Interviews de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à Europe 1 le 7 octobre 2003, sur la proposition de loi de l'UDF pour un service minimum lors des mouvements de grèves et sur le débat sur la remise en cause des 35h00.

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Média : Europe 1 - Le Parisien

Texte intégral

Jean Pierre Elkabbach .- Bonjour B. Thibault.
Bernard Thibault .- "Bonjour."
Dans une France qu'on dit en récession, pour réformer qu'est-ce que vous préférez, la loi ou le contrat via la négociation ? D'une manière générale et comme principe.
- "Les deux outils peuvent être utilisés et doivent être utilisés en complément, en substitution, mais il faut ni rejeter l'un, ni rejeter l'autre."
Mais votre préférence ai-je dit.
- "Tout dépend des sujets. Il y a un débat sur les 35 heures, je rappellerais rapidement que s'il y a une loi sur les 35 heures, c'est parce que le patronat en son temps, en 97, se refusait de négocier un processus de réduction du temps de travail, ce qui a amené donc le législateur à prendre une décision politique. Il ne faut pas donc que le législateur de ce point de vue là se prive de son pouvoir de légiférer. Ceci étant, nous l'avons vu récemment, sur un sujet comme la formation professionnelle, nous sommes parvenus à un accord par la négociation. On voit donc que les deux outils peuvent être utiles à faire avancer la situation sociale."
Je prends ce matin un autre exemple. L'UDF va déposer aujourd'hui une proposition de loi sur le service minimum. Est-ce que c'est l'affaire du Parlement, la loi, ou des entreprises ?
- "Ça, je le mettrais au compte de la provocation régulière qui existe dans les rangs de la droite. Ce n'est pas d'aujourd'hui. Il y a souvent des députés bien inspirés qui agitent ce chiffon rouge de la restriction du droit de grève dans notre pays. Je ne pense pas que la situation soit favorable à ce genre de projet. Je l'ai déjà dit, je n'ajoute rien si ce n'est que le gouvernement doit faire preuve de beaucoup de retenue sur un sujet pareil, en ces circonstances."
Mais le droit de grève est respecté, c'est l'abus de son exercice qui porte atteinte aux droits des salariés, aux droits des gens. Et donc, c'est peut-être pour ça que l'idée est relancée.
- "Oui, mais il faut surtout s'intéresser aux raisons qui font que la grève est encore un recours assez systématique lorsqu'il n'y a pas d'autre moyen pour se faire entendre."
Avec des effets négatifs pour la vie des citoyens, des gens, des travailleurs etc.
- "Bien sûr. Vous savez que les salariés qui ont recours à ce mode d'action, en règle générale ... Ce n'est pas parce qu'il y a quelques abus de militants syndicaux, qui ne mesurent pas forcément à chaque fois toutes les conséquences produites par un arrêt de travail, qu'il faut restreindre le droit de grève dans notre pays."
Donc la loi non, dans l'entreprise oui ?
- "Il faut surtout que dans l'entreprise, on veille à écouter ce qu'ont à dire les salariés pour éviter autant que faire ce peut les situations d'arrêt de travail et conflictuel. Il n'y a pas une recherche de situation de conflit comme un objectif premier dans l'action syndicale."
Et dans ce domaine, dernière question, si on pousse l'idée de la loi, vous combattrez ?
- "Oui, résolument."
Alors depuis le coup de tonnerre d'A. Lambert, le débat fait rage autour des 35 heures. De Moscou hier, le Premier ministre et F. Fillon ont déclaré, pas d'abrogation brutale de la loi Aubry, d'ailleurs M. Fillon vous l'a répété à vous-même.
- "Oui."
Le dialogue social, disent-ils, peut les faire évoluer. Est-ce que vous êtes preneur de cette méthode ?
- "Nous avons eu confirmation en rencontrant M. Fillon hier, que le Gouvernement ne s'apprêterait pas à légiférer sur ce sujet, à savoir une remise en cause généralisée des 35 heures, bien que ce gouvernement, je le rappelle, ait mis un coup d'arrêt au processus de réduction du temps de travail pour les salariés des petites entreprises."
Avec le décret Fillon qui est en train de courir depuis neuf mois et qui en a encore pour neuf mois, ça fait 18 mois. Justement, est-ce que vous pourriez profiter de la renégociation de ce décret, ou de cette phase, d'ici à juillet, pour revoir la durée du travail ?
- "L'organisation du temps de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, devraient faire l'objet de discussions permanentes, que l'on soit ou que l'on ne soit pas aux 35 heures. Je connais des situations, et nous étions demandeurs en son temps que lorsqu'il y avait même des accords de passés on puisse, après une période d'expérience, permettre aussi aux salariés de dire sur quelles modalités particulières ils souhaitaient revenir. Il y a des situations où on a mis en place les 35 heures, qui se sont traduites par une certaine intensification du travail, parce qu'on a peut-être pas embauché suffisamment. Bref, le bilan à faire sur les 35 heures, pour ceux qui l'ont, il est aussi à faire du côté des salariés. Il n'y a pas que le point de vue de l'employeur qui doit être l'objet d'une discussion."
