Texte intégral
Je voudrais tout d'abord remercier la Communauté musulmane de Marseille, dont j'ai accepté avec plaisir l'invitation pour cette cérémonie d'Aïd AL FITR, qui marque la fin du mois du Ramadan.
Ce mois de jeûne, je le sais, est très cher au coeur de tous les musulmans, car c'est un mois de sacrifice, de don de soi, de partage et de solidarité avec les plus démunis. Ce mois - vous le savez bien - exprime des valeurs qui trouvent un écho particulier dans notre République laïque dont les fondements sont la liberté, l'égalité, la fraternité.
Mais si nous sommes tous ici présents, et si j'ai répondu à votre invitation, c'est d'abord pour marquer à l'ensemble de la communauté musulmane de France, qu'elle doit avoir toute sa place dans notre société.
Cela signifie que des signes forts doivent être donnés à cette communauté, et que, par des actes, nous concrétisions ensemble cette volonté pour que l'intégration progresse en France : l'intégration des populations issues de l'immigration bien sûr, mais aussi l'intégration normale et légitime de l'Islam, dans des conditions de dignité, de respect et de transparence. Je voudrais ici commencer mon propos sur la place de l'Islam dans notre société.
L'Islam dans la République :
La pratique religieuse est un droit fondamental énoncé et garanti par notre Constitution et par les textes fondamentaux des Droits de l'Homme et du Citoyen. Mais nous savons qu'un droit formel, aussi bon et juste soit-il, a parfois du mal à trouver sa véritable inscription dans la réalité vécue au quotidien. Une pratique religieuse est évidemment indissociable d'un lieu où la faire vivre. Or, nous avons pâti depuis trop longtemps, d'un climat politique de dramatisation en ce domaine. En quoi un lieu de culte musulman met-il en cause nos villes, notre République ? Le devoir des responsables politiques est ici de remettre les choses dans leur perspective réelle, et de ne pas donner plus d'importance ou de signification à certains discours. Quand une synagogue, une église ou un temple est construit dans une ville, la cohésion sociale est-elle remise en cause ? Bien évidemment non, pas plus que les mosquées quand elles existent : les exemples de Paris, Lyon, Lille, Strasbourg - pour ne citer que quatre grandes villes - sont de ce point de vue éloquents.
Nous n'avons rien à craindre de la construction de lieux de culte musulman. Nous avons, par contre, à en espérer beaucoup : un projet architectural qui s'insère dans la ville, des lieux de vie, et surtout la possiblité pour toute une partie croyante de la population, quelle que soit son origine, de faire vivre la foi qui donne sens à sa vie.
Car, sur ce point, c'est la République qui parle à travers ses lois : toutes les religions doivent pouvoir s'exprimer dans leurs différences et leurs richesses respectives.
L'Islam doit bien sûr trouver les moyens de se structurer, afin que l'Etat ait un interlocuteur légitime. J'espère, à ce propos, que la démarche entreprise par Jean-Pierre Chevènement en faveur d'une structuration de l'Islam en France, aboutira. Ce n'est pas facile. Comme pour toute grande réforme, il faut du temps, de la compréhension mutuelle, mais je suis persuadé que l'importance de l'objectif à atteindre permettra l'établissement d'un dialogue fructueux. L'enjeu est trop important, et nous avons tous à y gagner.
S'il fallait encore nous convaincre de cette nécessité, regardons à quel point la communauté musulmane a été absente lors de la récente cérémonie de voeux du Président de la République, faute d'accord sur sa représentation. La France ne peut pas se permettre de continuer à ne pas avoir un dialogue avec des représentants légitimes de la deuxième religion de notre pays.
Les musulmans ont besoin de se fédérer, de s'unir et de dépasser parfois certaines contradictions, afin de construire les bases d'un Islam français, qui prenne le meilleur de la tradition musulmane, tout en s'inscrivant positivement dans le cadre d'une nation et d'une République, dont la laïcité est par essence, garante des convictions et des pratiques religieuses de tous.
C'est ainsi que bien des problèmes pourront trouver des solutions. La pratique religieuse transcende la vie. Beaucoup de personnes immigrées de confession musulmane qui se sont installées en France, y ont passé une grande partie de leur vie, y ont élevé leurs enfants, et certains d'entre eux, veulent finir leurs jours sur notre territoire. N'est-ce pas là un signe d'enracinement profond dans notre pays ? Or en réponse, nous ne sommes pas toujours en capacité d'offrir aux enfants et aux petits enfants, la possibilité de venir se recueillir sur les tombes des anciens, faute de carrés musulmans dans nos cimetières. Je le pense et je le dis avec beaucoup de sincérité : le droit des morts à recevoir l'hommage des vivants est un signe essentiel d'humanité. Nous devrons trouver une réponse à l'exercice de ce droit.
