Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à France 2 le 17 avril 2003, sur les propositions du Gouvernement sur la réforme des retraites, notamment la durée des cotisations dans le secteur public et dans le privé et la garantie des niveaux de pension de retraite.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Bonjour !
C'est l'heure de vérité pour les retraites, demain François Fillon fera ses propositions mais dès hier Jean-Paul Delevoye a présenté les siennes pour la Fonction publique. Alors quarante ans de cotisations au lieu de trente-sept ans et demi et l'instauration d'une décote, c'est-à-dire d'un abattement de 3 % sur les pensions par année manquante, quelles sont vos réactions ?
Tout d'abord une surprise, le Premier ministre s'était engagé à ce qu'on ait une réforme des retraites pour les salariés du public comme pour les salariés du privé. Or hier la surprise c'est que le ministre de la Fonction publique nous a présenté sa réforme pour les salariés de la Fonction publique en prenant le risque d'opposer les salariés du public et du privé. C'est une faute grave selon nous parce que l'on n'a pas les objectifs communs aux deux. On a un écueil que le gouvernement devait éviter : prendre le risque d'opposer les uns aux autres et il est tombé dedans. Je crois qu'il est temps que demain le Premier ministre mette un peu d'ordre dans sa maison et nous propose cette réforme globale que l'on veut pour les salariés du public et du privé.
Donc déjà un gros problème de méthode. Maintenant sur les propositions de Jean-Paul Delevoye : quarante ans de cotisations et puis cette décote ou surcote.
Justement ce problème de méthode nous amène dans un flou total, dans une inconnue étant donné que nous n'avons pas les objectifs globaux. On ne sait pas quel va être le niveau des pensions ou les objectifs de niveau de pension pour les salariés du public comme du privé, les propositions du ministre de la Fonction publique sont à comparer par rapport à ce qu'on veut faire. Je prends un exemple. Il nous propose en contrepartie de l'alignement de quarante ans de cotisations qui était connu de tout le monde, l'intégration de primes. Mais est-ce que cette intégration de primes va maintenir les inégalités fortes qui existent dans les fonctions publiques ou est-ce que ces intégrations de primes vont réduire ces inégalités. On n'a pas de visibilité. Il nous parle de décote, c'est-à-dire une décote supplémentaire puisqu'il y avait déjà une qui existait : réduire le niveau de pension pour ceux qui partent plus tôt. Mais ceux-ci doivent comprendre une surcote si on part plus tard, or là on n'a pas les objectifs. Donc le ministre de la Fonction publique n'a fait qu'une chose hier, semer la confusion et prendre le risque de diviser les salariés du public et du privé, c'était justement ce qu'il fallait éviter.
La CFDT a dit qu'elle serait vigilante, elle demande des contreparties. C'est quoi la contrepartie, la prise en compte des primes, par exemple ?
Pour les fonctionnaires on demande des contreparties : prise en compte des primes. Je prends un exemple. On a dans la Fonction publique des salariés qui partent avec moins de 60 % de leur dernier salaire en pension, d'autres à 73 %. Il faut intégrer des primes pour réduire ces inégalités comme par exemple entre l'aide-soignant de la Fonction publique hospitalière et l'enseignant, pour faire en sorte que tout le monde puisse évoluer vers un meilleur objectif. Faire en sorte que les temps partiels soient considérés comme dans le privé comme du temps plein, voilà des démarches. La retraite à la carte, les emplois pénibles, tous ces objectifs on ne les a pas, donc on a là, je le répète, une confusion.
Alors ça c'était pour la fonction publique. Demain (ndlr : le 18 avril) vous voyez François Fillon pour le privé donc, quelles sont vos exigences ?
Notre exigence c'est d'avoir enfin le projet de réforme pour les salariés du public comme pour les salariés du privé. Qu'il nous dise quels sont les niveaux de pension qui comptent garantir à tous les salariés français, avec une priorité qui est pour la CFDT centrale, faire en sorte qu'il n'y ait plus de pension en dessous du SMIC. On a actuellement les pensions minimums qui avoisinent avec les retraites complémentaires à 80-90 % du SMIC : il faut arriver à 100 % du SMIC. Deuxième chose, faire en sorte que tous les salariés qui ont travaillé jeune, qui ont quarante ans de cotisations avant soixante ans puissent partir à la retraite. Entre les trente-sept ans et demi de certains et les quarante-six ans de cotisations d'autres qui ont commencé à travailler à quatorze ans, il nous semble qu'il est normal que ceux qui ont travaillé les plus jeunes, qui ont les plus basses pensions généralement, les emplois les plus pénibles, puissent partir au bout de quarante ans de cotisations.
Et si vous n'obtenez pas satisfaction, jusqu'à maintenant la CFDT avait été, disons, assez constructive, assez modérée, d'ailleurs au prix même d'un certain isolement avec les autres syndicats, ça pourrait changer ?
