Texte intégral
Je vous remercie, Madame la chef du service, pour cette présentation. Comme vous l'imaginez, je ne peux que me réjouir de voir l'inspection générale contribuer à ce grand débat qui accompagne l'élaboration du projet de loi relative à la politique de santé publique et qui va se poursuivre avec les débats au Parlement. J'ai fait de la santé publique l'un des axes structurants de ma politique de santé et même s'il n'y a pas identité entre santé publique et prévention, il est évident que cette dernière est une des finalités principales de la politique de santé publique.
Par son diagnostic global sur notre système de prévention, par ses analyses de terrain sur la nutrition, la prévention des risques liés à l'environnement, la santé au travail, pour ne citer que quelques thèmes, ce rapport constitue un travail de référence. Il est le bienvenu et il arrive au bon moment.
Dans l'ensemble des contributions qui nourrissent ce débat que j'évoquais à l'instant, celle de l'IGAS est majeure car elle nous permet de mieux comprendre les points de blocage, elle attire notre attention sur les failles de notre système et surtout elle donne des pistes pour avancer. Les éclairages que nous apportent vos enquêtes très riches menées à l'étranger nous montrent également quelles sont les bonnes pratiques à retenir.
Le projet de loi relatif à la politique de santé publique rejoint sur un très grand nombre de points des recommandations que vous faites dans ce rapport. Pour une fois, on ne pourra pas dire qu'à défaut de faire une réforme, on a rédigé un rapport !
Comme vous l'écrivez très bien, il nous appartient de mettre tout en oeuvre aujourd'hui pour prévenir pour demain et construire ainsi cette politique de prévention durable que vous appelez de vos voeux. La performance du système de santé français est classée au 1er rang par l'OMS. Nous devons tous en être fiers : ce classement reflète notamment le bon niveau de notre pays en termes d'espérance de vie sans incapacité, de mortalité infantile, de mortalité cardio-vasculaire ; ces résultats témoignent de conditions d'environnement favorables, mais aussi des possibilités d'accès à des soins de bonne qualité, de l'importance des ressources consacrées à la santé et de l'esprit de solidarité.
Mais il est frappant de constater qu'à côté de ces points forts, coexistent des éléments de non-qualité. Le niveau de mortalité prématurée est le plus élevé, avec le Portugal, parmi les pays de l'Union Européenne. Ceci est étonnant car la majorité de cette surmortalité prématurée est liée à des facteurs évitables. Cela ne doit pas nous satisfaire car il n'y a aucune fatalité en la matière. La fréquence des maladies allergiques augmente de façon inquiétante. Bien d'autres signaux d'alerte existent : échecs de la contraception, prévalence d'obésité, violence routière à un niveau élevé, pathologies psychiatriques, consommation de drogues illicites et licites sans cesse croissante parmi les jeunes.
De plus, les écarts d'état de santé restent marqués entre catégories sociales et professionnelles, en termes d'espérance de vie, mais aussi de risque d'invalidité ou de fréquence des handicaps. Il existe de fortes disparités entre régions, mais aussi à l'échelon infra-régional entre zones rurales, urbaines et péri-urbaines. De nombreux facteurs interviennent ici : l'environnement physique et social, les conditions de vie, y compris les conditions de travail et les expositions professionnelles ; des comportements individuels (mais aussi les situations qui favorisent ces comportements) ; certains éléments qui dépendent du système de soins : dépistage, accès aux soins y compris d'urgence.
Il apparaît donc que les efforts des dernières décennies rencontrent leurs limites en termes de santé publique. Ils ont surtout porté sur l'accès aux soins curatifs. L'élaboration de la politique de santé et la programmation des interventions restent dominées par la logique des budgets annuels. Les nombreux programmes de santé annoncés n'ont pas bénéficié de financement pérenne. L'organisation du système de santé est complexe et segmentée. Savoir qui fait quoi, qui doit faire quoi est en soi un problème. Le cas du dépistage du cancer du sein chez les femmes illustre cela jusqu'à la caricature.
Il existe donc un déséquilibre très important entre la part de nos ressources qui sont consacrées aux soins individuels et celles qui servent un effort collectif et organisé pour " donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l'améliorer " comme le préconise la Charte d'Ottawa sur la promotion de la santé. Pour responsabiliser les acteurs, il faut agir de façon coordonnée sur toute la chaîne du risque. Or vous le soulignez, les modes d'intervention actuels sont trop cloisonnés.
En amont des maladies, il est nécessaire d'identifier les risques liés aux déterminants sociaux ou environnementaux pour susciter des actions appropriées : les leviers d'actions sont ici partagés avec d'autres départements ministériels, mais nous devons créer un rôle pilote de santé publique. Votre travail va nous y aider. Il convient aussi de promouvoir et faciliter les comportements individuels permettant de réduire les risques dans un esprit de civisme et de responsabilité.
Vous évoquez ainsi deux domaines d'intervention prioritaires :
- l'enfance et l'adolescence, parce que cet âge de la vie est une période clé pendant laquelle se construisent les compétences et les aptitudes à résister aux agressions physiques et sociales et où se dessinent des tendances du comportement futur ;
- les risques environnements et professionnels, trop souvent sous-évalués, qu'il s'agisse du milieu de vie ou du risque professionnel et qui ont pourtant un impact sanitaire majeur.
