Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Comment ça va J.-L. Borloo ?
J-L. Borloo.- "Bien, très bien."
Les vacances approchent ?
- "Oui, dans six semaines."
Vous avez écouté J.-P. Raffarin, qui a mis le feu, là... "La France est encore au purgatoire puisqu'il reste des socialistes", c'est ce qu'il a dit à Strasbourg. Le PS exige maintenant que J. Chirac désavoue publiquement son Premier ministre.
- "Il ne faut pas sortir les grands et les postures comme ça, de vertu. Bon, ça fait partie des petites phrases de la vie politique..."
Il était fatigué, notre Premier ministre ?
- "Vous savez, Matignon c'est quand même un sacré truc, surtout quand on veut faire des réformes dans ce pays, ça ne vous a pas échappé."
Oui, c'est pas évident. Tiens, j'ai deux ou trois questions avant de venir sur votre terrain de prédilection, la ville et l'amélioration de l'habitat, notamment, le surendettement aussi. Deux ou trois questions donc : la taxe d'habitation qui va augmenter en moyenne de 3,5 %, nous dit un rapport. 3,5 % cela pourrait gommer les augmentations d'impôts ? C'est beaucoup 3,5 % !
- "3,5 % c''est énorme, c'est trop..."
A cause de l'APA entre autres...
- "C'est inacceptable. Je constate que ce ne sont pas les communes, ce sont les départements ; pas les régions non plus, bizarrement. On est un peu avant une élection régionale, donc c'est [...] peu les régions. Les communes sont très très sages, les communes sont en gros à zéro un peu partout en France depuis longtemps. Ce sont les départements. Alors, je ne sais pas très bien pour quelles raisons..."
L'APA entre autres...
- "L'APA, probablement, mais il n'y a pas que ça. Les départements, ce sont des institutions où la visibilité est assez faible, je parle en zone urbaine notamment, c'est pas très très bien. Est-ce que vous savez par exemple, là où on est là, s'il y a un conseil général ? De l'autre côté du périphérique, imaginez-vous qu'à Paris, c'est Paris qui est le conseil général de Paris. Voyez, c'est bizarre. Donc, il n'y a pas de visibilité très forte. Ca pourrait augmenter sans qu'on s'en rende compte."
Mais quand même, 3,5 % c'est beaucoup, ça va gommer, j'insiste, ça pourrait gommer la baisse des impôts promise par J. Chirac, le Gouvernement !
- "Que chacun soit responsable de ses augmentations. Ce qui est terrible dans cette histoire-là, c'est quand vous augmentez de 3,5, globalement, on pourrait croire que c'est les communes, on pourrait "engueuler" le maire, mais c'est pas lui et c'est pas plus l'Etat. L'Etat n'y est strictement pour rien dans la gestion des taxes d'habitation diverses et variées. A chacun ses responsabilités."
Un mot quand même, parce que là, ça concerne les ménages surendettés : la redevance-télé, faudrait-il la supprimer pour les plus modestes ?
- "Je crois que la question de la redevance-télé se pose en elle-même. Moi, je m'applique sur les plus modestes, vous savez, les situations injustes, scandaleuses, qui broient l'existence. La redevance-télé ne fait par partie des dangers qui broient les familles. Donc, parlons plutôt du surendettement, si vous voulez bien."
On va en parler mais parlons des logements sociaux d'abord. 200 000 logements sociaux à démolir et à reconstruire sur cinq ans, c'est votre projet. Vous allez commencer quand, les premiers... ?
- "On a commencé. Tiens, je vous invite le 4 juillet, c'est vendredi, à Dijon. Là, il y a une magnifique, enfin c'est une façon de parler, à Billardon, à Dijon... On était à Reims l'autre jour, quartier Wilson, le Havre, début septembre. On va finalement, mine de rien et sans faire de bruit, on va en avoir démoli 13 800 cette année, là, dans les six derniers mois, depuis qu'on a sérieusement commencé. Parce que, avant-même le texte de loi on s'est mis en route, bien entendu. Il faut savoir en France qu'il y a 600 000 logements indignes, insalubres, qui créent de véritables ghettos sociaux. En gros, sur ces 600 000, les maires, tout le monde est d'accord, pour considérer qu'il y en a 150 à 200 000 à raser purement et simplement et à reconstruire. Ceux sur lesquels vous avez des enfants qui meurent quand les ascenseurs "se cassent la gueule", ceux qui ne sont plus réparables, on a tout fait... Bon. Il y a 165 quartiers à reconstruire complètement, il faut quasiment tout refaire, les voiries, les espaces verts."
