Texte intégral
Les deux jours de contact que nous avons eu se sont déroulés dans un bon climat, celui de notre alliance, celui de relations très profondes, très enracinées.
En matière de défense, je place ces rencontres sous le signe d'un engagement commun de deux pays qui acceptent de prendre des risques, d'aller au fond de leur choix politiques, et d'agir sur les crises, notamment là où elles sont les plus sérieuses et les plus risquées pour ceux qui y prennent part. Je crois qu'il y a une estime profonde et un sentiment de communauté qui permet de traiter les autres problèmes de l'Alliance de manière confiante.
Je voudrais citer quatre sujets sur lesquels nous pensons progresser, sur lesquels nous avons atteint un accord de travail pendant ces rencontres.
Le premier, c'est la poursuite de la coopération en matière d'analyse des problèmes de maintien de la paix puisque nous sommes parmi les pays les plus engagés du monde là-dessus. Pendant la dernière décennie nous avons vécu les uns et les autres, parfois malheureusement, souvent avec des succès, de nombreuses situations de gestion de crise et la France pense être parmi les pays qui ont le plus à échanger dans ce domaine.
Le second sujet, qui est en rapport avec le premier c'est celui de l'Afrique. Les évolutions que nous avons accomplies, eux comme nous, nous conduisent à mettre en priorité le développement des capacités inter-africaines de maintien de la paix. Ce qui est quand même assez nouveau par rapport aux situations de crises que l'Afrique a vécu ces dernières années. Je crois qu'on est d'accord sur ce principe, il nous reste à construire dessus. Les Américains et nous tenons à prendre des initiatives pour aider les pays africains volontaires à s'organiser, à développer leur capacité. Nous tâchons de faire une partie de ce travail en commun et en tout cas en bonne entente. L'idée n'étant d'ailleurs pas d'avoir un partenariat fermé, mais d'amener d'autres grands pays à coopérer avec nous.
Troisième sujet, c'est notre préoccupation commune envers la prolifération. Il est clair qu'un des risques nouveau de la situation de l'après-guerre froide est la tendance à moins contrôler la prolifération.
Dernier point, nos deux pays ont, je crois, leurs propres lignes en matière d'industrie et de technologies de défense. Mais les Américains écoutent avec intérêt les suggestions que nous faisons en matière de mise en commun de certains thèmes de recherche ou de développement. En préparations de cette visite, nous nous étions rendus compte que sur l'espace, nous pouvions aller plus loin et examiner les objectifs communs que nous pouvions nous fixer. Un accord a été conclu pour "lister" les thèmes de recherches et de développement commun que nous pourrions avoir en matière d'espace. Ceci fera l'objet d'une évaluation dans les mois qui viennent.
Quelques mots au-delà de ces têtes de chapitres, pour souligner qu'évidemment notre relation de Défense est en étroite collaboration avec tout le travail que nous faisons au sein de l'Alliance, notamment sur le plan des relations internationales entre les ministres des Affaires étrangères. Ceci nous permet de vérifier que la relation entre les Etats-Unis et la France au sein de l'OTAN a, à nos yeux, progressé et que la nouvelle position de la France au sein de l'Alliance est bien acceptée et bien comprise par nos amis américains. Je crois qu'ils soutiendront la France pour lui permettre d'exercer pleinement les responsabilités auxquelles elle peut prendre part dans l'Alliance, notamment en ce qui concerne ce qu'on appelle les GIFM, c'est-à-dire les noyaux d'état major de crise potentielle dans les régions à problème. Mais aussi pour la planification commune, afin de gérer à l'avenir des situations de type bosniaque, de manière bien préparés, en étant autant inter-opérables que possible.
Sur la nouvelle relation au sein de l'OTAN, je crois que nous sommes sur la bonne voie. Nous poursuivons le dialogue avec nos amis américains sur la place que peut avoir l'Europe dans l'ensemble atlantique. Nous sommes convaincus que là aussi ce sera l'une des choses qui vont mûrir dans la situation de l'après-guerre froide, du fait que le système européen, dans son ensemble, offre pour la première fois aux Etats-Unis, le possible partenariat équilibré qu'ils ont souhaité de longue date. Il nous reste à l'accomplir par des actes concrets. Mais il est clair que, par exemple, l'achèvement de l'Union économique et monétaire est un signe important pour nos amis américains que l'Europe franchit des étapes, et que les sujets qui ont été traditionnellement des sujets de scepticisme deviennent des réalités.
Je voudrais souligner, à cet égard, que la France ne tire peut-être pas encore les bénéfices de la consolidation de nos choix financiers en matière de défense, qui a été la décision du président du gouvernement en début de ce mois, mais il me semble qu'en agissant ainsi nous recréons une visibilité, un sentiment de cohérence et de stabilité qui sera également utile pour la poursuite de nos rapports avec un grand partenaire comme les Etats-Unis, en faisant apparaître que, à l'unisson de ses principaux partenaires européens, la France n'a pas une attitude de négligence à l'égard de ces propres engagements de défense.
Q - Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre passage au Congrès, en plein débat sur l'élargissement de l'OTAN ?
R - Mon passage au Congrès était prévu quelque soit l'ordre du jour au Congrès. Ce voyage était en préparation depuis quelques mois. En temps que vieux parlementaire moi-même, j'avais évidemment la réaction de prudence élémentaire de ne pas interférer avec le débat et ce que je souhaitais c'était de familiariser certains des sénateurs les plus versés dans les relations de Défense, avec l'idée que l'Europe de la Défense avançait et que nous étions en ligne sur les principaux dossiers mondiaux au sein de l'Alliance. Les sénateurs rencontrés m'ont aussi donné leur éclairage.
Q - Sur la diminution de la présence française et américaine en Bosnie ?
R - En ce qui concerne la France, la diminution sera, dans la première phase, homéopathique. Nous resterons au dessus de trois mille et nous garderons le niveau de responsabilités dans l'organisation du théâtre bosniaque : le commandement adjoint de la force et le commandement de la zone sud-est. Notre réduction en première phase sera très limitée.
Celle des Etats-Unis sera plus perceptible, elle devrait être de l'ordre de 15 % par rapport à leur présence actuelle dans la SFOR. Ce qui est en question était le maintien d'un engagement clair des Etats-Unis au sol.
