Texte intégral
Radio Classique - 8h17
Le 21 mai 2003
H. Lauret-. Bonjour X. Darcos.
- "Bonjour."
Depuis hier soir, les syndicats défilent dans vos bureaux, rue de Grenelle, et si l'on en croit les représentants de ces syndicats, UNSA, la FSU, d'une part rien ne bouge vraiment et surtout on va tout droit à un clash majeur. Alors de votre côté avec L. Ferry, vous semblez jouer la fermeté face aux enseignants, première question, jusqu'où, jusqu'à quand pourrez-vous tenir ?
- "Il y a deux aspects. Nous sommes assez fermes en ce qui concerne l'immédiat, nous souhaitons que.."
L'immédiat, pas les médias ?
- "L'immédiat, les choses immédiates. C'est-à-dire que nous souhaitons que les examens de fin d'année qui commencent à se profiler puissent se dérouler normalement, et d'ailleurs les syndicats sont d'accord, l'opinion ne comprendrait pas que l'on empêche les élèves de passer leurs examens et leurs concours, ils en ont besoin pour le mois de juillet."
Ça c'est fait à Toulouse.
- "Oui justement, donc nous sommes très vigilants sur cela. Alors il y a cet aspect, je dirais, donc de l'immédiateté, et puis il y a le débat de fond pour savoir comment nous pouvons faire évoluer les dossiers sur lesquels nous sommes actuellement très crispés et la discussion d'hier a quand même été une discussion assez riche. Nous avons essayé de recenser avec les partenaires syndicaux ce qui faisait blocage et nous le portons mardi au Comité interministériel pour voir ce que l'on décide."
Qui va traiter de l'avenir des métiers des enseignants.
- "Oui c'est la thématique, mais enfin l'essentiel est qu'un Comité interministériel présidé par le Premier ministre, marquant l'intérêt du Gouvernement sur le sujet, se saisisse des dossiers qui concernent l'Education et propose des pistes de travail."
Quels sont les sujets de crispation, les vrais sujets de crispation ?
- "Les vrais sujets de crispation ils sont nombreux, mais enfin les trois principaux c'est évidemment cette impression que le budget est toujours un peu serré, il n'en est rien en fait, c'est de loin le premier budget de la Nation et les arbitrages du mois d'août ne sont pas faits, mais enfin il y a toujours ce sentiment qu'on en fait pas assez sur le plan budgétaire."
Vous voulez dire que les arbitrages du mois d'août pourraient éventuellement améliorer la situation budgétaire de l'Education nationale ?
- "Non je ne crois pas, je ne crois pas qu'il soit souhaitable de renouer avec la logique du toujours plus, il faut faire du toujours mieux, mais enfin il y a ce sujet. Le deuxième sujet, c'est celui des retraites..."
Alors, dans ce domaine ?
- "Les enseignants ont le sentiment que le dossier des retraites les touche de plein fouet parce que c'est vrai que les fins de carrière pour quelqu'un qui est en situation d'enseigner, qui est devant des élèves, devant des jeunes, ils sont un petit peu difficiles c'est vrai. C'est un métier qui est assez pénible et surtout qui s'adresse à un public qui évolue, qui change, et il y a un âge où vous vous dites quand même, je n'en peux plus."
Justement, X. Darcos, est-ce qu'on peut revisiter un peu cette réforme, aménager par exemple le dispositif des retraites et faire une exception pour ces enseignants ... ?
- "Non il ne faut pas faire une exception. Les principes généraux ont été fixés, ce qu'il faut c'est, à l'intérieur même de notre ministère ou à l'intérieur de la Fonction publique, trouver des solutions, par exemple on peut imaginer des rachats d'années d'études, on peut imaginer une mobilité en fin de carrière à l'intérieur de la Fonction publique, on peut imaginer des systèmes de cessation progressive d'activité."
Vous l'avez proposé formellement aux syndicats ?
- "Non, nous ne l'avons pas proposé formellement parce que rien n'est acté encore, mais ce que nous avons indiqué, c'est que nous sommes d'accord, une fois que les principes généraux fixés par F. Fillon, acquis pour tous, nous sommes d'accord pour ouvrir une discussion très large, pour avoir un groupe de travail sur ça, pour faire en sorte que les fins de carrière soient traitées. Et puis le troisième grand sujet..."
C'est la décentralisation.
- "C'est la décentralisation bien entendu."
Mais là, ça touche au projet de loi Raffarin, c'est-à-dire au grand grand grand projet du Premier ministre.
- "Reculer totalement sur la décentralisation à l'école, ça signifie quand même reculer sur l'essentiel des transferts vers les collectivités locales des fonctionnaires de statut national, puis de statut public, puisque ça représente à peu près chez nous 110 000. Alors c'est vrai que les syndicats en font un préalable pour l'instant, mais enfin c'est normal, nous sommes dans la négociation, ils ne vont pas nous dire tout de suite on ne vous demande rien, ils nous disent : Retirez le principe des transferts des personnels. Alors évidemment pour l'instant, nous ne sommes pas..."
Mais est-ce que c'est si important X. Darcos ? Je veux dire au-delà de la symbolique que vous venez d'évoquer, est-ce que c'est si important de transférer ces 110 000 salariés, non-enseignants, je le rappelle, vers les régions ?
- "Nous croyons que c'est un moyen de moderniser l'Etat, que c'est un levier important parce que nous voyons bien que les collectivités locales ont une réactivité, une capacité à faire le service public qui est quand même bien supérieure à celle d'une grande machine comme la nôtre, il n'est pas normal que ce soit depuis la rue de Grenelle que l'on pilote des agents techniques à Rodez ou à Saint-Flour."
Oui mais est-ce que ça vaut la peine de faire avorter une réforme de fond sur un sujet comme celui-ci ?
