Interview de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, à Europe 1 le 13 octobre 2003, sur la fête de la science, le financement de la recherche, la perspective de la construction du réacteur nucléaire EPR, la gestion des déchets radioactifs et la politique spatiale chinoise.

Prononcé le

Circonstance : 12ème édition de la Fête de la Science du 13 au 19 octobre 2003

Média : Europe 1

Texte intégral

A partir d'aujourd'hui et pendant une semaine, vous allez faire la fête, la Fête de la Science. Elle est souvent, la science, houspillée, malmenée, mal payée, appauvrie. Est-ce que le vin gai ?
- "Cette semaine de la science, c'est la 12ème édition. Il y a plus d'un million de jeunes et moins jeunes qui viennent, qui rentrent dans les laboratoires. Notre objectif, c'est de faire mieux connaître la science pour mieux la faire partager et la faire comprendre et puis la faire aimer surtout."
Elle en a besoin. Vous ouvrez les labos, dites-vous, vous transformez les jardins de votre ministère en village des sciences, d'après ce que j'ai lu. Les sciences, est-ce qu'elles servent de plus en plus pour les activités et la vie quotidienne ? Et est-ce qu'il y a des exemples ?
- "Oui, bien sûr. La science, elle est là pour répondre à toutes ces questions que se pose le citoyen. On vient d'évoquer le changement climatique. Les scientifiques sont là pour nous dire, effectivement, les activités humaines ont entraîné des modifications du changement climatique. Comment peut-on mieux comprendre, prévenir, s'adapter à cette situation, les enjeux de santé ? On voit apparaître des situations très difficiles et d'une émergence un peu extrême, le virus du SRAS tout récemment, tous ces problèmes particuliers, des priorités sur des difficultés fortes, le cancer, il faut encore aller plus loin en recherche, en prévention."
Et pour aller plus loin, la recherche, c'est de l'argent, beaucoup d'argent, jamais assez. A travers vous, est-ce que, ce matin, la France demande ou suggère par exemple à Bruxelles de soustraire les crédits de recherche du calcul des 3 % ? Parce que je pense que ça vous arrangerait. Est-ce que vous en faites la proposition ?
- "La recherche bien sûr, ce sont des moyens, ce sont aussi des femmes et des hommes. C'est aussi ça, le but de la Fête de la Science, c'est de les remettre au coeur de ces activités de la recherche."
Leur donner les moyens et le goût de le faire aussi.
- "Voilà, le goût parce qu'on a besoin de jeunes pour poursuivre cette stratégie à long terme de la recherche. Et c'est vrai qu'au niveau européen, on souhaiterait pouvoir prendre en compte ces investissements sur le long terme, les infrastructures de recherche, les programmes de recherche et les sortir de ce calcul du déficit un peu mathématique qui est celui de l'Union européenne. Et c'est vrai que c'est une position forte que nous essayons d'avoir pour investir dans le long terme."
C'est-à-dire que vous le dites ce matin à la Commission de Bruxelles ?
- "Cela a déjà été dit. D'ailleurs le dîner hier entre notre président Chirac et le chancelier Schröder a aussi mis en évidence la nécessité d'avoir une interprétation un petit peu plus souple de ce pacte. En particulier, les dépenses de recherche et développement pourraient être exclues ... [fin de la phrase inaudible."
Si je comprends bien, C. Haigneré, ce matin, c'est une illustration du dîner d'hier soir. Mais est-ce qu'il ne serait pas préférable, Mme Haigneré, de chercher ailleurs ? L. Jospin dans le Libération nouvelle formule - excellente nouvelle formule - estime que l'augmentation, je le cite, " à contretemps des dépenses militaires se fait au détriment de politiques publiques essentielles à la croissance et à l'emploi. L'Education et la Recherche sont les premières victimes de ce choix ". J'ai devant moi la première victime du choix fait en faveur de la Défense.