En prévoyant parmi les plans nationaux qui permettront d'atteindre les principaux objectifs de santé, un plan national pour limiter l'impact sur la santé de la violence, des comportements à risque et des conduites addictives, nous entendons développer très fortement nos actions de prévention envers les enfants et les adolescents.
Dans la même logique, le plan national de prévention des risques pour la santé liés à l'environnement, incluant l'environnement de travail répond à ce besoin de mobilisation générale sur ces thèmes.
Vous soulignez également la nécessité de définir des sphères de responsabilité cohérentes dans la mise en oeuvre des politiques de prévention notamment au niveau régional en mutualisant les moyens humains et financiers.
Les futurs groupements régionaux de santé publique qui vont se mettre en place sous forme de GIP visent justement à remédier à l'éclatement des responsabilités et à la dispersion des initiatives. Il s'agit bien, autour de l'Etat, de favoriser la coopération, la complémentarité de l'ensemble des acteurs notamment avec l'assurance maladie.
Renforcer les connaissances, les savoir-faire et les outils de la prévention constitue un autre volet de vos propositions.
Vos travaux sur les métiers de la prévention et votre analyse sur les faiblesses de la recherche dans un certain nombre de domaines comme la santé au travail ou la santé environnementale montrent l'ampleur des progrès qu'il nous faut accomplir dans ces domaines.
La création d'une Ecole des hautes études en santé publique par transformation de l'actuelle Ecole nationale de santé publique vise à remédier à ces lacunes. Le statut d'établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel est celui qui permet le mieux d'atteindre l'objectif d'une mise en réseau des ressources existantes. Il permet d'envisager :
- 1° Un statut universitaire bénéficiant de la tutelle éducation nationale, recherche, affaires sociales et santé.
- 2° Des enseignements pluridisciplinaires.
- 3° De diplômer aussi bien des médecins que des professionnels formés en sciences des ingénieurs ou en sciences administratives au niveau bac + 3, Bac + 5 et bac + 8.
Cela rencontre très directement des propositions que vous faites dans le rapport et qui doivent donner à l'ensemble des professionnels les compétences nécessaires pour élaborer, gérer, animer les politiques de prévention. Et vous le dites fort bien : la question n'est pas celle d'une surspécialisation mais celle d'un travail pluridisciplinaire.
Je voulais terminer cette intervention en soulignant à quel point ce rapport annuel de l'IGAS est un excellent exemple de ce que l'inspection générale peut apporter à l'action du ministère et aux politiques sociales.
C'est je crois un exercice assez unique pour une inspection générale que de consacrer une partie de ses ressources à une étude approfondie sur un thème particulier sur un temps relativement long. Dans le même temps, j'y reviendrai, je sais pouvoir compter sur votre réactivité quand une intervention urgente de l'IGAS se justifie. Cela constitue aussi votre force et montre bien la place particulière qu'occupe l'inspection générale des affaires sociales.
J'ai pu apprécier, Madame, depuis un plus d'un an la qualité des travaux de l'IGAS. Elle ne m'avait pas échappé lorsque j'exerçais d'autres responsabilités mais je peux mesurer l'immense intérêt que représente pour le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées que je suis le fait de pouvoir m'appuyer sur une inspection générale comme l'IGAS.
Votre légitimité est aujourd'hui incontestée, quels que soient les domaines dans lesquels vous intervenez et ils sont nombreux. Votre recrutement diversifié vous donne la force de pouvoir associer dans vos missions médecins, pharmaciens, ingénieurs, directeurs d'hôpital mais aussi d'anciens élèves de l'ENA, des cadres du ministère comme des inspecteurs du travail. Je crois que cette diversification doit se poursuivre. Je suis tout comme vous favorable à ce que l'IGAS puisse accueillir par exemple des praticiens hospitaliers, ce que les règles statutaires ne permettent pas aujourd'hui.
Je sais pouvoir vous confier des missions sensibles notamment dans des situations de crise. Votre légitimité et la compétence des inspecteurs de l'IGAS permettent dans bien de cas de définir un diagnostic partagé de la situation et de déminer ainsi des situations difficiles.
Je sais aussi votre capacité à nourrir la réflexion nécessaire à l'élaboration des politiques publiques.
Vos travaux récents sur la gestion des praticiens hospitaliers en est une illustration comme votre participation à la réflexion sur la démographie médicale. Je pourrais donner beaucoup d'autres exemples.
Vous démarrez, je crois, vos travaux pour votre prochain rapport annuel qui portera sur la gestion des âges. C'est aussi un sujet majeur sur lequel vos conclusions seront sans nulle doute attendues par mon collègue François Fillon mais aussi par nous tous. Je souhaite donc bonne chance à vos collaborateurs qui vont partir sur le terrain dès septembre enquêter sur ce thème. Avec votre rapport public 2003, nous démontrons qu'une alliance entre la compétence professionnelle et la volonté politique permet de sortir de l'impuissance. Puisse ce travail servir de modèle.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 20 juin 2003)