Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la réduction des risques infectieux liés à l'usage des drogues et la prévention de la consommation de drogue, au Sénat le 23 avril 2003.

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Circonstance : Audition par la Commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites au Sénat le 23 avril 2003

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Je suis très heureux d'être là en tant que ministre de la santé pour représenter la France à cette table ronde sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur, sur lequel j'ai beaucoup travaillé et appris comme adjoint au maire de Marseille, en charge de la lutte contre le Sida et la toxicomanie.
Trop longtemps, et je l'ai vécu personnellement sur le terrain, la drogue a été avant tout perçue comme un problème d'ordre public, devenant par la même un sujet de polémique, de débat passionné et de désaccords importants au sein de la société, entre les responsables politiques, ou entre les gouvernements.
Le sida a, là comme ailleurs, profondément modifié notre perception à tous. Avant 1985, les échecs fréquents du sevrage chez les toxicomanes donnaient aux médecins un sentiment d'impuissance partagé par les pouvoirs publics. Le drame du sida nous a obligé à nous engager dans des actions de réduction des risques pour éviter l'hécatombe ; à considérer les drogués non, comme des coupables mais comme des patients qui nécessitent de l'aide, de l'humanité, et enfin, des traitements ; traitements de substitution d'abord mais aussi traitement de l'infection VIH et plus récemment traitement des hépatites C.
Dès lors, nous avons quitté les débats idéologiques. La drogue est devenue un problème de santé publique !
I - En France, il y a entre 170 et 190 000 toxicomanes dépendants des opiacés. La politique de santé en direction de ces usagers de drogues s'articule autour des deux grands axes.
La réduction des risques infectieux liés à l'usage de drogues
les traitements de substitution.
1- Une décision courageuse de Michèle Barzach, alors ministre de la santé, a permis, dès 1987, la vente libre de seringue en pharmacie. A partir du milieu des années 1990, la réduction des risques s'est aussi appuyée sur la diffusion de kits d'injection, de nombreux programmes d'échanges de seringues, et des centres de soins et d'accueil de premières urgences pour les usagers de drogues, particulièrement les plus démunis d'entre eux.
La politique de substitution en France repose sur un réseau de centre de soins spécialisés capable d'apporter une réponse médicale, sociale et de délivrer de la méthadone, mais aussi sur la forte implication des médecins généralistes qui ont en France, la possibilité de prescrire depuis 1995 du Subutex comme traitement de substitution. Le Subutex est en effet plus facilement maniable que la méthadone, et expose moins au risque de surdose létale. Ce choix s'est révélé judicieux puisque actuellement les deux tiers des usagers de drogues (soit environ 116 500) reçoivent un traitement de substitution ; plus des ... (90 000) sont traités par Subutex et suivi par un médecin généraliste.
Tout ceci n'est possible que grâce à un effort financier important. Le ministère de la santé consacre chaque année à 14 millions d'euros à la réduction des risques. La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie qui coordonne les différents champs de l'action publique de lutte contre la drogue, y consacre aussi une partie de son budget, qui s élève à 40 millions d'euros. Le Subutex est en terme de coût au 11e rang des médicaments remboursé par l'assurance maladie,ce qui représente la somme importante de 112 millions d' en 2002. Le coût des Centres spécialisés s'élève à 134 millions d'euros.
2- Cette politique sanitaire a porté ses fruits.
Depuis la fin des années 80, les ventes et la distribution gratuite de seringues aux usagers des drogues n'ont cessé de croître pour atteindre 18 millions d'unité en 1999.
La transmission du VIH parmi les toxicomanes s'est considérablement ralentie. La prévalence a été divisée par 2 entre 1988 et 2002 passant de 40 à 20 %. Plus encourageant encore, une enquête très récente vient de retrouver une prévalence du VIH nulle chez les jeunes toxicomanes de moins de 30 ans. Une preuve éclatante de l'efficacité de la politique menée !
Probable conséquence du développement important de la substitution, les surdoses mortelles ont chuté de 75 % entre 1995 et 1999. Elles sont actuellement stabilisées aux alentours de 120 par an.
Chez les personnes incarcérées, les traitements de substitution sont maintenant poursuivis sans problème. La situation des personnes prises en charge s'améliore aussi dans le domaine du logement et de l'insertion professionnelle.
Enfin, le nombre d'interpellations liées à l'usage d'opiacées a, lui aussi, chuté. La santé publique ramène l'ordre public !
3- Pour autant, tout n'est pas résolu et nous orientons actuellement notre effort dans plusieurs directions.
Améliorer la prévention de l'hépatite C, tout d'abord. La réduction des risques, si efficace sur le VIH semble se heurter à ce virus, 10 fois plus contagieux et qui survit mieux sur le matériel d'injection. L'hépatite C infecte encore 40% des toxicomanes de moins de 30 ans. C'est beaucoup trop ! Un renforcement des actions de prévention en direction des usagers de drogues est prévu en 2003.
