Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la préparation de la conférence intergouvernementale et notamment la notion de "coopérations renforcées assouplies" entre les pays membres face à la perspective de l'élargissement de l'UE, Bruxelles le 10 juillet 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du Conseil affaires générales à Bruxelles le 10 juillet 2000

Texte intégral

Nous avons commencé notre après-midi par des échanges sur la Conférence intergouvernementale. Dans un premier temps avec la présidente du Parlement européen, Mme Nicole Fontaine, (dont je ne commenterai évidemment pas les déclarations puisque ce sont les siennes), ensuite, entre les ministres. Nous avons eu un premier échange de vues sur les méthodes de travail au sujet de la Conférence intergouvernementale. Ces méthodes vont changer, comme nous l'avions annoncé, et nous comptons à la fois maintenant intensifier le travail, globaliser les négociations et lui donner un substrat politique plus important. C'est pour cela que nous allons maintenant hiérarchiser les travaux différemment. Nous allons désormais faire en sorte que des réunions préparatoires à la Conférence intergouvernementale aient lieu chaque semaine à un niveau ou un autre. D'abord, il y a le niveau du groupe préparatoire qui sera présidé par Pierre Vimont, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne et qui se réunira deux fois par mois. C'est l'instance technique qui est chargée d'instruire les travaux. Il y aura ensuite la session ministérielle qui aura lieu pendant le Conseil Affaires générales, après le déjeuner, de 15h00 à 17h30 et qui sera, là encore, décomposée en deux parties. Une première partie sera consacrée au débat avec la présidente du Parlement européen et les représentants du Parlement Européen et une seconde qui sera un débat général. Ensuite, un dîner informel, consacré à la Conférence intergouvernementale réunira tous les ministres. Ce soir cela sera le premier exemple de ce dîner. En plus de ces réunions de groupe préparatoire, en plus des sessions ministérielles, nous avons souhaité approfondir les négociations en organisant quatre conclaves ministériels. Trois auront lieu à Bruxelles ou au Luxembourg. Le premier se tenant le lundi 24 juillet. Le quatrième conclave sera informel et aura lieu le 5 novembre, probablement à Paris. Nous espérons à travers ces discussions faire progresser les débats et nous allons aborder les questions clefs en commençant les travaux pendant le dîner de ce soir sur la Commission et les coopérations renforcées.
Voilà pour le premier point. Les délégations ont été invitées à s'exprimer sur les réalisations des travaux et sur cette approche générale. Personne ne s'étant exprimé, j'en déduis que chacun y consent et c'est donc ainsi que nous procèderons.
Nous avons ensuite repris les débats sur les Balkans. Deux questions ont été évoquées : d'abord celle du Sommet l'Union européenne et les Balkans occidentaux. Nous avons confirmé la nature politique de cette réunion qui vise à arrimer les Balkans à l'Europe, à encourager la voie vers la démocratie et adresser un message à la Serbie.
L'autre question qui a été évoquée est celle des sanctions : il y a accord pour proroger jusqu'au 31 mars 2001 la suspension de l'embargo aérien et pour accéder à la demande de la Commission d'ajouter 50 entreprises sur la liste blanche (sur la liste des entreprises autorisées à commercer avec l'Union européenne). Plusieurs délégations se sont interrogées sur la pertinence de maintenir les sanctions dont certains effets sont ou seraient contre-productifs. Il est clair qu'une réflexion sera menée ultérieurement sur ce sujet.
Nous avons ensuite traité du Zimbabwe. L'enjeu du débat que nous avons eu était de prendre acte du résultat des élections qui se sont tenues dans le calme, alors que la campagne avait été marquée par des actes de violences, en tous cas par de fortes tensions. Nous avons salué, à nouveau, les travaux menés par les experts de l'Union européenne sous la responsabilité de M. Pierre Schori, qui est un parlementaire européen, et donc salué l'action de cette mission d'observateurs. Le Conseil a demandé fermement au gouvernement du Zimbabwe de tout faire pour que le redressement économique et social du pays, y compris la réforme agraire, permette d'aller de pair avec le respect du principe démocratique. L'Union européenne invite le gouvernement du Zimbabwe, qui d'ailleurs n'est pas encore formé, à engager le dialogue avec l'opposition.
