Texte intégral
Dans un récent rapport, vous concluez à la nécessité d'une loi pour redéfinir une nouvelle laïcité et, entre autres choses, interdire le port du voile à l'école. La laïcité vous paraît-elle menacée? Et en quoi ?
François Baroin : Disons qu'elle est secouée, plus ou moins brutalement suivant les cas. Lorsque des guerres sont menées dans le monde au nom de Dieu, et on l'a vu récemment au Moyen-Orient, chacun peut constater les retombées chez nous sur les différentes communautés concernées par ces combats. Mais la plus grande menace vient de la montée du communautarisme. Il ghettoïse, isole et éloigne les membres d'une communauté du principe de laïcité. Or ce principe est étroitement lié à celui d'intégration.
Vous dénoncez en effet la montée des revendications identitaires. Mais vous ne visez pas que les musulmans
François Baroin : Parce que c'est d'une partie d'entre eux qu'émanent les demandes les plus spectaculaires et les plus contraires à nos pratiques républicaines. Que ce soit sur le port du voile à l'école ou sur les demandes de créneaux horaires réservés aux femmes dans les piscines municipales dont il faudrait masquer les hublots. On est là en pleine dérive communautariste qui ne menace pas seulement la laïcité mais aussi l'égal accès aux services publics. Pourquoi pas demain la séparation à l'école, dans les transports en commun ou aux guichets des mairies? Alain Juppé a parlé à ce propos d'une forme d'apartheid. Il a raison. Se focaliser uniquement sur le voile serait une erreur. Nier l'évidence en serait une autre.
Ne craignez-vous pas cependant de donner l'impression de ne vous attaquer qu'à une seule catégorie de la population ?
François Baroin : Ce rapport ne stigmatise personne en particulier. La mesure essentielle que je propose, c'est la rédaction d'un Code de la Laïcité regroupant les textes existants. Il constituerait une feuille de route claire pour l'application du principe de laïcité dans la sphère publique.
Cela dit, c'est vrai, il faut assumer politiquement les valeurs auxquelles on croit, ne pas hésiter à appeler un chat un chat. Il faut avoir le courage de dire qu'il y a aujourd'hui dans notre pays, ce qui n'était pas le cas il y a trente ans, des gens qui ont une vision de la femme qui date du vingtième siècle et qui placent leurs convictions religieuses au-dessus des lois de la République. Ce n'est pas acceptable.
Est-ce en réalité notre identité nationale qui est menacée ?
François Baroin : L'hypocrisie n'est pas de mise dans ce débat. Le communautarisme menace effectivement notre pacte républicain et notre identité. Le revirement de Jack Lang, défenseur du droit à la différence dans les années 1980, aujourd'hui partisan d'une interdiction du voile à l'école, est assez révélateur.
Jean-Marie Le Pen ne disait pas autre chose il y a vingt ans ?
François Baroin : C'est la mondialisation qui remet en question les identités nationales et les rai- sons de vivre ensemble. Mais il faut aujourd'hui réaffirmer les valeurs de la République et donc la laïcité. La liberté d'expression doit aussi composer avec l'émancipation de la personne et la liberté de conscience. A un moment donné, il faut avoir le courage de dire que les droits de l'homme et la laïcité peuvent être contradictoires.
Réaffirmer la laïcité en proscrivant le port du voile à l'école, dites-vous. Mais ce sont les enseignants et le contenu de l'enseignement qui doivent être laïques, pas forcément les élèves...
François Baroin : Il ne s'agit pas de faire une loi anti-voile mais de proscrire tout signe ostentatoire et revendicatif religieux ou politique et de permettre aux directeurs d'établissement et aux professeurs de ne plus être livrés à eux-mêmes. Il faut en revenir à des principes simples. Oui, l'école doit être sanctuarisée parce qu'elle est le lieu où les consciences sont en formation et doivent donc être protégées des manifestations extérieures d'appartenance à quelque communauté que ce soit. Car certaines de ces manifestations sont autant de béliers utilisés pour renfoncer les principes de notre République.
Rouvrir ce débat, n'est-ce pas prendre le risque de voir surgir toutes sortes de revendications ou de remises en question de pratiques existantes ? Dans les écoles et les lycées on sert aujourd'hui des repas différenciés pour les chrétiens, les musulmans et les juifs. Dans votre conception contraignante de la laïcité, cette pratique n'est-elle pas déjà une entorse à ce principe ?