C'est toujours dur de mettre en valeur des bonnes nouvelles, mais rappelons-nous ce que l'on discutait en novembre ou en décembre au sujet de la présence américaine au sein de la SFOR. Le fait que nos amis américains descendent autour de 7000 hommes, dans la configuration d'une force totale à 30-33000 hommes, représente une participation à l'effort commun qui nous convient parfaitement.
Ce qui est plus malcommode c'est qu'il n'y a pas de terme fixé à la présence de la nouvelle SFOR. On ne dit pas cela s'arrête tel jour, parce qu'on voyait bien les inconvénients de faire ce choix par avance et de l'afficher. L'idée qui vient en grande partie des propositions de notre collègue et ami, Volker Ruhe, quand nous étions tous en train de "brainstormer" sur cette question, est de dire que l'on fera des évaluations par semestre.
Nous sommes sans illusion, ce ne sera pas à la fin du 2ème semestre 1998 que l'on pourra sans doute faire de grandes évaluations car on va sans doute vivre des périodes de tensions et des périodes difficiles d'applications des Accords de Dayton d'ici à la fin de l'année. Mais on peut penser qu'à l'évaluation du printemps 1999, il sera possible de consentir une première réduction du potentiel militaire.
On va ensuite tomber sur la seconde difficulté qui est la complexité le l'opération. C'est en effet une structure complexe avec des divisions par territoire, avec des missions bien partagées et avec 40 ou 41 pays qui contribuent et qui veulent continuer à contribuer. La réduction de tout cela risque d'être complexe, mais il faudra bien la faire. Il me semble que dans un an nous serons en mesure d'y travailler concrètement.
Q - Pouvez-vous nous parler de l'incident en Bosnie qui a faillit perturber votre visite ?
R - Non.
Q - Etes-vous éclairé sur les origines de la fuite et à votre avis pourquoi a t-elle eu lieu ?
R - Ce n'est vraiment pas l'endroit ni le moment pour le faire.
Q - Y a-t-il toujours un projet et une participation des Français à une arrestation musclée des dirigeants serbes?
R - Nous considérons que l'arrestation de toutes les personnes ayant fait l'objet d'un mandat du tribunal international fait partie de notre engagement, et nous y donnerons suite. On ne peut parler de ces missions que de façon superficielle.
Q - Et la France va le faire?
R - Sa résolution politique est de contribuer efficacement à l'ensemble de ces arrestations. Nos amis américains, leurs autorités compétentes, ont souligné le climat de confiance dans lequel nous travaillons.
Q - Quelle était l'idée de ceux qui ont révélé cette situation?
R - L'idée de révéler supposerait que l'idée soit exacte ce qui n'est pas exact. Nous avons fait les démentis nécessaires. Donc, c'est une manipulation.
Q - Sur les déclarations officielles américaines sur cette affaire ?
R - Je suis pleinement d'accord avec ces déclarations et elles me satisfont.
Q - Sur le Kossovo, quel genre de pression avez-vous en tête pour les Serbes ?
R - Le Groupe de contact fonctionne assez bien. Cela aussi cela vaut la peine de le rappeler puisque cette crise est ouverte depuis deux mois. Les membres les plus intéressés de la communauté internationale mesurent l'utilité d'avoir une concertation très étroite et de chercher, étape par étape, des solutions. Je crois d'ailleurs que les quatre Européens sur les six travaillent avec le sentiment qu'ils travaillent pour toute l'Union européenne. Sur les objectifs, les membres du Groupe de contact, Russes compris, sont au clair. Il est demandé aux autorités serbes de négocier pour aménager une autonomie suffisante du Kossovo au sein de la Fédération de Yougoslavie. Nous insistons auprès des représentants de la communauté Kossovare sur le fait que l'indépendance n'est pas en discussion. Aucun membre du Groupe de contact, ni de la communauté internationale ne peut soutenir le thème de l'indépendance. Sur ces objectifs-là, nous sommes au clair.
Le Groupe de contact s'est mis d'accord sur des sanctions à caractère financier. Nous savons tous que si ces éléments de pression donnent des résultats, la négociation s'ouvrira. Par ailleurs, nous sommes aussi au clair sur les perspectives de rétablissement de sa place internationale qui peuvent être offertes à la Fédération de Yougoslavie. Si cela ne suffit pas, nous sommes en train dévaluer, les uns et les autres, ce que sont les autres formes de pression. Evoquer celles-ci publiquement serait prématuré, à la fois parce qu'elles n'ont pas fait l'objet de conclusion au sein de chacun de nos gouvernements et ce serait anticiper sur une dégradation de la situation qui n'est pas acquise. Nous espérons que les nouvelles mesures vont produire leur effet.
Nous savons que la communauté internationale doit montrer plus d'efficacité et plus de réactivité à la situation que cela a été le cas en Bosnie. Le précédent bosniaque a un autre effet : l'un des principaux protagonistes, c'est-à-dire le président Milosevic, a pu vérifier par expérience que si la situation débouchait sur un affrontement armé très grave, la communauté internationale pre
ndrait ses responsabilités. Pour être plus précis, une des difficultés est que si on entre dans un système de mesures de précaution à caractère militaire, elles doivent être équilibrées : à la fois sur le risque d'action extrémiste et terroriste de la part de membres de la communauté kossovare et sur les autorités serbes.
Q - Cette question n'a rien à voir avec la Bosnie. Ici, il y a eu ces dernières semaines des réunions d'experts, de spécialistes sur la question du nucléaire. La France et les Etats-Unis sont accusés de se préparer à violer allègrement le Traité qu'ils ont signé, en procédant à des expérimentations nucléaires, non pas de simulations, mais au niveau "sous-critique". Quelle est la position française par rapport à ce genre d'expériences, d'essais ? Est-ce éviter la modernisation continue des forces nucléaires ?
R - Ecoutez, cela me paraît simple, nous avons supprimé notre site d'essais et sans vouloir rentrer dans des compétitions. Je me permets de faire observer que nous sommes le seul des pays nucléaires qui a supprimé un site d'essai. Donc, c'est clair et l'option de la France pour maintenir sa capacité de dissuasion, ce qui est en effet son choix politique puisque nous considérons que la seule option véritablement ouverte est d'avoir sa dissuasion et de ne pas compter sur celle des autres ou d'un autre, c'est la simulation. Le débat que nous avons mené au sein de l'exécutif sur l'ajustement de la loi de programmation, comme chacun peut le remarquer, n'a pas entraîné d'effet sur le programme de simulation..
