Déclaration de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la démographie médicale et la modernisation de l'assurance maladie, Ramatuelle le 27 septembre 2003.

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Circonstance : Neuvième université d'été de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) à Ramatuelle du 26 au 28 septembre 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Chers confrères,
Mesdames et Messieurs,
Vous m'accueillez pour la deuxième fois depuis mon entrée en fonctions à votre université d'été et c'est toujours avec plaisir que je me rends à votre invitation, Monsieur le Président Chassang. Cette année, avec difficulté liée à l'agenda, je vous remercie vraiment d'avoir bien voulu bousculer un peu le programme pour que je puisse vous répondre aujourd'hui. Merci aussi de votre soutien après le de cet été. Avec le temps, le jugement sera plus juste sur les causes.
Cette participation revêt pour moi une double signification :
C'est d'abord un témoignage d'estime et de confiance - et, j'ose le dire, de fidélité - que j'entends rappeler au premier syndicat des médecins libéraux. La CSMF est un interlocuteur naturel du Gouvernement et un acteur incontournable de la vie conventionnelle, quelles qu'en soient, ici ou là, les vicissitudes actuelles. L'année dernière, j'ai pris devant vous des engagements, ouvert des chantiers lourds et ma présence parmi vous est l'occasion pour moi de faire le point sur leur état d'avancement.
C'est aussi pour moi -et ce sera le deuxième point de mon intervention - l'occasion de vous parler de réforme, d'avenir, c'est-à-dire de perspectives pour la médecine libérale. Une réflexion s'ouvre - à laquelle votre confédération sera largement partie prenante - visant à refonder notre système de gouvernance de l'assurance-maladie : je souhaite que vous vous sentiez pleinement associés à cette réflexion et que vous participiez à cette étape de la modernisation de notre système de protection sociale. Je suis convaincu, vous le savez, non seulement qu'on ne peut pas réformer notre système de santé contre vous mais qu'on ne peut pas le faire sans vous. Prétendre le contraire est une absurdité.
Un premier bilan.
Il y a un an - presque jour pour jour - je vous proposais " d'emprunter un nouveau chemin ". Chemin qui, à mes yeux, devait être fondé sur le retour à la confiance et à une mise en responsabilité assumée des médecins libéraux. Pour moi, c'est un préalable indispensable. On ne peut pas construire dans le rapport de force stérile ou la connivence d'intérêts, mais dans le respect mutuel et la transparence des objectifs.
C'est du moins dans cet état d'esprit que j'ai cherché, pendant ces dix-huit premiers mois, à inscrire mon action, en inscrivant la concertation avec les médecins - pour les sujets qui dépendent de moi - comme un élément permanent de méthode.
Je voudrais ici évoquer brièvement différents dossiers sur lesquels j'ai souhaité que les choses changent et parfois s'inversent.
Comme je m'y étais engagé devant vous, j'ai supprimé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 les derniers mécanismes de la maîtrise comptable et les dispositifs de sanctions alors en vigueur.
J'ai porté mes efforts au cours de cette première année sur trois sujets qui m'ont paru exemplaires à la fois du malaise de votre profession et des malentendus entretenus de longue date avec l'Etat, 3 sujets que vous m'aviez signalés comme très préoccupants : la formation médicale continue, la démographie médicale et la permanence des soins.
Et j'ai souhaité que ces dossiers avancent avec la profession toute entière, dans le dialogue et la concertation, ce qui n'a pas été une méthode si fréquente dans les années passées.
D'abord la formation médicale continue et la qualité des pratiques.
Formation et qualité, deux notions intimement liées, et stratégiques pour la médecine. Il ne peut y avoir de juste reconnaissance d'une profession s'il n'y a pas une volonté, individuelle et collective, d'atteindre l'excellence.
Dans la loi de santé publique qui viendra en discussion la semaine prochaine à l'assemblée nationale, j'ai inscrit la formation médicale continue comme une obligation : l'objectif poursuivi de qualité est une ardente obligation pour la profession afin de maintenir un haut niveau de qualité des pratiques.
