Interview de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, accordée au "Journal du Parlement" le 1er avril 2003, sur les relations entre le français et les autres langues dans le cadre de la francophonie, notamment en Afrique, sur les actions de coopération en direction de l'Asie et de l'Amérique latine ainsi que sur les rapports entre Francophonie et droits de l'homme.

Prononcé le 1er avril 2003

Intervenant(s) : 

Média : Le Journal du Parlement

Texte intégral

Q - Il semble que la priorité de la Francophonie soit dans le respect de la première langue. Ce fut le thème de la rencontre avec les pays subsahariens sur l'enseignement du français qui vient d'avoir lieu à Libreville. Si ces pays voulaient choisir l'anglais comme deuxième langue, quelle serait votre attitude ?
R - Voyons d'abord l'essentiel. Les états généraux de l'enseignement du français en Afrique subsaharienne francophone qui ont eu lieu à Libreville du 16 au 20 mars dernier à l'initiative de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), ont réaffirmé sans équivoque le statut du français comme langue d'enseignement et de communication internationale. Les débats ont également porté sur les relations entre la langue française et les langues africaines, relations basées sur un "partenariat linguistique" conçu à la fois en termes de complémentarité et de solidarité. Pour le reste, la Francophonie prône la diversité culturelle qui débute par la diversité linguistique. Elle a en conséquence une attitude ouverte envers l'enseignement des langues partenaires et d'autres langues, tel l'anglais. Notez d'ailleurs que l'enseignement de la langue française est en croissance sensible dans les pays anglophones du continent comme l'Afrique du Sud, le Nigeria et le Ghana, qui sont très demandeurs. Trois centres installés à Cotonou, Abidjan et Lomé forment des professeurs de français en pays anglophones.
Vous constatez que la Francophonie est une attitude dynamique et offensive, mais aussi ouverte aux autres langues. C'est cela la diversité culturelle.
Q - Vous privilégiez beaucoup les pays du Sud. Quelle est votre action dans les pays d'Asie et particulièrement dans l'ancienne Indochine française ?
R - Pour être efficace, notre action de coopération doit éviter le saupoudrage. C'est la raison pour laquelle elle se concentre sur ce qu'il est convenu d'appeler la "zone de solidarité prioritaire" qui regroupe 54 pays. Ceux-ci se trouvent essentiellement en Afrique, continent qui a particulièrement besoin de l'aide internationale. C'est là que se situent la plupart des pays francophones.
L'Asie est moins représentée dans cette zone de concentration à l'exception bien sûr des trois pays de l'ancienne Indochine. Au Vietnam, notre objectif principal est de contribuer à l'ouverture de l'économie, à la modernisation de l'Etat et à la formation des élites. Le Cambodge et le Laos sont des pays encore pauvres et notre coopération est plus centrée sur l'aide au développement. Mais en dehors de ces trois pays, des actions sont également menées par exemple avec les deux géants que sont la Chine et l'Inde. Il s'agit d'une coopération centrée sur la formation des élites, la coopération administrative ou universitaire et scientifique. Au total, 65 millions d'euros sont consacrés à l'Asie cette année, soit environ un dixième du total de nos contributions.
Q - De même, quelles sont vos priorités dans les pays d'Amérique latine qui ont été pendant longtemps sous influence française ?
R - Comme l'Asie, l'Amérique latine est moins au centre de notre effort que l'Afrique. Un seul pays, le Surinam, fait partie de la zone de solidarité prioritaire. Nos actions sont cependant notables puisque le ministère des Affaires étrangères consacre 23,4 millions d'euros à cette région. Peuvent s'y ajouter 12,5 millions d'euros pour les Caraïbes qui comprennent trois pays prioritaires, Cuba, pays dans lequel j'ai eu l'occasion de me rendre récemment, Haïti et la République dominicaine.
Malgré la priorité que le gouvernement a décidé d'accorder à nos partenaires africains, et la contrainte budgétaire globale, les crédits alloués à l'Amérique latine ont été préservés en 2003.
Comme en Asie, nos actions sont adaptées au niveau de développement de chacun de nos partenaires. Une attention spéciale est accordée à la coopération avec les Etats des Caraïbes en raison de la présence des trois départements français d'outre-mer.
Q - L'Organisation internationale de la Francophonie vient d'envoyer un délégué spécial en Côte d'Ivoire. La Francophonie est-elle inséparable des Droits de l'Homme et de la démocratie ? A-t-elle aussi d'autres valeurs ?
R - La Francophonie est en effet indissociable de la promotion de l'Etat de droit et de la démocratie. La Charte de la Francophonie en fait foi. A Bamako, des engagements contraignants ont été pris collectivement pour enraciner la démocratie, les Droits de l'Homme et les libertés dans l'espace francophone, et les moyens adéquats (missions de bons offices, mise en réseau des professionnels du droit, observations d'élections etc...) sont mis en uvre pour leur donner leur plein effet. Ainsi, la Francophonie s'apprête à engager une action visant à faciliter concrètement le rétablissement du fonctionnement normal de l'ordre constitutionnel en Côte d'Ivoire, avec mise sur pied d'une commission d'enquête, aide à la presse, consolidation des institutions de l'Etat de droit, modernisation de l'état civil, établissement de listes électorales fiables, coopération juridique et judiciaire. Le Secrétariat général de l'OIF a, par ailleurs désigné comme représentant de la Francophonie au Comité de suivi de l'accord de Linas-Marcoussis l'ancien secrétaire exécutif de la CEDEAO, M. Lansana Kouyate.
La solidarité est également une valeur commune à chacun des membres de la Francophonie car ce mouvement est fondé sur un partenariat solide et fraternel entre pays du Nord et du Sud. La Francophonie entend contribuer au mieux au développement durable et solidaire de la planète. Enfin la diversité culturelle et linguistique constitue un engagement de toute première importance pour la Francophonie qui a entrepris des démarches en vue d'aboutir à la conclusion d'une convention internationale sur la diversité culturelle dans le cadre de l'UNESCO.
Il s'agit de définir pour les biens culturels des règles particulières, car ces biens ne doivent pas être assimilés aux produits commerciaux soumis aux normes de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC).
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 juin 2003)