Q - Vous maintenez qu'il n'y a aucune perspective, aucun type d'expérimentation, de test, en dehors de la simulation, qui est du virtuel, impliquant les armes nucléaires?
R - La simulation n'est pas du virtuel, c'est l'emploi d'autres procédés physiques pour tester les conséquences d'explosion à partir des techniques de laser. Ce n'est pas strictement virtuel. C'est d'ailleurs pour cela qu'ont été stockées un très grand nombre de données, issue de la dernière campagne d'essais pour pouvoir faire la comparaison. Mais en effet, il n'y aura pas d'autre modalité de maintien des performances et des capacités du système de dissuasion français en dehors de la simulation.
Q - Donc, vous n'êtes pas d'accord avec le président Clinton pour travailler ensemble ?
R - Il y a une coopération de type strictement scientifique avec les Américains sur la validation des hypothèses de simulations. On reste dans le cadre de la simulation.
Q - Avez-vous le sentiment d'un certain scepticisme américain sur l'idée de défense européenne ?
R - L'avantage, c'est qu'on y est habitué. Honnêtement, c'est normal qu'une puissance comme les Etats-Unis et son opinion publique soient ambigus sur le développement de l'unité européenne. Cela change des habitudes. On sait ce qu'on a, on ne sait pas ce qu'on trouvera. En même temps, le fait d'être la seule puissance mondiale est tout de même quelque chose d'assez éprouvant et les Etats-Unis mesurent un peu chaque jour, ainsi que leur opinion publique, l'ensemble des sollicitations et l'ensemble de défis que peut représenter cette position face à un monde où les facteurs de crise ont tendance à se multiplier.
Donc, j'ai pleine confiance en une Europe plus active et plus responsable en terme de sécurité. Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui pensent cela aux Etats-Unis. Il est normal qu'ils ne devancent pas au fond notre propre évolution.
Je constate la fréquente convergence de vues sur les sujets concrets ; c'est-à-dire là où il y a des crises, là où il y a des problèmes entre les partenaires de l'Union européenne. Pour mieux la voir, il n'y a pas d'événements flagrants qui permettent de dire à partir du 1er janvier de telle année que les choses ont changé. Quand vous regardez sur une séquence de 5 ans ou 10 ans l'évolution, cela devient tout de suite beaucoup plus visible.
Il y a 10 ans, le fait qu'il y ait des positions communes entre les Européens sur la crise israélo-palestinienne, était une vue de l'esprit. Aujourd'hui, il n'y a plus de divergences. C'est ma conviction.
Je crois que l'unification des visions et des objectifs des Européens en matière de politique étrangère et de sécurité se fait par paquets, se fait par dossiers et qu'il y a de plus en plus de dossiers sur lesquels on a des positions conjointes. Tout naturellement, les observateurs concentrent plus leur attention sur les sujets sur lesquels nous n'avons pas encore de positions communes et il en reste. Donc, c'est la première série de choses : c'est que nous avons plus de convergences politiques de fond qu'avant.
La seconde, c'est que nous nous avançons à l'européenne, c'est-à-dire en passant d'abord par le concret, en matière d'industrie de Défense. Nous sommes entrés dans un processus qui va unifier l'industrie de Défense européenne à relativement court terme. Nos amis américains savent cela et vont mesurer intérêt que cela représente pour eux parce qu'ils vivent de façon parfaitement rationnelle dans un grand partenariat entre leurs autorités militaires, leur budget de Défense et leur industrie de Défense. Ils savent très bien tout ce que cela peut entraîner comme dynamique et donc, ils mesurent pleinement que si nous parvenons à une situation analogue en Europe. Cela changera beaucoup de choses.
Mon sentiment, c'est que ce mouvement est lancé, qu'il a sa dynamique propre, qu'il changera aussi nos habitudes, à nous Européens, à nous Français, et ce mouvement sera très difficile à arrêter.
On l'a bien vécu, nous Français, en modèle réduit avec Thomson. Une fois que l'affaire était en débat, le fait de ne pas la trancher décrédibiliserait l'entreprise et je suis convaincu que n'importe quel dirigeant de British Aerospace, de DASA ou d'Aérospatiale, si nous n'avons pas trouvé la base d'un accord d'ici un an à un an et demi, viendra nous prendre par le collet et nous dira que nous sommes en train de lui casser ses marchés. Donc, si nos amis américains regardent aussi attentivement cette affaire de consolidation de l'industrie européenne, c'est parce qu'ils apprécient très bien ce que cela va changer. C'est un deuxième sujet.
Troisième sujet, je suis très frappé de ce qu'aux Etats-Unis, il y a deux ou trois ans, la communauté financière ne croyait pas à l'euro, ils étaient convaincus que cela allait se casser le nez. Maintenant, c'est une affaire réglée, donc ils se disent : les Européens franchissent des étapes.
Ajoutons à cela, puisque l'histoire de l'euro est assez pédagogique à certains égards, que la relation spéciale entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, c'est quelque chose de respectable, ce n'est pas quelque chose qui doit prêter à ironie, et c'est parfaitement cohérent pour les deux pays. Mais le fait que cela puisse faire obstacle à des étapes importantes de la construction européenne a pu être une école de pensée aux Etats-Unis. L'exemple de l'euro montre que, en l'occurrence, cela marche dans l'autre sens. L'effet d'entraînement joue, y compris sur la position de fond de la Grande-Bretagne.
Q - Le cheval de bataille des Américains actuellement, c'est la coopération industrielle. Quelles sont vos positions ?
R - C'est un sujet entre Européens parce que plusieurs de nos industriels, y compris les Français, ont des intérêts industriels non-négligeables ici. Nous avons des partenariats, des filiales américaines et dans les discussions de marchands de tapis de grande ampleur qui vont se dérouler sur les rapprochements entre industries européennes, l'importance du fond de commerce ici aux Etats-Unis, et la façon dont on va le valoriser, la façon dont on va éventuellement faire converger les efforts en direction de l'industrie américaine sont parmi les sujets chauds. Mais, entre autorité politiques, non, cela n'a pas été tellement discuté. Le jour où nous le ferons il y aura quand même des problèmes, parce que, en réalité, le schéma qui est dans la tête de tout le monde, y compris la mienne, c'est qu'il y aura une industrie européenne qui aura des liens de souveraineté, ayant une responsabilité politique en direction des gouvernements européens, comme il y a ici des liens forts entre l'industrie américaine et le gouvernement, ce qui est tout à fait normal. Les champs de coopération seront forcément régulés politiquement.
