Texte intégral
Q - Nous allons revenir sur le Sommet d'Helsinki qui est déroulé ce week-end. Etait-ce vraiment tendu entre Lionel Jospin et Tony Blair ? Se sont-il évités ? Ou était-ce plutôt devant les caméras ?
R - Non pas du tout. Je crois que Tony Blair est atteint, peiné par la décision française et en même temps, comme c'est un homme intelligent et amical, je crois qu'il la comprend. Il savait que dans le contexte français avec le souvenir de l'affaire du sang contaminé, avec aussi l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments qui disait qu'il demeurait des risques non quantifiables mais quand même plausibles, c'est-à-dire probables de maladie de la vache folle, nous ne pouvions pas faire autrement. C'était donc un climat un peu triste de part et d'autre. Nous aurions aimé lever l'embargo, mais nous n'en n'avions pas les conditions, et lui aurait aimé que nous le levions mais comprenait que nous ne puissions pas faire autrement. Et de notre côté, nous comprenons qu'il ne peut pas faire autrement que ce qu'il fait, c'est-à-dire manifester une certaine retenue. Mais il y a une très profonde amitié entre Lionel Jospin et Tony Blair. Amitié entre nos deux pays, amitié entre nos deux gouvernements, et je crois que nous saurons trouver des voies pour sortir de cela élégamment.
Q D'une certaine façon, les sanctions que les Britanniques ont demandé contre nous nous arrangent. C'est mieux que des mesures de rétorsion immédiates sur des produits que les Britanniques pourraient consommer à Noël ou d'autre dispositions ?
R - Je me réjouis que le gouvernement britannique n'envisage pas une seconde une guerre commerciale qui serait totalement déraisonnable et pas du tout en rapport avec le problème. Cela dit, je pense que la voie contentieuse, c'est-à-dire celle qui consiste à poursuivre la France devant la Cour de justice des communautés européennes, n'est pas non plus la bonne. Ce que je préconiserais, c'est plutôt qu'on continue à travailler. En même temps, elle va sûrement se produire, mais prenons le temps, examinons les choses comme on l'avait fait d'ailleurs avec les Britanniques, avec la Commission, pour essayer de progresser sur les tests : dépistage, étiquetage... pour trouver une solution. Je dirais le plus tôt possible mais en même temps, nous, nous avons besoin d'avoir des garanties suffisantes, extrêmement fortes, parce qu'on ne joue pas avec la santé des Français, on ne joue pas avec la sécurité des consommateurs et c'est le sens de notre décision. Et d'ailleurs, je pense que d'autres Européens pourraient y réfléchir parce que je suis persuadé effectivement que l'Agence française a fait un travail sérieux pointant des difficultés qui existent et qui ne sont pas mythiques.
Q - Mais d'ici la décision de la Cour européenne de justice, il y a de toute façon quelques mois qui vont s'écouler... peut-être que l'embargo sera levé...
R - C'est au moins un an. Je ne veux pas faire de promesse. Honnêtement, nous, nous disons : oui à la levée de l'embargo quand les conditions, en termes de sécurité des consommateurs, de santé des Français, seront réunies. Espérons que ce soit le plus tôt possible et en même temps, ce sera toujours la santé, la sécurité, que nous ferons prévaloir.
Q - Autre thème évoqué à Helsinki : l'ultimatum contre la Tchétchénie, Moscou devrait reprendre ses pilonnages sur Grozny. On a le sentiment à Helsinki que les Européens ont offert aux Tchétchènes le service minimum, du style : c'est pas bien ce qui se passe, mais on s'en tient un peu là. Non ?