J'ai ensuite présenté, au titre de la présidence les autres grandes priorités de ce semestre que vous connaissez : c'est d'abord le suivi de Feira, en insistant sur trois points : l'élargissement de l'Union, notamment l'ouverture des négociations sur de nouveaux chapitres avec les six pays qui sont entrés en négociation à Helsinki, mais aussi notre souci de parvenir à Nice, à une vue d'ensemble du processus d'élargissement. Il y a eu débat, c'est vrai, sur le nombre de chapitres à ouvrir avec les nouveaux pays en négociation, mais tant la Commission que la présidence ont insisté sur leur travail commun et sur le fait que nous devions marier ambition et réalisme, qualité et quantité et que la prévision d'ouvrir 42 chapitres correspondait à la fois aux capacités qui étaient les nôtres, à l'état de préparation des dossiers et représentait aussi un saut politique important.
J'ai ensuite évoqué la Charte des droits fondamentaux et répété que la France souhaitait que cette Charte contienne des droits substantiels, notamment en matières économiques et sociales, indiqué également qu'il nous semble que le caractère contraignant ou non de cette Charte devait être discuté à une étape ultérieure.
Enfin, j'ai évoqué l'agenda social, la réflexion sur les services publics, la sécurité alimentaire, la mise en uvre du plan e-Europe, l'espace européen de la connaissance, la sécurité des transports maritimes et la reconnaissance de la dimension spécifique du sport, tous ces sujets ayant été évoqués par le président de la République la semaine dernière devant le Parlement européen.
Enfin, dans les points divers, nous avons traité de deux questions : d'abord nous avons pris acte des préoccupations exprimées par la délégation autrichienne quant aux conséquences sur l'environnement en matière de sûreté nucléaire de ce qui se déroule sur la centrale de Temelin. La Commission a saisi le gouvernement tchèque. Il s'agit d'éviter le fait accompli et la Commission fera un rapport au Conseil. C'est l'occasion, pour l'ensemble des Etats Membres, de réaffirmer leur attachement à la sûreté nucléaire, comme un des points dont nous devions nous préoccuper dans les négociations d'élargissement. Et ce point ne doit en aucun cas être pris à la légère car il est vrai que les opinions publiques y sont très légitimement attachées.
En ce qui concerne le devenir de l'Institut de Relations Europe et Amérique latine, d'un côté, il y a, c'est certain, des problèmes de gestion et de respect des règles budgétaires, qui s'imposent à l'ensemble des institutions de l'Union européenne et, de l'autre côté, il y a la volonté, qui a été affirmée par l'ensemble des délégations, de voir cet institut continuer son travail qui est extrêmement utile. Pour arriver à concilier ces deux nécessités, il faut trouver les solutions appropriées pour l'IRELA d'une part, et permettre le respect des règles budgétaires de l'Union européenne d'autre part. Il a été décidé la création d'un groupe de travail qui associera les trois institutions principales de l'Union européenne : le Conseil, la Commission et le Parlement européen, la Commission devant préalablement faire rapport sur la situation.
Enfin, sur Chypre, il y a eu un accord sur une formule pour l'Assemblée générale des Nations unies après les discussions qui se sont déroulées dans le meilleur esprit.
Voilà ce qui s'est déroulé cet après-midi dans la continuité des travaux du matin. Je suis à votre disposition pour quelques questions.
Q - Craignez-vous un blocage autrichien de la présidence française ?
R - Je vous citerai, pour vous répondre, ce que déclarait je crois, la ministre autrichienne des Affaires étrangères : " nous ne voulons pas bloquer la Conférence intergouvernementale ni l'élargissement, il n'existe pas de menace et nous continuons à suivre une voie constructive. L'Autriche ne bloquera pas l'Union européenne ". Comment voudriez-vous, dans ces conditions, que je sois inquiet de quoi que ce soit. Cela prouve qu'il y a là un souhait de laisser l'Union européenne aller de l'avant, et pourquoi pas, de l'y aider.
Q - En ce qui concerne les déclarations autrichiennes sur la sûreté nucléaire dans la centrale tchèque, est-ce que cela veut dire que le Conseil reconnaît la légitimité de cette préoccupation autrichienne ou vous ne voulez pas vous exprimer tous ensemble et attendez les conclusions de la présidence ?