Q - Positions communes sur l'Iraq ?
R - Nous sommes chacun sur un versant de la montagne, mais on sait que c'est la même montagne et nous réinsistons à chaque fois sur le fait que nous partageons la vision d'un risque représenté par les capacités iraquiennes en matière d'armes de destruction massive et qu'il faut bien constater que l'Iraq a été singulièrement non-coopératif, au cours de ces toutes dernières années en matière d'application de ses obligations issues des résolutions de 1991.
Nous avons, je crois, indiqué clairement au moment de l'accord obtenu par Kofi Annan que la pression militaire américaine avait été une des composantes de ce résultat. Les Américains l'ont bien enregistré. Aujourd'hui, les thèmes de discussion tournent plutôt autour de : qu'est-ce qui peut faire que d'autres progrès soient constatés, que la poursuite des contrôles de l'UNSCOM aboutissent à un constat d'accomplissement total ou très avancé des obligations de l'Iraq ?
Nous souhaitons contribuer, et je crois que les Américains approuvent cela, à cette nouvelle phase de progrès en apportant une part technique accrue au fonctionnement de l'UNSCOM. Les représentants de l'UNSCOM étaient à Paris la semaine dernière et il a été entendu que des techniciens supplémentaires dans diverses disciplines participeraient à l'UNSCOM. Par ailleurs, nous allons mettre une capacité d'observation aérienne supplémentaire là-bas, avec le plein accord des Etats-Unis.
Q - Quel type de capacité d'observation aérienne supplémentaire ?
R - Il y aura un avion équipé pour apporter des moyens de surveillance supplémentaires. C'est en discussion, mais, c'est une question de semaines.
Q - Il y a ici une véritable folie sur les armes chimiques et bactériologiques...
R - Cela se justifie. Dans nos échanges, nous soulignons, vis-à-vis des Américains que nous sommes sans doute beaucoup plus près d'une vérification totale sur la capacité nucléaire et sur la capacité balistique que sur les capacités biologiques des Iraquiens. C'est sûrement une des priorités des contrôles des prochains mois. Il ne faut pas oublier par ailleurs que la France a quand même des liens de défense et de sécurité assez intenses avec plusieurs pays de la zone, donc on n'irait peut-être pas au bout de notre crédibilité, si on n'était pas tout à fait pointilleux sur le contrôle de ces menaces.
Q - La seule vraie menace pour les Etats-Unis est l'accident nucléaire en Russie. A-t-on la même vision apocalyptique à Paris de l'état de délabrement du système russe ?
R - Nous devons faire tout nos efforts pour l'écarter.
Q - C'est donc que la menace est réelle ?
R - Non, mais il ne faut pas attendre qu'elle le soit. La nouvelle place de la Russie dans l'échiquier international et dans les risques de déstabilisation est un vrai sujet. Et c'est une des raisons pour lesquelles tous les pays de l'OTAN à l'heure actuelle attachent du prix au bon fonctionnement de la concertation avec les Russes. D'ailleurs, je crois que beaucoup d'entre nous se réjouissent de la prochaine confirmation du ministre de la Défense à nouveau là-bas, puisque c'est un partenaire dont nous apprécions la franchise et la loyauté.
Il est sûr que nous percevons le système de Défense russe comme en déséquilibre, et un des soucis de notre collègue est de faire une réforme en profondeur.
Les choix politiques des autorités russes nous paraissent bons et raisonnables dans un contexte financier extrêmement dégradé. C'est un fait normal, à partir du moment où nous avons des relations de confiance, des relations de transparence entre nous, de prendre en compte aussi le facteur financier pour apprécier la crédibilité de la situation des uns ou des autres.
C'est pour cela que j'étais assez actif au sein du gouvernement au cours des derniers mois pour stabiliser la situation en terme de capacité d'investissement. Tout cela forme une clé de voûte pour savoir si toutes nos assertions politiques sont vraies ou pas.
Quand à la situation russe, je ne veux pas entrer dans des fantasmagories, mais il est clair que sur certaines capacités, probablement pas les capacités nucléaires ou balistiques, il y a une dégradation des moyens financiers pour la maintenance de l'appareil militaire russe. Ceci est porteur de danger et on court le risque de cession sur le marché noir.
D'un autre point de vue, en matière de prolifération, l'appauvrissement de l'appareil militaire russe est un sujet de réflexion.
Q - Construction d'un bouclier antimissile aux Etats-Unis ?
R - C'est un sujet en effet parce que pour nous la solidité de la dissuasion suppose une observation régulière des capacités antimissiles de tout le monde. Il est normal que les Etats-Unis soient en avance, c'est la première puissance mondiale, c'est le premier potentiel militaire du monde. Ils ont naturellement vocation à innover en la matière, mais comme William Cohen le disait lui-même tout à l'heure lors de notre conférence de presse commune, toute initiative en la matière est de nature à changer la répartition des forces, donc, c'est en cela que cela nous intéresse.
Q - Serons-nous informés ?
R - Il y a des relations de partenariat qui s'établissent dans la périphérie des enjeux nucléaires que je ne peux pas tellement traiter dans des réunions de presse. Je sais que cela a des inconvénients, mais, honnêtement, si l'ensemble du travail des pays qui sont à la fois des puissances nucléaires et des démocraties étaient sur la place publique, cela aurait aussi des inconvénients.
Q - C'est un Rafale que vous mettrez à disposition de l'UNSCOM ?
R - Non, le support pour l'UNSCOM, c'est un Mirage 4 équipé. Il décollera de l'endroit qui lui conviendra le mieux après avoir trouvé les accords avec les partenaires régionaux.
Q - Cela n'a pas de rapport avec l'affaire Dumas, mais est-ce que la France continue à livrer à Taïwan ?
R - Nous appliquons les contrats passés. Je souligne, au passage, que notre système de contrôle de cession de matériel de guerre fonctionne assez bien. Notre système ne permet pas de cession de matériel de défense sans une réelle régulation politique. Cela fait longtemps que cela marche et cela marche correctement.