- "Peut-être que nous conduisons trop de réformes à la fois. On peut de toute façon ouvrir là aussi une négociation - car nous négocions - d'autant que le transfert des personnels en terme de décentralisation, ce n'est pas pour tout de suite tout de suite. La loi, au mieux, sera votée à la fin de l'année en deuxième lecture, il y aura des décrets d'application qui seront pris dans les premières semaines de 2004, donc pour nous ça veut dire sept ans, 2004 au mieux, et je pense même, vu la complexité du dispositif, que ça va plutôt vers septembre 2005 parce que nous, nous parlons en terme d'années scolaires. Je trouve donc que nous avons du temps pour nous, d'autant que la loi elle-même prévoit qu'on puisse expérimenter, que l'on puisse éventuellement revenir en arrière par rapport à des expérimentations, donc on peut peut-être essayer de proposer un petit plan d'attaque qui ne soit pas systématique, qui ne soit pas un basculement systématique."
Ce qui est assez troublant, c'est qu'on a l'impression qu'il y a beaucoup de grains à moudre, il y a beaucoup de matières à négociations, mais qu'au fond ce n'est peut-être pas le sujet. Le sujet, est-ce que ce n'est pas plutôt le malaise généralisé des enseignants, qui n'est quand même pas nouveau.
- "Qui n'est pas nouveau, non."
Et puis peut-être aussi la manière dont, pardon de vous le dire, le ministre Ferry, qui est un peu la tête de Turc aujourd'hui des enseignants comme l'avait été C. Allègre, a pris les choses. On parle clairement, quand on entend les syndicats, ils vous disent, on nous a fait le coup du mépris, on nous a traité de façon désinvolte. Est-ce que c'est pas ça ? donc c'est une affaire de gouvernance politique après tout non ?
- "Qu'il y ait un malaise très ancien, c'est certain, peut-être nous n'avons pas assez mesuré - il faut que nous fassions là aussi notre mea culpa, nous n'avons pas vu - à quel point ces professeurs souffraient et comment leur vision de leur propre métier se dégradait. C'est bien pour cela que le Premier ministre, prenant les choses en main, avec beaucoup d'énergie, dit que ce Comité interministériel soit consacré aux métiers d'éducation, c'est-à-dire en fait surtout au métier des enseignants. Quant à L. Ferry, c'est vrai que le ministre de l'Education nationale est toujours très exposé, c'est un ministère où il y a énormément de fonctionnaires, sans aucun doute il y a aujourd'hui une fixation sur le ministre, mais ça a toujours été comme ça. Moi j'étais directeur.."
Non, ça n'a pas été. F. Bayrou n'a pas été... personne n'a réclamé la tête de F. Bayrou, personne n'avait réclamé la tête de J. Lang. Il y a des personnalités, ce n'est pas vous qui allez me dire le contraire. Tout le monde sait que vous avez alerté sur les voies et moyens de traiter cette question de l'Education nationale, vous avez alerté au plus haut niveau du reste, apparemment on ne vous a pas entendu. Alors, la question que j'ai envie de vous poser c'est : pourquoi ?
- "Je crois que l'analyse générale que faisait L. Ferry du système, son analyse théorique, intellectuelle, la bataille intellectuelle qu'il a voulue conduire est bonne, ses analyses sont bonnes."
C'est une bataille d'intellectuels précisément.
- "Mais le ministère de l'Education nationale c'est surtout un ministère de gestion, on gère énormément de personnes.."
Donc c'est de la politique.
- "C'est de la politique, c'est de la gestion des hommes, et le management des hommes très souvent, hélas, occulte les idées."
Dans ce que vous disiez tout à l'heure, il y a quelque chose qui est frappant, on a tendance à l'oublier : il y a trois semaines pour réussir cette réforme. D'ici au Bac, il faut impérativement trouver les voies et moyens de la négociation et puis de ramener le calme, au-delà il y a un vrai problème politique. Est-ce que, au fond, ça ne serait pas plus simple que le ministre Ferry démissionne ?
- "Ah écoutez ça, c'est des questions auxquelles je ne peux pas répondre. "
Au moins pour décrisper la situation.
- "Je pense que la démission devant la difficulté n'est pas la solution à quoi que ce soit et je ne pense pas que ce soit dans le caractère de L. Ferry. En tous les cas, ce n'est pas ce que dit le Premier ministre qui souhaite que ses ministres restent au travail.."
Aujourd'hui.
- "Il faut que nous passions l'épreuve actuelle, il faut que les examens se déroulent, ensuite nous nous retrouverons au mois de juillet, nous serons là dans la discussion budgétaire, nous verrons comment les choses se présentent et puis à la rentrée, je pense que le calme sera revenu. Il faut parier sur la raison de nos partenaires syndicaux et il faut parier sur notre capacité à faire une véritable discussion, une véritable négociation avec nos personnels de sorte qu'ils n'aient pas le sentiment que tout est décidé, tout est plié d'avance."
Donc on ne retire pas la réforme, X. Darcos, on ne lâche pas sur tout et n'importe quoi, si je vous comprends bien, mais on voit bien qu'il y a une sorte d'effet d'entraînement là, il y a une rébellion plus ou moins organisée des fonctionnaires contre notamment la réforme des retraites. Il y a des menaces de grève à répétition dans les transports publics. Est-ce que le Premier ministre peut tenir bon, est-ce qu'il est prêt à affronter la rue durablement, est-ce qu'on peut gouverner contre la rue des fonctionnaires, comme Juppé en 95 d'ailleurs ?
- "Je crois que la situation n'est pas comparable, moi-même j'étais conseiller du Premier ministre en 95, j'étais à Matignon, donc je me souviens bien de l'atmosphère de l'époque. L'atmosphère n'est pas comparable, les choses sont beaucoup plus diffuses. Je crois que de toute façon un gouvernement qui réforme, ce qui est le cas du gouvernement de J.-P. Raffarin, qui est un gouvernement courageux, qui fait des réformes que personne ne conteste qu'il faille faire."
Vous pensez auxquelles ?
- "Je pense aux retraites en particulier, et je pense sans aucun doute bientôt au problème de l'équilibre de la Sécurité sociale, ce sont des réformes qu'il faut faire bon gré mal gré. Serait-ce un autre gouvernement, y renoncerait-il pour autant ? donc il faut les faire. Alors évidemment, dans le moment."
Jospin a escamoté
- "Bien entendu, les socialistes qui, aujourd'hui, nous disent vous devriez le faire, vous le faites mal, je pense quand même qu'ils devraient avoir la pudeur au moins de se faire oublier, parce qu'ils avaient qu'à le faire avant nous."