R - Non, ce n'est pas mon sentiment. Les Européens d'abord n'ont pas des moyens de pression illimités, il faut le savoir. Ensuite, ce sont les gouvernements qui, très souvent, comme le nôtre, enfin plutôt comme la France, ont une tradition d'amitié forte avec la Russie, qui est un partenaire stratégique pour l'Europe. Or la condamnation européenne est tout de même extraordinairement ferme. Elle dit que ce qui se produit est absolument inacceptable et elle met en place un certain nombre de dispositifs de coopération auxquels on apporte des limites. Nous avons un accord de coopération et d'association avec la Russie : il ne fonctionnera plus dans les mêmes termes sur le plan économique. Nous avons des accords commerciaux avec eux : ils ne fonctionneront plus dans les mêmes termes avec eux. Nous avons des aides à la Russie : elles seront en partie détournées vers ce qui est nécessaire, c'est-à-dire vers l'aide humanitaire et puis nous pensons aussi que d'autres organisations européennes - c'est symbolique mais très important - comme le Conseil de l'Europe, qui est une organisation à laquelle la Russie appartient, et elle y tient beaucoup, qui parle des Droits de l'Homme, devra réexaminer ses relations avec la Russie. Je crois que nous avons utilisé à peu près toute la panoplie qui était à notre disposition et d'ailleurs, la France a beaucoup pesé pour cela, et je pense qu'il y a là une pression politique - compte tenu du fait qu'effectivement nous sommes très importants pour la Russie, qui est aussi très importante pour nous - qui, je l'espère, va porter ses fruits.
Q - Ne pouvait-on pas faire pression pour forcer au moins à ce que les organisations humanitaires puissent accéder à la Tchétchénie comme elles le demande ?
R - Nous faisons toutes les pressions possibles en ce sens. Et d'ailleurs quand on dit que le programme, excusez-moi d'être technique - qui s'appelle Tacis - va être déroulé, en quelque sorte porté sur l'aide humanitaire, on veut dire justement que la priorité est là, et donc c'est une programme qui est un programme jusque-là d'aide au développement, d'aide économique. Il devient un programme d'aide humanitaire et nous y accordons une priorité extrêmement forte. Non, je crois honnêtement que les Européens - j'ai lu qu'on disait "impuissance européenne" - on ne va pas déclarer la guerre à la Russie, mais nous avons fait tout ce que nous pouvions.
Q - La France, a partir du 1er juillet, va prendre la tête de la présidence européenne. On a décidé ici que la Turquie rentrerait dans l'Europe. Cela fera-t-il partie des choses que la France aura effectivement à régler, c'est-à-dire mettre un peu de l'ordre dans la maison Europe, avant d'accueillir tous ces nouveaux membres, qu'ils soient ceux de l'Est - la Pologne et autres - ou ceux du Sud comme la Turquie, qui, je le rappelle, est le premier pays musulman, le premier pays qui applique toujours la peine de mort, à rentrer dans l'Europe ?
R - Oui, mettre de l'ordre, il le faut ; faire en sorte que l'Europe marche mieux, il le fait. Et donc, cela passe par la réforme des institutions européennes, pour faire en sorte qu'elles soient plus efficaces, qu'elles soient plus démocratiques, qu'elles soient plus lisibles, qu'elles soit plus transparentes, et là sera sûrement une de nos tâches essentielles avec toute une série d'autres tâches déterminantes pour faire que l'Europe soit compréhensive par les citoyens, qu'elle serve davantage la croissance et l'emploi. Je veux dire que nous prendrons bien sûr le temps pour que la Turquie accède à l'Europe. Elle ne le peut pas aujourd'hui, les conditions n'en sont pas remplies : conditions des Droits de l'Homme, conditions démocratiques, rapports avec les Kurdes. Mais en même temps, on doit dire que l'Europe n'est pas un club chrétien, que peuvent y appartenir d'autres types de pays, des pays musulmans, comme la Turquie, et la Turquie, pour moi, elle est clairement européenne. Cela fait d'ailleurs près de quarante ans qu'on le dit, ou qu'on le leur dit. Et donc, pour moi, cette candidature est une date historique, effectivement.
Q - Aurez-vous des garanties en termes de Droits de l'Homme et en termes de démocratie ?
R - Il le faudra. La Turquie ne peut adhérer à l'Europe que si elle en respecte les pratiques, si elle en reprend l'acquis, que si elle en adopte les valeurs et ce sera donc extrêmement dure et sans doute extrêmement longue. Mais ne partons pas avec cette idée qu'un pays musulman comme la Turquie, qui est un pays européen, ne peut pas appartenir à l'Europe. Cela changera l'Europe, mais pour moi, c'est plutôt positif et cela va permettre aussi un rapprochement entre les Grecs et les Turcs.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 décembre 1999).