En revanche, je n'ai pas souhaité - et je sais que vous partagez cette conception - adosser l' obligation à un dispositif de sanctions disciplinaires : je préfère que la profession se mette en situation de responsabilité médicale. C'est précisément parce que je considère qu'il s'agit d'une chance et non pas d'une contrainte que je vous demande de considérer cette obligation comme un engagement personnel de qualité vis à vis de vos patients : il vous appartient de définir, notamment dans le cadre conventionnel, les incitations qui constitueront une obligation " intelligente ". Il faut peut-être commencer à parler d'évolution de carrière.
Par ailleurs, pour ce qui concerne la partie non modifiée de la loi du 4 mars 2002, un décret permettra, aussitôt que possible, l'installation de trois conseils nationaux à qui il reviendra de fixer les règles du jeu de la formation médicale continue.
Ensuite, la question de la démographie : c'est une question centrale pour votre exercice, et sans doute l'un des facteurs les plus décisifs de l'évolution de votre profession.
C'est aujourd'hui une priorité pour notre système de soins, un des éléments essentiels de l'accès aux soins.
Vous le savez, j'ai missionné le doyen Berland pour faire un état des lieux et donner des projections chiffrées qui aujourd'hui sont unanimement partagées. Elles m'ont permis d'engager une politique différente de celle des mes prédécesseurs pour enrayer un déclin annoncé.
J'ai, dès juillet 2002, fait passer de 4 100 à 4 700 le nombre d'étudiants admis en deuxième année et ce nombre a été porté à 5 100 en 2003, soit une augmentation de près de 25% en deux ans.
Je négocie actuellement le numerus clausus de 2004 avec la ferme volonté d'en obtenir une nouvelle et significative augmentation. Je souhaite d'ailleurs développer également des systèmes de passerelles au niveau de la 3ème année. C'est aussi une façon de diversifier les profils et d'enrichir les compétences.
J'ai également installé le 11 juillet dernier l'observatoire national de la démographie des professions de santé. Cet observatoire était unanimement attendu . Vous le savez, il est constitué d'un conseil d'orientation de dix membres et surtout d'un réseau de comités régionaux qui réunira l'ensemble des acteurs et des compétences, y compris, bien entendu, des représentants des libéraux. Ces comités régionaux sont maintenant au travail pour me fournir les éléments précis, correspondant à la situation réelle sur le terrain, et à partir desquels je pourrai engager une véritable politique de régulation démographique. Le doyen Berland - qui préside l'observatoire - est également attentif au répertoire partagé des professions de santé (RPPS) qui nous donnera enfin des chiffres précis sur les effectifs des médecins en exercice aussi bien globalement que par canton.
Mais ceci n'est évidemment que l'un des aspects de la réponse : nos difficultés tiennent aussi aux déséquilibres territoriaux en matière d'implantation : un écart qui peut aller de un à quatre aujourd'hui et qui ne se résorbera pas spontanément demain si nous ne faisons rien, ni vous, ni nous.
Je veux prendre ce problème à bras le corps et j'ai également besoin que vous ayez une conscience aiguë des enjeux.
Il nous faut agir à la fois sur la situation actuelle pour éviter des situations de crise dans certaines zones du territoire et sur les règles permettant d'avoir une réponse adaptée aux besoins dans le temps.
A court terme, il nous faut rééquilibrer les situations les plus critiques et anticiper - le temps que les nouvelles générations de médecins soient formées - les départs annoncés dans les toutes prochaines années
D'une part en assouplissant les conditions d'installation : j'ai saisi le Conseil d'Etat d'une proposition de modification de l'article 85 du code de déontologie visant à faciliter le développement de cabinets secondaires, notamment dans les zones rurales.
d'autre part, en prenant des mesures incitatives de nature à favoriser l'implantation et le maintien dans des zones où la présence médicale est indispensable pour garantir un convenable accès aux soins
A cet égard, je peux d'ores et déjà vous annoncer que diverses mesures viennent, sur mon initiative, ou sont sur le point d'être prises.