Mais enfin reconnaissez, X. Darcos, qu'il n'est quand même pas simple de réformer dans ce pays, alors c'est assez simple quand on fait dans le domaine sociétal, je pense au PACS ou bien dans le domaine social quand il s'agit de redistribuer les acquis sociaux, là je pense aux 35 heures, mais ça paraît drôlement compliqué de faire de grandes réformes de structures qui renvoient justement aux acquis. Alors est-ce que la France est irréformable ?
- "Bien sûr que si la France est réformable, mais je pense que la période de Jospin a été calamiteuse de ce point de vue là, parce qu'on a fait du bricolage sociétal, on a fait des espèces de réformes de moeurs etc, qui, finalement, étaient sans importance, la société se régule elle-même, mais en revanche alors qu'on était en pleine croissance, qu'on engrangeait des capacités d'agir très importantes, on a dilapidé l'argent public à des folies comme les 35 heures etc."
Vous voyez bien que vous ne pouvez pas, vous n'avez pas le droit d'échouer dans ce processus de réforme.
- "Du coup, nous sommes, nous, vraiment le dos au mur parce que ces réformes sont nécessaires, dans un contexte budgétaire difficile et, sauf être des politiques irresponsables et sauf surtout à ne pas faire ce que nous avions promis, ce qui n'est pas le genre du gouvernement de J.-P. Raffarin."
On entend pas beaucoup le Président de la République.
- "Mais le Président de la République, je vous assure, manifeste, chaque fois qu'il le faut, son soutien au Premier ministre, mais le Président de la République il est Président de la République, il a à gérer l'image de la France, les grandes affaires internationales, à fixer les caps, ils les a fixés et en particulier, il a clairement fixé le cap réformiste que le gouvernement de J.-P. Raffarin n'a pas l'intention d'abandonner."
D'un mot, X. Darcos, c'est fatigant la Realpolitik à Paris, vous qui êtes de Périgueux ?
- "On ne peut pas dire que ce soit de tout repos, Dieu merci tous les week-ends, tous les samedis et dimanches ou presque tous.."
Vous retournez à Périgueux.
- "Où je retrouve d'ailleurs parfois quelques contestataires qui m'accueillent avec des cornes de brume et quelques slogans, mais c'est bon enfant et je crois qu'il est très important qu'un ministre retrouve, ne serait-ce que 24 heures, les vrais gens j'allais dire, la France d'en bas, la France profonde, qui nous dit : battez-vous, continuez, on sait que c'est difficile mais on sait que vous travaillez pour le bien général."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 mai 2003)
France 2 - 7h40
Le 22 mai 2003
R. Sicard-. L'Education nationale est une nouvelle fois en grève aujourd'hui. Les parents et les élèves commencent à s'inquiéter, les enseignants semblent très mobilisés. Le moment n'est-il pas venu de faire des concessions pour tenter de dénouer la crise ?
- "En tous les cas, le moment est venu de discuter, d'échanger, de parler, c'est ce que nous faisons. Comme vous le savez, L. Ferry et moi-même nous recevons depuis quelques jours déjà maintenant, l'ensemble des organisations représentatives, des personnels. Nous voyons avec eux les points de blocage, nous essayons de faire des repères de ces grands points de blocage. Et surtout, mardi prochain, le Premier ministre lui-même présidera un Comité interministériel, au cours duquel nous présenterons ces grands points de blocage qui ont été repérés, avec nos personnels. Et nous verrons les voies et moyens pour essayer de sortir de cet affrontement stérile, qui nuit beaucoup comme vous le savez, non seulement évidemment à nos établissements, mais qui commence à inquiéter les élèves qui ont bientôt des examens."
Il y a un vrai point de blocage, c'est celui de la décentralisation qui prévoit de faire passer à peu près 100 000 personnels non enseignants sous l'autorité des collectivités locales. Est-ce que, là-dessus, vous êtes prêts à faire des concessions, êtes-vous prêts à reculer le projet, êtes vous prêts à l'abandonner ?
- "Non, il ne faut pas abandonner le projet de réforme. Ce gouvernement est un gouvernement réformateur. La question n'est pas de savoir s'il faut réformer ou pas. Il faut réformer. Et j'ajoute que la décentralisation, ce n'est pas, comme je l'entends dire, le démantèlement ou la privatisation. Que je sache, les socialistes en 1981, monsieur Defferre, ou monsieur Mauroy, qui a fait un rapport en ce sens, lorsqu'ils parlaient de décentralisation, ils n'y voyaient nullement un abandon des missions de l'Etat. Cependant, nous voyons bien qu'il y a, sur ce sujet comme sur d'autres, de grandes résistances, des incompréhensions, et je crois qu'il faut que la réforme se fasse, mais le Gouvernement n'est pas autiste. Il faut qu'elle se fasse peut-être dans de meilleurs délais, il faut que nous voyons quelles sont les modalités, et dans le temps et, je dirais, dans les rapports humains qui permettront de la rendre acceptable."
Ca veut dire que la réforme pourrait intervenir plus tard que ce qui était prévu ?
- "De toute façon, pour ce qui concerne l'Education nationale, la décentralisation, ce n'est pas dans les trois jours qu'elle va se faire, ce n'est pas à la rentrée prochaine. Au mieux, la loi sera applicable au début de 2004. La rentrée scolaire pour nous, c'est septembre 2004, ce sera très compliqué de mettre cela en place, avant. Je pense même que nous sommes plutôt dans les délais de septembre 2005. Donc, nous avons là, des délais pour en discuter, et puis nous verrons, en effet, si le Gouvernement considère qu'il faut, sur tel ou tel point, modifier le projet, il le fera. Nous voulons réformer, nous pensons que c'est nécessaire, nous le faisons dans l'intérêt du pays. Evidemment ce n'est pas pour embêter notre personnel que nous faisons cela. C'est parce que nous pensons que le service public sera mieux rendu en proximité, au plus près des gens. Mais si vraiment cela doit créer de telles tensions que l'ensemble des projets du Gouvernement soit immobilisé, eh bien évidemment, nous donnerons un peu de temps et nous en discuterons."