François Baroin : Si, bien sûr, c'est déjà une atteinte. Pour des raisons qui tiennent à l'organisation des cantines le système actuel coûte s moins cher aux communes. Mais je pense s qu'une réflexion doit être engagée sur ce sujet.
Dans le Monde du 6 juin, Alain Jakubowicz, président du Crif (Conseil représentatif des Institutions juives de France) en Rhône-Alpes, propose, au nom d'une laïcité égale pour tous, de supprimer les fêtes religieuses (chrétiennes) du calendrier républicain ou bien d'y intégrer celles des cultes israélite et musulman. Cela va-t-il dans le " sens de la nouvelle laïcité" que vous préconisez ?
François Baroin : Evidemment pas. Ce débat n'est ni dérisoire ni médiocre. Il faut faire la différence entre ce qu'on croit sincère et possible et ce qui s'apparente à une forme de provocation.
Mais justement, êtes-vous bien sérieux lorsque vous proposez le retour à l'uniforme dans les écoles ?
François Baroin : C'est à la fois une proposition sérieuse et un clin d'il. Il n'est pas question, d'imposer l'uniforme. Mais pourquoi ne pas profiter de la décentralisation pour trouver des collèges ou des écoles qui voudraient tenter l'expérience? En tant que maire de Troyes, je suis prêt à engager ce débat.
Les francs-maçons ont pris clairement position contre une loi sur le voile à l'école et contre toute modification de la loi de 1905 qui organise la séparation de l'Eglise et de l'Etat, et pourtant ce sont les champions de la défense de la laïcité! N'est-ce pas une pierre dans votre jardin ?
François Baroin : Je suis le fils d'un ancien grand maître du Grand Orient de France. J'ai grandi dans un environnement baigné de valeurs laïques. La position des différentes obédiences maçonniques est évidemment très importante. Mais ce qui l'est tout autant, c'est que ce débat intervienne dans toutes les couches de la société, que les interrogations qu'il suscite soient connues de tous. Alors, seulement, on pourra arrêter une position définitive. C'est pourquoi le président de la République doit favoriser ce débat.
(source http://www.u-m-p.org, le 3 juillet 2003)
François Baroin : Disons qu'elle est secouée, plus ou moins brutalement suivant les cas. Lorsque des guerres sont menées dans le monde au nom de Dieu, et on l'a vu récemment au Moyen-Orient, chacun peut constater les retombées chez nous sur les différentes communautés concernées par ces combats. Mais la plus grande menace vient de la montée du communautarisme. Il ghettoïse, isole et éloigne les membres d'une communauté du principe de laïcité. Or ce principe est étroitement lié à celui d'intégration.
Vous dénoncez en effet la montée des revendications identitaires. Mais vous ne visez pas que les musulmans
François Baroin : Parce que c'est d'une partie d'entre eux qu'émanent les demandes les plus spectaculaires et les plus contraires à nos pratiques républicaines. Que ce soit sur le port du voile à l'école ou sur les demandes de créneaux horaires réservés aux femmes dans les piscines municipales dont il faudrait masquer les hublots. On est là en pleine dérive communautariste qui ne menace pas seulement la laïcité mais aussi l'égal accès aux services publics. Pourquoi pas demain la séparation à l'école, dans les transports en commun ou aux guichets des mairies? Alain Juppé a parlé à ce propos d'une forme d'apartheid. Il a raison. Se focaliser uniquement sur le voile serait une erreur. Nier l'évidence en serait une autre.
Ne craignez-vous pas cependant de donner l'impression de ne vous attaquer qu'à une seule catégorie de la population ?
François Baroin : Ce rapport ne stigmatise personne en particulier. La mesure essentielle que je propose, c'est la rédaction d'un Code de la Laïcité regroupant les textes existants. Il constituerait une feuille de route claire pour l'application du principe de laïcité dans la sphère publique.
Cela dit, c'est vrai, il faut assumer politiquement les valeurs auxquelles on croit, ne pas hésiter à appeler un chat un chat. Il faut avoir le courage de dire qu'il y a aujourd'hui dans notre pays, ce qui n'était pas le cas il y a trente ans, des gens qui ont une vision de la femme qui date du vingtième siècle et qui placent leurs convictions religieuses au-dessus des lois de la République. Ce n'est pas acceptable.