Le Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) qui s'est réuni le 3 septembre pour arrêter des mesures en faveur des zones rurales a d'ores et déjà retenu des mesures concrètes en faveur de l'installation et du regroupement des médecins dans des zones en voie de désertification ou sous médicalisées.
Il a d'abord été décidé d'étendre aux professions de santé - dont les médecins - les avantages caractérisant les zones de revitalisation rurale : ainsi, à compter du 1er janvier 2004, les collectivités locales pourront exonérer totalement de la taxe professionnelle les professions de santé s'installant ou se regroupant en zone de revitalisation rurale (ZRR), et ce pour une durée de 5 ans.
Par ailleurs, l'Etat versera une aide à l'investissement - dont le montant est en cours d'arbitrage - pendant 5 ans pour toute installation d'un médecin ou regroupement de plusieurs médecins dans une zone sous-médicalisée.
Ceci devrait concerner, à échéance de 5 ans, environ 1000 médecins pour un montant financier de l'ordre de 10 M d'euros en vitesse de croisière.
Enfin, j'ai souhaité que soit officialisé et renforcé le rôle - que j'estime essentiel - des collectivités locales en matière d'aménagement du territoire. Sur mon initiative, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux leur permet, en fonction des besoins localement constatés, d'aider au maintien et au regroupement des professionnels de santé dans les zones identifiées comme présentant un déficit d'offre de soins. La cartographie de ces zones d'ombre sera prochainement définie au niveau de chaque département sur la base d'un décret en cours de publication.
Vous le voyez, une large panoplie de mesures incitatives sera utilisable pour parer des situations de crise dans les années qui viennent avec le souci d'éviter que ne se créent, à la faveur du départ à la retraite de médecins, de véritables déserts sanitaires.
Mais il faut aller plus loin et réfléchir aux évolutions de long terme de la pratique et de l'exercice médical.
Il y a d'abord l'évolution nécessaire des champs de compétences entre professionnels : un rapport me sera remis dans les tout prochains jours qui doit être la base d'une concertation sur la teneur des métiers et sur les possibilités offertes par le travail coordonné des différents professionnels. Avec moins de médecins, il faut optimiser la répartition sur le territoire et recentrer leur activité sur des actes pour lesquelles leur compétence clinique ou technique est indispensable. Ce faisant, je le précise, il n'est pas, et il n'a jamais été question pour moi d'amorcer une évolution tendant à concentrer les spécialistes dans les seuls hôpitaux. Les médecins spécialistes ont leur place en ville. Les établissements privés bénéficieront au même titre que les établissements publics du plan Hôpital 2007. Les équipements lourds seront répartis équitablement entre public et privé. C'est cela mon état d'esprit.
L'ordonnance de simplification sanitaire a créé un nouveau mode de coopération. Le GCS prévoit spécifiquement d' associer les médecins libéraux de façon à ce qu'ils puissent prendre part au fonctionnement de l'hôpital, à la création de réseaux ville-hôpital et qu'ils soient le bras armé de la médecine en ville.
Enfin la question de la permanence des soins
C'est un sujet qui, je m'en félicite, a pu trouver un aboutissement dans la concertation. Ce sujet était bloqué et sans perspective à mon arrivée ; avec le concours actif et l'esprit de responsabilité de la profession, nous avons pu trouver un point d'équilibre permettant de concilier l'obligation déontologique qui s'attache à l'exercice médical en matière de la permanence des soins et une mise en oeuvre souple, fondée en premier lieu sur le volontariat.
Ceci ne signifie pas qu'elle devient facultative en tant que telle. C'est une activité exercée dans un but d'intérêt général mais elle se fonde sur une mise en responsabilité des médecins.