Et ils seront reconstruits en cinq ans !
- "Absolument, absolument."
Les 165 quartiers ?
- "Oui, il y en a 165 à reconstruire, il y en a 600 à soutenir, auxquels il faut rapidement faire ce qu'il faut, requalifier, résidentialiser, faire du beau, quoi, en gros. Vous savez, il y a deux France, il y a vraiment la France qui va normalement bien quoi, et puis il y a 6 millions de gens dans ce qu'on appelle "la politique de la Ville", donc ces quartiers prioritaires. Il y en avait 20 fois moins il y a 20 ans, le rapport Dubedout. Donc, la situation s'est aggravée qualitativement et quantitativement. Et c'est là-dessus qu'on a essayé de mettre le paquet. Il faudrait tordre le cou à un mensonge, si vous voulez bien : vous savez, on a l'impression de ... on dit : la politique de la Ville c'est en gros ces quartiers. Ah ! on a déjà mis de l'argent, ça sert à rien, de toute façon ils cassent tout ! On se fout du monde ! On met dix fois plus d'argent dans les centre-villes que dans les banlieues. C'est ça la vérité ! Alors, ces quartiers-là, qui en fait devraient être des quartiers populaires, c'est-à-dire hyper-sympas, là où il y a la vie, ces quartiers où il y a 32 % de moins de 20 ans, pour une moyenne nationale à 21, qui est quand même un peu plus "tristouille", ces quartiers où il y a tout ce qu'il faut, il y a juste un truc, c'est que la République les a oubliés. Alors, il y a des chiffres terribles, parce qu'ils ont tous les mêmes chiffres : les 165 plus durs, c'est quatre fois plus de chômage, 40 nationalités, quatre fois plus de problèmes de scolarité. En gros, quatre fois plus de signalements à la DDASS, toujours les mêmes chiffres. Et plus ça va, plus ça se dégrade, et plus ces chiffres dérivent. Donc, maintenant il faut casser cela, casser des ghettos et mettre le paquet."
Vous avez les moyens pour ça ?
- "Oui."
Vraiment ?
- "Oui, c'est assez simple..."
Vous êtes un des rares ministres à trouver grâce à Bercy, J.-L. Borloo, non ?
- "Vous savez, je crois que tout le monde est d'accord pour dire que, dans un pays où un enfant juif ne peut pas aller dans une école de la République parce qu'il y a une tension ethnique ou religieuse, c'est un pays qui va mourir, tout le monde accepte cette idée. Tout le monde sait que, le problème posé à la France et à l'Europe, c'est sa crise urbaine, son racisme, c'est son extrémisme, c'est la laïcité. Il y a un grand débat, le président de la République vient de nommer Stasi sur la laïcité, mais je dis : attention..."
Est-ce qu'il faut une loi ?
- "... Attention, casse-cou. La laïcité sans la justice, ça n'existe pas. Le pendant de la laïcité, qui est un débat fondamental, c'est qu'on met le paquet pour que tout le monde ait un espoir dans la société. Sous la IIIème République, quand la laïcité a progressé dans l'école, mais la République a mis des moyens considérables pour que partout il y ait de l'école et l'école obligatoire et gratuite. Donc, la laïcité va avec la justice. Ce programme qu'on lance sur la rénovation urbaine, les chiffres sont simples et puis ils ont le mérite d'être évaluables, parce qu'on filme depuis la semaine dernière tout ce qui se passe dans les quartiers."
Il faut une loi sur la laïcité ? Changer la loi ou une nouvelle loi ?
- "La France a le génie du commentaire et du débat théorique. Moi, je dis que, si on ne casse pas les ghettos, si partout on n'a pas un espoir, si on ne fait pas en sorte que l'école fasse le soutien scolaire, et non pas "les barbus", ce qui se passe aujourd'hui dans nos quartiers, vos débats ils sont passionnants, mais..."
Non, non c'est pas le mien !
- "J'ai dit : les débats."
Oui, j'ai compris, les débats.
- "Les débats. Alors, il y a quelqu'un qui réfléchit à ça, c'est très bien. Mais moi j'ai une impérieuse nécessité, c'est de régler ça. Alors, vous me parlez argent..."
Vous allez construire... 30 milliards, c'est ça ?
- "Non, ça c'est le montant des travaux. Pour ça, il faut 7 milliards de fonds propres. J'ai créé une agence qui a 1 200 millions d'euros par an à dépenser dans les banlieues. Actuellement, on était à 60. On passe de 60 à 1 200. Grâce à qui ? Grâce aux partenaires sociaux : le Medef, la CGT, la CFDT, la CFTC, tout le monde. On a signé la convention, on gère ensemble, personne n'en parle, mais ça c'est du vrai, de la vraie concertation active. Certains endroits, les quartiers, sont gérés par les partenaires sociaux, par le monde HLM, par la Caisse des dépôts et par nous."