Est-ce en réalité notre identité nationale qui est menacée ?
François Baroin : L'hypocrisie n'est pas de mise dans ce débat. Le communautarisme menace effectivement notre pacte républicain et notre identité. Le revirement de Jack Lang, défenseur du droit à la différence dans les années 1980, aujourd'hui partisan d'une interdiction du voile à l'école, est assez révélateur.
Jean-Marie Le Pen ne disait pas autre chose il y a vingt ans ?
François Baroin : C'est la mondialisation qui remet en question les identités nationales et les rai- sons de vivre ensemble. Mais il faut aujourd'hui réaffirmer les valeurs de la République et donc la laïcité. La liberté d'expression doit aussi composer avec l'émancipation de la personne et la liberté de conscience. A un moment donné, il faut avoir le courage de dire que les droits de l'homme et la laïcité peuvent être contradictoires.
Réaffirmer la laïcité en proscrivant le port du voile à l'école, dites-vous. Mais ce sont les enseignants et le contenu de l'enseignement qui doivent être laïques, pas forcément les élèves...
François Baroin : Il ne s'agit pas de faire une loi anti-voile mais de proscrire tout signe ostentatoire et revendicatif religieux ou politique et de permettre aux directeurs d'établissement et aux professeurs de ne plus être livrés à eux-mêmes. Il faut en revenir à des principes simples. Oui, l'école doit être sanctuarisée parce qu'elle est le lieu où les consciences sont en formation et doivent donc être protégées des manifestations extérieures d'appartenance à quelque communauté que ce soit. Car certaines de ces manifestations sont autant de béliers utilisés pour renfoncer les principes de notre République.
Rouvrir ce débat, n'est-ce pas prendre le risque de voir surgir toutes sortes de revendications ou de remises en question de pratiques existantes ? Dans les écoles et les lycées on sert aujourd'hui des repas différenciés pour les chrétiens, les musulmans et les juifs. Dans votre conception contraignante de la laïcité, cette pratique n'est-elle pas déjà une entorse à ce principe ?
François Baroin : Si, bien sûr, c'est déjà une atteinte. Pour des raisons qui tiennent à l'organisation des cantines le système actuel coûte s moins cher aux communes. Mais je pense s qu'une réflexion doit être engagée sur ce sujet.
Dans le Monde du 6 juin, Alain Jakubowicz, président du Crif (Conseil représentatif des Institutions juives de France) en Rhône-Alpes, propose, au nom d'une laïcité égale pour tous, de supprimer les fêtes religieuses (chrétiennes) du calendrier républicain ou bien d'y intégrer celles des cultes israélite et musulman. Cela va-t-il dans le " sens de la nouvelle laïcité" que vous préconisez ?
François Baroin : Evidemment pas. Ce débat n'est ni dérisoire ni médiocre. Il faut faire la différence entre ce qu'on croit sincère et possible et ce qui s'apparente à une forme de provocation.
Mais justement, êtes-vous bien sérieux lorsque vous proposez le retour à l'uniforme dans les écoles ?
François Baroin : C'est à la fois une proposition sérieuse et un clin d'il. Il n'est pas question, d'imposer l'uniforme. Mais pourquoi ne pas profiter de la décentralisation pour trouver des collèges ou des écoles qui voudraient tenter l'expérience? En tant que maire de Troyes, je suis prêt à engager ce débat.
Les francs-maçons ont pris clairement position contre une loi sur le voile à l'école et contre toute modification de la loi de 1905 qui organise la séparation de l'Eglise et de l'Etat, et pourtant ce sont les champions de la défense de la laïcité! N'est-ce pas une pierre dans votre jardin ?
François Baroin : Je suis le fils d'un ancien grand maître du Grand Orient de France. J'ai grandi dans un environnement baigné de valeurs laïques. La position des différentes obédiences maçonniques est évidemment très importante. Mais ce qui l'est tout autant, c'est que ce débat intervienne dans toutes les couches de la société, que les interrogations qu'il suscite soient connues de tous. Alors, seulement, on pourra arrêter une position définitive. C'est pourquoi le président de la République doit favoriser ce débat.
(source http://www.u-m-p.org, le 3 juillet 2003)