Texte intégral
Nous avons un dessein politique pour l'Europe. A l'heure de la mondialisation nous avons dit clairement que l'Europe ne se réduit pas à une zone de libre-échange. Elle doit se construire comme un espace de solidarité et de cohésion sociales. Notre engagement européen n'a de sens que si nous avons la volonté de traduire cette ambition dans les faits.
C'est pourquoi, devant la montée du chômage et de la pauvreté dans tous les pays d'Europe, le gouvernement de Lionel Jospin s'est employé à faire de la question de l'emploi une préoccupation centrale de l'Union. Mais comment imaginer construire l'Europe comme espace de solidarité et de cohésion sociales, sans s'interroger sur le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes ? Comment penser une ambition européenne pour l'emploi sans se préoccuper de la mise en oeuvre d'un tel principe ? De ce double point de vue, vos travaux d'aujourd'hui abordent une dimension essentielle du projet européen.
Naturellement nous ne partons pas de rien. L'existence même de ce principe fait de l'Union une communauté singulière sur la scène internationale. Dès son origine la communauté européenne a été présente sur le terrain de l'égalité entre les hommes et les femmes, au point d'en avoir fait un élément constitutif de son identité, et dans une certaine mesure de sa construction. Je rappelle en effet que l'article 119 du Traité de Rome pose la règle "à travail égal, salaire égal", qui fut à la base de l'élaboration ultérieure du principe de l'égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Il est vrai que la mise en oeuvre ce principe n'a pas été facile. Chemin faisant nous avons appris que le beau mot d'égalité avait une déclinaison paradoxale. Cela continue d'alimenter les débats, souvent vifs, en particulier en France. Une chose me semble acquise : l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas de nature arithmétique puisqu'elle impose la reconnaissance, au moins implicite de la différence.
L'Union a évolué sur la politique en faveur des femmes. Dans un premier temps nous sommes restés exclusivement dans le cadre de la politique sociale. Il n'est pas question de négliger ce champ. D'ailleurs, les dispositions sur l'égalité de chances et de traitement du protocole social, désormais intégré dans le Traité, ont été renforcées à Amsterdam. Ensuite, le principe de l'égalité des chances est apparu dans d'autres domaines politiques.
C'est le cas de l'emploi. Dans tous les pays d'Europe, les chômeurs les plus nombreux sont des chômeuses. Le recours au temps partiel est majoritairement le fait des femmes. Quant aux familles monoparentales, c'est-à-dire des familles dont la charge incombe très généralement à des femmes isolées, qui sont confrontées à des difficultés particulières, elles doivent bénéficier de protections spécifiques. Ces quelques rappels montrent qu'il y a, à l'évidence, plus et mieux à faire pour l'insertion des femmes sur le marché de l'emploi. Il est tout à fait significatif que ce soit autour de l'emploi et de l'accès à l'emploi que la Cour de justice se soit emparée du principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Mais cela ne saurait suffire, d'autant que les évolutions récentes sont alarmantes : l'intégration des femmes dans les dispositifs de lutte contre le chômage, traditionnellement plus faible que celle des hommes, a reculé au cours de ces dernières années.
A notre initiative, il y a eu le Conseil européen extraordinaire de Luxembourg sur l'emploi, en novembre dernier. Il existe désormais, comme il y a les critères de Maastricht, des objectifs de Luxembourg sur l'emploi, qui conduisent à la mise en oeuvre de politiques convergentes dans la lutte contre le chômage. Il faut que ces objectifs intègrent cette dimension. Nous sommes notamment déterminés à permettre aux femmes d'avoir un accès effectif aux mesures emploi-formation, ainsi qu'à donner un accès prioritaire aux mesures de lutte contre le chômage de longue durée pour les femmes isolés. Ne nous faisons pas d'illusions, ce type de mesures ne peut à lui seul rétablir l'équilibre. Mais au moins faisons en sorte que la mise en oeuvre de ces politiques d'accompagnement n'aggrave pas la situation au détriment des femmes.
Ne considérons plus cette problématique comme un aspect annexe de la politique sociale ou de la politique pour l'emploi. Elle doit au contraire irriguer l'ensemble de notre action. L'inscription dans le Traité d'Amsterdam d'un principe général de non-discrimination illustre aussi cette prise de conscience. L'égalité entre les femmes et les hommes devient ainsi directement un droit fondamental des citoyens de l'Union.
Cela veut dire qu'ils doivent s'emparer de ce nouveau droit, de ce nouvel espace pour que tous puissent faire entendre leur voix et avancer leurs propositions. J'ai sur ce point une conviction simple : les Européens sont les véritables acteurs de la construction européenne. Aucune politique ne s'incarne sans eux. Je parle des Européens, c'est-à-dire des Européennes et des Européens.
Olympe de Gouges dénonçait un monde politique dans lequel les femmes avaient le droit de monter à l'échafaud mais pas à la tribune. Il demeurerait quelque chose d'inachevé si notre seule conquête était d'avoir supprimé le premier sans être capable de garantir l'accès à la seconde. Aujourd'hui, les femmes ont cessé d'être l'objet des décisions politiques pour en devenir les actrices. Le retard est loin d'être comblé. Mais je suis convaincu que, de leur mobilisation, dépend la construction de l'Europe que nous voulons.
