Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France Inter" le 26 mai 2003, sur la position du PS dans le débat sur le réforme des retraites.

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Média : France Inter

Texte intégral


S. Paoli-. Est-ce le blocage ? Les syndicats annoncent de nouvelles mobilisations, F. Fillon ne rouvrira pas les négociations sur les retraites - il l'affirmait hier soir - , après que plus de 400 000 personnes venues de toute la France ont défilé à Paris. Ce n'est pas la rue qui décide a déjà dit le Premier ministre. La seule voie de passage est-elle à l'Assemblée nationale ? Vous disiez il y a quelques heures à peine qu'il fallait trouver "un débouché politique" à cette crise ; qu'est-ce que cela veut dire ?
- "D'abord, il faut trouver un débouché social, c'est la responsabilité du Gouvernement et des partenaires sociaux. Il faut rouvrir un négociation. Cette négociation n'a pas eu lieu, c'est d'ailleurs, là, l'explication de la mobilisation qui se passe depuis maintenant plusieurs semaines."
Oui, mais monsieur Fillon dit non !
- "Monsieur dit non, pas d'ouverture de négociation, le débat doit être politique. Donc, il clôt une phase qui était pourtant absolument indispensable - qui reste indispensable -, qui est demandée par tous les acteurs sociaux. Aussi bien ceux qui ont signé l'accord que ceux qui ne l'ont pas signé, parce qu'ils considèrent qu'il y a encore des évolutions à accomplir et une remise à plat à obtenir de la réforme qui est celle, apparemment, de monsieur Fillon. Je dis bien apparemment, parce qu'il ne s'agit pas d'une réforme mais d'une régression. Ensuite, il y a un débouché politique : il faut démontrer - et je vais le faire - qu'il n'y a pas qu'une seule voie pour réformer les retraites, parce que ce serait trop simple de dire, que finalement, entre le refus des uns et la solution du Gouvernement, il n'y a rien. Si, il y a d'autres solutions. Par ailleurs, les syndicats - en tout cas, la plupart d'entre eux - souhaitaient une réforme des retraites, ils l'avaient dit. Et donc, la réforme est nécessaire et possible. Elle passe par d'autres voies que le simple allongement de la durée de cotisation, comme le Gouvernement voudrait le faire croire."
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Franchement, on n'a pas beaucoup entendu la gauche, notamment pas le PS, sur ce débat aussi important pour les Français que les retraites.
- "Non, on ne peut pas dire cela. Même si je connais l'observation, elle m'est souvent rappelée et c'est légitime. Pendant cinq ans, nous étions nous-mêmes aux responsabilités, je veux quand même rappeler que nous avons créé 2 millions d'emplois, le chômage a baissé d'un million. C'est la première solution pour régler la question des retraites : plus d'emplois, c'est plus de cotisants et donc, c'est plus d'excédents pour les régimes vieillesse. Je vais quand même rappeler un chiffre : l'excédent du régime vieillesse est de l'ordre de 1,5 milliard d'euros - 10 milliards de francs. Depuis plusieurs années, en revanche, le déficit de l'assurance maladie, depuis deux ans est considérable, notamment cette année. Donc, nous avons équilibré, rendu excédentaire le régime vieillesse. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas des problèmes à l'avenir. Mais qu'avons-nous fait pour essayer d'anticiper le problèmes d'avenir ? Nous avons créé le Fonds de réserve pour les retraites. Et enfin, lorsque L. Jospin était candidat à l'élection présidentielle, il a dit : la première décision que j'aurais à prendre avec l'équipe qui sera autour de moi, si je suis en situation de le faire, ce sera des décisions en matière de retraite, à partir d'une vraie négociation. Ce qui me surprend, c'est que l'équipe Raffarin et le président de la République sont en place depuis un an et il n'y a pas eu de négociation. Pendant un an, il y aurait pu y avoir une négociation ouverte, ensuite, avec plusieurs options et des progrès dans un certain nombre de domaines, des compensations dans l'autre. Bref, une stratégie du donnant-donnant. Rien n'a été fait dans ce sens. Donc, nous, pendant cinq ans nous avons préparé les conditions ; nous avions pris cet engagement de faire une réforme des retraites lorsque nous aurions la confiance du pays sur un engagement précis. Est-ce que dans la campagne présidentielle, il y a eu des engagements précis, de part et d'autres, en matière de retraite ? Ce qui fait la grogne d'aujourd'hui, c'est qu'il n'y a pas eu dans l'élection présidentielle suffisamment d'attention à l'égard du problème de la retraite."
Dont acte sur la question de l'emploi. Néanmoins, pourquoi, alors que vous nous annoncez dans quelques jours que vous allez faire des propositions, pourquoi ne les avoir pas faites avant, pour que ceux qui sont aujourd'hui confrontés à la question de cette réforme puissent avoir des propositions et qu'il y ait un vrai débat politique sur des solutions alternatives ?
- "J'en fait ! Et je vais encore les préciser."
Pourquoi pas avant ?