Beaucoup de députés de l'UMP vous pressent justement de faire des concessions sur ce point, et certains disent que la question n'est plus vraiment de savoir si on va reculer sur ce sujet mais quand on va reculer ?
- "Je ne sais pas si les députés de l'UMP disent cela. Il y a un journal qui l'a dit, lequel journal n'est pas, je crois, que je sache, le porte-parole de l'UMP."
Vous démentez ?
- "Je ne démens pas, je dis simplement que rien d'officiel, de cette sorte, n'a été encore exprimé. Il y a évidemment des gens qui réfléchissent, qui disent qu'il faut sortir de cette crise. On ne va pas voir, d'un côté, des personnels qui sont dans la rue, qui sont en grève, qui sont arc-boutés, et puis de l'autre côté, un Gouvernement qui fermerait ses oreilles, qui dit : je ne veux pas savoir, ça sera comme ça et puis c'est tout ! Ce n'est pas ainsi que les choses se jouent. Les députés UMP, les élus, je suis moi-même un élu, qui tous les jours rencontrent des citoyens, ils voient bien que cette situation devient insupportable pour tout le monde."
Donc, vous dites aux enseignants : on peut attendre, on va attendre ?
- "Je ne dis rien de cet ordre, j'attends mardi pour voir ce que le Premier ministre souhaitera et décidera. Je dis simplement qu'il faut que nous sortions de cette crise, parce que dans tout cela, ceux qui sont pénalisés ce ne sont pas seulement les professeurs, ce ne sont pas seulement les citoyens, mais ce qui est plus grave, ce sont les élèves. Les lycéens et les élèves de France ne sont pas les grands gagnants de ces grèves à répétition, de ces cours qui n'ont pas lieu. Ils commencent à s'inquiéter pour les examens. Nous devons sortir de la crise parce que c'est l'intérêt des jeunes. L'Education nationale est faite pour les élèves."
Justement, vous parlez des examens. Effectivement, beaucoup d'élèves commencent à s'inquiéter parce que, dans certains établissements, la grève dure depuis sept semaines, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu de troisième trimestre. Est-ce que là, les examens pourront se passer normalement ?
- "Je crois que les examens se passeront normalement parce que je connais bien les professeurs, je suis moi-même un enseignant, j'ai enseigné pendant plus de 25 ans, je sais comment pensent et réagissent les professeurs de France, ils n'accepteront pas que les examens soient boycottés, c'est pas dans leur nature, c'est pas dans leur sens du devoir."
Oui mais les élèves seront-ils prêts, compte tenu de tous les jours de classe qui ont manqué ?
- "Evidemment, il y a eu quelques cours qui ont manqué, il y a aussi des professeurs, même grévistes, qui ont quand même fait leurs cours, il faut le savoir. Je crois que la continuité du service public a été à peu près sauvegardée. Et je crois que rien d'irréparable n'a été commis. Et je crois que les élèves, quand même, pourront passer leurs examens dans des conditions normales. Mais de fait, ils auront une année un peu difficile, bousculée. Je le répète, c'est pour eux que c'est le plus dommage."
Le deuxième point de blocage ce sont les retraites. C'est vrai que les enseignants sont parmi les principaux pénalisés par la réforme des retraites, puisqu'ils vont devoir cotiser jusqu'à 42 ans de cotisation. Sur ce point, y a-t-il des aménagements possibles ?
- "Les enseignants ne vont pas devoir cotiser pendant 42 ans. Ils vont devoir, à partir de 2008, voir leur temps de cotisation augmenter jusqu'à 40 ans maximum. Ce qui est certain, c'est que la fin de carrière d'un enseignant est une période un peu difficile, fatigante. Les élèves changent très vite, les mentalités évoluent très rapidement et les professeurs au bout d'un moment commencent par avoir un peu de peine, à être complètement dans la phase..."
Les professeurs disent : on ne peut pas enseigner en maternelle jusqu'à 65 ans.
- "Je crois que c'est vrai dans une certaine mesure. Ce que nous voulons voir avec eux, une fois que les grands principes des retraites sont fixés, nous voulons voir comment ils peuvent s'appliquer pratiquement. Les fonctionnaires seront tous traités de la même façon, et les professeurs devront accepter d'être comme tous les autres fonctionnaires. Mais, nous pouvons trouver pour les fins de carrière des aménagements. Vous savez qu'on envisage des rachats d'années d'études, on envisage, on a remis dans la loi, la cessation progressive d'activité, on envisage aussi, et je crois que c'est très intéressant pour des professeurs en fin de carrière, une mobilité à l'intérieur de la fonction public - qu'un professeur puisse, pour les dernières années de sa vie avoir des activités qui ne soient pas strictement d'être en face d'élèves. Il y a là un champ de discussion très important, que nous allons tenir, et tout ceci commence en 2008 je le rappelle, nous avons quand même le temps d'y réfléchir aussi. Ce n'est pas dans trois jours que tout va s'installer. Donc, nous allons parler, et je suis certain que nous pouvons trouver des aménagements."
L. Ferry, le ministre de l'Education, évoque dans un entretien à Paris-Match, la possibilité de démissionner. Il dit : "Si ma démission pouvait servir à quelque chose, je le ferais". Avez-vous l'impression que c'est la solution ?
- "Je crois que ce n'est vraiment pas le moment de reculer. Et je ne souhaite pas que L. Ferry démissionne, bien entendu. Au contraire, il faut que nous soyons tous les deux au coude à coude, que nous fassions bloc. Ce n'est pas l'affaire d'une personne tout cela, c'est l'affaire du Gouvernement. Nous sommes un Gouvernement qui a refusé d'être conservateur, qui a décidé de réformer. Alors, réformer c'est jamais facile. On pourrait être, comme ça immobiles, attendre que ça passe, et dire à tous ceux qui refusent les réformes : vous avez raison. Il faut rester décidément réformateurs, mais il faut le faire d'une manière qui soit acceptable. Il ne faut pas braquer contre nous l'opinion et la population. Et je le répète, L. Ferry et moi-même, membres du Gouvernement de J.-P. Raffarin, nous sommes là pour essayer de sortir de cette crise et non pas pour quitter le bateau lorsqu'il commence à avoir un peu de tangage."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 mai 2003)
Le 21 mai 2003
H. Lauret-. Bonjour X. Darcos.
- "Bonjour."