Mais est-ce que vous êtes prêt à négocier pour aménager les 35 heures ? Pour les assouplir ?
- "Si le terme d'assouplissement veut dire remise en cause, nous n'y sommes pas favorables. Nous sommes sur un processus.."
Mais si ce n'est pas le cas ?
- "S'il s'agit de discuter en permanence de conditions et d'horaires de travail dans une négociation qui respecte le point de vue des salariés et aussi ce qu'ont à dire les employeurs, oui, mais ça je dirais c'est la vie normale d'une entreprise. Il n'y a pas besoin d'avoir un ministre ou un gouvernement qui décrète qu'il faille discuter de ce sujet-là pour que ce soit le cas."
Sur le principe, F. Mer disait - dans son style unique - que travailler, ce n'est pas une malédiction. Est-ce que ce n'est pas une liberté nouvelle pour les Français de pouvoir travailler, s'ils le veulent, plus pour gagner plus ?
- "Ecoutez, il y a un discours culpabilisant qui est assez infernal aujourd'hui"
Là ce n'est pas la culpabilité.
- "... Aux oreilles des cinq millions de salariés qui sont en situation de sous-emploi, soit privés d'emploi, soit en temps partiel contraint, et il y a donc à peu près cinq millions de nos concitoyens qui aimeraient bien pouvoir travailler plus, mais qui ne le peuvent pas au stade actuel. Alors j'aimerais bien que le Gouvernement utilise son temps et son énergie plutôt à la création d'emplois qu'à trouver des solutions permettant à ceux qui travaillent déjà de travailler davantage sans en avoir ni la reconnaissance en matière de qualification ou de salaire."
B. Thibault, et pour l'avenir, et peut-être déjà, est-ce que ce n'est pas un faux débat ? De fait, les 35 heures ne vont-elles pas tomber lentement en désuétude ? Est-ce qu'on est aux 35 heures ?
- "Non, nous ne sommes pas aux 35 heures dans notre pays. J'entends dire que ce serait les 35 heures qui seraient responsables de tous les maux de la situation financière. Moi, je voudrais dire que ce gouvernement a décidé d'un certain nombre d'aides aux entreprises, d'un montant supérieur aux aides qui accompagnaient le processus de réduction du temps de travail."
Donc il est bien ce gouvernement.
- "Pour les entreprises, oui, elles ont touché en l'occurrence plus que ce qu'elles touchaient pour la réduction du temps de travail. Lorsque j'entends dire, par exemple, que ce sont les 35 heures qui sont responsables des situations difficiles dans les hôpitaux, notamment vécues au moment de la canicule, je dois dire que les infirmières, les médecins, tout le monde sursaute. Il y a eu un repos de sécurité d'instauré, mais en aucun cas, on ne peut considérer que le personnel hospitalier aujourd'hui fait effectivement 35 heures, et heureusement qu'ils ne l'ont pas fait cet été."
Le PS, l'UMP et certains UDF réclament une commission d'enquête ou maintenant une mission d'information sur les conséquences des 35 heures, c'est une bonne idée ?
- "Oui, que le Parlement enquête sur tous les sujets qu'il souhaite, nous aurons l'occasion, si c'est le cas, de donner notre opinion aussi sur le diagnostic que nous portons sur ce processus."
Un mot. Il y a une grande loi de réforme du dialogue social qui est en cours, vous voyez assez souvent maintenant le ministre des Affaires sociales. Est-ce que, même s'il y a des difficultés ou des péripéties, vous pensez qu'on avance vers la réforme du dialogue social, avec ce que vous demandiez, des élections professionnelles partout et des accords signés par les syndicats qui ont la majorité ?
- "Moi, je suis convaincu qu'il nous faut sortir du système actuel qui fait que la signature d'un seul syndicat peut permettre de changer le droit pour tous les salariés dans notre pays, c'est la raison pour laquelle hier encore auprès de M. Fillon, j'ai ré-expliqué que nous voulions des élections professionnelles accessibles pour tous les salariés de notre pays. Or un salarié sur deux n'a pas de délégué du personnel ou de comité d'entreprise, c'est injuste, et d'avoir un système qui fasse en sorte qu'à l'avenir seuls les accords signés par des syndicats qui représentent une majorité des salariés soient reconnus comme valides. Mais j'ai l'impression, du fait de la conversation d'hier, qu'il y a encore beaucoup de chemin pour y parvenir."
Mais c'est une négociation ça, et vous, vous tenez, je pense, au respect de la majorité syndicale ? Est-ce que vous en faites autant à l'égard d'une majorité politique issue par les élections de 2002 ?
- "Je respecte tout à fait le fonctionnement de nos institutions et l'aberration est celle-ci, c'est que les questions sociales sont le seul domaine où une minorité a le droit de décider pour la majorité."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 octobre 2003)