- "Les choix du Gouvernement pour cette année 2004, c'est justement stimuler la croissance, stimuler l'emploi et stimuler tout ce qui est la préparation du futur, vous l'avez dit, l'Education, la Recherche. Moi, j'en prendrai comme exemple, par exemple, dans la construction de mon budget de cette année 2004 une part d'activité qui sera fait en réalisation avec la Défense - 200 millions d'euros qui viennent du ministère de la Défense, dans ses activités de recherche - parce qu'on peut faire une recherche en amont qui aura des applications civiles, des applications militaires. Là, c'est coordonner nos efforts pour mieux avancer. "
Vous voulez dire que la Défense, c'est un premier geste ? Vous allez obtenir 200 millions de la Défense ?
- "Voilà, avec un protocole d'accord entre nos laboratoires sur des projets communs. De même, sur le compte d'affectation spéciale, c'est-à-dire les privatisations du Gouvernement, nous avons pu obtenir 150 millions d'euros - là aussi, je donne les chiffres ce matin mais ils sont connus - pour les investir justement sur la préparation de l'avenir, la recherche, le développement."
Quand L. Jospin traite le gouvernement Raffarin de mystificateur et d'incohérent, qu'est-ce que ça vous fait à vous qui n'êtes pas forcément une politique mais qui êtes dans la politique ?
- "Je crois que le Gouvernement a une stratégie qui doit prendre en compte un contexte qui est effectivement difficile actuellement mais qui présente des lignes à la fois de réduction des dépenses et puis de préparation de l'avenir en investissant sur le futur. Et en tant que ministre déléguée à la Recherche, je crois que je peux le dire très fortement ce matin, il y a cette cohérence pour faire en sorte que nous préparions tout cela, en particulier la recherche. C'est la recherche publique bien sûr, vous l'avez dit, mais c'est aussi toute la recherche des entreprises, c'est l'attractivité de notre territoire, faire que les centres de recherche soient là, les industries soient là et ces jeunes chercheurs et ces ingénieurs qui travaillent pour la recherche aient envie de venir en France que ce soit des Français ou d'ailleurs des étrangers."
Alors justement, puisque vous parlez des chercheurs, C. Haigneré, comment leur donnez-vous les moyens nécessaires et comment les stimulez-vous ? Parce que vous avez fait des contrats chercheur pour trois ans ou cinq ans. Est-ce que c'est la culture d'évaluation et du mérite que vous appliquez aussi aux chercheurs ?
- "Ce que je veux donner à la recherche et aux chercheurs, c'est la possibilité d'être réactif, d'avoir la possibilité de s'engager sur des projets. On est dans une concurrence internationale où chacun doit être prêt immédiatement. Alors bien sûr, il y a eu un socle fondamental de recherche et puis il y a la nécessité de s'engager sur des enjeux qui peuvent arriver immédiatement, économiques, des enjeux de santé. Il faut pouvoir être réactif. Les chercheurs aussi doivent pouvoir se mobiliser rapidement."
Donc, les bons, on les paie plus ?
- "Et on tiendra compte de toutes les facettes de leur métier, éventuellement avec des primes spécifiques selon le type d'activité d'excellence qu'ils peuvent présenter sur les projets."
Pourquoi la France envisage-t-elle d'engager la construction du réacteur nucléaire EPR ? Pourquoi ne pas prolonger le parc actuel de réacteurs ? Il a trente ans. Est-ce qu'il est trop vieux déjà à trente ans ?
- "Le parc de réacteurs électrogènes a effectivement une durée de vie prévue de trente ans. On essaie de l'allonger un petit peu. Ca pourrait être quarante ans dans tous les aspects de sécurité mais ça, ça nous emmène à 2010, 2015. Et il faut prévoir l'avenir et dans cet engagement que nous avons d'avoir à la fois une indépendance énergétique et puis de préserver notre environnement, de n'avoir pas trop de gaz à émission d'effets de serre pour préserver ce développement durable."