L'intégration
Mesdames et messieurs, je veux profiter de ma présence pour évoquer, ici, à Marseille, symbole d'une ville à la diversité reconnue, les questions plus larges de l'intégration. Aux côtés de Martine Aubry, j'agis en faveur de l'intégration. Comment pourrait-il en être autrement quand 85 % des immigrés et de leurs enfants vivent dans les quartiers populaires ? Parmi eux, je pense en particulier aux anciens.
Il nous faut briser l'isolement des personnes âgées issues de l'immigration, qui vivent trop souvent dans des conditions de misères innacceptables. Nos services sociaux sont souvent mal organisés pour apporter les prestations auxquelles ils ont le droit de prétendre. Les lieux et les foyers qui les accueillent, à l'issue d'une vie de labeur souvent difficile, doivent être pensés pour eux, en favorisant la diversité des origines et la mixité générationnelle. Je souhaite que les élus locaux engagent des réflexions sur ce point ; ils sont en tous les cas assurés d'avoir mon appui pour encourager cette démarche.
Mais nous le savons, tous ces sujets n'avanceront véritablement que si nous sommes en capacité, au niveau politique, de reconnaître la citoyenneté de résidence. Dans les quartiers qui relèvent de la politique de la ville, une part importante de la population n'est ainsi pas représentée. Quand nous avons jusqu'à 30 % d'étrangers qui résident dans un quartier et que nous avoisinons, bon an mal an, les 50 % d'abstention à l'occasion des scrutins, nous ne pouvons pas considérer cela comme un indicateur banal. C'est au contraire un signal extrêmement fort : les habitants de ces quartiers ont le sentiment de ne pas être assez entendus, voire d'être parfois délaissés. Il faut donc, face à cette situation, que les partis démocratiques et républicains jouent leur rôle, en n'abandonnant pas ces territoires urbains aux extrêmistes et démagogues, qui ont pourri notre débat démocratique pendant de longues années. Il nous faut repartir à la conquête des curs et des esprits de citoyens trop souvent laissés à l'écart de la vie publique. La politique de la ville est une chance à saisir. Au moment où nous commençons à signer les premiers contrats de ville de la nouvelle génération, au commencement des Grands Projets de Ville, j'ai fait de la participation des habitants, de tous les habitants, la condition de l'engagement de l'Etat. C'est une première réponse tout à fait essentielle.
Bien sûr, le débat sur le droit de vote des étrangers aux élections locales doit être reposé. Mais une réforme aussi symbolique et fondamentale demandera du temps. Je souhaite que nous l'anticipions en donnant toute la place qu'ils méritent aux jeunes garçons et aux jeunes filles français, issus de l'immigration, sur les listes qui seront constituées en vue des prochaines élections municipales.
Mesdames et messieurs, je ne voudrais pas conclure mon propos sans évoquer les phénomènes de discrimination dont sont victimes une partie de nos concitoyens, notamment quand ils sont issus des quartiers d'habitat populaire, et à fortiori, quand ils sont issus de l'immigration. Il s'agit là d'une plaie qui gangrène notre société, mais qui n'est pas une fatalité. Dès difficultés que les enfants connaissent dès l'école, en passant par les discriminations dans l'accès à l'emploi, au logement, à la culture et aux loisirs, il n'y a pas de degré de tolérance possible contre l'intolérance.
L'Etat a commencé de montrer l'exemple : 20 % des emplois jeunes sont ainsi réservés aux jeunes de nos cités. Jean-Pierre Chevènement a parlé d'une police " à l'image de la population ", qui se met aujourd'hui en place. Il faut aller plus loin. C'est toute la fonction publique qui doit s'ouvrir à la diversité de notre population : car je crois à la force de l'exemplarité du service public. Mais je crois tout aussi fort au poids des mots. La force d'un discours n'est pas seulement théorique ; parler, c'est déjà agir. C'est toucher le plus difficile de l'homme, sa conscience, cette infinie part de nous-mêmes qui évolue par la richesse de l'échange, du dialogue et de l'écoute réciproque.
La France est devant un formidable défi démocratique. Savoir si elle est capable de profiter d'un contexte économique et politique favorable pour avancer plus vite dans la direction d'une République laïque intégratrice, faisant une place pleine et entière à chacun de ses enfants, quels que soient son adresse, son origine, son nom ou la couleur de sa peau.