La couverture vaccinale des toxicomanes pour l'hépatite B doit être renforcée ; moins de la moitié sont vaccinés ce qui n'est pas acceptable car ils sont pour l'essentiel d'entre eux suivis dans le dispositif médico-social. Un effort d'information sera fait en direction des patients et des médecins.
Contrairement au VIH, le traitement des personnes infectées par l'hépatite C reste encore insuffisant parfois en raison des réticences même des patients. Nous veillerons à une meilleure coordination entre le dépistage et la prise en charge thérapeutique dans le cadre des réseaux de soins toxicomanies ville hôpital.
Enfin, le détournement du Subutex, parfois revendu dans la rue et utilisé comme drogue par voie intraveineuse fait l'objet d'une analyse très attentive. J'annoncerai prochainement des mesures visant à contrôler ce phénomène.
II - Les progrès accomplis dans les domaines des addictions les plus sévères, pour réduire les risques les plus urgents, ont peut être masqué un constat qui s'impose aujourd'hui : la prévention primaire reste le maillon faible de notre système sanitaire.
Ne nous y trompons pas, réduire les dommages liés à la consommation de drogues ce n'est pas prévenir la consommation elle-même .
Si le nombre de jeunes expérimentateurs d'héroïne s'est stabilisé en France à un niveau relativement bas depuis 1993 (0,2 % des lycéens), au même moment, le cannabis amorçait une forte poussée.
Aujourd'hui, plus de la moitié des jeunes de 18 ans expérimente le cannabis. Plus du quart des garçons (29%) et 14% des filles ont une consommation régulière ou intensive. Vous le savez, la France possède le record d'Europe de la consommation de cannabis chez les jeunes.
Bien sûr, le cannabis n'est pas l'héroïne. Les Français le savent bien. Mais plus de 50 %de ceux qui sont interrogés perçoivent l'expérimentation de cannabis comme déjà dangereuse. Cette perception rejoint les données scientifiques les plus récentes qui confirme l'existence d'effets nocifs du cannabis sur l'attention, la mémoire, les performances intellectuelles et l'adaptation sociale.
Les jeunes qui sont consommateurs vont moins bien à la maison, moins bien à l'école, moins bien avec les amis.
Le rôle de la consommation régulière de cannabis dans le déclenchement ou l'aggravation de psychoses est de plus en plus solidement établi dans la littérature scientifique.
Le rôle cancérigène pour les gros consommateurs est maintenant démontré.
Il est largement temps d'agir au nom du principe de précaution, si souvent brandi pour des causes moins solides.
La consommation du cannabis chez les jeunes n'est pas une fatalité. Elle n'est pas due à la prétendue inefficacité de la prévention ou des législations comme certains l'affirment, mais bien à l'absence d'information claire, de programme d'ensemble cohérent et de volonté politique. Changer les comportements c'est possible ! La lutte contre le sida, la guerre contre le tabac menée avec succès par certains pays, l'ont démontré !
Il nous faut lutter contre la consommation de cannabis. Notre objectif est clair : prévenir l'expérimentation chez les jeunes et tout faire pour éviter le passage à la consommation régulière chez les expérimentateurs.
Le ministère de la santé, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) et le ministère de l'éducation nationale vont lancer une campagne d'information et des actions d'éducation et de prévention contre le tabagisme et le cannabis dans les établissements scolaires.
La loi doit aussi jouer son rôle dissuasif. Ce rôle sera d'autant plus important que la loi sera comprise. Prévention et sanctions savent aussi se conjuguer ! Le succès récent de la lutte contre l'alcool au volant en France vient de le montrer de manière éclatante
L'interdiction de la consommation de cannabis doit être maintenue. Les Français y sont d'ailleurs favorables dans leur grande majorité. En revanche la loi datant de 1970 dont l'objet principal était l'usage de l'héroïne, se révèle désormais inadaptée et doit être modifiée. Si on a des messages clairs sur la dangerosité du cannabis, on peut adapter les peines sans craindre que cela soit compris comme une " dépénalisation " du cannabis.
Il faut aussi, apporter de l'aide à ces jeunes consommateurs de cannabis, des conseils à leurs parents, à leurs amis. De véritables progrès doivent être faits pour le repérage précoce et la prise en charge des adolescents consommateurs problématiques ou polyconsommateurs, plusieurs milliers en France, au sein de structures originales et adaptées.
Enfin je terminerai en disant que nos efforts en matière de lutte contre la toxicomanie s'intègrent dans un combat plus vaste que je mène depuis mon arrivée au gouvernement et qui vise à redonner à la prévention la place qu'elle mérite. Nous allons dans les semaines qui viennent présenter une nouvelle loi sur la politique de santé publique qui doit fixer les grandes priorités à moyen terme dans le domaine de la santé publique. La lutte contre la toxicomanie fera l'objet, avec la lutte contre le tabac et l'alcool, deux autres drogues dévastatrices pour la santé, des orientations prioritaires pour les 5 années à venir.


(Source http://www.sante.gouv.fr, le 28 avril 2003)