Mais par exemple jeudi, je lisais que le Premier ministre allait réunir ses ministres pour en parler. La scientifique C. Haigneré, est-ce qu'elle est favorable à l'EPR ? Clair, oui, non.
- "Moi, je suis favorable pour vous dire les choses. La part du nucléaire dans notre bouquet énergétique comme on l'appelle, elle est importante, indispensable. Si on prend une décision de construire un démonstrateur de ce nouveau réacteur, l'EPR de génération 3, si on la prend en 2004, tout ça après une large consultation - vous savez qu'il y a eu un débat national et qu'il y a eu une mission parlementaire à ce propos de l'énergie - si on propose de le démarrer en 2004, j'aimerais pouvoir dire que ça serait une mise en service avec production d'électricité seulement en 2020. Donc, quand on parle de recherche, on parle de long terme, on parle d'investissement, les choses sont longues à mettre en route. Il y aura une loi qui sera proposée à l'automne, discutée au niveau de la représentation nationale."
Si, jeudi, J.-P. Raffarin vous demande : " Claudie, on y va ou on n'y va pas ", qu'est-ce que vous lui dites ?
- "Moi, je lui dis qu'on a besoin effectivement d'avoir"
Donc, vous lui dites oui. C'est pourtant clair
- "Je lui dis oui, effectivement, c'est une proposition que le ministère de la Recherche peut faire. Ce que je veux dire simplement, c'est que ça s'inscrit dans un débat où la décision ne relève pas d'un ministère séparément. C'est une décision politique du gouvernement. "
Et les déchets, qu'est-ce qu'on en fait ?
- "Alors oui, vous avez bien raison d'insister. "
Parce qu'il y en a.
- "Si on veut envisager effectivement de poursuivre cette option nucléaire, il faut que chacun puisse le faire en confiance, en transparence. Donc, la gestion des déchets, c'est important. Le ministère de la Recherche est très engagé dans les solutions scientifiques à cette gestion des déchets. Nous devons présenter au Parlement en 2006 trois types d'axes de recherche pour mieux gérer les déchets."
C'est-à-dire savoir dans quel sol on enterre les déchets ou dans quelle zone géographique en France.
- "Voilà, savoir d'une part comment réduire leur quantité - c'est ce qu'on appelle la séparation de la transmutation -, d'autre part, comment les stocker, c'est la station géologique très profonde, du stockage très profond à 400 mètres en dessous du niveau de la terre ou c'est de l'entreposage en surface. On a beaucoup progressé pour assurer une meilleure sécurité dans la gestion des déchets."
Les Espagnols vont envoyer de Baïkonour, là où vous étiez, un cosmonaute.
- "Un astronaute européen qui partira le 18 octobre, Pedro DUQUE."
Et vous connaissez tous les gestes. Est-ce que vous enviez l'Espagnol ? Non, vous l'avez fait déjà.
- "Mais je l'envie. C'est toujours merveilleux de pouvoir rêver partir à la conquête de l'espace. "
Et la Chine s'apprête à lancer un homme dans l'espace à son tour à bord du vaisseau Shenzou 5. Il paraît qu'il ressemble à un Soyouz. Ca veut dire ?
- "Oui, je crois qu'ils se sont beaucoup inspirés, beaucoup travaillé avec les Russes pour développer leur propre capacité. La Chine sera la troisième puissance spatiale à pouvoir envoyer, par ses propres moyens, un homme dans l'espace. On appelle ça des " taïkonautes " parce que " taïkong ", ça veut dire espace en chinois."
Oui, taïkonautes. Est-ce que ça veut dire qu'après, c'est la station spatiale chinoise ?
- "On peut l'envisager. Ils auront un module autonome en orbite. Les Chinois, que ce soit dans le domaine du vol habité, dans des tas d'autres domaines techniques, sont une puissance importante avec de grandes capacités et nous regardons avec intérêt leur progression. "
Merci d'être venue, C. Haigneré. Vous avez toute la semaine pour convaincre et pour éclairer sur les problèmes liés aux sciences et à leurs applications. Merci. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 octobre 2003)