Depuis hier soir, les syndicats défilent dans vos bureaux, rue de Grenelle, et si l'on en croit les représentants de ces syndicats, UNSA, la FSU, d'une part rien ne bouge vraiment et surtout on va tout droit à un clash majeur. Alors de votre côté avec L. Ferry, vous semblez jouer la fermeté face aux enseignants, première question, jusqu'où, jusqu'à quand pourrez-vous tenir ?
- "Il y a deux aspects. Nous sommes assez fermes en ce qui concerne l'immédiat, nous souhaitons que.."
L'immédiat, pas les médias ?
- "L'immédiat, les choses immédiates. C'est-à-dire que nous souhaitons que les examens de fin d'année qui commencent à se profiler puissent se dérouler normalement, et d'ailleurs les syndicats sont d'accord, l'opinion ne comprendrait pas que l'on empêche les élèves de passer leurs examens et leurs concours, ils en ont besoin pour le mois de juillet."
Ça c'est fait à Toulouse.
- "Oui justement, donc nous sommes très vigilants sur cela. Alors il y a cet aspect, je dirais, donc de l'immédiateté, et puis il y a le débat de fond pour savoir comment nous pouvons faire évoluer les dossiers sur lesquels nous sommes actuellement très crispés et la discussion d'hier a quand même été une discussion assez riche. Nous avons essayé de recenser avec les partenaires syndicaux ce qui faisait blocage et nous le portons mardi au Comité interministériel pour voir ce que l'on décide."
Qui va traiter de l'avenir des métiers des enseignants.
- "Oui c'est la thématique, mais enfin l'essentiel est qu'un Comité interministériel présidé par le Premier ministre, marquant l'intérêt du Gouvernement sur le sujet, se saisisse des dossiers qui concernent l'Education et propose des pistes de travail."
Quels sont les sujets de crispation, les vrais sujets de crispation ?
- "Les vrais sujets de crispation ils sont nombreux, mais enfin les trois principaux c'est évidemment cette impression que le budget est toujours un peu serré, il n'en est rien en fait, c'est de loin le premier budget de la Nation et les arbitrages du mois d'août ne sont pas faits, mais enfin il y a toujours ce sentiment qu'on en fait pas assez sur le plan budgétaire."
Vous voulez dire que les arbitrages du mois d'août pourraient éventuellement améliorer la situation budgétaire de l'Education nationale ?
- "Non je ne crois pas, je ne crois pas qu'il soit souhaitable de renouer avec la logique du toujours plus, il faut faire du toujours mieux, mais enfin il y a ce sujet. Le deuxième sujet, c'est celui des retraites..."
Alors, dans ce domaine ?
- "Les enseignants ont le sentiment que le dossier des retraites les touche de plein fouet parce que c'est vrai que les fins de carrière pour quelqu'un qui est en situation d'enseigner, qui est devant des élèves, devant des jeunes, ils sont un petit peu difficiles c'est vrai. C'est un métier qui est assez pénible et surtout qui s'adresse à un public qui évolue, qui change, et il y a un âge où vous vous dites quand même, je n'en peux plus."
Justement, X. Darcos, est-ce qu'on peut revisiter un peu cette réforme, aménager par exemple le dispositif des retraites et faire une exception pour ces enseignants ... ?
- "Non il ne faut pas faire une exception. Les principes généraux ont été fixés, ce qu'il faut c'est, à l'intérieur même de notre ministère ou à l'intérieur de la Fonction publique, trouver des solutions, par exemple on peut imaginer des rachats d'années d'études, on peut imaginer une mobilité en fin de carrière à l'intérieur de la Fonction publique, on peut imaginer des systèmes de cessation progressive d'activité."
Vous l'avez proposé formellement aux syndicats ?
- "Non, nous ne l'avons pas proposé formellement parce que rien n'est acté encore, mais ce que nous avons indiqué, c'est que nous sommes d'accord, une fois que les principes généraux fixés par F. Fillon, acquis pour tous, nous sommes d'accord pour ouvrir une discussion très large, pour avoir un groupe de travail sur ça, pour faire en sorte que les fins de carrière soient traitées. Et puis le troisième grand sujet..."
C'est la décentralisation.
- "C'est la décentralisation bien entendu."
Mais là, ça touche au projet de loi Raffarin, c'est-à-dire au grand grand grand projet du Premier ministre.
- "Reculer totalement sur la décentralisation à l'école, ça signifie quand même reculer sur l'essentiel des transferts vers les collectivités locales des fonctionnaires de statut national, puis de statut public, puisque ça représente à peu près chez nous 110 000. Alors c'est vrai que les syndicats en font un préalable pour l'instant, mais enfin c'est normal, nous sommes dans la négociation, ils ne vont pas nous dire tout de suite on ne vous demande rien, ils nous disent : Retirez le principe des transferts des personnels. Alors évidemment pour l'instant, nous ne sommes pas..."
Mais est-ce que c'est si important X. Darcos ? Je veux dire au-delà de la symbolique que vous venez d'évoquer, est-ce que c'est si important de transférer ces 110 000 salariés, non-enseignants, je le rappelle, vers les régions ?
- "Nous croyons que c'est un moyen de moderniser l'Etat, que c'est un levier important parce que nous voyons bien que les collectivités locales ont une réactivité, une capacité à faire le service public qui est quand même bien supérieure à celle d'une grande machine comme la nôtre, il n'est pas normal que ce soit depuis la rue de Grenelle que l'on pilote des agents techniques à Rodez ou à Saint-Flour."
Oui mais est-ce que ça vaut la peine de faire avorter une réforme de fond sur un sujet comme celui-ci ?