R - Non pas du tout. Je crois que Tony Blair est atteint, peiné par la décision française et en même temps, comme c'est un homme intelligent et amical, je crois qu'il la comprend. Il savait que dans le contexte français avec le souvenir de l'affaire du sang contaminé, avec aussi l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments qui disait qu'il demeurait des risques non quantifiables mais quand même plausibles, c'est-à-dire probables de maladie de la vache folle, nous ne pouvions pas faire autrement. C'était donc un climat un peu triste de part et d'autre. Nous aurions aimé lever l'embargo, mais nous n'en n'avions pas les conditions, et lui aurait aimé que nous le levions mais comprenait que nous ne puissions pas faire autrement. Et de notre côté, nous comprenons qu'il ne peut pas faire autrement que ce qu'il fait, c'est-à-dire manifester une certaine retenue. Mais il y a une très profonde amitié entre Lionel Jospin et Tony Blair. Amitié entre nos deux pays, amitié entre nos deux gouvernements, et je crois que nous saurons trouver des voies pour sortir de cela élégamment.
Q D'une certaine façon, les sanctions que les Britanniques ont demandé contre nous nous arrangent. C'est mieux que des mesures de rétorsion immédiates sur des produits que les Britanniques pourraient consommer à Noël ou d'autre dispositions ?
R - Je me réjouis que le gouvernement britannique n'envisage pas une seconde une guerre commerciale qui serait totalement déraisonnable et pas du tout en rapport avec le problème. Cela dit, je pense que la voie contentieuse, c'est-à-dire celle qui consiste à poursuivre la France devant la Cour de justice des communautés européennes, n'est pas non plus la bonne. Ce que je préconiserais, c'est plutôt qu'on continue à travailler. En même temps, elle va sûrement se produire, mais prenons le temps, examinons les choses comme on l'avait fait d'ailleurs avec les Britanniques, avec la Commission, pour essayer de progresser sur les tests : dépistage, étiquetage... pour trouver une solution. Je dirais le plus tôt possible mais en même temps, nous, nous avons besoin d'avoir des garanties suffisantes, extrêmement fortes, parce qu'on ne joue pas avec la santé des Français, on ne joue pas avec la sécurité des consommateurs et c'est le sens de notre décision. Et d'ailleurs, je pense que d'autres Européens pourraient y réfléchir parce que je suis persuadé effectivement que l'Agence française a fait un travail sérieux pointant des difficultés qui existent et qui ne sont pas mythiques.
Q - Mais d'ici la décision de la Cour européenne de justice, il y a de toute façon quelques mois qui vont s'écouler... peut-être que l'embargo sera levé...
R - C'est au moins un an. Je ne veux pas faire de promesse. Honnêtement, nous, nous disons : oui à la levée de l'embargo quand les conditions, en termes de sécurité des consommateurs, de santé des Français, seront réunies. Espérons que ce soit le plus tôt possible et en même temps, ce sera toujours la santé, la sécurité, que nous ferons prévaloir.
Q - Autre thème évoqué à Helsinki : l'ultimatum contre la Tchétchénie, Moscou devrait reprendre ses pilonnages sur Grozny. On a le sentiment à Helsinki que les Européens ont offert aux Tchétchènes le service minimum, du style : c'est pas bien ce qui se passe, mais on s'en tient un peu là. Non ?
