Interview de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, à "LCI" le 11 avril 2003, sur le rôle éventuel de la France et de l'Europe dans la reconstruction de l'Irak, sur l'arrêt des vols de Concorde et les difficultés des compagnies aériennes, consécutives à la guerre en Irak et au risque de développement de l'épidémie de pneumopathie.

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Texte intégral

A. Hausser-. On va parler de la guerre ou plutôt de l'après-guerre. La France n'a pas la cote aux Etats-Unis. Cette nuit, M. Wolfowitz, qui est le numéro 2 du Pentagone a déclaré que la France devra payer un prix pour son opposition à la guerre. Que répond le Gouvernement ?
- "Le Gouvernement pense que la France, pour reprendre votre expression, a la cote dans le monde. Parce que sa position juste, sa position de paix a été comprise. Et nous pensons - le Premier ministre l'a dit, hier, très clairement devant le Sénat - que maintenant les choses vont se passer à nouveau à l'ONU. On n'envisage pas une reconstruction de l'Irak qui se ferait uniquement dans une relation entre certains pays. Donc, dans cette reconstruction..."
C'est le point de vue de la France ?
- "C'est le point de vue de la France, mais ça ne peut se passer comme ça. Je vois mal comment l'aide humanitaire, l'aide internationale, la reconstruction, l'argent, les besoins techniques, administratifs, économiques seraient faits simplement par quelques pays. Je crois que c'est une affaire internationale. Et la France est prête à l'ONU à jouer tout son rôle dans ce qui sera décidé de manière collective."
Et si on voulait cantonner l'ONU à l'humanitaire ?
- "Je crois que chacun sait que la France a dans le monde arabe une écoute, une attention, des réseaux, des liens. Et que ce serait dommage de se passer de la France à un moment où elle pourrait être particulièrement utile dans cette région au monde qu'elle connaît bien."
Et vous ne craignez pas que ce soit la loi du plus fort qui joue ?
- "La loi du plus fort, c'est la loi de la guerre. Mais la loi de la paix c'est la loi avec tous, c'est la loi de la réconciliation."
Qu'attend la France exactement du Sommet de Saint-Pétersbourg, qu'on qualifie un peu de sommet "des perdants" ?
- "Sommet des perdants"... c'est quand même parmi les trois grandes puissances internationales qui ont un rôle à jouer, qui ont beaucoup de choses à dire. C'est l'occasion pour les chefs d'Etat de confronter leurs points de vue. Il y aura certainement des déclarations communes et des points de vue communs exprimés. C'est un peu trop tôt ce matin pour le dire. Mais c'est un événement politique et diplomatique de première importance."
Dans ce monde que l'on qualifie de "multipolaire" peut-on imaginer un pôle Paris-Berlin-Moscou ?
- "Il y a d'abord un pôle européen. Paris-Berlin, c'est l'axe de la construction européenne, c'est l'axe de l'Europe. Et puis nous avons tout intérêt à faire en sorte que la Russie qui est à nos portes, soit notre partenaire. Je pense à un seul exemple dans le domaine qui est le mien : la sécurité maritime. On la traite à l'échelle européenne, on la traite bien, on essaye de prendre des règles de plus en plus fortes pour éviter des voyous des mer. Mais si d'un autre côté on ne travaille pas avec la Russie et qu'elle nous envoie des bateaux-poubelles, ça ne peut pas fonctionner. Donc, je crois que l'élargissement de l'Europe vers l'Est, c'est aussi une relation de plus en plus approfondie avec la Russie. Ce qui n'empêche pas, bien sûr, de garder nos solidarités classiques, l'OTAN, et notre amitié traditionnelle avec les Etats-Unis d'Amérique."
Amitié traditionnelle à maintenir...
-"L'amitié traditionnelle est maintenue et développée. Je crois que le président de la République a été très clair. Il a dit que nous nous réjouissions de la fin d'un dictature et nous voyons bien qu'il y a une fin à cette dictature."
On a cru percevoir un peu d'embarras dans les réactions françaises...
- "Je crois que la France n'avait pas souhaité la guerre, mais avait dit : si la guerre a lieu, nous souhaiterions pour le peuple irakien qu'elle soit courte. Elle est courte, elle a été courte jusqu'à présent, elle n'est pas terminée d'ailleurs, avec des souffrances effroyables ; les images que nous voyons de ces enfants mutilés, ces populations civiles, ces militaires des deux côtés, tués, tout ça est tragique. Dans ces conditions-là, le fait que la guerre soit courte est une bonne chose ; que Bagdad soit tombée est une bonne chose. Il n'empêche que maintenant, la France, comme toujours, veut plutôt porter le langage de la paix que le langage des opérations belliqueuses."
Et les dissensions qui se font jour, ou qui se sont faites jour, par ailleurs dans la majorité, et qui éclatent un peu plus au lendemain de ce conflit...
- "Si vous appelez dissensions, deux ou trois déclarations dans la salle des quatre colonnes, d'ex-collègues qui sont d'une sensibilité un peu différente..."
Vous traitez vos amis politiques par le mépris ?