D'autres sujets ont également avancé. Je sais que le partage des données avec les unions de médecins vous tient également à coeur. J'ai souhaité que le décret permettant aux médecins d'avoir un retour d'informations d'abord sur les données des feuilles de soins, et, dans un deuxième temps, sur les données issues du codage des actes et des pathologies, voit enfin le jour. Ce décret sera publié dans les prochaines semaines.
Je voudrais à présent parler d'avenir. Vous savez que j'ai entamé un premier cycle de rencontres pour amorcer le processus de modernisation de l'Assurance Maladie. Il faut que la profession médicale s'engage résolument dans cette réflexion sur la modernisation de notre assurance-maladie et qu'elle y prenne toute sa part.
L'année dernière, je vous rappelais combien je tenais à ce climat de confiance retrouvée et combien il importait de s'engager dans une logique de responsabilité partagée.
Des objectifs clairs et compris provoquent naturellement l'adhésion des médecins : la prescription des médicaments génériques a pris incontestablement son envol (150 millions d'euros ont ainsi permis de compenser une partie significative de l'accord du 5 juin 2002) ; la prescription inutile voire dangereuse d'antibiotiques a diminué de plus de 10 % (environ 4 millions d'euros) depuis le lancement de la campagne d'information sur ce thème.
Je sais pourtant que vous éprouvez beaucoup de défiance - et même de l'amertume à l'égard de la vie conventionnelle
Après neuf mois de négociations au succès desquelles beaucoup ont cru - moi le premier -, l'absence de convention peut être perçue comme un échec.

C'est un échec, indiscutablement, mais il n'a pas conduit à une impasse totale. Et sans doute, datera-t-on le renouveau du dialogue de ce document du 25 août, sobre et signé dans la douleur, mais qui permet aux médecins libéraux - généralistes et spécialistes - de participer pleinement au travail de refondation qui s'ouvre.
Je sais qu'il a fallu du courage à votre syndicat - et notamment au président Chassang - pour avoir répondu à l'invitation que j'ai lancée aux partenaires sociaux le 18 juillet de reprendre les contacts rompus. Je tiens ici à saluer l'esprit de responsabilité de votre président et de ceux qui le soutiennent. Ils ont raison car le souci de l'avenir éclaire le présent de leur décision.
Faute de convention en bonne et due forme, le règlement conventionnel minimal continue de régir les relations entre les médecins spécialistes et les caisses. Mais ce règlement comporte cependant des améliorations tarifaires dont vous ne tarderez pas à vous rendre compte qu'elle sont loin d'être négligeables, notamment dans la situation extrêmement difficile des comptes de l'assurance-maladie que vous avez pu constater lors de la commission des comptes du 23 septembre dernier.
Vous le savez, " la libéralité consiste moins à donner beaucoup que donner à propos " pour reprendre le mot fameux de La Bruyère. C'est ce que j'ai essayé de faire sur la base des propositions qui m'ont été faites par votre syndicat et des caisses d'assurance - maladie, en apportant une réponse immédiate, ciblée et transitoire à ce qui est une impasse pour beaucoup de spécialistes et qui aurait pu le rester.
Le RCM, ce n'est pas la convention. Ne le comparez donc pas à l'accord du 10 janvier 2003.
Le RCM, ce n'est pas une aumône. C'est une réponse partielle et transitoire pour mettre fin au blocage de huit années de tarifs de consultation.
Je n'étais pas obligé de modifier le RCM mais je ne voulais pas que le blocage des tarifs une année de plus - après plus de huit ans d'absence d'évolution - soit perçu comme une punition supplémentaire faite à la profession. Ce n'est peut - être qu'une simple bouffée d'oxygène, décevante pour certains, mais c'est depuis 1995 le premier geste concret fait à l'endroit des médecins spécialistes du secteur 1.
Je sais que certains spécialistes se sont sentis oubliés, notamment les spécialités techniques, même si, dans les semaines qui viennent, des contrats de pratique professionnelle permettront d'améliorer significativement leur situation. Mais ces spécialistes doivent savoir que j'ai demandé à la CNAMTS de réunir sans délai le groupe de pilotage qui sera chargé de mettre en place la CCAM (classification commune des actes médicaux).