Je regrette de ne pas pouvoir rester plus longtemps avec vous... Merci./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2001)
En matière de défense, je place ces rencontres sous le signe d'un engagement commun de deux pays qui acceptent de prendre des risques, d'aller au fond de leur choix politiques, et d'agir sur les crises, notamment là où elles sont les plus sérieuses et les plus risquées pour ceux qui y prennent part. Je crois qu'il y a une estime profonde et un sentiment de communauté qui permet de traiter les autres problèmes de l'Alliance de manière confiante.
Je voudrais citer quatre sujets sur lesquels nous pensons progresser, sur lesquels nous avons atteint un accord de travail pendant ces rencontres.
Le premier, c'est la poursuite de la coopération en matière d'analyse des problèmes de maintien de la paix puisque nous sommes parmi les pays les plus engagés du monde là-dessus. Pendant la dernière décennie nous avons vécu les uns et les autres, parfois malheureusement, souvent avec des succès, de nombreuses situations de gestion de crise et la France pense être parmi les pays qui ont le plus à échanger dans ce domaine.
Le second sujet, qui est en rapport avec le premier c'est celui de l'Afrique. Les évolutions que nous avons accomplies, eux comme nous, nous conduisent à mettre en priorité le développement des capacités inter-africaines de maintien de la paix. Ce qui est quand même assez nouveau par rapport aux situations de crises que l'Afrique a vécu ces dernières années. Je crois qu'on est d'accord sur ce principe, il nous reste à construire dessus. Les Américains et nous tenons à prendre des initiatives pour aider les pays africains volontaires à s'organiser, à développer leur capacité. Nous tâchons de faire une partie de ce travail en commun et en tout cas en bonne entente. L'idée n'étant d'ailleurs pas d'avoir un partenariat fermé, mais d'amener d'autres grands pays à coopérer avec nous.
Troisième sujet, c'est notre préoccupation commune envers la prolifération. Il est clair qu'un des risques nouveau de la situation de l'après-guerre froide est la tendance à moins contrôler la prolifération.
Dernier point, nos deux pays ont, je crois, leurs propres lignes en matière d'industrie et de technologies de défense. Mais les Américains écoutent avec intérêt les suggestions que nous faisons en matière de mise en commun de certains thèmes de recherche ou de développement. En préparations de cette visite, nous nous étions rendus compte que sur l'espace, nous pouvions aller plus loin et examiner les objectifs communs que nous pouvions nous fixer. Un accord a été conclu pour "lister" les thèmes de recherches et de développement commun que nous pourrions avoir en matière d'espace. Ceci fera l'objet d'une évaluation dans les mois qui viennent.
Quelques mots au-delà de ces têtes de chapitres, pour souligner qu'évidemment notre relation de Défense est en étroite collaboration avec tout le travail que nous faisons au sein de l'Alliance, notamment sur le plan des relations internationales entre les ministres des Affaires étrangères. Ceci nous permet de vérifier que la relation entre les Etats-Unis et la France au sein de l'OTAN a, à nos yeux, progressé et que la nouvelle position de la France au sein de l'Alliance est bien acceptée et bien comprise par nos amis américains. Je crois qu'ils soutiendront la France pour lui permettre d'exercer pleinement les responsabilités auxquelles elle peut prendre part dans l'Alliance, notamment en ce qui concerne ce qu'on appelle les GIFM, c'est-à-dire les noyaux d'état major de crise potentielle dans les régions à problème. Mais aussi pour la planification commune, afin de gérer à l'avenir des situations de type bosniaque, de manière bien préparés, en étant autant inter-opérables que possible.
Sur la nouvelle relation au sein de l'OTAN, je crois que nous sommes sur la bonne voie. Nous poursuivons le dialogue avec nos amis américains sur la place que peut avoir l'Europe dans l'ensemble atlantique. Nous sommes convaincus que là aussi ce sera l'une des choses qui vont mûrir dans la situation de l'après-guerre froide, du fait que le système européen, dans son ensemble, offre pour la première fois aux Etats-Unis, le possible partenariat équilibré qu'ils ont souhaité de longue date. Il nous reste à l'accomplir par des actes concrets. Mais il est clair que, par exemple, l'achèvement de l'Union économique et monétaire est un signe important pour nos amis américains que l'Europe franchit des étapes, et que les sujets qui ont été traditionnellement des sujets de scepticisme deviennent des réalités.
Je voudrais souligner, à cet égard, que la France ne tire peut-être pas encore les bénéfices de la consolidation de nos choix financiers en matière de défense, qui a été la décision du président du gouvernement en début de ce mois, mais il me semble qu'en agissant ainsi nous recréons une visibilité, un sentiment de cohérence et de stabilité qui sera également utile pour la poursuite de nos rapports avec un grand partenaire comme les Etats-Unis, en faisant apparaître que, à l'unisson de ses principaux partenaires européens, la France n'a pas une attitude de négligence à l'égard de ces propres engagements de défense.
Q - Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre passage au Congrès, en plein débat sur l'élargissement de l'OTAN ?
R - Mon passage au Congrès était prévu quelque soit l'ordre du jour au Congrès. Ce voyage était en préparation depuis quelques mois. En temps que vieux parlementaire moi-même, j'avais évidemment la réaction de prudence élémentaire de ne pas interférer avec le débat et ce que je souhaitais c'était de familiariser certains des sénateurs les plus versés dans les relations de Défense, avec l'idée que l'Europe de la Défense avançait et que nous étions en ligne sur les principaux dossiers mondiaux au sein de l'Alliance. Les sénateurs rencontrés m'ont aussi donné leur éclairage.
Q - Sur la diminution de la présence française et américaine en Bosnie ?
R - En ce qui concerne la France, la diminution sera, dans la première phase, homéopathique. Nous resterons au dessus de trois mille et nous garderons le niveau de responsabilités dans l'organisation du théâtre bosniaque : le commandement adjoint de la force et le commandement de la zone sud-est. Notre réduction en première phase sera très limitée.
Celle des Etats-Unis sera plus perceptible, elle devrait être de l'ordre de 15 % par rapport à leur présence actuelle dans la SFOR. Ce qui est en question était le maintien d'un engagement clair des Etats-Unis au sol.