C'est ensemble que nous devons relever ce formidable défi.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 14 janvier 2000)
Ce mois de jeûne, je le sais, est très cher au coeur de tous les musulmans, car c'est un mois de sacrifice, de don de soi, de partage et de solidarité avec les plus démunis. Ce mois - vous le savez bien - exprime des valeurs qui trouvent un écho particulier dans notre République laïque dont les fondements sont la liberté, l'égalité, la fraternité.
Mais si nous sommes tous ici présents, et si j'ai répondu à votre invitation, c'est d'abord pour marquer à l'ensemble de la communauté musulmane de France, qu'elle doit avoir toute sa place dans notre société.
Cela signifie que des signes forts doivent être donnés à cette communauté, et que, par des actes, nous concrétisions ensemble cette volonté pour que l'intégration progresse en France : l'intégration des populations issues de l'immigration bien sûr, mais aussi l'intégration normale et légitime de l'Islam, dans des conditions de dignité, de respect et de transparence. Je voudrais ici commencer mon propos sur la place de l'Islam dans notre société.
L'Islam dans la République :
La pratique religieuse est un droit fondamental énoncé et garanti par notre Constitution et par les textes fondamentaux des Droits de l'Homme et du Citoyen. Mais nous savons qu'un droit formel, aussi bon et juste soit-il, a parfois du mal à trouver sa véritable inscription dans la réalité vécue au quotidien. Une pratique religieuse est évidemment indissociable d'un lieu où la faire vivre. Or, nous avons pâti depuis trop longtemps, d'un climat politique de dramatisation en ce domaine. En quoi un lieu de culte musulman met-il en cause nos villes, notre République ? Le devoir des responsables politiques est ici de remettre les choses dans leur perspective réelle, et de ne pas donner plus d'importance ou de signification à certains discours. Quand une synagogue, une église ou un temple est construit dans une ville, la cohésion sociale est-elle remise en cause ? Bien évidemment non, pas plus que les mosquées quand elles existent : les exemples de Paris, Lyon, Lille, Strasbourg - pour ne citer que quatre grandes villes - sont de ce point de vue éloquents.
Nous n'avons rien à craindre de la construction de lieux de culte musulman. Nous avons, par contre, à en espérer beaucoup : un projet architectural qui s'insère dans la ville, des lieux de vie, et surtout la possiblité pour toute une partie croyante de la population, quelle que soit son origine, de faire vivre la foi qui donne sens à sa vie.
Car, sur ce point, c'est la République qui parle à travers ses lois : toutes les religions doivent pouvoir s'exprimer dans leurs différences et leurs richesses respectives.
L'Islam doit bien sûr trouver les moyens de se structurer, afin que l'Etat ait un interlocuteur légitime. J'espère, à ce propos, que la démarche entreprise par Jean-Pierre Chevènement en faveur d'une structuration de l'Islam en France, aboutira. Ce n'est pas facile. Comme pour toute grande réforme, il faut du temps, de la compréhension mutuelle, mais je suis persuadé que l'importance de l'objectif à atteindre permettra l'établissement d'un dialogue fructueux. L'enjeu est trop important, et nous avons tous à y gagner.
S'il fallait encore nous convaincre de cette nécessité, regardons à quel point la communauté musulmane a été absente lors de la récente cérémonie de voeux du Président de la République, faute d'accord sur sa représentation. La France ne peut pas se permettre de continuer à ne pas avoir un dialogue avec des représentants légitimes de la deuxième religion de notre pays.
Les musulmans ont besoin de se fédérer, de s'unir et de dépasser parfois certaines contradictions, afin de construire les bases d'un Islam français, qui prenne le meilleur de la tradition musulmane, tout en s'inscrivant positivement dans le cadre d'une nation et d'une République, dont la laïcité est par essence, garante des convictions et des pratiques religieuses de tous.
C'est ainsi que bien des problèmes pourront trouver des solutions. La pratique religieuse transcende la vie. Beaucoup de personnes immigrées de confession musulmane qui se sont installées en France, y ont passé une grande partie de leur vie, y ont élevé leurs enfants, et certains d'entre eux, veulent finir leurs jours sur notre territoire. N'est-ce pas là un signe d'enracinement profond dans notre pays ? Or en réponse, nous ne sommes pas toujours en capacité d'offrir aux enfants et aux petits enfants, la possibilité de venir se recueillir sur les tombes des anciens, faute de carrés musulmans dans nos cimetières. Je le pense et je le dis avec beaucoup de sincérité : le droit des morts à recevoir l'hommage des vivants est un signe essentiel d'humanité. Nous devrons trouver une réponse à l'exercice de ce droit.
