en soi. Sans autres effets que d'agacer nos partenaires européens et nous priver de multiples alliances utiles dans le reste du monde.
Q - Il n'empêche que vous avez été le seul à ne pas signer la déclaration finale de la Convention de Varsovie...
R - Parce qu'il faut savoir aussi leur résister, même seuls, quand ils exagèrent !
A Varsovie, ils avaient fait convoquer par les Polonais une conférence intitulée " Vers une communauté des démocraties ". Comment être contre ? Seulement il se révèle que les Américains ont fixé tout seul la liste des invités et des exclus, et rédigé seuls le projet de communiqué final. Surtout, celui-ci proclamait la création d'une sorte de " club " au sein de l'ONU, sans doute pour donner à ses membres des directives... dont on voit qui les aurait rédigées. Je ne pouvais pas y souscrire.
Q - Y a-t-il un bonheur d'être français pour un ministre des affaires étrangères?
R - Oui, celui de vérifier, en toutes circonstances, à quel point il y a encore partout dans le monde un désir de France ...qui reste beaucoup plus fort que les Français ne le croient eux-mêmes ! Notre pays suscite l'agacement mais aussi l'intérêt, la curiosité, la sympathie, l'admiration, l'amour. Il ne s'agit pas d'un attachement passéiste : j'en veux pour preuve le nombre inégalé de touristes qui veulent voir la France d'aujourd'hui. Les Français devraient être confiants au regard des attentes de tous ceux qui se reconnaissent dans notre combat pour la diversité culturelle et linguistique et pour un monde multipolaire plutôt qu'unipolaire. Croyez-moi, nous avons de nombreuses cartes en main, et de vrais atouts !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)
R - Je n'étais pas théoricien mais déjà praticien, dans l'ombre et comme conseiller de François Mitterrand. Ce qui change ? Tout. Le poids de la responsabilité directe, la prise de décision, l'emploi du temps fou, l'obligation d'agir et de parler presque en permanence en public avec les risques correspondants car ceux là même qui dénoncent la langue de bois réagissent avec des cris d'orfraie à toute parole libre !
En quittant l'Elysée, j'imaginais pourtant la page définitivement tournée et j'avais commencé une autre vie professionnelle.
Q - Aviez-vous franchi ce pas sans nostalgie ?
R - Je mentirais en disant oui ! Parfois, dans l'autobus 63, alors que je me rendais à mon cabinet d'avocats, j'avais une bouffée de nostalgie en passant devant le Quai d'Orsay. J'en rêvais malgré tout.
Q - Est-il vraiment compliqué d'être ministre des affaires étrangères en période de cohabitation ?
R - Compliqué ? C'est passionnant, stimulant, difficile et motivant à la fois. Pour bien travailler, le ministre doit avoir la confiance des deux principaux responsables du pays. Le Premier ministre m'a choisi, et je m'entends bien avec le Président. L'élaboration et la mise en oeuvre de la politique étrangère de la France se fait dans ce dialogue à trois.
Q - Ressentez-vous la cohabitation comme un avantage ou un inconvénient en matière de politique étrangère ?
R - La cohabitation est à prendre comme un état de fait. C'est une situation politiquement anormale et qui n'est pas globalement bénéfique, mais dès lors que les Français l'ont créée par leur vote, il reste à l'assumer le mieux possible. Sur la politique étrangère, elle a des effets contrastés. D'aucuns pensent qu'elle contrarie les grandes initiatives, mais je ne vois pas pour ma part de grandes initiatives de Lionel Jospin ou de Jacques Chirac qui auraient été freinées par elle. J'irai plus loin: comme les deux piliers de la cohabitation ont décidé dès le départ que les choses devraient bien se passer en matière internationale, un mécanisme de mise en convergence a été mis en place. Cela aboutit, à l'extérieur, à des positions souvent plus homogènes que celles de bien des gouvernements de coalition. Mais n'en faisons pas une théorie !
Q - Après le discours du Président de la République à Berlin, le Premier Ministre a fait savoir et dire qu'il n'appréciait pas ses propos : avouez que pour nos partenaires ça fait désordre.