C'est toujours dur de mettre en valeur des bonnes nouvelles, mais rappelons-nous ce que l'on discutait en novembre ou en décembre au sujet de la présence américaine au sein de la SFOR. Le fait que nos amis américains descendent autour de 7000 hommes, dans la configuration d'une force totale à 30-33000 hommes, représente une participation à l'effort commun qui nous convient parfaitement.
Ce qui est plus malcommode c'est qu'il n'y a pas de terme fixé à la présence de la nouvelle SFOR. On ne dit pas cela s'arrête tel jour, parce qu'on voyait bien les inconvénients de faire ce choix par avance et de l'afficher. L'idée qui vient en grande partie des propositions de notre collègue et ami, Volker Ruhe, quand nous étions tous en train de "brainstormer" sur cette question, est de dire que l'on fera des évaluations par semestre.
Nous sommes sans illusion, ce ne sera pas à la fin du 2ème semestre 1998 que l'on pourra sans doute faire de grandes évaluations car on va sans doute vivre des périodes de tensions et des périodes difficiles d'applications des Accords de Dayton d'ici à la fin de l'année. Mais on peut penser qu'à l'évaluation du printemps 1999, il sera possible de consentir une première réduction du potentiel militaire.
On va ensuite tomber sur la seconde difficulté qui est la complexité le l'opération. C'est en effet une structure complexe avec des divisions par territoire, avec des missions bien partagées et avec 40 ou 41 pays qui contribuent et qui veulent continuer à contribuer. La réduction de tout cela risque d'être complexe, mais il faudra bien la faire. Il me semble que dans un an nous serons en mesure d'y travailler concrètement.
Q - Pouvez-vous nous parler de l'incident en Bosnie qui a faillit perturber votre visite ?
R - Non.
Q - Etes-vous éclairé sur les origines de la fuite et à votre avis pourquoi a t-elle eu lieu ?
R - Ce n'est vraiment pas l'endroit ni le moment pour le faire.
Q - Y a-t-il toujours un projet et une participation des Français à une arrestation musclée des dirigeants serbes?
R - Nous considérons que l'arrestation de toutes les personnes ayant fait l'objet d'un mandat du tribunal international fait partie de notre engagement, et nous y donnerons suite. On ne peut parler de ces missions que de façon superficielle.
Q - Et la France va le faire?
R - Sa résolution politique est de contribuer efficacement à l'ensemble de ces arrestations. Nos amis américains, leurs autorités compétentes, ont souligné le climat de confiance dans lequel nous travaillons.
Q - Quelle était l'idée de ceux qui ont révélé cette situation?
R - L'idée de révéler supposerait que l'idée soit exacte ce qui n'est pas exact. Nous avons fait les démentis nécessaires. Donc, c'est une manipulation.
Q - Sur les déclarations officielles américaines sur cette affaire ?
R - Je suis pleinement d'accord avec ces déclarations et elles me satisfont.
Q - Sur le Kossovo, quel genre de pression avez-vous en tête pour les Serbes ?
R - Le Groupe de contact fonctionne assez bien. Cela aussi cela vaut la peine de le rappeler puisque cette crise est ouverte depuis deux mois. Les membres les plus intéressés de la communauté internationale mesurent l'utilité d'avoir une concertation très étroite et de chercher, étape par étape, des solutions. Je crois d'ailleurs que les quatre Européens sur les six travaillent avec le sentiment qu'ils travaillent pour toute l'Union européenne. Sur les objectifs, les membres du Groupe de contact, Russes compris, sont au clair. Il est demandé aux autorités serbes de négocier pour aménager une autonomie suffisante du Kossovo au sein de la Fédération de Yougoslavie. Nous insistons auprès des représentants de la communauté Kossovare sur le fait que l'indépendance n'est pas en discussion. Aucun membre du Groupe de contact, ni de la communauté internationale ne peut soutenir le thème de l'indépendance. Sur ces objectifs-là, nous sommes au clair.
Le Groupe de contact s'est mis d'accord sur des sanctions à caractère financier. Nous savons tous que si ces éléments de pression donnent des résultats, la négociation s'ouvrira. Par ailleurs, nous sommes aussi au clair sur les perspectives de rétablissement de sa place internationale qui peuvent être offertes à la Fédération de Yougoslavie. Si cela ne suffit pas, nous sommes en train dévaluer, les uns et les autres, ce que sont les autres formes de pression. Evoquer celles-ci publiquement serait prématuré, à la fois parce qu'elles n'ont pas fait l'objet de conclusion au sein de chacun de nos gouvernements et ce serait anticiper sur une dégradation de la situation qui n'est pas acquise. Nous espérons que les nouvelles mesures vont produire leur effet.
Nous savons que la communauté internationale doit montrer plus d'efficacité et plus de réactivité à la situation que cela a été le cas en Bosnie. Le précédent bosniaque a un autre effet : l'un des principaux protagonistes, c'est-à-dire le président Milosevic, a pu vérifier par expérience que si la situation débouchait sur un affrontement armé très grave, la communauté internationale pre
ndrait ses responsabilités. Pour être plus précis, une des difficultés est que si on entre dans un système de mesures de précaution à caractère militaire, elles doivent être équilibrées : à la fois sur le risque d'action extrémiste et terroriste de la part de membres de la communauté kossovare et sur les autorités serbes.
Q - Cette question n'a rien à voir avec la Bosnie. Ici, il y a eu ces dernières semaines des réunions d'experts, de spécialistes sur la question du nucléaire. La France et les Etats-Unis sont accusés de se préparer à violer allègrement le Traité qu'ils ont signé, en procédant à des expérimentations nucléaires, non pas de simulations, mais au niveau "sous-critique". Quelle est la position française par rapport à ce genre d'expériences, d'essais ? Est-ce éviter la modernisation continue des forces nucléaires ?
R - Ecoutez, cela me paraît simple, nous avons supprimé notre site d'essais et sans vouloir rentrer dans des compétitions. Je me permets de faire observer que nous sommes le seul des pays nucléaires qui a supprimé un site d'essai. Donc, c'est clair et l'option de la France pour maintenir sa capacité de dissuasion, ce qui est en effet son choix politique puisque nous considérons que la seule option véritablement ouverte est d'avoir sa dissuasion et de ne pas compter sur celle des autres ou d'un autre, c'est la simulation. Le débat que nous avons mené au sein de l'exécutif sur l'ajustement de la loi de programmation, comme chacun peut le remarquer, n'a pas entraîné d'effet sur le programme de simulation..