Dites-moi, je vous verrais bien ministre de l'Education nationale ou ministre de la Culture en ce moment, parce que je vois que vous dialoguez avec les partenaires sociaux...
- "Mais ne vous y trompez pas, l'Educ dans les quartiers c'est, après le problème de rénovation urbaine, est l'autre programme qu'on lancera. Il y a celui de l'emploi avec les zones franches urbaines qu'on vient de lancer. Parce que je pense que l'Education toute seule, il faut qu'elle soit soutenue massivement dans ces quartiers. C'est le dernier service public des quartiers, elle ne pourra pas s'en sortir toute seule."
Vous aimeriez être ministre de l'Education nationale ?
- "Mais attendez ! ne vous méprenez pas sur ma réponse. Ce n'est pas une candidature !"
Non, je vous demande...
- "Moi, j'ai un programme que j'applique et qui me passionne. Parce que faire ce plan Marshall, c'est quand même absolument génial. Mais évidemment, que l'Education nationale c'est le pilier de la société. Et en plus, c'est un monde qui est inquiet, c'est un monde qu'il faut revaloriser. Il ne vous a pas échappé que la crise de l'Educ des derniers mois, là, pour la première fois, c'est pas les intellos qui ont lancé hein, c'est pas Jussieu, c'est pas les universitaires, c'est les profs qui n'en peuvent plus dans ces quartiers, qui, ou vont travailler avec la peur au ventre, ou ont le sentiment que leur travail est pas très utile, et qu'en plus ils sont plus considérés par la société française. Est-ce que vous vous souvenez de l'époque où le recteur d'académie était le deuxième personnage du protocole des régions ? Cette époque a bien changé. L'époque où les profs étaient aussi des secrétaires généraux des mairies, c'est-à-dire les premiers [...] de la République, cette école a bien changé et il faut revenir à ça."
[Deuxième partie de l'interview]
La Chancellerie a émis un avis négatif sur la demande de grâce pour J. Bové. (...) Vous auriez gracié J. Bové ?
- "Non, mais vous voyez un ministre de la Ville commenter un avis de la Chancellerie, avant une décision du chef de l'Etat ? Vous rêvez, mon cher Bourdin !"
Donc, sur J. Bové, vous n'avez pas d'avis, si je comprends bien ?
- "Si, j'en ai un, mais je le garde pour moi ! C'est un petit secret !"
Parlons du surendettement. D'abord, sur la reconstruction des quartiers, qu'allez-vous reconstruire ? Des immeubles ou des logements individuels ?
- "On va faire essentiellement du logement individuel. Avec beaucoup d'humilité, on va revenir à des choses simples, c'est-à-dire le logement individuel, avec le petit bout de jardin, le garage qu'on peut transformer en atelier pour bricoler, ou des petits collectifs, lorsque la densité ne permet pas de faire de l'individuel, sur deux ou trois étages, mais très "résidentialisés". C'est ça, le principe. On a fait des monstruosités ! Il va d'ailleurs y avoir un débat, fin septembre ou début octobre, qui ne va pas s'appeler comme cela, mais qui va être en gros sur les "criminels de l'urbanisme" ! La Charte d'Athènes, idéologiquement, en 1936-43 (sic), a dit en gros qu'il ne faut plus construire dans les villes, que les villes sont sales, que la mixité c'est dégueulasse et qu'on va faire des ZUP pour les sortir des villes, pour les mettre près du soleil, dans de grandes tours, pour pouvoir faire de petits pique-nique, sans bagnoles, avec une dalle en-dessous ! C'est invraisemblable ! Il y a eu des criminels ! Nous allons reconstruire très modestement, avec des matériaux de qualité, des petites maisons sympas, des nids pour les mamans."
Sur le surendettement, je rappelle la première mesure importante : c'est évidemment la faillite personnelle. Vous êtes arrivé à vos fins ?
- "En deux mots, il y a 650 000 familles qui sont dans les commissions de surendettement qui arrivent. Il y a une petite discussion avec quelques créanciers, et puis on donne aux gens un "reste à vivre". Vous savez ce que c'est, un "reste à vivre" ? Déjà, le mot n'est pas très joli. C'est 2.350 francs par mois. Avec ça, vous voyez une famille avoir envie d'aller retrouver un boulot, aller travailler dans un restaurant ou dans un hôtel ? C'est une machine à broyer. Il y a 140 000 familles de plus tous les ans, qui rentrent en commission de surendettement. Il y en a 14 000 qui sortent. C'est véritable cancer de la République."