- "Peut-être que nous conduisons trop de réformes à la fois. On peut de toute façon ouvrir là aussi une négociation - car nous négocions - d'autant que le transfert des personnels en terme de décentralisation, ce n'est pas pour tout de suite tout de suite. La loi, au mieux, sera votée à la fin de l'année en deuxième lecture, il y aura des décrets d'application qui seront pris dans les premières semaines de 2004, donc pour nous ça veut dire sept ans, 2004 au mieux, et je pense même, vu la complexité du dispositif, que ça va plutôt vers septembre 2005 parce que nous, nous parlons en terme d'années scolaires. Je trouve donc que nous avons du temps pour nous, d'autant que la loi elle-même prévoit qu'on puisse expérimenter, que l'on puisse éventuellement revenir en arrière par rapport à des expérimentations, donc on peut peut-être essayer de proposer un petit plan d'attaque qui ne soit pas systématique, qui ne soit pas un basculement systématique."
Ce qui est assez troublant, c'est qu'on a l'impression qu'il y a beaucoup de grains à moudre, il y a beaucoup de matières à négociations, mais qu'au fond ce n'est peut-être pas le sujet. Le sujet, est-ce que ce n'est pas plutôt le malaise généralisé des enseignants, qui n'est quand même pas nouveau.
- "Qui n'est pas nouveau, non."
Et puis peut-être aussi la manière dont, pardon de vous le dire, le ministre Ferry, qui est un peu la tête de Turc aujourd'hui des enseignants comme l'avait été C. Allègre, a pris les choses. On parle clairement, quand on entend les syndicats, ils vous disent, on nous a fait le coup du mépris, on nous a traité de façon désinvolte. Est-ce que c'est pas ça ? donc c'est une affaire de gouvernance politique après tout non ?
- "Qu'il y ait un malaise très ancien, c'est certain, peut-être nous n'avons pas assez mesuré - il faut que nous fassions là aussi notre mea culpa, nous n'avons pas vu - à quel point ces professeurs souffraient et comment leur vision de leur propre métier se dégradait. C'est bien pour cela que le Premier ministre, prenant les choses en main, avec beaucoup d'énergie, dit que ce Comité interministériel soit consacré aux métiers d'éducation, c'est-à-dire en fait surtout au métier des enseignants. Quant à L. Ferry, c'est vrai que le ministre de l'Education nationale est toujours très exposé, c'est un ministère où il y a énormément de fonctionnaires, sans aucun doute il y a aujourd'hui une fixation sur le ministre, mais ça a toujours été comme ça. Moi j'étais directeur.."
Non, ça n'a pas été. F. Bayrou n'a pas été... personne n'a réclamé la tête de F. Bayrou, personne n'avait réclamé la tête de J. Lang. Il y a des personnalités, ce n'est pas vous qui allez me dire le contraire. Tout le monde sait que vous avez alerté sur les voies et moyens de traiter cette question de l'Education nationale, vous avez alerté au plus haut niveau du reste, apparemment on ne vous a pas entendu. Alors, la question que j'ai envie de vous poser c'est : pourquoi ?
- "Je crois que l'analyse générale que faisait L. Ferry du système, son analyse théorique, intellectuelle, la bataille intellectuelle qu'il a voulue conduire est bonne, ses analyses sont bonnes."
C'est une bataille d'intellectuels précisément.
- "Mais le ministère de l'Education nationale c'est surtout un ministère de gestion, on gère énormément de personnes.."
Donc c'est de la politique.
- "C'est de la politique, c'est de la gestion des hommes, et le management des hommes très souvent, hélas, occulte les idées."
Dans ce que vous disiez tout à l'heure, il y a quelque chose qui est frappant, on a tendance à l'oublier : il y a trois semaines pour réussir cette réforme. D'ici au Bac, il faut impérativement trouver les voies et moyens de la négociation et puis de ramener le calme, au-delà il y a un vrai problème politique. Est-ce que, au fond, ça ne serait pas plus simple que le ministre Ferry démissionne ?
- "Ah écoutez ça, c'est des questions auxquelles je ne peux pas répondre. "
Au moins pour décrisper la situation.
- "Je pense que la démission devant la difficulté n'est pas la solution à quoi que ce soit et je ne pense pas que ce soit dans le caractère de L. Ferry. En tous les cas, ce n'est pas ce que dit le Premier ministre qui souhaite que ses ministres restent au travail.."
Aujourd'hui.
- "Il faut que nous passions l'épreuve actuelle, il faut que les examens se déroulent, ensuite nous nous retrouverons au mois de juillet, nous serons là dans la discussion budgétaire, nous verrons comment les choses se présentent et puis à la rentrée, je pense que le calme sera revenu. Il faut parier sur la raison de nos partenaires syndicaux et il faut parier sur notre capacité à faire une véritable discussion, une véritable négociation avec nos personnels de sorte qu'ils n'aient pas le sentiment que tout est décidé, tout est plié d'avance."
Donc on ne retire pas la réforme, X. Darcos, on ne lâche pas sur tout et n'importe quoi, si je vous comprends bien, mais on voit bien qu'il y a une sorte d'effet d'entraînement là, il y a une rébellion plus ou moins organisée des fonctionnaires contre notamment la réforme des retraites. Il y a des menaces de grève à répétition dans les transports publics. Est-ce que le Premier ministre peut tenir bon, est-ce qu'il est prêt à affronter la rue durablement, est-ce qu'on peut gouverner contre la rue des fonctionnaires, comme Juppé en 95 d'ailleurs ?
- "Je crois que la situation n'est pas comparable, moi-même j'étais conseiller du Premier ministre en 95, j'étais à Matignon, donc je me souviens bien de l'atmosphère de l'époque. L'atmosphère n'est pas comparable, les choses sont beaucoup plus diffuses. Je crois que de toute façon un gouvernement qui réforme, ce qui est le cas du gouvernement de J.-P. Raffarin, qui est un gouvernement courageux, qui fait des réformes que personne ne conteste qu'il faille faire."
Vous pensez auxquelles ?
- "Je pense aux retraites en particulier, et je pense sans aucun doute bientôt au problème de l'équilibre de la Sécurité sociale, ce sont des réformes qu'il faut faire bon gré mal gré. Serait-ce un autre gouvernement, y renoncerait-il pour autant ? donc il faut les faire. Alors évidemment, dans le moment."
Jospin a escamoté
- "Bien entendu, les socialistes qui, aujourd'hui, nous disent vous devriez le faire, vous le faites mal, je pense quand même qu'ils devraient avoir la pudeur au moins de se faire oublier, parce qu'ils avaient qu'à le faire avant nous."