Je n'ai pas de doute que la réflexion que vous poursuivez, aujourd'hui, contribuera à enrichir le débat sur la construction de l'Europe, comme espace de solidarité et de cohésion sociales, d'une dimension essentielle. Je vous souhaite bonne chance dans vos efforts pour trouver une traduction à "mainstreaming". L'objectif, quant à lui, est clair./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)
C'est pourquoi, devant la montée du chômage et de la pauvreté dans tous les pays d'Europe, le gouvernement de Lionel Jospin s'est employé à faire de la question de l'emploi une préoccupation centrale de l'Union. Mais comment imaginer construire l'Europe comme espace de solidarité et de cohésion sociales, sans s'interroger sur le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes ? Comment penser une ambition européenne pour l'emploi sans se préoccuper de la mise en oeuvre d'un tel principe ? De ce double point de vue, vos travaux d'aujourd'hui abordent une dimension essentielle du projet européen.
Naturellement nous ne partons pas de rien. L'existence même de ce principe fait de l'Union une communauté singulière sur la scène internationale. Dès son origine la communauté européenne a été présente sur le terrain de l'égalité entre les hommes et les femmes, au point d'en avoir fait un élément constitutif de son identité, et dans une certaine mesure de sa construction. Je rappelle en effet que l'article 119 du Traité de Rome pose la règle "à travail égal, salaire égal", qui fut à la base de l'élaboration ultérieure du principe de l'égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Il est vrai que la mise en oeuvre ce principe n'a pas été facile. Chemin faisant nous avons appris que le beau mot d'égalité avait une déclinaison paradoxale. Cela continue d'alimenter les débats, souvent vifs, en particulier en France. Une chose me semble acquise : l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas de nature arithmétique puisqu'elle impose la reconnaissance, au moins implicite de la différence.
L'Union a évolué sur la politique en faveur des femmes. Dans un premier temps nous sommes restés exclusivement dans le cadre de la politique sociale. Il n'est pas question de négliger ce champ. D'ailleurs, les dispositions sur l'égalité de chances et de traitement du protocole social, désormais intégré dans le Traité, ont été renforcées à Amsterdam. Ensuite, le principe de l'égalité des chances est apparu dans d'autres domaines politiques.
C'est le cas de l'emploi. Dans tous les pays d'Europe, les chômeurs les plus nombreux sont des chômeuses. Le recours au temps partiel est majoritairement le fait des femmes. Quant aux familles monoparentales, c'est-à-dire des familles dont la charge incombe très généralement à des femmes isolées, qui sont confrontées à des difficultés particulières, elles doivent bénéficier de protections spécifiques. Ces quelques rappels montrent qu'il y a, à l'évidence, plus et mieux à faire pour l'insertion des femmes sur le marché de l'emploi. Il est tout à fait significatif que ce soit autour de l'emploi et de l'accès à l'emploi que la Cour de justice se soit emparée du principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Mais cela ne saurait suffire, d'autant que les évolutions récentes sont alarmantes : l'intégration des femmes dans les dispositifs de lutte contre le chômage, traditionnellement plus faible que celle des hommes, a reculé au cours de ces dernières années.
A notre initiative, il y a eu le Conseil européen extraordinaire de Luxembourg sur l'emploi, en novembre dernier. Il existe désormais, comme il y a les critères de Maastricht, des objectifs de Luxembourg sur l'emploi, qui conduisent à la mise en oeuvre de politiques convergentes dans la lutte contre le chômage. Il faut que ces objectifs intègrent cette dimension. Nous sommes notamment déterminés à permettre aux femmes d'avoir un accès effectif aux mesures emploi-formation, ainsi qu'à donner un accès prioritaire aux mesures de lutte contre le chômage de longue durée pour les femmes isolés. Ne nous faisons pas d'illusions, ce type de mesures ne peut à lui seul rétablir l'équilibre. Mais au moins faisons en sorte que la mise en oeuvre de ces politiques d'accompagnement n'aggrave pas la situation au détriment des femmes.
Ne considérons plus cette problématique comme un aspect annexe de la politique sociale ou de la politique pour l'emploi. Elle doit au contraire irriguer l'ensemble de notre action. L'inscription dans le Traité d'Amsterdam d'un principe général de non-discrimination illustre aussi cette prise de conscience. L'égalité entre les femmes et les hommes devient ainsi directement un droit fondamental des citoyens de l'Union.
Cela veut dire qu'ils doivent s'emparer de ce nouveau droit, de ce nouvel espace pour que tous puissent faire entendre leur voix et avancer leurs propositions. J'ai sur ce point une conviction simple : les Européens sont les véritables acteurs de la construction européenne. Aucune politique ne s'incarne sans eux. Je parle des Européens, c'est-à-dire des Européennes et des Européens.
Olympe de Gouges dénonçait un monde politique dans lequel les femmes avaient le droit de monter à l'échafaud mais pas à la tribune. Il demeurerait quelque chose d'inachevé si notre seule conquête était d'avoir supprimé le premier sans être capable de garantir l'accès à la seconde. Aujourd'hui, les femmes ont cessé d'être l'objet des décisions politiques pour en devenir les actrices. Le retard est loin d'être comblé. Mais je suis convaincu que, de leur mobilisation, dépend la construction de l'Europe que nous voulons.
Je n'ai pas de doute que la réflexion que vous poursuivez, aujourd'hui, contribuera à enrichir le débat sur la construction de l'Europe, comme espace de solidarité et de cohésion sociales, d'une dimension essentielle. Je vous souhaite bonne chance dans vos efforts pour trouver une traduction à "mainstreaming". L'objectif, quant à lui, est clair./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)