Q - Vous maintenez qu'il n'y a aucune perspective, aucun type d'expérimentation, de test, en dehors de la simulation, qui est du virtuel, impliquant les armes nucléaires?
R - La simulation n'est pas du virtuel, c'est l'emploi d'autres procédés physiques pour tester les conséquences d'explosion à partir des techniques de laser. Ce n'est pas strictement virtuel. C'est d'ailleurs pour cela qu'ont été stockées un très grand nombre de données, issue de la dernière campagne d'essais pour pouvoir faire la comparaison. Mais en effet, il n'y aura pas d'autre modalité de maintien des performances et des capacités du système de dissuasion français en dehors de la simulation.
Q - Donc, vous n'êtes pas d'accord avec le président Clinton pour travailler ensemble ?
R - Il y a une coopération de type strictement scientifique avec les Américains sur la validation des hypothèses de simulations. On reste dans le cadre de la simulation.
Q - Avez-vous le sentiment d'un certain scepticisme américain sur l'idée de défense européenne ?
R - L'avantage, c'est qu'on y est habitué. Honnêtement, c'est normal qu'une puissance comme les Etats-Unis et son opinion publique soient ambigus sur le développement de l'unité européenne. Cela change des habitudes. On sait ce qu'on a, on ne sait pas ce qu'on trouvera. En même temps, le fait d'être la seule puissance mondiale est tout de même quelque chose d'assez éprouvant et les Etats-Unis mesurent un peu chaque jour, ainsi que leur opinion publique, l'ensemble des sollicitations et l'ensemble de défis que peut représenter cette position face à un monde où les facteurs de crise ont tendance à se multiplier.
Donc, j'ai pleine confiance en une Europe plus active et plus responsable en terme de sécurité. Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui pensent cela aux Etats-Unis. Il est normal qu'ils ne devancent pas au fond notre propre évolution.
Je constate la fréquente convergence de vues sur les sujets concrets ; c'est-à-dire là où il y a des crises, là où il y a des problèmes entre les partenaires de l'Union européenne. Pour mieux la voir, il n'y a pas d'événements flagrants qui permettent de dire à partir du 1er janvier de telle année que les choses ont changé. Quand vous regardez sur une séquence de 5 ans ou 10 ans l'évolution, cela devient tout de suite beaucoup plus visible.
Il y a 10 ans, le fait qu'il y ait des positions communes entre les Européens sur la crise israélo-palestinienne, était une vue de l'esprit. Aujourd'hui, il n'y a plus de divergences. C'est ma conviction.
Je crois que l'unification des visions et des objectifs des Européens en matière de politique étrangère et de sécurité se fait par paquets, se fait par dossiers et qu'il y a de plus en plus de dossiers sur lesquels on a des positions conjointes. Tout naturellement, les observateurs concentrent plus leur attention sur les sujets sur lesquels nous n'avons pas encore de positions communes et il en reste. Donc, c'est la première série de choses : c'est que nous avons plus de convergences politiques de fond qu'avant.
La seconde, c'est que nous nous avançons à l'européenne, c'est-à-dire en passant d'abord par le concret, en matière d'industrie de Défense. Nous sommes entrés dans un processus qui va unifier l'industrie de Défense européenne à relativement court terme. Nos amis américains savent cela et vont mesurer intérêt que cela représente pour eux parce qu'ils vivent de façon parfaitement rationnelle dans un grand partenariat entre leurs autorités militaires, leur budget de Défense et leur industrie de Défense. Ils savent très bien tout ce que cela peut entraîner comme dynamique et donc, ils mesurent pleinement que si nous parvenons à une situation analogue en Europe. Cela changera beaucoup de choses.
Mon sentiment, c'est que ce mouvement est lancé, qu'il a sa dynamique propre, qu'il changera aussi nos habitudes, à nous Européens, à nous Français, et ce mouvement sera très difficile à arrêter.
On l'a bien vécu, nous Français, en modèle réduit avec Thomson. Une fois que l'affaire était en débat, le fait de ne pas la trancher décrédibiliserait l'entreprise et je suis convaincu que n'importe quel dirigeant de British Aerospace, de DASA ou d'Aérospatiale, si nous n'avons pas trouvé la base d'un accord d'ici un an à un an et demi, viendra nous prendre par le collet et nous dira que nous sommes en train de lui casser ses marchés. Donc, si nos amis américains regardent aussi attentivement cette affaire de consolidation de l'industrie européenne, c'est parce qu'ils apprécient très bien ce que cela va changer. C'est un deuxième sujet.
Troisième sujet, je suis très frappé de ce qu'aux Etats-Unis, il y a deux ou trois ans, la communauté financière ne croyait pas à l'euro, ils étaient convaincus que cela allait se casser le nez. Maintenant, c'est une affaire réglée, donc ils se disent : les Européens franchissent des étapes.
Ajoutons à cela, puisque l'histoire de l'euro est assez pédagogique à certains égards, que la relation spéciale entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, c'est quelque chose de respectable, ce n'est pas quelque chose qui doit prêter à ironie, et c'est parfaitement cohérent pour les deux pays. Mais le fait que cela puisse faire obstacle à des étapes importantes de la construction européenne a pu être une école de pensée aux Etats-Unis. L'exemple de l'euro montre que, en l'occurrence, cela marche dans l'autre sens. L'effet d'entraînement joue, y compris sur la position de fond de la Grande-Bretagne.
Q - Le cheval de bataille des Américains actuellement, c'est la coopération industrielle. Quelles sont vos positions ?
R - C'est un sujet entre Européens parce que plusieurs de nos industriels, y compris les Français, ont des intérêts industriels non-négligeables ici. Nous avons des partenariats, des filiales américaines et dans les discussions de marchands de tapis de grande ampleur qui vont se dérouler sur les rapprochements entre industries européennes, l'importance du fond de commerce ici aux Etats-Unis, et la façon dont on va le valoriser, la façon dont on va éventuellement faire converger les efforts en direction de l'industrie américaine sont parmi les sujets chauds. Mais, entre autorité politiques, non, cela n'a pas été tellement discuté. Le jour où nous le ferons il y aura quand même des problèmes, parce que, en réalité, le schéma qui est dans la tête de tout le monde, y compris la mienne, c'est qu'il y aura une industrie européenne qui aura des liens de souveraineté, ayant une responsabilité politique en direction des gouvernements européens, comme il y a ici des liens forts entre l'industrie américaine et le gouvernement, ce qui est tout à fait normal. Les champs de coopération seront forcément régulés politiquement.