Le Conseil économique et social vous reproche de ne pas traiter la prévention du problème ?
- "Le but de ma loi n'est pas de traiter la prévention. Le but de ma loi est de traiter les 650 000, plus les 400 000 non déclarés, le million de familles broyées. Qui est surendetté ? Que vraiment vos auditeurs le sachent bien : ce n'est ni le voyou - parce que celui-là, il ne va pas dans les tribunaux, je vous rassure... -, ni le flambeur. C'est le retraité, le travailleur privé ou public, le fonctionnaire qui, à un moment donné, parce que le mari s'est barré, il n'a pas payé les impôts depuis deux ans, parce que tout d'un coup, il y a du chômage, il y a un accident de la vie, il y a un problème quelconque, alors que tout le monde est en fait à la ligne de flottaison assez souvent en réalité - vous avez 100 balles, vous en dépensez 99,99 -, tout d'un coup, il y a une rupture. Alors cela se déchaîne : indemnités de retard, pénalités, vous devez vendre en catastrophe votre pavillon, vous le revendez moins cher que le solde du crédit, plus les intérêts... La machine se met en route... Les créanciers entre eux se battent, cela fait des frais de justice. Et c'est infernal. Il faut juste, à un moment donné, dire "stop, on se calme, on suspend tout, on regarde les ressources, on regarde ce que l'on peut payer sous couvert de la justice et on le fait"."
Et les banques vont jouer le jeu ?
- "Les banques, au début, se disent "c'est un fou furieux, ce Borloo !". Et, en réalité, la procédure ne rend pas les gens plus pauvres : il s'agit juste de regarder, objectivement, quelle est la situation. Ces gens-là veulent bien payer, ce n'est pas le problème. Ils ne demandent d'ailleurs même pas l'effacement. Ils demandent simplement que ce soit un plan qui soit compatible avec leurs capacités, que ce soit humain. Voilà, c'est tout. Tous les pays du monde ont ça ! J'ai l'impression, dans ce pays, qu'on a fait une révolution invraisemblable, alors qu'on a finalement fait ce que fait tout le monde."
Question de Michel, un auditeur : "Merci de vous occuper de ce problème. Je suis retraité. Le plan de surendettement prévoit de m'amputer ma retraite de 50 %. Il va donc nous rester en "reste à vivre" 7.000 francs à deux, pendant neuf ans. J'ai 64 ans. Je voulais savoir si des mesures peuvent être prises pour ce style de dossier ?
- "Bien entendu, vous faites partie des cas que je cite souvent, avec des préemptions de retraite à vie - la vôtre est à neuf ans, mais je ne suis pas en train de dire que c'est bien... Vous savez que dans ce pays, on saisie les allocations ressources handicapé ! Les allocations ressources handicapé sont saisies dans les plans, c'est dément ! Alors, votre cas est absolument typique. Vous pourrez aller devant le tribunal, vous pourrez présenter vos capacités de remboursement et vos ressources et faire juger par le tribunal un plan qui soit plus compatible avec un plan humain."
Michel : Mais c'est-à-dire que c'est déjà jugé, monsieur le ministre.
- "Pas devant un tribunal. C'est devant la commission de surendettement que vous êtes passé. Vous n'êtes pas passé devant le tribunal. Vous pourrez aller devant le tribunal pour faire juger cette affaire. Pour l'instant, c'est un accord amiable que vous avez eu. S'il y a eu un point de désaccord, un juge de l'exécution a confirmé les recommandations de la commission de la Banque de France. Là, vous pourrez aller directement devant le tribunal pour faire juger cette affaire."
[...]
Jean, un autre auditeur : Je voulais dire à Monsieur Borloo que par son caractère humain, il serait plus à sa place à gauche qu'à droite.
- "Ecoutez, être ministre de la Ville, c'est déjà pas mal."
Jean : Et je voulais savoir ce que vous pensez de la cité des Bosquets à Montfermeil, parce que les gens vivent dans une situation insalubre comme il n'est pas permis ?
- "La Cité des Bosquets, vous avez raison d'en parler, c'est un dossier majeur. Et en plus, il a la caractéristique d'être à la fois des logements sociaux, des copropriétaires. C'est scandale, les copropriétés privées très dégradées. On a le programme, je peux vous donner les chiffres : 86 millions d'euros pour sauver les Bosquets."
Et quand ?