Il faut que cet échec conventionnel agisse comme un nouveau départ.
Il est désormais vain de s'attacher aux causes de cet échec qui, au contraire, doit stimuler, dans vos rangs, l'aspiration à la refondation de la vie conventionnelle.
Je crois que cet échec doit conduire à une double prise de conscience :
- d'abord il ne s'agit pas là de la faillite du partenariat et du contrat, mais de la crise d'une certaine forme de négociation et de structures qui doivent s'élargir à de nouveaux partenaires ;
- ensuite nous devons moderniser les instruments de négociation et de co- gestion entre les caisses et les professionnels de santé. Il nous faut trouver les voies de relations plus simples entre les caisses et les professionnels de santé
Notre vie sociale recèle une part d'archaïsme et nous portons chacun notre part de ce handicap. Les Pouvoirs publics sont en partie responsables ; ils ont été trop longtemps attachés à la culture du règlement et trop soupçonneux à l'égard des partenaires sociaux. Les organisations syndicales et patronales sont elles - aussi responsables, qui n'ont pas, dans une démocratie moderne comme la nôtre, la culture de négociation qu'ont la plupart de nos voisins européens.
Ce n'est pas au constat de décès de la vie conventionnelle que je vous invite mais à la refondation d'un partenariat responsable.
Je le rappelais à l'instant - le thème de votre université le reprend en écho - j'ai engagé au début du mois de septembre un série de consultations liminaires avec l'ensemble des partenaires sociaux (syndicats de salariés, d'employeurs, assureurs complémentaires, professionnels de santé) pour fixer les grandes étapes de cette modernisation de notre assurance - maladie à laquelle nous a appelée le Président de la République.
Ce calendrier, je l'ai exposé à vos représentants que j'ai déjà rencontrés mais je le rappelle :
- une phase de diagnostic partagé doit conduire à faire, entre l'ensemble des parties concernées, une mise à plat de la situation actuelle au sein d'un " Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie " qui sera présidé par Bertrand Fragonard, Président de chambre à la Cour des comptes, et qui sera installée dans les prochains jours ;
- ensuite une phase de concertation et de travail au sein de groupes thématiques pilotés directement par mon cabinet. La clarification des responsabilités entre l'Etat et les caisses, la politique conventionnelle, les relations ville - hôpital seront nécessairement des sujets essentiels de réflexion ;
- Enfin, des solutions seront proposées aux Français avant l'été.
J'en appelle aussi à un " aggiornamento " sur un certain nombre de sujets qui étaient considérés comme tabous dans la crainte de choix imposés par d'autres, mais qui doivent être affrontés avec lucidité par votre profession dès lors que vous êtes invités à être force de propositions.
Sur la démographie par exemple, sujet sur lequel je vous ai dit les mesures incitatives que nous allons prendre, nous ne pourrons pas nous affranchir d'une question essentielle : peut-il y avoir une totale liberté d'exercice partout sur le territoire, même dans les lieux où la sur-densité médicale pose des problèmes aux médecins déjà installés ? Très franchement, je ne le crois pas et vous savez pourtant mon attachement aux principes de la médecine libérale.
Même si nous augmentons considérablement le numerus clausus, nous irons , si nous n'organisons pas les choses, au devant de contrastes encore plus importants qu'aujourd'hui et nous ne garantirons plus ce qui est une valeur cruciale de notre système de protection sociale : un égal accès aux soins pour nos concitoyens. Je ne préjuge pas des solutions - qui devront impérativement être mûries dans une concertation effective - mais je sais qu'il faut d'ores et déjà fixer un cap. Il faut aussi des règles lisibles par ceux qui vont commencer aujourd'hui des études médicales
L'exercice libéral de la médecine doit évoluer : les principes d'indépendance professionnelle auxquels vous êtes légitimement attachés -et moi tout autant -, la relation singulière qui unit le médecin et son patient, sont des valeurs intangibles, donc intouchables. Mais le rôle qui est le vôtre dans la société évolue.
