Entretien de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes accordée à "L'Express" le 20 janvier 2000, sur l'état de l'opinion publique française sur la construction européenne, la prochaine présidence française de l'UE et la candidature de la Turquie à l'Union européenne.

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Texte intégral

Q - Que vous inspire votre sondage " les Français et l'Europe " ?
R - Je note la poursuite de tendances passées et l'infirmation d'idées fausses. L'Europe est désormais le cadre naturel des Français. Elle est une condition de notre puissance économique. L'aventure continue. Sortir de l'Union pour bâtir autre chose est une question que ne se posent pas les Français. Néanmoins apparaît un réel problème identitaire. Il ne faut donc pas laisser la question nationale aux souverainistes, mais au contraire mieux articuler les identités nationales avec la construction européenne. Je remarque enfin une forte demande d'Europe politique, bien que les Français méconnaissent le fonctionnement de l'Union. Nous devons mieux leur expliquer comment se fait l'Europe.
Q - Les élections de juin 1999 ont pourtant révélé un fort scepticisme ?
R - Pas vraiment. Jamais les listes favorables à la construction européenne n'avaient réalisé un tel score : plus des deux tiers des voix. L'Europe est une toile de fond positive que les Français ne remettront pas en question, mais des couches sociales restent méfiantes.
Q - A cause de la perte d'identité nationale ?
R - La nation française bouge dans l'Europe : on est français et européen ; c'est complémentaire. Regardons l'Europe que nous bâtissons. Elle comptera un jour 600 millions d'habitants, 30 ou 35 pays, débordera sur un autre continent avec la candidature turque, sera hétérogène en économie, en systèmes sociaux, en religions, etc. Il nous faut un système plus souple ; on s'éloigne d'un modèle fédéral. Pour que l'idée européenne ne se dilue pas, il faut de nouvelles utopies, des projets mobilisateurs, et non pas seulement des transferts de souveraineté. Renforçons l'identité européenne en matière de défense, de culture d'éducation etc.
Q - Et la protection sociale ?
R - Elle doit rester nationale. Nous ne marcherons pas tous d'un même pas dans cette Europe future. Comme pour la fiscalité, il faut une harmonisation pas une uniformisation.
Q - Pour une Europe politique, que peut-on attendre de la présidence française ?
R - La Conférence intergouvernementale (CIG) et la présidence française sont des étapes importantes, mais pas la fin du chantier européen. N'ayons pas d'arrogance nationale : ce serait une faute politique de dire que la présidence française va à elle seule changer la face de l'Europe. Il y aura une "signature française" avec un accent mis sur l'Europe politique, sur la défense, mais aussi sur la société de plein emploi et la cohésion sociale : n'attendons pas une catharsis ou une révolution.
Q - Un référendum ratifiera-t-il les nouvelles institutions issues de la CIG ?
R - Un traité sortira de la CIG, que chaque pays avalisera selon ses propres règles. Mais, attention ! Ce n'est pas un nouveau Traité de Rome qu'il faut rédiger, seulement des règles de fonctionnement lisibles dans la perspective d'une Europe à 35 pays. Ce que nous déciderons en matière de répartition des voix entre Etats membres, de nombre de commissaires ou de vote à la majorité qualifiée doit avant tout être efficace en vue de l'élargissement. Nous devons réformer vite pour pouvoir élargir. Penser une nouvelle Europe nécessiterait cinq ans de négociations et retarderait d'autant l'élargissement : ce n'est pas notre but.
Q - L'élargissement à la Turquie est critiqué..
R- Je comprends certaines objections, mais la candidature turque a un sens fort. La vocation européenne de la Turquie a été affirmée dès 1963 et nous reconnaissons aujourd'hui une république laïque, une civilisation riche, un pays stratégique pour la défense européenne. Nous affirmons aussi une Europe multiculturelle, contre l'idée d'une Europe chrétienne que préconisent certains, comme la CDU en Allemagne. Mais il faudra beaucoup de temps : les négociations ne sont même pas ouvertes et la Turquie est bien loin de remplir les conditions d'adhésion.
Q - Votre tâche s'achèvera-t-elle avec la présidence française ?
R - Il est vrai que j'ai, d'ores et déjà, battu le record de longévité à ce poste. Pour l'heure, la perspective de la présidence française me mobilise pleinement. Ensuite, nous verrons bien.
Q - Vous sentez-vous d'abord français, européen ou franc-comtois ?
R - Français, puis européen, et franc-comtois toujours ! ./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2000)