- "On démarre début de l'année prochaine."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juillet 2003)
J-L. Borloo.- "Bien, très bien."
Les vacances approchent ?
- "Oui, dans six semaines."
Vous avez écouté J.-P. Raffarin, qui a mis le feu, là... "La France est encore au purgatoire puisqu'il reste des socialistes", c'est ce qu'il a dit à Strasbourg. Le PS exige maintenant que J. Chirac désavoue publiquement son Premier ministre.
- "Il ne faut pas sortir les grands et les postures comme ça, de vertu. Bon, ça fait partie des petites phrases de la vie politique..."
Il était fatigué, notre Premier ministre ?
- "Vous savez, Matignon c'est quand même un sacré truc, surtout quand on veut faire des réformes dans ce pays, ça ne vous a pas échappé."
Oui, c'est pas évident. Tiens, j'ai deux ou trois questions avant de venir sur votre terrain de prédilection, la ville et l'amélioration de l'habitat, notamment, le surendettement aussi. Deux ou trois questions donc : la taxe d'habitation qui va augmenter en moyenne de 3,5 %, nous dit un rapport. 3,5 % cela pourrait gommer les augmentations d'impôts ? C'est beaucoup 3,5 % !
- "3,5 % c''est énorme, c'est trop..."
A cause de l'APA entre autres...
- "C'est inacceptable. Je constate que ce ne sont pas les communes, ce sont les départements ; pas les régions non plus, bizarrement. On est un peu avant une élection régionale, donc c'est [...] peu les régions. Les communes sont très très sages, les communes sont en gros à zéro un peu partout en France depuis longtemps. Ce sont les départements. Alors, je ne sais pas très bien pour quelles raisons..."
L'APA entre autres...
- "L'APA, probablement, mais il n'y a pas que ça. Les départements, ce sont des institutions où la visibilité est assez faible, je parle en zone urbaine notamment, c'est pas très très bien. Est-ce que vous savez par exemple, là où on est là, s'il y a un conseil général ? De l'autre côté du périphérique, imaginez-vous qu'à Paris, c'est Paris qui est le conseil général de Paris. Voyez, c'est bizarre. Donc, il n'y a pas de visibilité très forte. Ca pourrait augmenter sans qu'on s'en rende compte."
Mais quand même, 3,5 % c'est beaucoup, ça va gommer, j'insiste, ça pourrait gommer la baisse des impôts promise par J. Chirac, le Gouvernement !
- "Que chacun soit responsable de ses augmentations. Ce qui est terrible dans cette histoire-là, c'est quand vous augmentez de 3,5, globalement, on pourrait croire que c'est les communes, on pourrait "engueuler" le maire, mais c'est pas lui et c'est pas plus l'Etat. L'Etat n'y est strictement pour rien dans la gestion des taxes d'habitation diverses et variées. A chacun ses responsabilités."
Un mot quand même, parce que là, ça concerne les ménages surendettés : la redevance-télé, faudrait-il la supprimer pour les plus modestes ?
- "Je crois que la question de la redevance-télé se pose en elle-même. Moi, je m'applique sur les plus modestes, vous savez, les situations injustes, scandaleuses, qui broient l'existence. La redevance-télé ne fait par partie des dangers qui broient les familles. Donc, parlons plutôt du surendettement, si vous voulez bien."
On va en parler mais parlons des logements sociaux d'abord. 200 000 logements sociaux à démolir et à reconstruire sur cinq ans, c'est votre projet. Vous allez commencer quand, les premiers... ?
- "On a commencé. Tiens, je vous invite le 4 juillet, c'est vendredi, à Dijon. Là, il y a une magnifique, enfin c'est une façon de parler, à Billardon, à Dijon... On était à Reims l'autre jour, quartier Wilson, le Havre, début septembre. On va finalement, mine de rien et sans faire de bruit, on va en avoir démoli 13 800 cette année, là, dans les six derniers mois, depuis qu'on a sérieusement commencé. Parce que, avant-même le texte de loi on s'est mis en route, bien entendu. Il faut savoir en France qu'il y a 600 000 logements indignes, insalubres, qui créent de véritables ghettos sociaux. En gros, sur ces 600 000, les maires, tout le monde est d'accord, pour considérer qu'il y en a 150 à 200 000 à raser purement et simplement et à reconstruire. Ceux sur lesquels vous avez des enfants qui meurent quand les ascenseurs "se cassent la gueule", ceux qui ne sont plus réparables, on a tout fait... Bon. Il y a 165 quartiers à reconstruire complètement, il faut quasiment tout refaire, les voiries, les espaces verts."
Et ils seront reconstruits en cinq ans !
