Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France 2 le 22 septembre 2003, sur les raisons du débat entre la France et la Commission européenne à propos du plan de sauvetage d'Alstom, sur la teneur du plan de relance franco-allemand et sur la politique fiscale du gouvernement de J.-P. Raffarin.

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Texte intégral

Françoise Laborde .- Nous allons parler des dossiers chauds du jour et de la semaine, avec évidemment un petit coup d'oeil sur la prestation du Premier ministre hier, chez nos confrères de M6, et puis le dossier Alstom. Sur ce dossier Alstom, on a le sentiment qu'il est en passe d'être résolu et que l'Etat français finalement va pouvoir être présent, engagé en tout cas aux côtés d'Alstom et permettre aux banques privées de s'engager. Mais est-ce qu'au fond, dans toutes ces difficultés, il n'y a pas eu de la part de Bruxelles un peu la réponse du berger à la bergère, à savoir que pendant des semaines, on a entendu les responsables français dire qu'au fond, le Pacte de stabilité, les dérapages budgétaires, "on s'en fout, on ne respecte pas la règle" et là, couperet de Bruxelles, qui a rappelé un peu que la règle, elle est celle-là ?
Bernard Thibault .- "Je pense effectivement que le dossier Alstom a été victime d'une mauvaise polémique entre le Gouvernement français et les autorités européennes, dans une attitude un petit peu hypocrite de la part du Gouvernement français, comme d'ailleurs le font d'autres gouvernements de pays européens. On a la tentation de rejeter sur Bruxelles toute responsabilité dans le domaine économique et politique, un peu comme si les autorités et l'orientation politique qui émane des institutions européennes n'étaient pas le résultat de choix, d'avis et de décisions pris par les gouvernements nationaux, quand ils sont réunis. S'il y a un commissaire chargé de veiller aux règles de la concurrence, c'est parce que le choix politique a été fait de mettre l'accent sur cette dimension de la construction européenne. Je remarque qu'il n'y a pas de commissaire chargé du développement de l'emploi ou du progrès social. Je préférerais qu'il y en ait un, mais c'est une orientation..."
C'est une suggestion que vous pourriez peut-être faire effectivement, qu'il y ait un commissaire européen chargé de la réindustrialisation !
- "Et pourquoi pas ! Ne nous étonnons pas, par conséquent, que les institutions de Bruxelles mettent l'accent sur des défaillances, sur lesquelles les chefs d'Etat, à un moment donné, se sont mis d'accord lorsqu'ils ont rédigé différents traités, dont nous avons dit, dont nous continuons à dire, qu'ils ont plutôt consacré l'Europe financière et économique au détriment de la dimension sociale."
Une Europe libérale plutôt qu'une Europe solidaire...
- "Oui, je crois que c'est ce qui la caractérise. C'est d'ailleurs une des raisons qui nous amène à participer, avec tous nos homologues européens, à une prochaine manifestation européenne le 4 octobre, à l'occasion du prochain sommet des chefs d'Etat, parce que nous estimons que dans les prérogatives, les dispositions, l'orientation politique, l'emploi et le progrès social sont toujours des absents des délibérations européennes."
Mais pour revenir au dossier Alstom, est-ce qu'aujourd'hui, on peut considérer que les emplois sont sauvés ? Il y a 110.000 emplois en Europe, 78.000 en France. Si l'accord effectivement est ratifié, entériné aujourd'hui à Bruxelles, est-ce que vous êtes rassuré en ce qui vous concerne ?
- "L'accord ne suffira pas en soi à préserver le périmètre des emplois et c'est d'ailleurs une question à venir. Bien évidemment, il y a ce suspense Les syndicats ont été reçus hier par les collaborateurs du ministre de l'Economie. On ne nous donne pas encore tous les contours des discussions, il y a beaucoup de réticences à informer vraiment les salariés sur la réalité des situations. Nous sommes reçus au ministère de l'Economie mais nous ne sommes pas reçus par la direction de l'entreprise, ce qui est quand même un comble. Mais quelle que soit l'annonce qui soit faite aujourd'hui, cela ne préservera pas en soi le niveau des emplois. Et je souhaiterais d'ailleurs que soit mis un terme, dès lors qu'il s'agit de réfléchir à la manière dont Alstom va pouvoir rebondir, je crois que la première décision, ce serait d'interrompre..."
Parce qu'il y a des plans sociaux en cours...
- "Il y a des plans de restructuration et de suppression d'emplois qui sont "dans les tuyaux", si je peux dire. Et donc, on ne pourra pas réfléchir et participer à une réflexion d'un nouveau développement stratégique si on laisse les choses en l'état. "
On a le sentiment qu'en cette rentrée sociale, l'emploi en général, reste quand même le premier sujet de préoccupation, avec toutes les questions autour de la réindustrialisation. Il y a eu l'initiative franco-allemande de relance, avec quelques grands projets. Est-ce que cela va dans le bon sens ?