R - Il faut distinguer les positions françaises élaborées et défendues conjointement par le président et le gouvernement, par exemple sur la CIG, et les libres réflexions de chacun, président, gouvernement, sur l'Europe à long terme. Chacun, y compris nos partenaires, peut comprendre cette distinction.
Q - L'harmonie va être précieuse pour la France qui assume la présidence européenne depuis le premier juillet. Elle doit élaborer un traité pour accueillir douze nouveaux pays et donc réformer les institutions. Comment appréhendez-vous cette tâche ingrate ?
R - Avec détermination, mais lucidité. Nos orientations prioritaires selon notre cur sont l'agenda social, le renforcement du pilotage politique de l'euro, l'Europe de la nouvelle économie, ainsi que " L'Europe du citoyen " qui recouvre des sujets importants comme la sécurité alimentaire, l'espace judiciaire commun, la coordination des politiques d'immigration... Pour autant, le calendrier européen est tel, qu'il nous revient de préparer le grand élargissement de l'Europe en réussissant la réforme des institutions : il nous faut résoudre quatre sujets majeurs : étendre le vote à la majorité, et pour cela obtenir une repondération substantielle des votes des grands pays ; plafonner ou hiérarchiser la Commission ; assouplir et faciliter le recours aux coopérations renforcées.
Q - Joschka Fischer disait qu'il n'attendait pas grand-chose de la présidence française...
R - Il a dit cela ? Au risque de vous surprendre, je préfère cela à ceux qui disent en attendre des miracles. Je rappelle que la conférence intergouvernementale (CIG) de 1996-1997 sur les questions institutionnelles s'est soldée par un échec et que pour l'actuelle CIG, nous nous gardons du moindre effet de manche et mettons l'accent sur notre détermination. Je suis convaincu que nous bénéficierons du soutien de l'Allemagne.
Q - Vous êtes bien optimiste ! Croyez-vous que l'Allemagne vous aidera à mener à bien ces réformes indispensables ?
R - Oui ! Le climat d'amitié et d'entente que j'ai noué avec Joschka Fischer marque désormais depuis la rencontre de Rambouillet, toutes les relations Paris-Berlin. Aucun accord ne peut intervenir sans une entente globale franco-allemande.
Q - Le dialogue paraissait plus fluide entre Mitterrand et Kohl
R - Sans doute. Mais après les changements politiques de 1995, 97, 98 et les mises au point qui s'en sont suivies, les choses se remettent en place. Le moteur franco-allemand tourne.
Q - Est-ce un moteur de Formule I ? Jugez-vous qu'à Berlin, Jacques Chirac a dit ce qu'il fallait pour relancer le moteur ?
R - C'est sans aucun doute un moteur haut de gamme. Et, les passages les plus applaudis du discours du Président à Berlin ont d'ailleurs été ses propositions de relance de la coopération bilatérale franco-allemande.
Q - Les propositions de Joschka Fischer vous servent ou vous desservent ?
R - Elles stimulent le débat à long terme et ne doivent pas compliquer la négociation à court terme. Cela dit, j'ai été le premier à dire que l'Europe ne pourrait pas fonctionner telle quelle à trente et qu'il faut réfléchir aux conséquences de son élargissement sur son fonctionnement. Les propositions de Joschka Fischer s'inspirent de la fédération d'Etats-nations de Delors et reprennent mon idée des coopérations renforcées comme première étape. Il y a là matière à discussion d'autant que ses propositions sont ouvertes et comportent de multiples options.
Q - Faut-il que l'Europe se dote d'une constitution ? Les Français y sont favorables.