- "Absolument, absolument."
Les 165 quartiers ?
- "Oui, il y en a 165 à reconstruire, il y en a 600 à soutenir, auxquels il faut rapidement faire ce qu'il faut, requalifier, résidentialiser, faire du beau, quoi, en gros. Vous savez, il y a deux France, il y a vraiment la France qui va normalement bien quoi, et puis il y a 6 millions de gens dans ce qu'on appelle "la politique de la Ville", donc ces quartiers prioritaires. Il y en avait 20 fois moins il y a 20 ans, le rapport Dubedout. Donc, la situation s'est aggravée qualitativement et quantitativement. Et c'est là-dessus qu'on a essayé de mettre le paquet. Il faudrait tordre le cou à un mensonge, si vous voulez bien : vous savez, on a l'impression de ... on dit : la politique de la Ville c'est en gros ces quartiers. Ah ! on a déjà mis de l'argent, ça sert à rien, de toute façon ils cassent tout ! On se fout du monde ! On met dix fois plus d'argent dans les centre-villes que dans les banlieues. C'est ça la vérité ! Alors, ces quartiers-là, qui en fait devraient être des quartiers populaires, c'est-à-dire hyper-sympas, là où il y a la vie, ces quartiers où il y a 32 % de moins de 20 ans, pour une moyenne nationale à 21, qui est quand même un peu plus "tristouille", ces quartiers où il y a tout ce qu'il faut, il y a juste un truc, c'est que la République les a oubliés. Alors, il y a des chiffres terribles, parce qu'ils ont tous les mêmes chiffres : les 165 plus durs, c'est quatre fois plus de chômage, 40 nationalités, quatre fois plus de problèmes de scolarité. En gros, quatre fois plus de signalements à la DDASS, toujours les mêmes chiffres. Et plus ça va, plus ça se dégrade, et plus ces chiffres dérivent. Donc, maintenant il faut casser cela, casser des ghettos et mettre le paquet."
Vous avez les moyens pour ça ?
- "Oui."
Vraiment ?
- "Oui, c'est assez simple..."
Vous êtes un des rares ministres à trouver grâce à Bercy, J.-L. Borloo, non ?
- "Vous savez, je crois que tout le monde est d'accord pour dire que, dans un pays où un enfant juif ne peut pas aller dans une école de la République parce qu'il y a une tension ethnique ou religieuse, c'est un pays qui va mourir, tout le monde accepte cette idée. Tout le monde sait que, le problème posé à la France et à l'Europe, c'est sa crise urbaine, son racisme, c'est son extrémisme, c'est la laïcité. Il y a un grand débat, le président de la République vient de nommer Stasi sur la laïcité, mais je dis : attention..."
Est-ce qu'il faut une loi ?
- "... Attention, casse-cou. La laïcité sans la justice, ça n'existe pas. Le pendant de la laïcité, qui est un débat fondamental, c'est qu'on met le paquet pour que tout le monde ait un espoir dans la société. Sous la IIIème République, quand la laïcité a progressé dans l'école, mais la République a mis des moyens considérables pour que partout il y ait de l'école et l'école obligatoire et gratuite. Donc, la laïcité va avec la justice. Ce programme qu'on lance sur la rénovation urbaine, les chiffres sont simples et puis ils ont le mérite d'être évaluables, parce qu'on filme depuis la semaine dernière tout ce qui se passe dans les quartiers."
Il faut une loi sur la laïcité ? Changer la loi ou une nouvelle loi ?
- "La France a le génie du commentaire et du débat théorique. Moi, je dis que, si on ne casse pas les ghettos, si partout on n'a pas un espoir, si on ne fait pas en sorte que l'école fasse le soutien scolaire, et non pas "les barbus", ce qui se passe aujourd'hui dans nos quartiers, vos débats ils sont passionnants, mais..."
Non, non c'est pas le mien !
- "J'ai dit : les débats."
Oui, j'ai compris, les débats.
- "Les débats. Alors, il y a quelqu'un qui réfléchit à ça, c'est très bien. Mais moi j'ai une impérieuse nécessité, c'est de régler ça. Alors, vous me parlez argent..."
Vous allez construire... 30 milliards, c'est ça ?
- "Non, ça c'est le montant des travaux. Pour ça, il faut 7 milliards de fonds propres. J'ai créé une agence qui a 1 200 millions d'euros par an à dépenser dans les banlieues. Actuellement, on était à 60. On passe de 60 à 1 200. Grâce à qui ? Grâce aux partenaires sociaux : le Medef, la CGT, la CFDT, la CFTC, tout le monde. On a signé la convention, on gère ensemble, personne n'en parle, mais ça c'est du vrai, de la vraie concertation active. Certains endroits, les quartiers, sont gérés par les partenaires sociaux, par le monde HLM, par la Caisse des dépôts et par nous."