- "Lorsque nous avons rencontré le Premier ministre, il nous avait fait part de ses rencontres et discussions avec les autres chefs d'Etat européens en matière de développement économique. Et je vous avoue - après cette réunion, c'est encore le cas - un certain scepticisme, dès lors que n'apparaissent pas des lignes d'action crédibles, concrètes, nous permettant de nous inscrire dans le développement d'emplois industriels en Europe, sur la base de projets de cohérence. J'ai plutôt eu le sentiment qu'on avait d'ailleurs repris quelques projets qui étaient d'ailleurs dans les tiroirs : lorsqu'on reparle du TGV Est, c'est quand même un projet très ancien. Les premiers coups de pioche ont déjà été donnés depuis des années. On ne peut pas considérer que ce soit un projet à venir. Et parallèlement à cela, dans des secteurs très importants, la recherche notamment, nous voyons des potentiels, des emplois, des savoirs, des outils techniques disparaître. C'est le cas chez Aventis notamment. Donc, nous sommes pour l'instant très déçus du peu de réponses coordonnées de la part des différents chefs d'Etat. Mais je crois que cela correspond aussi à une dominante d'approche libérale de l'économie, qui tend à avoir un Etat ou des Etats le moins présents possibles dans le secteur économique."
J.-P. Raffarin était invité et s'est longuement exprimé chez nos confrères de M6. Deux choses, dans ce qu'il a dit : la première, c'est que la suppression d'un jour férié, Pentecôte, pour financer notamment de nouvelles aides aux personnes âgées, ce n'est pas tout à fait simple. Et aujourd'hui, on apprend qu'on pourrait peut-être baisser la rémunération du Livret A pour dégager des fonds supplémentaires, afin d'aider les personnes âgées. Vous en pensez quoi, de la baisse de la rémunération des livrets, si tant est qu'elle ait lieu ?
- "C'est, de mon point de vue, une très mauvaise chose. On a déjà eu une baisse du taux de rendement. Maintenant, on va avoir une imposition sur une épargne, on le sait, a priori populaire. C'est une épargne populaire, le Livret A. Ce ne sont pas des grands spéculateurs qui ont recours à ce support pour gérer leur épargne. On va de nouveau donc affecter le pouvoir d'achat des plus modestes. Mais plus généralement, vous avouerez que chaque jour, on apprend un peu, par ballon de sonde qui nous vient du Gouvernement, la diffusion de telle ou telle hypothèse. J'ai quand même un peu l'impression que ce Gouvernement navigue à vue. Il ne se passe pas une semaine sans qu'on entende une piste d'augmentation dans le gazole... On a eu un message très fort sur la baisse des impôts sur le revenu, c'est-à-dire la part d'impôt la plus progressive, donc a priori le système d'imposition le plus juste. Et par contre, on entend maintenant une succession de hausses ou de prévisions de taxations, de manière très inégalitaire, sur le gazole. Alors, on annonce puis on dément une hausse par exemple sur les médicaments, sur le vin. Mais en fonction peut-être de l'implantation des élus de la majorité, telle ou telle mesure devient populaire ou ne l'est pas. Enfin, bref, on n'est absolument pas dans une concertation nous permettant, entre autres, en tant qu'organisation syndicale, de participer à la réflexion sur les choix économiques."
Une disposition annoncée par J.-P. Raffarin et à laquelle vous devriez normalement souscrire, c'est d'imposer par la loi le droit au reclassement, en matière de plans sociaux. Est-ce qu'effectivement, c'est ce qu'il faut faire ?
- "Je suis tout à fait disposé à y travailler, si le Gouvernement arrête ce choix. Mais je demande encore à voir. Il y a un droit à l'emploi qui existe dans les textes de notre pays. Ce droit, comme nous le savons tous, est loin d'être assuré pour l'ensemble des salariés. Il y a donc un droit à l'indemnisation en cas de privation d'emploi. Le Gouvernement est en train de prendre des décisions qui vont diminuer le niveau d'indemnisation de ceux qui sont privés d'emploi, avec la mise en uvre aussi d'un accord que nous avions critiqué en son temps, sur les règles d'indemnisation du chômage. Le Premier ministre nous parle d'un droit à la reconversion, au reclassement. En tant qu'organisation syndicale, nous sommes bien évidemment tout à fait disposés pour examiner ce droit, mais jusqu'à présent, j'ai cru comprendre que ce Gouvernement était très réticent à imposer quoi que ce soit aux employeurs. Donc, les prochaines semaines nous diront si c'est une promesse passagère ou si au contraire, sur ce plan-là, le Gouvernement a de la suite dans les idées."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 septembre 2003)