R - Fort bien mais quelle constitution ? Une vraie constitution qui rend caduques toutes les constitutions des pays membres ou l'emporte sur elles et crée, avec un " peuple européen souverain ", un ordre constitutionnel et juridique radicalement nouveau et post national ? Ou s'agit-il de jouer sur les mots et de baptiser " constitution " les traités existants réécrits plus lisiblement ? Cela n'a rien à voir ! Même dans ce cas, s'il s'agit de préciser " qui fait quoi ", ce qui répond à un vrai besoin, il faudra auparavant s'être mis d'accord : quels pouvoirs aux régions ? A l'Union ? A une éventuelle fédération ? En laissant quels pouvoirs aux Etats-nations ? Pour tous les Etats-membres ou pour une avant-garde ? Quelle organisation des pouvoirs au sein de l'Union ? Bref toutes les questions que j'ai formulées après le discours de Joschka Fischer et auxquelles personne jusqu'ici n'a pu répondre. Et comment répondre à ces questions assez clairement pour que ce ne soit pas demain un tribunal constitutionnel qui gouverne l'Europe en tranchant en permanence d'inextricables conflits de compétences ? Les projets de constitution vont foisonner et il n'y en aura pas deux semblables ! Vous voyez qu'il faut préparer cette phase ultérieure de nos débats avec sérieux et il n'est pas trop tôt pour y réfléchir.
Q - Beaucoup pensent que nous sommes allés trop loin en matière d'élargissement.
R - Beaucoup de Français, peut-être, mais pas les autres Européens pour qui l'élargissement, on nous le répète à l'envi, doit être une " priorité ". Après que les pays d'Europe centrale et orientale ont retrouvé ou construit la démocratie, comment pourriez-vous leur dire qu'ils n'ont pas vocation à entrer dans l'Europe ? C'est impossible ! Il n'empêche qu'il faut négocier sérieusement et réussir ce nouvel élargissement.
Q - Ces réserves sont donc purement françaises ?
R - Pas uniquement. D'autres Etats-membres expriment leurs craintes de perdre après l'élargissement certains bénéfices des politiques communes, notamment les fonds structurels, qui sont essentiels pour des pays tels que le Portugal, l'Espagne ou la Grèce.
Contrairement aux pays qui font de l'élargissement la seule priorité, la France plaide pour le renforcement de l'Europe afin qu'elle devienne la puissance que nous voulons bâtir et dont nous pensons que le monde a besoin, y compris d'ailleurs les pays candidats. Cela passe par la réussite simultanée de l'élargissement et de la réforme des institutions.
Q - En lisant votre livre, on a l'impression parfois que vous enviez le rôle de Madeleine Albright...
R - Non, je suis bien trop français pour cela! S'il y a un pays qui me fascine, c'est la France. J'éprouve néanmoins une grande curiosité et souvent de la sympathie pour les Etats-Unis. Je trouvais stérile une certaine tradition diplomatique issue d'une dénaturation du gaullisme qui nous assignait la guérilla permanente avec eux comme un objectif en soi. Sans autres effets que d'agacer nos partenaires européens et nous priver de multiples alliances utiles dans le reste du monde.
Q - Il n'empêche que vous avez été le seul à ne pas signer la déclaration finale de la Convention de Varsovie...
R - Parce qu'il faut savoir aussi leur résister, même seuls, quand ils exagèrent !
A Varsovie, ils avaient fait convoquer par les Polonais une conférence intitulée " Vers une communauté des démocraties ". Comment être contre ? Seulement il se révèle que les Américains ont fixé tout seul la liste des invités et des exclus, et rédigé seuls le projet de communiqué final. Surtout, celui-ci proclamait la création d'une sorte de " club " au sein de l'ONU, sans doute pour donner à ses membres des directives... dont on voit qui les aurait rédigées. Je ne pouvais pas y souscrire.
Q - Y a-t-il un bonheur d'être français pour un ministre des affaires étrangères?
R - Oui, celui de vérifier, en toutes circonstances, à quel point il y a encore partout dans le monde un désir de France ...qui reste beaucoup plus fort que les Français ne le croient eux-mêmes ! Notre pays suscite l'agacement mais aussi l'intérêt, la curiosité, la sympathie, l'admiration, l'amour. Il ne s'agit pas d'un attachement passéiste : j'en veux pour preuve le nombre inégalé de touristes qui veulent voir la France d'aujourd'hui. Les Français devraient être confiants au regard des attentes de tous ceux qui se reconnaissent dans notre combat pour la diversité culturelle et linguistique et pour un monde multipolaire plutôt qu'unipolaire. Croyez-moi, nous avons de nombreuses cartes en main, et de vrais atouts !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)