Nous avions toujours dit qu'il y avait le temps de la concertation, qu'il n'était pas utile dans une manifestation qui s'adressait en priorité aux fonctions publiques d'opposer les salariés du public et du privé et que lorsqu'on aurait les propositions du gouvernement, on jugerait et à ce moment-là, on se mobiliserait si nécessaire. L'action du ministre de la Fonction publique ne rassure pas, donc si nous n'avons pas des objectifs clairs, des réponses claires à nos demandes, inévitablement on prendra nos responsabilités.
Donc peut-être des manifestations, dès le 1er mai peut-être ?
Le 1er mai sera un moment inévitablement d'expression sur le problème des retraites, c'est bien évident.
On sait que la réforme actuelle, d'ores et déjà ne suffira pas, qu'il faudra d'autres mesures d'ici 2020. Le gouvernement privilégie un nouvel allongement des durées de cotisations, quarante-deux ans peut-être.
La CFDT a toujours plaidé sur une réforme par étape. On ne peut pas aujourd'hui
Donc ça ça ne vous choque pas, c'est
La situation économique aujourd'hui, la situation de l'emploi, le fait qu'on ait beaucoup de salariés qui sont licenciés après cinquante-huit ans fait qu'aujourd'hui, on ne peut pas augmenter la durée de cotisations au-delà de quarante ans. Qu'on ait une réforme qui s'adapte selon le temps oui, mais le gouvernement veut nous coincer dans une réforme uniquement sur la durée de cotisations. Or qui dit aujourd'hui qu'on n'a pas des marges de manuvre pour augmenter les cotisations demain, donc il faut laisser ouvertes toutes les perspectives sur l'avenir.
Autre souci, la rupture des négociations hier entre la Caisse d'assurance maladie et les médecins spécialistes, à qui la faute ?
La Caisse d'assurance maladie a signé un accord avec tous les professionnels de santé, sauf les spécialistes. Les spécialistes sont des professionnels qui ont eu leur niveau de revenu qui a le plus augmenté de toutes les professions depuis dix ans.
De toutes les professions françaises
De toutes les professions françaises, c'est eux qui ont les revenus qui ont le plus augmenté. On a signé un accord avec eux avec des objectifs entre cet accord qui a été signé et la mise en uvre de cet accord là actuellement, ils nous ont fait deux propositions supplémentaires, un milliard d'euros supplémentaires pour augmenter leurs salaires, ce qui ferait 17 000 euros supplémentaires par praticien par an, ce qui est énorme, et en plus ils nous proposent une liberté tarifaire, c'est-à-dire qu'ils fixent eux-mêmes le niveau de leurs ordonnances, le niveau de leurs prestations avec une partie variable à la charge de l'assuré. Ca c'est condamner les assurés à ne pas pouvoir aller chez le médecin si on ne peut pas payer. Donc pour la CFDT ce n'était pas acceptable et la CFDT est tout à fait derrière le président de la CNAM qui a refusé cette démarche qui amènerait une dérive tout à fait préjudiciable pour l'assuré.
Enfin dernier dossier et pas le moindre, la croissance et l'emploi, Francis MER est optimiste, il prévoit un retour de la croissance dès le deuxième semestre de cette année, vous êtes rassuré ?
Non, pas du tout, je ne suis pas du tout rassuré. Quand on voit que l'Allemagne prévoit une évolution du produit intérieur brut de même pas un demi-point pour cette année alors que c'est la troisième année de récession, l'Allemagne c'est un quart du produit intérieur brut de l'Europe, c'est 70 % du commerce français. La France n'est pas un pays isolé de l'Europe, il y a une difficulté économique, elle existe depuis deux ans. Le gouvernement n'avait pas vu quand il est arrivé en place que le chômage augmentait depuis un an. On est à deux ans d'augmentation du chômage. Le Premier ministre nous a parlé la semaine dernière de rupture de croissance et là de nouveau, le ministre de l'Economie nous dit ça va repartir. Nous n'y croyons pas et je pense que l'erreur de diagnostic que le gouvernement fait depuis un an se poursuit.
Vous savez, le gouvernement peut répondre que ce n'est pas de sa faute si la croissance internationale est en train de baisser, qu'il n'y a pas grand-chose à faire.
On n'accuse pas le gouvernement d'être responsable de toutes les difficultés internationales mais faire croire aux Français que la guerre en Irak était responsable du chômage qui augmente depuis deux ans c'est un peu lourd, faire croire aujourd'hui que la fin de la guerre en Irak va permettre de repartir en particulier lorsque le chômage augmente c'est encore une erreur, une erreur d'analyse, pas obligatoirement une responsabilité au niveau mondiale.
François Chérèque, merci et bonne journée.
Source : " Les 4 vérités ". Entretien reproduit avec l'aimable autorisation de France 2.
(Source http://www.cfdt.fr, le 18 avril 2003)