R - Cela veut dire que ces questions de sûreté nucléaire, et notamment la question de cette centrale nucléaire, sont abordées dans le groupe élargissement et continueront à l'être et nous attachons la plus grande importance à ces problèmes. Après, c'est au groupe de faire son travail mais que personne ne méconnaisse l'importance de ce problème pour l'élargissement.
Q - En reconnaissant la situation spécifique du sport et du service public est-ce que vous considérez que ce sont des sujets qui pourraient être traités à un moment donné dans la Conférence iIntergouvernementale ?
R - Ce que nous souhaitons c'est que le Conseil européen de Nice, adopte une déclaration qui reconnaîtrait la situation spécifique du sport et qui, peut-être, permettrait d'avancer sur un certain nombre de points juridiques : je pense, par exemple, aux relations entre la nationalité et le transfert, ou encore, au rôle des fédérations dans l'organisation des compétitions sportives. Mais ce travail ne fait que commencer et il ne s'agit surtout pas de l'introduire dans la Conférence intergouvernementale mais il s'agit bien de nous donner peut-être un mandat pour aller plus loin par la suite tant il est besoin de réguler, c'est clair, par exemple les rapports entre le sport et l'argent.
Q - Avez-vous des doutes sur le respect du calendrier de la Conférence intergouvernementale ?
R - Cela serait plus que surprenant que nous prétendions ne pas tenir notre calendrier. Si notre mission principale est de réformer les Institutions, je crois que chacun compte sur la France pour parvenir à un accord à Nice et notre ambition est, bien sûr, de parvenir à un accord à Nice. C'est bien pour cela que nous avons choisi et que nous nous imposons une méthode de travail exigeante qui prendra de notre énergie et de notre temps. Je suis à la fois conscient de la très grande difficulté de la tâche et en même temps optimiste parce que j'ai l'impression que c'est quelque chose comme une dernière chance qui est en train de se dérouler pour ce système communautaire et je pense que chacun prendra ses responsabilités. Pour toutes ces raisons, je vous l'ai dit, nous voulons parvenir à un accord à Nice et oui, j'ai la conviction que nous parviendrons à un accord à Nice et quand je parle d'un accord, je ne parle pas d'un compromis boiteux, je parle d'un bon accord sur un vrai traité.
Q - Comment procéder aux nominations des trois sages sur l'Autriche ? Que pensez-vous de M. Ahtisaari ?
R - Nous allons respecter les procédures prévues à savoir que la Cour doit faire des propositions et puis ensuite chacun jouera son rôle.
Q - Au sujet des coopérations renforcées, quel message feriez-vous passer aux Etats membres qui sont dans la zone Euro et qui sont très réticents avec ces coopérations renforcées ?
R - Je dirais d'abord que nous avons accepté que ces coopérations renforcées soient intégrées à l'agenda de la Conférence intergouvernementale donc ce n'est pas pour considérer que l'on doit en parler deux minutes pour évoquer le sujet. Deuxièmement, nous sommes confrontés à un même problème, tous, qui est celui de l'élargissement de l'Union européenne qui est notre grand projet politique, notre grand défi politique mais qui, en même temps, nous pose la question de l'hétérogénéité de l'Union européenne. Alors, soit nous sommes capables de penser une Union qui à la fois fonctionne à trente et en même temps gagne en son sein de la souplesse et de la flexibilité, soit nous connaîtrons une crise de croissance extrêmement sérieuse. Pour toutes ces raisons là, nous pensons que les coopérations renforcées, qui sont une formule qui existe déjà dans les traités, sont une formule qui permet de mieux faire fonctionner l'Union européenne à court terme et aussi d'ouvrir la voie dans l'avenir. C'est pour cela que j'inviterai chacun à aller dans le sens d'un assouplissement substantiel de ces coopérations renforcées. J'évoquerai trois questions :
Quel nombre d'Etats membres faut-il pour déclencher une coopération renforcée ?
Doit-on, ou ne doit-on pas, conserver la clause d'appel du Conseil, qui est une sorte de veto institutionnalisé ?
Ne faut-il pas envisager des modalités de fonctionnement souples au sein de chacune des coopérations renforcées ?
Et j'espère sincèrement que chacun comprendra qu'il est de l'intérêt de tous d'aller vers ces coopérations renforcées et que la meilleure façon, d'une certaine manière, d'éviter l'Europe à deux vitesses, c'est d'avoir des coopérations renforcées assouplies.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)