Dites-moi, je vous verrais bien ministre de l'Education nationale ou ministre de la Culture en ce moment, parce que je vois que vous dialoguez avec les partenaires sociaux...
- "Mais ne vous y trompez pas, l'Educ dans les quartiers c'est, après le problème de rénovation urbaine, est l'autre programme qu'on lancera. Il y a celui de l'emploi avec les zones franches urbaines qu'on vient de lancer. Parce que je pense que l'Education toute seule, il faut qu'elle soit soutenue massivement dans ces quartiers. C'est le dernier service public des quartiers, elle ne pourra pas s'en sortir toute seule."
Vous aimeriez être ministre de l'Education nationale ?
- "Mais attendez ! ne vous méprenez pas sur ma réponse. Ce n'est pas une candidature !"
Non, je vous demande...
- "Moi, j'ai un programme que j'applique et qui me passionne. Parce que faire ce plan Marshall, c'est quand même absolument génial. Mais évidemment, que l'Education nationale c'est le pilier de la société. Et en plus, c'est un monde qui est inquiet, c'est un monde qu'il faut revaloriser. Il ne vous a pas échappé que la crise de l'Educ des derniers mois, là, pour la première fois, c'est pas les intellos qui ont lancé hein, c'est pas Jussieu, c'est pas les universitaires, c'est les profs qui n'en peuvent plus dans ces quartiers, qui, ou vont travailler avec la peur au ventre, ou ont le sentiment que leur travail est pas très utile, et qu'en plus ils sont plus considérés par la société française. Est-ce que vous vous souvenez de l'époque où le recteur d'académie était le deuxième personnage du protocole des régions ? Cette époque a bien changé. L'époque où les profs étaient aussi des secrétaires généraux des mairies, c'est-à-dire les premiers [...] de la République, cette école a bien changé et il faut revenir à ça."
[Deuxième partie de l'interview]
La Chancellerie a émis un avis négatif sur la demande de grâce pour J. Bové. (...) Vous auriez gracié J. Bové ?
- "Non, mais vous voyez un ministre de la Ville commenter un avis de la Chancellerie, avant une décision du chef de l'Etat ? Vous rêvez, mon cher Bourdin !"
Donc, sur J. Bové, vous n'avez pas d'avis, si je comprends bien ?
- "Si, j'en ai un, mais je le garde pour moi ! C'est un petit secret !"
Parlons du surendettement. D'abord, sur la reconstruction des quartiers, qu'allez-vous reconstruire ? Des immeubles ou des logements individuels ?
- "On va faire essentiellement du logement individuel. Avec beaucoup d'humilité, on va revenir à des choses simples, c'est-à-dire le logement individuel, avec le petit bout de jardin, le garage qu'on peut transformer en atelier pour bricoler, ou des petits collectifs, lorsque la densité ne permet pas de faire de l'individuel, sur deux ou trois étages, mais très "résidentialisés". C'est ça, le principe. On a fait des monstruosités ! Il va d'ailleurs y avoir un débat, fin septembre ou début octobre, qui ne va pas s'appeler comme cela, mais qui va être en gros sur les "criminels de l'urbanisme" ! La Charte d'Athènes, idéologiquement, en 1936-43 (sic), a dit en gros qu'il ne faut plus construire dans les villes, que les villes sont sales, que la mixité c'est dégueulasse et qu'on va faire des ZUP pour les sortir des villes, pour les mettre près du soleil, dans de grandes tours, pour pouvoir faire de petits pique-nique, sans bagnoles, avec une dalle en-dessous ! C'est invraisemblable ! Il y a eu des criminels ! Nous allons reconstruire très modestement, avec des matériaux de qualité, des petites maisons sympas, des nids pour les mamans."
Sur le surendettement, je rappelle la première mesure importante : c'est évidemment la faillite personnelle. Vous êtes arrivé à vos fins ?
- "En deux mots, il y a 650 000 familles qui sont dans les commissions de surendettement qui arrivent. Il y a une petite discussion avec quelques créanciers, et puis on donne aux gens un "reste à vivre". Vous savez ce que c'est, un "reste à vivre" ? Déjà, le mot n'est pas très joli. C'est 2.350 francs par mois. Avec ça, vous voyez une famille avoir envie d'aller retrouver un boulot, aller travailler dans un restaurant ou dans un hôtel ? C'est une machine à broyer. Il y a 140 000 familles de plus tous les ans, qui rentrent en commission de surendettement. Il y en a 14 000 qui sortent. C'est véritable cancer de la République."