- "Non, pas du tout. Mais je me souviens, j'avais 15 ans, je me souviens de la déclaration du général de Gaulle à Québec. Là, il y avait, en effet, dans la majorité, des dissensions. Que deux, trois, quatre, cinq, dix députés expriment des positions plus atlantistes et légèrement différentes, c'est quand même pas le problème politique. J'ai constaté avec beaucoup de plaisir que l'UMP, et d'ailleurs l'UDF également, ont été derrière le Premier ministre, derrière le Président, en totale majorité. Et d'ailleurs les Français étaient derrière le Président et le Premier ministre. Je crois que l'UMP était sur la ligne des Français et l'opposition aussi, était sur ce point à nos côtés."
On a annoncé hier l'arrêt de Concorde. Ca a été l'objet d'une concertation franco-britannique ?
- "Ca a été surtout l'objet d'une décision économique de l'entreprise Air France, une décision économique également du côté britannique. Le Concorde qui est parti, hier matin, pour New York, avait 12 personnes à son bord. C'est le fond du problème. Concorde est un merveilleux avion, il a porté ses ailes tricolores sur tous les continents, nous en sommes très fiers mais aujourd'hui, pour Air France qui est dans une situation difficile dans l'industrie aérienne, c'était devenu un foyer de pertes. Je crois que la décision d'Air France, même si je la regrette - on a tous une nostalgie du Concorde - c'est une décision sage."
Peut-on imaginer que les avions soient vendus à une autre compagnie ?
- "C'est une décision économique qui appartient à Air France."
Est-ce qu'il peut voler sans être "bichonné", comme on dirait ?
- "L'avion a besoin d'être bichonné, c'est un avion de conception ancienne donc il a des pièces de rechange qui n'existent plus et qu'il faut fabriquer sur commande, ce qui coûte très cher. Donc, si une autre compagnie l'achetait à Air France, les coûts de maintenance qui étaient ceux d'Air France seraient encore plus importants parce qu'ils ne reposeraient pas sur une entreprise qui a la dimension économique et industrielle d'Air France."
Le transport aérien souffre en ce moment...
- "Oui, beaucoup."
Aux Etats-Unis, le Congrès a accordé une aide aux compagnies aériennes. Est-ce envisageable en France ?
- "Le Congrès l'avait déjà fait après le 11 septembre et l'Union européenne a déclaré ces jours derniers, par la voix de madame de Palacio - nous en avons discuté avec G. de Robien au moment du dernier Conseil des ministres du Transports - l'Europe est prête à bouger si les choses allaient mal. Pour l'instant, je dois dire que dans cette situation très difficile, les compagnies européennes se tiennent mieux que les compagnies américaines. Et à l'intérieur des compagnies européennes, Air France se tient mieux que les autres compagnies européennes. Ceci étant, il y a deux phénomènes en ce moment : la désaffection des passagers liée à l'Irak et le phénomène de pneumopathie qui entraîne une baisse de marché sur les destinations asiatiques qui sont des destinations très importantes pour les compagnies européennes."
A cet égard, on a l'impression que les compagnies françaises ne connaissent pas la pneumopathie. Ce sont les compagnies asiatiques qui pratiquent une désinfection et une surveillance sanitaire beaucoup plus sévères.
- "Les compagnies françaises ne font pas de cirque mais elles agissent, d'abord auprès de leurs équipages qui vont dans ces pays, avec tout un système d'information en amont et en aval des vols - numéro Vert pour les équipages, surveillance médicale très particulière. ADP fait de même vis-à-vis des passagers qui arrivent dans les aéroports parisiens. Je peux vous dire, pour être allé accueillir dimanche matin, à la demande du Premier ministre, les médecins du SAMU qui revenaient de Hanoi - qui sont de véritables héros, ce sont des gens qui se sont jetés dans la gueule du loup et qui ont sauvé des vies, stopper la pandémie. Je peux vous dire pour avoir vu sur place les mesures de précaution que nous sommes vraiment au top niveau. Ceci étant, la France, à la différence d'autres pays, ne fait pas dans le cirque et la psychose. C'est ce que nous pouvons faire de plus utile dans les temps actuels."
Quand vous dites, "on fait au top niveau", cela veut dire, on fait au top niveau pour les appareils mais quand un passager arrive à Roissy...
- "Il a reçu une information dans l'avion, des papiers, il a à disposition un certain nombre de téléphones qu'il peut appeler. Donc, tout passager qui, au retour d'un séjour en Asie, ou ailleurs dans le monde, aurait un doute sur quelque chose qui pourrait être les prémices de la maladie dont nous parlons, a les moyens de s'informer, d'avoir une information particulière et un suivi particulier. Je le répète : le dispositif sanitaire français est parfaitement au point et J.-F. Mattei y veille tout particulièrement."
Un mot sur l'équipe qui était à Hanoi : on a l'impression qu'elle a fait progresser la lutte contre la maladie ?
- "Ce sont des gens formidables, ce sont des médecins, des anesthésistes, des infirmières, venus de Paris, de Seine-Saint-Denis, de Pau, le Lille. Ils ont été jetés dans la gueule du loup, sauver des confrères à eux à l'hôpital français de Hanoi, stopper la propagation de l'épidémie dans cet hôpital et certainement, du même fait, au Vietnam et dans le monde. Ce sont des gens dont la France peut être fière."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 avril 2003)