R - Non, ce n'est pas mon sentiment. Les Européens d'abord n'ont pas des moyens de pression illimités, il faut le savoir. Ensuite, ce sont les gouvernements qui, très souvent, comme le nôtre, enfin plutôt comme la France, ont une tradition d'amitié forte avec la Russie, qui est un partenaire stratégique pour l'Europe. Or la condamnation européenne est tout de même extraordinairement ferme. Elle dit que ce qui se produit est absolument inacceptable et elle met en place un certain nombre de dispositifs de coopération auxquels on apporte des limites. Nous avons un accord de coopération et d'association avec la Russie : il ne fonctionnera plus dans les mêmes termes sur le plan économique. Nous avons des accords commerciaux avec eux : ils ne fonctionneront plus dans les mêmes termes avec eux. Nous avons des aides à la Russie : elles seront en partie détournées vers ce qui est nécessaire, c'est-à-dire vers l'aide humanitaire et puis nous pensons aussi que d'autres organisations européennes - c'est symbolique mais très important - comme le Conseil de l'Europe, qui est une organisation à laquelle la Russie appartient, et elle y tient beaucoup, qui parle des Droits de l'Homme, devra réexaminer ses relations avec la Russie. Je crois que nous avons utilisé à peu près toute la panoplie qui était à notre disposition et d'ailleurs, la France a beaucoup pesé pour cela, et je pense qu'il y a là une pression politique - compte tenu du fait qu'effectivement nous sommes très importants pour la Russie, qui est aussi très importante pour nous - qui, je l'espère, va porter ses fruits.
Q - Ne pouvait-on pas faire pression pour forcer au moins à ce que les organisations humanitaires puissent accéder à la Tchétchénie comme elles le demande ?
R - Nous faisons toutes les pressions possibles en ce sens. Et d'ailleurs quand on dit que le programme, excusez-moi d'être technique - qui s'appelle Tacis - va être déroulé, en quelque sorte porté sur l'aide humanitaire, on veut dire justement que la priorité est là, et donc c'est une programme qui est un programme jusque-là d'aide au développement, d'aide économique. Il devient un programme d'aide humanitaire et nous y accordons une priorité extrêmement forte. Non, je crois honnêtement que les Européens - j'ai lu qu'on disait "impuissance européenne" - on ne va pas déclarer la guerre à la Russie, mais nous avons fait tout ce que nous pouvions.
Q - La France, a partir du 1er juillet, va prendre la tête de la présidence européenne. On a décidé ici que la Turquie rentrerait dans l'Europe. Cela fera-t-il partie des choses que la France aura effectivement à régler, c'est-à-dire mettre un peu de l'ordre dans la maison Europe, avant d'accueillir tous ces nouveaux membres, qu'ils soient ceux de l'Est - la Pologne et autres - ou ceux du Sud comme la Turquie, qui, je le rappelle, est le premier pays musulman, le premier pays qui applique toujours la peine de mort, à rentrer dans l'Europe ?
R - Oui, mettre de l'ordre, il le faut ; faire en sorte que l'Europe marche mieux, il le fait. Et donc, cela passe par la réforme des institutions européennes, pour faire en sorte qu'elles soient plus efficaces, qu'elles soient plus démocratiques, qu'elles soient plus lisibles, qu'elles soit plus transparentes, et là sera sûrement une de nos tâches essentielles avec toute une série d'autres tâches déterminantes pour faire que l'Europe soit compréhensive par les citoyens, qu'elle serve davantage la croissance et l'emploi. Je veux dire que nous prendrons bien sûr le temps pour que la Turquie accède à l'Europe. Elle ne le peut pas aujourd'hui, les conditions n'en sont pas remplies : conditions des Droits de l'Homme, conditions démocratiques, rapports avec les Kurdes. Mais en même temps, on doit dire que l'Europe n'est pas un club chrétien, que peuvent y appartenir d'autres types de pays, des pays musulmans, comme la Turquie, et la Turquie, pour moi, elle est clairement européenne. Cela fait d'ailleurs près de quarante ans qu'on le dit, ou qu'on le leur dit. Et donc, pour moi, cette candidature est une date historique, effectivement.
Q - Aurez-vous des garanties en termes de Droits de l'Homme et en termes de démocratie ?
R - Il le faudra. La Turquie ne peut adhérer à l'Europe que si elle en respecte les pratiques, si elle en reprend l'acquis, que si elle en adopte les valeurs et ce sera donc extrêmement dure et sans doute extrêmement longue. Mais ne partons pas avec cette idée qu'un pays musulman comme la Turquie, qui est un pays européen, ne peut pas appartenir à l'Europe. Cela changera l'Europe, mais pour moi, c'est plutôt positif et cela va permettre aussi un rapprochement entre les Grecs et les Turcs.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 décembre 1999).