Le Conseil économique et social vous reproche de ne pas traiter la prévention du problème ?
- "Le but de ma loi n'est pas de traiter la prévention. Le but de ma loi est de traiter les 650 000, plus les 400 000 non déclarés, le million de familles broyées. Qui est surendetté ? Que vraiment vos auditeurs le sachent bien : ce n'est ni le voyou - parce que celui-là, il ne va pas dans les tribunaux, je vous rassure... -, ni le flambeur. C'est le retraité, le travailleur privé ou public, le fonctionnaire qui, à un moment donné, parce que le mari s'est barré, il n'a pas payé les impôts depuis deux ans, parce que tout d'un coup, il y a du chômage, il y a un accident de la vie, il y a un problème quelconque, alors que tout le monde est en fait à la ligne de flottaison assez souvent en réalité - vous avez 100 balles, vous en dépensez 99,99 -, tout d'un coup, il y a une rupture. Alors cela se déchaîne : indemnités de retard, pénalités, vous devez vendre en catastrophe votre pavillon, vous le revendez moins cher que le solde du crédit, plus les intérêts... La machine se met en route... Les créanciers entre eux se battent, cela fait des frais de justice. Et c'est infernal. Il faut juste, à un moment donné, dire "stop, on se calme, on suspend tout, on regarde les ressources, on regarde ce que l'on peut payer sous couvert de la justice et on le fait"."
Et les banques vont jouer le jeu ?
- "Les banques, au début, se disent "c'est un fou furieux, ce Borloo !". Et, en réalité, la procédure ne rend pas les gens plus pauvres : il s'agit juste de regarder, objectivement, quelle est la situation. Ces gens-là veulent bien payer, ce n'est pas le problème. Ils ne demandent d'ailleurs même pas l'effacement. Ils demandent simplement que ce soit un plan qui soit compatible avec leurs capacités, que ce soit humain. Voilà, c'est tout. Tous les pays du monde ont ça ! J'ai l'impression, dans ce pays, qu'on a fait une révolution invraisemblable, alors qu'on a finalement fait ce que fait tout le monde."
Question de Michel, un auditeur : "Merci de vous occuper de ce problème. Je suis retraité. Le plan de surendettement prévoit de m'amputer ma retraite de 50 %. Il va donc nous rester en "reste à vivre" 7.000 francs à deux, pendant neuf ans. J'ai 64 ans. Je voulais savoir si des mesures peuvent être prises pour ce style de dossier ?
- "Bien entendu, vous faites partie des cas que je cite souvent, avec des préemptions de retraite à vie - la vôtre est à neuf ans, mais je ne suis pas en train de dire que c'est bien... Vous savez que dans ce pays, on saisie les allocations ressources handicapé ! Les allocations ressources handicapé sont saisies dans les plans, c'est dément ! Alors, votre cas est absolument typique. Vous pourrez aller devant le tribunal, vous pourrez présenter vos capacités de remboursement et vos ressources et faire juger par le tribunal un plan qui soit plus compatible avec un plan humain."
Michel : Mais c'est-à-dire que c'est déjà jugé, monsieur le ministre.
- "Pas devant un tribunal. C'est devant la commission de surendettement que vous êtes passé. Vous n'êtes pas passé devant le tribunal. Vous pourrez aller devant le tribunal pour faire juger cette affaire. Pour l'instant, c'est un accord amiable que vous avez eu. S'il y a eu un point de désaccord, un juge de l'exécution a confirmé les recommandations de la commission de la Banque de France. Là, vous pourrez aller directement devant le tribunal pour faire juger cette affaire."
[...]
Jean, un autre auditeur : Je voulais dire à Monsieur Borloo que par son caractère humain, il serait plus à sa place à gauche qu'à droite.
- "Ecoutez, être ministre de la Ville, c'est déjà pas mal."
Jean : Et je voulais savoir ce que vous pensez de la cité des Bosquets à Montfermeil, parce que les gens vivent dans une situation insalubre comme il n'est pas permis ?
- "La Cité des Bosquets, vous avez raison d'en parler, c'est un dossier majeur. Et en plus, il a la caractéristique d'être à la fois des logements sociaux, des copropriétaires. C'est scandale, les copropriétés privées très dégradées. On a le programme, je peux vous donner les chiffres : 86 millions d'euros pour sauver les Bosquets."
Et quand ?
- "On démarre début de l'année prochaine."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juillet 2003)