Q - Positions communes sur l'Iraq ?
R - Nous sommes chacun sur un versant de la montagne, mais on sait que c'est la même montagne et nous réinsistons à chaque fois sur le fait que nous partageons la vision d'un risque représenté par les capacités iraquiennes en matière d'armes de destruction massive et qu'il faut bien constater que l'Iraq a été singulièrement non-coopératif, au cours de ces toutes dernières années en matière d'application de ses obligations issues des résolutions de 1991.
Nous avons, je crois, indiqué clairement au moment de l'accord obtenu par Kofi Annan que la pression militaire américaine avait été une des composantes de ce résultat. Les Américains l'ont bien enregistré. Aujourd'hui, les thèmes de discussion tournent plutôt autour de : qu'est-ce qui peut faire que d'autres progrès soient constatés, que la poursuite des contrôles de l'UNSCOM aboutissent à un constat d'accomplissement total ou très avancé des obligations de l'Iraq ?
Nous souhaitons contribuer, et je crois que les Américains approuvent cela, à cette nouvelle phase de progrès en apportant une part technique accrue au fonctionnement de l'UNSCOM. Les représentants de l'UNSCOM étaient à Paris la semaine dernière et il a été entendu que des techniciens supplémentaires dans diverses disciplines participeraient à l'UNSCOM. Par ailleurs, nous allons mettre une capacité d'observation aérienne supplémentaire là-bas, avec le plein accord des Etats-Unis.
Q - Quel type de capacité d'observation aérienne supplémentaire ?
R - Il y aura un avion équipé pour apporter des moyens de surveillance supplémentaires. C'est en discussion, mais, c'est une question de semaines.
Q - Il y a ici une véritable folie sur les armes chimiques et bactériologiques...
R - Cela se justifie. Dans nos échanges, nous soulignons, vis-à-vis des Américains que nous sommes sans doute beaucoup plus près d'une vérification totale sur la capacité nucléaire et sur la capacité balistique que sur les capacités biologiques des Iraquiens. C'est sûrement une des priorités des contrôles des prochains mois. Il ne faut pas oublier par ailleurs que la France a quand même des liens de défense et de sécurité assez intenses avec plusieurs pays de la zone, donc on n'irait peut-être pas au bout de notre crédibilité, si on n'était pas tout à fait pointilleux sur le contrôle de ces menaces.
Q - La seule vraie menace pour les Etats-Unis est l'accident nucléaire en Russie. A-t-on la même vision apocalyptique à Paris de l'état de délabrement du système russe ?
R - Nous devons faire tout nos efforts pour l'écarter.
Q - C'est donc que la menace est réelle ?
R - Non, mais il ne faut pas attendre qu'elle le soit. La nouvelle place de la Russie dans l'échiquier international et dans les risques de déstabilisation est un vrai sujet. Et c'est une des raisons pour lesquelles tous les pays de l'OTAN à l'heure actuelle attachent du prix au bon fonctionnement de la concertation avec les Russes. D'ailleurs, je crois que beaucoup d'entre nous se réjouissent de la prochaine confirmation du ministre de la Défense à nouveau là-bas, puisque c'est un partenaire dont nous apprécions la franchise et la loyauté.
Il est sûr que nous percevons le système de Défense russe comme en déséquilibre, et un des soucis de notre collègue est de faire une réforme en profondeur.
Les choix politiques des autorités russes nous paraissent bons et raisonnables dans un contexte financier extrêmement dégradé. C'est un fait normal, à partir du moment où nous avons des relations de confiance, des relations de transparence entre nous, de prendre en compte aussi le facteur financier pour apprécier la crédibilité de la situation des uns ou des autres.
C'est pour cela que j'étais assez actif au sein du gouvernement au cours des derniers mois pour stabiliser la situation en terme de capacité d'investissement. Tout cela forme une clé de voûte pour savoir si toutes nos assertions politiques sont vraies ou pas.
Quand à la situation russe, je ne veux pas entrer dans des fantasmagories, mais il est clair que sur certaines capacités, probablement pas les capacités nucléaires ou balistiques, il y a une dégradation des moyens financiers pour la maintenance de l'appareil militaire russe. Ceci est porteur de danger et on court le risque de cession sur le marché noir.
D'un autre point de vue, en matière de prolifération, l'appauvrissement de l'appareil militaire russe est un sujet de réflexion.
Q - Construction d'un bouclier antimissile aux Etats-Unis ?
R - C'est un sujet en effet parce que pour nous la solidité de la dissuasion suppose une observation régulière des capacités antimissiles de tout le monde. Il est normal que les Etats-Unis soient en avance, c'est la première puissance mondiale, c'est le premier potentiel militaire du monde. Ils ont naturellement vocation à innover en la matière, mais comme William Cohen le disait lui-même tout à l'heure lors de notre conférence de presse commune, toute initiative en la matière est de nature à changer la répartition des forces, donc, c'est en cela que cela nous intéresse.
Q - Serons-nous informés ?
R - Il y a des relations de partenariat qui s'établissent dans la périphérie des enjeux nucléaires que je ne peux pas tellement traiter dans des réunions de presse. Je sais que cela a des inconvénients, mais, honnêtement, si l'ensemble du travail des pays qui sont à la fois des puissances nucléaires et des démocraties étaient sur la place publique, cela aurait aussi des inconvénients.
Q - C'est un Rafale que vous mettrez à disposition de l'UNSCOM ?
R - Non, le support pour l'UNSCOM, c'est un Mirage 4 équipé. Il décollera de l'endroit qui lui conviendra le mieux après avoir trouvé les accords avec les partenaires régionaux.
Q - Cela n'a pas de rapport avec l'affaire Dumas, mais est-ce que la France continue à livrer à Taïwan ?
R - Nous appliquons les contrats passés. Je souligne, au passage, que notre système de contrôle de cession de matériel de guerre fonctionne assez bien. Notre système ne permet pas de cession de matériel de défense sans une réelle régulation politique. Cela fait longtemps que cela marche et cela marche correctement.
Je regrette de ne pas pouvoir rester plus longtemps avec vous... Merci./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2001)