Aujourd'hui, l'accès aux soins pour tous est au coeur de notre pacte social et l'organisation du système de soins dans son ensemble doit concourir à cet objectif. C'est d'ailleurs parce qu'elle s'inscrit dans ce cadre que l'exercice libéral trouve, aux yeux de nos concitoyens, sa légitimité et même une large adhésion. : si un récent sondage paru cet été dans un hebdomadaire économique annonçait que 95 % de nos concitoyens étaient satisfaits ou plutôt satisfaits de leurs médecins généralistes, 89 % de leurs spécialistes, c'est parce qu'ils savent qu'ils ont à la fois une relation individualisée avec LEUR médecin et un système de sécurité sociale qui leur garantit une accessibilité effective. Il faut donc assurer une présence médicale effective sur tout le territoire.
Mais il y a un autre domaine sur lequel je souhaite attirer votre attention : c'est votre implication dans les instruments de maîtrise médicalisée des dépenses de l'assurance - maladie .
Je vous le dis avec gravité et solennité : la situation de nos comptes sociaux est aujourd'hui très dégradée. Le rapport de la Cour des comptes et les chiffres de la commission des comptes l'attestent de façon indiscutable : la progression de 7,2% des dépenses de l'ONDAM en 2002 a été la plus forte depuis qu'existe un tel objectif. Et 2003 infléchit, mais encore insuffisamment, la tendance. Le déficit du régime général atteindra 8,9 milliards d'euros en 2003.
Certes, nous accusons en 2003 une perte de recettes proche de 3 milliards d'euros pour le régime général, due à la faiblesse de la croissance économique. Mais même si nous revenons en 2004 à une meilleure conjoncture, au rythme actuel d'augmentation des dépenses, une modernisation profonde est indispensable. Nous ne pouvons pas tenir au delà de 2004 avec un déficit de l'ordre de 11 milliards d'euros.
Pourquoi est-ce que nous n'avons pas tout de suite entamé, dès cette automne, cette reforme annoncée ? Tout simplement, parce que l'opinion publique est très heureuse du système mais ne le connaît pas, ne le comprend pas. Après tout, le trou de la sécurité sociale a toujours fait partie du paysage et pourrait même devenir un alibi que l'on ne comprendrait pas.
Il faut donc prendre le temps de la pédagogie. Cette pédagogie doit se faire par le relais que vous représentez. Il faut que vous nous aidiez à faire comprendre à la population que notre système de santé est un des meilleurs du monde mais qu'on ne peut pas faire comme s'il n'avait pas de coût. C'est cet esprit de responsabilité que vous portez par nature. Lorsque vous prenez en charge un patient, vous en êtes responsable.
Désormais, il y a un autre volet qui est celui de l'exercice professionnel avec les contraintes économiques : Il vous faut entrer dans les accords de bon usage, dans la FMC, dans l'évaluation des pratiques professionnelles et je l'ai voulu, sans que cela donne lieu à une mauvaise interprétation. Il faut se regrouper régulièrement, discuter de dossiers pour tenter de progresser non seulement dans la qualité des soins mais dans l'économie.
En définitive, la seule régulation qui vaille, c'est une régulation de qualité et cela, c'est vous qui le portez tout naturellement. Je vous fais confiance pour cela. Il faut que vous soyez les relais auprès de vos confrères. Vous êtes les garants de la modernisation de la médecine libérale de demain.
Si j'ai la force et la farouche détermination de mener une politique de santé dans un contexte difficile, c'est d'une part en vous écoutant mais également, je vous le dis, j'ai besoin de vous. Nous avons, dans un partenariat confiant, un défi formidable à relever. C'est un défi matériel mais c'est d'abord un défi moral et je sais que les valeurs morales sont ancrées au plus profond de vous.

(Source http://www.sante.gouv.fr, le 30 septembre 2003)