L'intégration
Mesdames et messieurs, je veux profiter de ma présence pour évoquer, ici, à Marseille, symbole d'une ville à la diversité reconnue, les questions plus larges de l'intégration. Aux côtés de Martine Aubry, j'agis en faveur de l'intégration. Comment pourrait-il en être autrement quand 85 % des immigrés et de leurs enfants vivent dans les quartiers populaires ? Parmi eux, je pense en particulier aux anciens.
Il nous faut briser l'isolement des personnes âgées issues de l'immigration, qui vivent trop souvent dans des conditions de misères innacceptables. Nos services sociaux sont souvent mal organisés pour apporter les prestations auxquelles ils ont le droit de prétendre. Les lieux et les foyers qui les accueillent, à l'issue d'une vie de labeur souvent difficile, doivent être pensés pour eux, en favorisant la diversité des origines et la mixité générationnelle. Je souhaite que les élus locaux engagent des réflexions sur ce point ; ils sont en tous les cas assurés d'avoir mon appui pour encourager cette démarche.
Mais nous le savons, tous ces sujets n'avanceront véritablement que si nous sommes en capacité, au niveau politique, de reconnaître la citoyenneté de résidence. Dans les quartiers qui relèvent de la politique de la ville, une part importante de la population n'est ainsi pas représentée. Quand nous avons jusqu'à 30 % d'étrangers qui résident dans un quartier et que nous avoisinons, bon an mal an, les 50 % d'abstention à l'occasion des scrutins, nous ne pouvons pas considérer cela comme un indicateur banal. C'est au contraire un signal extrêmement fort : les habitants de ces quartiers ont le sentiment de ne pas être assez entendus, voire d'être parfois délaissés. Il faut donc, face à cette situation, que les partis démocratiques et républicains jouent leur rôle, en n'abandonnant pas ces territoires urbains aux extrêmistes et démagogues, qui ont pourri notre débat démocratique pendant de longues années. Il nous faut repartir à la conquête des curs et des esprits de citoyens trop souvent laissés à l'écart de la vie publique. La politique de la ville est une chance à saisir. Au moment où nous commençons à signer les premiers contrats de ville de la nouvelle génération, au commencement des Grands Projets de Ville, j'ai fait de la participation des habitants, de tous les habitants, la condition de l'engagement de l'Etat. C'est une première réponse tout à fait essentielle.
Bien sûr, le débat sur le droit de vote des étrangers aux élections locales doit être reposé. Mais une réforme aussi symbolique et fondamentale demandera du temps. Je souhaite que nous l'anticipions en donnant toute la place qu'ils méritent aux jeunes garçons et aux jeunes filles français, issus de l'immigration, sur les listes qui seront constituées en vue des prochaines élections municipales.
Mesdames et messieurs, je ne voudrais pas conclure mon propos sans évoquer les phénomènes de discrimination dont sont victimes une partie de nos concitoyens, notamment quand ils sont issus des quartiers d'habitat populaire, et à fortiori, quand ils sont issus de l'immigration. Il s'agit là d'une plaie qui gangrène notre société, mais qui n'est pas une fatalité. Dès difficultés que les enfants connaissent dès l'école, en passant par les discriminations dans l'accès à l'emploi, au logement, à la culture et aux loisirs, il n'y a pas de degré de tolérance possible contre l'intolérance.
L'Etat a commencé de montrer l'exemple : 20 % des emplois jeunes sont ainsi réservés aux jeunes de nos cités. Jean-Pierre Chevènement a parlé d'une police " à l'image de la population ", qui se met aujourd'hui en place. Il faut aller plus loin. C'est toute la fonction publique qui doit s'ouvrir à la diversité de notre population : car je crois à la force de l'exemplarité du service public. Mais je crois tout aussi fort au poids des mots. La force d'un discours n'est pas seulement théorique ; parler, c'est déjà agir. C'est toucher le plus difficile de l'homme, sa conscience, cette infinie part de nous-mêmes qui évolue par la richesse de l'échange, du dialogue et de l'écoute réciproque.
La France est devant un formidable défi démocratique. Savoir si elle est capable de profiter d'un contexte économique et politique favorable pour avancer plus vite dans la direction d'une République laïque intégratrice, faisant une place pleine et entière à chacun de ses enfants, quels que soient son adresse, son origine, son nom ou la couleur de sa peau.
C'est ensemble que nous devons relever ce formidable défi.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 14 janvier 2000)