- "Il fallait attendre l'issue de la négociation. Nous sommes dans le respect des organisations syndicales et même de la phase de discussions qui devaient être engagées et qui, finalement, ne l'a pas été complètement. Je vais faire trois propositions pour que chacun comprenne bien qu'il y a une alternative à la solution de J.-P. Raffarin, qui en plus, n'est pas financée. La première décision qu'il faut prendre, c'est le soutien, véritablement, d'une politique de l'emploi. Le Gouvernement a fait l'inverse, a détruit les emplois jeunes, abandonné les 35 heures, suspendu la loi de modernisation sociale... Il faut avoir une politique d'emploi. Donc, ce que nous ferions, si nous étions aux responsabilisés, c'est que nous continuerions à faire les emplois-jeunes, à soutenir la consommation, à faire une politique d'emploi. Deuxième point : il faut un négociation sur les temps de travail - cela fait partie du sujet. Là , je crois qu'il faut avoir le courage de ne pas opposer les Français entre eux, c'est trop simple. Il y a une négociation à faire sur la pénibilité, sur les espérances de vie. Il faut quand même dire que nous n'avons pas tous la même espérance de vie ; est-ce que nous devons avoir tous les mêmes règles en matière de retraite ? Là, il y avait l'occasion d'une vraie négociation. Enfin, il y a une troisième solution, qui s'ajoute aux deux autres, qui est dire que si nous voulons consolider les régimes de répartition - et tout le monde le dit - c'est de leur donner des ressources pérennes - c'est-à-dire, longues et durables. La seule manière de le faire, c'est d'augmenter les cotisations sociales, patronales et salariales. Là aussi, il faut avoir du courage. Si on veut avoir de bonnes retraites pour l'avenir, il faut accepter collectivement de payer davantage. A aucun moment, le Gouvernement n'a voulu proposer cette solution, au prétexte que cela serait affaiblir l'économie et détruire de l'emploi. Mais c'est aujourd'hui, qu'il y a une progression."
Est-ce que vous n'arrivez pas trop tard ? Monsieur Devedjian dit maintenant que la légitimité est au Parlement. Et vous savez très bien ce qui va s'y passer : l'UMP est majoritaire et donc, ça passera. Vous n'arrivez pas trop tard ?
- "Si vous me faites le reproche de ne pas être majoritaire, je l'accepte. C'est vrai, je demande pardon à tous les auditeurs : nous n'avons pas été majoritaires."
Le sujet est sérieux : est-ce que vous n'arrivez pas trop tard ?
-"Nous arrivons au moment où il faut arriver. Il y a eu une négociation, plus exactement, il n'y a pas eu de négociation. Donc, il y a une phase sociale qui n'est pas terminée. Je fais un avertissement sérieux et solennel : si le président de la République et le Gouvernement passent en force sur cette question, délibèrent sur un projet qui ne fait pas consensus - c'est le moins que l'on puisse dire -, mercredi, au conseil de ministres et dit "maintenant, c'est au Parlement de régler cette question", alors nous allons vers de graves conséquences en matière sociale."
C'est que monsieur Devedjian a répété ce matin : la légitimité est au Parlement.
- "Je trouve que la position du Gouvernement est très grave quant à ses conséquences. Il ne s'agit pas de céder mais de prendre en compte une situation et surtout le fait qu'il qu'il n'y ait pas eu de négociation. Tout le monde le dit : il y a eu une nuit et un petit jour de négociation. Sur une question comme celle-là, les retraites, pour les Français, c'est l'essentiel, c'est leur patrimoine, on ne peut pas accepter cette situation. Donc, maintenant, il faut que le Gouvernement ouvre une véritable négociation et évite que nous allions au Parlement dans une situation, où, comme vous l'avez justement rappelé, il y une majorité qui est très forte. Nous nous ferons notre travail, nous avancerons des propositions. Nous savons bien - messieurs Devedjian et Fillon l'on rappelé - qu'il n'y aura pas d'amendement, le Gouvernement passera en force, peut-être utilisera-t-il le 49-3. Bref, il a là tous les moyens pour imposer sa vision. Mais ce serait grave, parce que quand il y a un pays qui est aussi réticent, - c'est le moins que l'on puisse dire -, hostile - je crois que c'est vrai pour une majorité de concitoyens, mais c'est à eux de s'exprimer -, je crois qu'il faut faire attention à ne pas bloquer un pays."
Le Premier ministre va prendre la parole dans les heures qui viennent. Vous attendez-vous à ce qu'il propose des concessions, par exemple, dans le domaine de l'enseignement, afin de garder sa position sur la question des retraites ?
- "Pour la première fois, le mot de négociation a été prononcé la semaine dernière par L. Ferry sur la question de l'Education, notamment, sur ces transferts de personnels vers les collectivités locales. Je me suis dis, comme vous tous sans doute, la négociation va dès le lendemain. Mais non, parce que le Premier ministre était au Canada, rien ne pouvait se faire tant qu'il y était. Il fallait que le Gouvernement suspende ses travaux. On me dit qu'il revient du Canada, c'est heureux. J'espère que la négociation va enfin s'ouvrir."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 mai 2003)