Mais enfin reconnaissez, X. Darcos, qu'il n'est quand même pas simple de réformer dans ce pays, alors c'est assez simple quand on fait dans le domaine sociétal, je pense au PACS ou bien dans le domaine social quand il s'agit de redistribuer les acquis sociaux, là je pense aux 35 heures, mais ça paraît drôlement compliqué de faire de grandes réformes de structures qui renvoient justement aux acquis. Alors est-ce que la France est irréformable ?
- "Bien sûr que si la France est réformable, mais je pense que la période de Jospin a été calamiteuse de ce point de vue là, parce qu'on a fait du bricolage sociétal, on a fait des espèces de réformes de moeurs etc, qui, finalement, étaient sans importance, la société se régule elle-même, mais en revanche alors qu'on était en pleine croissance, qu'on engrangeait des capacités d'agir très importantes, on a dilapidé l'argent public à des folies comme les 35 heures etc."
Vous voyez bien que vous ne pouvez pas, vous n'avez pas le droit d'échouer dans ce processus de réforme.
- "Du coup, nous sommes, nous, vraiment le dos au mur parce que ces réformes sont nécessaires, dans un contexte budgétaire difficile et, sauf être des politiques irresponsables et sauf surtout à ne pas faire ce que nous avions promis, ce qui n'est pas le genre du gouvernement de J.-P. Raffarin."
On entend pas beaucoup le Président de la République.
- "Mais le Président de la République, je vous assure, manifeste, chaque fois qu'il le faut, son soutien au Premier ministre, mais le Président de la République il est Président de la République, il a à gérer l'image de la France, les grandes affaires internationales, à fixer les caps, ils les a fixés et en particulier, il a clairement fixé le cap réformiste que le gouvernement de J.-P. Raffarin n'a pas l'intention d'abandonner."
D'un mot, X. Darcos, c'est fatigant la Realpolitik à Paris, vous qui êtes de Périgueux ?
- "On ne peut pas dire que ce soit de tout repos, Dieu merci tous les week-ends, tous les samedis et dimanches ou presque tous.."
Vous retournez à Périgueux.
- "Où je retrouve d'ailleurs parfois quelques contestataires qui m'accueillent avec des cornes de brume et quelques slogans, mais c'est bon enfant et je crois qu'il est très important qu'un ministre retrouve, ne serait-ce que 24 heures, les vrais gens j'allais dire, la France d'en bas, la France profonde, qui nous dit : battez-vous, continuez, on sait que c'est difficile mais on sait que vous travaillez pour le bien général."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 mai 2003)
France 2 - 7h40
Le 22 mai 2003
R. Sicard-. L'Education nationale est une nouvelle fois en grève aujourd'hui. Les parents et les élèves commencent à s'inquiéter, les enseignants semblent très mobilisés. Le moment n'est-il pas venu de faire des concessions pour tenter de dénouer la crise ?
- "En tous les cas, le moment est venu de discuter, d'échanger, de parler, c'est ce que nous faisons. Comme vous le savez, L. Ferry et moi-même nous recevons depuis quelques jours déjà maintenant, l'ensemble des organisations représentatives, des personnels. Nous voyons avec eux les points de blocage, nous essayons de faire des repères de ces grands points de blocage. Et surtout, mardi prochain, le Premier ministre lui-même présidera un Comité interministériel, au cours duquel nous présenterons ces grands points de blocage qui ont été repérés, avec nos personnels. Et nous verrons les voies et moyens pour essayer de sortir de cet affrontement stérile, qui nuit beaucoup comme vous le savez, non seulement évidemment à nos établissements, mais qui commence à inquiéter les élèves qui ont bientôt des examens."
Il y a un vrai point de blocage, c'est celui de la décentralisation qui prévoit de faire passer à peu près 100 000 personnels non enseignants sous l'autorité des collectivités locales. Est-ce que, là-dessus, vous êtes prêts à faire des concessions, êtes-vous prêts à reculer le projet, êtes vous prêts à l'abandonner ?
- "Non, il ne faut pas abandonner le projet de réforme. Ce gouvernement est un gouvernement réformateur. La question n'est pas de savoir s'il faut réformer ou pas. Il faut réformer. Et j'ajoute que la décentralisation, ce n'est pas, comme je l'entends dire, le démantèlement ou la privatisation. Que je sache, les socialistes en 1981, monsieur Defferre, ou monsieur Mauroy, qui a fait un rapport en ce sens, lorsqu'ils parlaient de décentralisation, ils n'y voyaient nullement un abandon des missions de l'Etat. Cependant, nous voyons bien qu'il y a, sur ce sujet comme sur d'autres, de grandes résistances, des incompréhensions, et je crois qu'il faut que la réforme se fasse, mais le Gouvernement n'est pas autiste. Il faut qu'elle se fasse peut-être dans de meilleurs délais, il faut que nous voyons quelles sont les modalités, et dans le temps et, je dirais, dans les rapports humains qui permettront de la rendre acceptable."
Ca veut dire que la réforme pourrait intervenir plus tard que ce qui était prévu ?
- "De toute façon, pour ce qui concerne l'Education nationale, la décentralisation, ce n'est pas dans les trois jours qu'elle va se faire, ce n'est pas à la rentrée prochaine. Au mieux, la loi sera applicable au début de 2004. La rentrée scolaire pour nous, c'est septembre 2004, ce sera très compliqué de mettre cela en place, avant. Je pense même que nous sommes plutôt dans les délais de septembre 2005. Donc, nous avons là, des délais pour en discuter, et puis nous verrons, en effet, si le Gouvernement considère qu'il faut, sur tel ou tel point, modifier le projet, il le fera. Nous voulons réformer, nous pensons que c'est nécessaire, nous le faisons dans l'intérêt du pays. Evidemment ce n'est pas pour embêter notre personnel que nous faisons cela. C'est parce que nous pensons que le service public sera mieux rendu en proximité, au plus près des gens. Mais si vraiment cela doit créer de telles tensions que l'ensemble des projets du Gouvernement soit immobilisé, eh bien évidemment, nous donnerons un peu de temps et nous en discuterons."
