Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le Bien public" du 19 septembre 2003, sur la rentrée politique du président Chirac, l'augmentation des déficits publics, le drame de la canicule, le rôle de l'UDF par rapport au gouvernement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

A la veille des journées parlementaires de l'UDF qui débutent aujourd'hui en haute Côte-d'Or, François Bayrou, dans son bureau proche de l'Assemblée nationale à Paris, a fait entendre l'autre voix de la majorité.
Comment jugez- vous la rentrée politique du président de la République Jacques Chirac, qui, comme vous, a choisi la Bourgogne ?
Le décalage qui est apparu entre les propos du président de la République, optimistes et très généraux, et la réalité que vivent les Français au quotidien ainsi que les contradictions dans l'action du gouvernement m'a frappé. Deux exemples très simples : le président dit " On baisse les impôts " et, trois jours après, le gouvernement annonce l'augmentation des taxes sur le gasoil. Si c'est pour faire payer plus cher à la pompe tous les foyers, dont les plus modestes, pour quelque 30 euros d'économie sur la feuille d'impôt, je ne vois pas où est l'avantage. Et surtout, je suis sûr que cela génère un sentiment de doute dans le pays. De la même manière, le président dit : " On est très européens et on approuve les règles ". Dans le même temps, on laisse filer le déficit et la dette. Je sais bien que la situation n'est pas facile mais il est clair que tout cela crée un climat de grande incertitude et fait naître beaucoup d'interrogations ".
Européen convaincu, la position de la France vis-à-vis des déficits publics vous a, à n'en pas douter, laissé un goût amer
Dans la décision des Suédois, la situation de la France a joué un rôle. Le fait qu'un pays comme le nôtre décide de ne pas respecter ses engagements a été utilisé comme argument par les défenseurs du non au référendum. Ils ont pu prôner : " Nous qui sommes un petit pays ne serons plus maîtres de notre destin puisque les grands ne respectent pas leurs engagements ". En effet, la parole que l'on donne, c'est la garantie des petits. Le jour où les grands ne respectent plus leur parole, cela rompt le pacte de confiance. Maintenant, il faut répondre à une question de fond : pour un pays comme le nôtre, existe - t-il un avenir si nous sommes seuls ? La réponse est non. Quand on voit, sur le reste de la planète, les géants qui sont en train d'apparaître, à l'instar de la Chine ou de l'Inde, et tous les emplois qui se délocalisent là-bas, si nous n'avons pas la capacité de défendre l'Europe sociale, alors il ne faudra pas s'étonner que l'on se retrouve déclinant. La seule solution réside dans l'union politique de l'Europe. Et l'on voit parfaitement aujourd'hui que l'on paye cher de ne pas avoir respecté l'une des propositions que je défendais : l'approfondissement de l'Union avant son élargissement.
La Bourgogne, et notamment la Côte- d'Or, n'a pas échappé au fléau caniculaire de l'été. Pensez-vous que la commission parlementaire, pour laquelle vous vous êtes battu, puisse arranger véritablement les choses dans l'avenir ?
Le drame de cet été représente un révélateur terrible des insuffisances françaises. Songez que l'on a peut-être eu 15 000, certains parlent même de 20 000 morts. Il est d'ailleurs stupéfiant que nous ne le sachions pas encore. Il faut savoir également que cela n'a pas concerné que des personnes âgées. Nous, nous avons demandé la mise en place d'une commission d'enquête associant tous les courants d'opinion, afin de tirer au clair les causes de cette catastrophe. Quant aux directions pour l'avenir, le premier problème est de savoir qui tire le signal d'alarme. Lors de la campagne présidentielle, j'avais demandé une autorité indépendante car j'avais observé, pour le sang contaminé et pour les farines animales, que personne ne savait qu'il se passait quelque chose de grave. La deuxième question concerne l'organisation de la santé en France, qui est dans un tel état de précarité que cela doit entraîner les responsables politiques à prendre des décisions. Enfin, il apparaît nécessaire de s'interroger sur les liens qui unissent les Français entre eux, y compris dans leur propre famille.
Regrettez-vous que la réforme de la sécurité sociale, qui devait faire suite, dès cette rentrée, à la réforme des retraites, ait été retardée ?
Je crois que l'on ne gagne rien à laisser pourrir les dossiers. Je sais bien que la tentation est grande de ne pas traiter le sujet ou de trouver des remèdes de poche. Le déficit de la Sécurité sociale se dégrade au rythme de 15 milliards d'euros par an. Aussi, si j'avais une recommandation à faire au gouvernement, je lui dirais de s'attaquer tout de suite au problème. Et cela passe, en premier lieu, par dire la vérité au pays au lieu de noyer le poisson. J'ai beaucoup regretté que ce ne fût pas le cas d ès les premiers jours du gouvernement car je pense que la vérité représente la condition pour que les citoyens adhèrent. Croyez-vous que les Français pensent que cela va bien ? Ils préféreraient que l'on traite du sujet de manière saine.
Quel rôle l'UDF entend-elle exercer sur la scène politique ?
Nous sommes, je crois, comme la plupart des Français. Nous sommes dans la majorité parce que nous aimerions que cela réussisse. Le PS n'attend qu'une chose : un échec pour reprendre le pouvoir dans quatre ans. Nous ne partageons pas cette idée. Pour nous, il y a urgence. Dans le même temps, nous devons dire la vérité sans nous embarrasser de la langue de bois habituelle qui fait que, dès que vous êtes dans le parti majoritaire, vous dites bravo au gouvernement. C'est notre devoir. Sans omettre de dire à l'avance : attention, ici, il y a un problème qui risque de se poser. Nous l'avons fait tout au long de l'année et je crois que nous ne nous sommes pas trompés dans nos avertissements.
Lors de l'université d'été de l'UDF, le maître-mot fut le partenariat avec l'UMP pour les prochaines régionales. Où en êtes-vous de votre stratégie pour ces échéances électorales ?
Dans tous les partis, l'heure n'est pas encore à la décision. Mais, selon nous, il est très important d'ouvrir le choix des Français. Et cela peut se faire sous deux formes : une situation d'entente dans certaines régions ou un choix au premier tour dans d'autres, la majorité se construisant au 2e tour. Cela dépend des régions ainsi que de la personnalité des candidats. En tout cas, dans cette élection régionale, nous avons deux missions : nous sommes le parti du renouvellement et celui de la clarté, la clarté des choix et des attitudes. Nous l'avons dit en 1998 en refusant les alliances avec le FN.
La tenue de vos journées parlementaires sur la circonscription de votre porte-parole national représente-t- elle un soutien sans faille à François Sauvadet dans son combat pour les régionales en Bourgogne ?
Un soutien total ! François Sauvadet est une personnalité que j'estime et je suis persuadé qu'il jouera un rôle essentiel pour l'avenir de la Bourgogne. En outre, c'est la bonne personne et c'est le bon moment pour ouvrir les choix. Dieu sait s'il y a une région où le besoin de clarté s'est fait sentir c'est la Bourgogne. Il faut que l'on sache quelle est la ligne. Cela participe au retour de la confiance et au besoin d'oxygène de la politique. Voilà pourquoi mon soutien à François Sauvadet est total !
Propos recueillis par Xavier GRIZOT
(source http://www.udf.org, le 23 septembre 2003)