Beaucoup de députés de l'UMP vous pressent justement de faire des concessions sur ce point, et certains disent que la question n'est plus vraiment de savoir si on va reculer sur ce sujet mais quand on va reculer ?
- "Je ne sais pas si les députés de l'UMP disent cela. Il y a un journal qui l'a dit, lequel journal n'est pas, je crois, que je sache, le porte-parole de l'UMP."
Vous démentez ?
- "Je ne démens pas, je dis simplement que rien d'officiel, de cette sorte, n'a été encore exprimé. Il y a évidemment des gens qui réfléchissent, qui disent qu'il faut sortir de cette crise. On ne va pas voir, d'un côté, des personnels qui sont dans la rue, qui sont en grève, qui sont arc-boutés, et puis de l'autre côté, un Gouvernement qui fermerait ses oreilles, qui dit : je ne veux pas savoir, ça sera comme ça et puis c'est tout ! Ce n'est pas ainsi que les choses se jouent. Les députés UMP, les élus, je suis moi-même un élu, qui tous les jours rencontrent des citoyens, ils voient bien que cette situation devient insupportable pour tout le monde."
Donc, vous dites aux enseignants : on peut attendre, on va attendre ?
- "Je ne dis rien de cet ordre, j'attends mardi pour voir ce que le Premier ministre souhaitera et décidera. Je dis simplement qu'il faut que nous sortions de cette crise, parce que dans tout cela, ceux qui sont pénalisés ce ne sont pas seulement les professeurs, ce ne sont pas seulement les citoyens, mais ce qui est plus grave, ce sont les élèves. Les lycéens et les élèves de France ne sont pas les grands gagnants de ces grèves à répétition, de ces cours qui n'ont pas lieu. Ils commencent à s'inquiéter pour les examens. Nous devons sortir de la crise parce que c'est l'intérêt des jeunes. L'Education nationale est faite pour les élèves."
Justement, vous parlez des examens. Effectivement, beaucoup d'élèves commencent à s'inquiéter parce que, dans certains établissements, la grève dure depuis sept semaines, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu de troisième trimestre. Est-ce que là, les examens pourront se passer normalement ?
- "Je crois que les examens se passeront normalement parce que je connais bien les professeurs, je suis moi-même un enseignant, j'ai enseigné pendant plus de 25 ans, je sais comment pensent et réagissent les professeurs de France, ils n'accepteront pas que les examens soient boycottés, c'est pas dans leur nature, c'est pas dans leur sens du devoir."
Oui mais les élèves seront-ils prêts, compte tenu de tous les jours de classe qui ont manqué ?
- "Evidemment, il y a eu quelques cours qui ont manqué, il y a aussi des professeurs, même grévistes, qui ont quand même fait leurs cours, il faut le savoir. Je crois que la continuité du service public a été à peu près sauvegardée. Et je crois que rien d'irréparable n'a été commis. Et je crois que les élèves, quand même, pourront passer leurs examens dans des conditions normales. Mais de fait, ils auront une année un peu difficile, bousculée. Je le répète, c'est pour eux que c'est le plus dommage."
Le deuxième point de blocage ce sont les retraites. C'est vrai que les enseignants sont parmi les principaux pénalisés par la réforme des retraites, puisqu'ils vont devoir cotiser jusqu'à 42 ans de cotisation. Sur ce point, y a-t-il des aménagements possibles ?
- "Les enseignants ne vont pas devoir cotiser pendant 42 ans. Ils vont devoir, à partir de 2008, voir leur temps de cotisation augmenter jusqu'à 40 ans maximum. Ce qui est certain, c'est que la fin de carrière d'un enseignant est une période un peu difficile, fatigante. Les élèves changent très vite, les mentalités évoluent très rapidement et les professeurs au bout d'un moment commencent par avoir un peu de peine, à être complètement dans la phase..."
Les professeurs disent : on ne peut pas enseigner en maternelle jusqu'à 65 ans.
- "Je crois que c'est vrai dans une certaine mesure. Ce que nous voulons voir avec eux, une fois que les grands principes des retraites sont fixés, nous voulons voir comment ils peuvent s'appliquer pratiquement. Les fonctionnaires seront tous traités de la même façon, et les professeurs devront accepter d'être comme tous les autres fonctionnaires. Mais, nous pouvons trouver pour les fins de carrière des aménagements. Vous savez qu'on envisage des rachats d'années d'études, on envisage, on a remis dans la loi, la cessation progressive d'activité, on envisage aussi, et je crois que c'est très intéressant pour des professeurs en fin de carrière, une mobilité à l'intérieur de la fonction public - qu'un professeur puisse, pour les dernières années de sa vie avoir des activités qui ne soient pas strictement d'être en face d'élèves. Il y a là un champ de discussion très important, que nous allons tenir, et tout ceci commence en 2008 je le rappelle, nous avons quand même le temps d'y réfléchir aussi. Ce n'est pas dans trois jours que tout va s'installer. Donc, nous allons parler, et je suis certain que nous pouvons trouver des aménagements."
L. Ferry, le ministre de l'Education, évoque dans un entretien à Paris-Match, la possibilité de démissionner. Il dit : "Si ma démission pouvait servir à quelque chose, je le ferais". Avez-vous l'impression que c'est la solution ?
- "Je crois que ce n'est vraiment pas le moment de reculer. Et je ne souhaite pas que L. Ferry démissionne, bien entendu. Au contraire, il faut que nous soyons tous les deux au coude à coude, que nous fassions bloc. Ce n'est pas l'affaire d'une personne tout cela, c'est l'affaire du Gouvernement. Nous sommes un Gouvernement qui a refusé d'être conservateur, qui a décidé de réformer. Alors, réformer c'est jamais facile. On pourrait être, comme ça immobiles, attendre que ça passe, et dire à tous ceux qui refusent les réformes : vous avez raison. Il faut rester décidément réformateurs, mais il faut le faire d'une manière qui soit acceptable. Il ne faut pas braquer contre nous l'opinion et la population. Et je le répète, L. Ferry et moi-même, membres du Gouvernement de J.-P. Raffarin, nous sommes là pour essayer de sortir de cette crise et non pas pour quitter le bateau lorsqu'il commence à avoir un peu de tangage."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 mai 2003)