Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "Les Echos" le 30 juin 2003, sur la réforme des retraites, notamment les discussions qu'elle prévoit concernant la situation de l'emploi, la pénibilité du travail et la formation professionnelle et sur les autres négociations sociales en cours et à venir : les retraites complémentaires, l'assurance-maladie et les restructurations d'entreprises.

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Les Échos.- Les députés vont poursuivre cette semaine l'examen du projet de réforme des retraites. Que pensez-vous de la façon dont se déroule la discussion ?
François Chérèque.- " Les résultats du débat devraient être conformes aux engagements pris par le gouvernement sur le texte que nous avons approuvé et cela me va. Il y a eu quelques précisions et aménagements, mais l'orientation reste la même. Je regrette cependant qu'une discussion sur un sujet aussi important ait pris la forme d'un affrontement de procédure ".
- Le texte sera bientôt adopté. Mais la question principale que l'opinion se pose est celle de la cohérence entre l'allongement de la durée de travail requise et la situation de l'emploi...
" C'est vrai. C'est pour cela qu'à nos yeux, il faut maintenant revenir à des sujets un peu oubliés ces derniers temps : l'emploi, celui des jeunes et des seniors, la pénibilité de certains métiers et l'emploi précaire, notamment celui des femmes. Nous ne réussirons pas la réforme des retraites si nous ne réussissons pas sur ces points. Derrière les retraites, c'est toute la question du travail et de l'emploi durable qui est posée. Nous avançons quatre revendications : améliorer la formation initiale, notamment pour les 160 000 jeunes qui sortent de l'école chaque année sans rien ; créer un droit à la formation tout au long de la vie, car il faut pouvoir entretenir ses compétences pour éviter un " accident de l'emploi " ; muscler les aides au reclassement en cas de restructuration, notamment pour les salariés de PME ; et, si besoin, améliorer l'accompagnement personnel prévu par le Pare (plan d'aide au retour à l'emploi), en cas de chômage. Par la négociation, nous devons agir rapidement afin que le chômage baisse nettement d'ici 2008, date à laquelle nous avons un rendez-vous avec le gouvernement pour faire le point sur tous les paramètres de financement des retraites, notamment la CSG, les taux et la durée de cotisations. Le patronat doit s'engager. Nous voulons que les négociations sur la formation, les restructurations et sur l'égalité professionnelle, soient terminées fin 2003. Alors, nous pourrons ouvrir la négociation sur la pénibilité ".
- La politique de l'emploi ne relève pas seulement des partenaires sociaux !
" Non. Hélas, le gouvernement n'a pas de politique de l'emploi. Il attend tout de la reprise économique, il tourne le dos aux politiques d'accompagnement social et il baisse les charges sociales sans demander de contreparties en terme d'emploi aux entreprises. Sa dernière erreur, c'est son obsession de la baisse des impôts, qui engendre de l'épargne plutôt que de la consommation, des déficits supplémentaires ou une diminution purement comptable des dépenses publiques. On a pourtant vu dans l'éducation nationale que la restriction des moyens sans projet de réforme provoque des conflits. J'avertis le gouvernement : s'il persiste dans sa volonté de baisser les effectifs des fonctionnaires en 2004, sans d'abord engager le débat sur la réforme de l'Etat, il prend des risques sociaux. "
- Revenons aux négociations. Le dossier de la formation n'avance guère...
" Nous avons perdu du temps à cause des retraites. Mais c'est vrai que nous avançons trop lentement. Je crois que le camp patronal est divisé, comme il l'était déjà il y a deux ans. La question clé reste celle du co-investissement : une partie du patronat souhaite toujours que le salarié investisse toujours plus de sa poche pour se former. Ce n'est pas acceptable. La CFDT souhaite que la négociation soit achevée début septembre. Je mets en garde une partie du patronat contre la tentation d'aller à l'échec pour laisser ensuite le gouvernement décider par la loi ".
- Qu'attendez-vous de la négociation sur les restructurations, qui reprend le 10 juillet ?
" Nous voulons que les entreprises prennent des engagements clairs pour anticiper les licenciements, et que les sous-traitants ou les salariés en statut précaire soient concernés par l'accompagnement social. Les PME doivent aussi être impliquées. Notre objectif, c'est zéro chômeur ".
- Le projet Fillon prévoit aussi des discussions pour adapter le régime des retraites à la pénibilité de certains métiers.
" C'est un énorme chantier. Il faudra donc commencer par un accord cadre. De même que la loi ne peut donner la liste des métiers difficiles, un accord interprofessionnel ne peut le faire. Nous devrons obtenir à la fois une amélioration des conditions de travail, mettre en place des deuxièmes carrières pour les métiers usants et trouver des solutions pour la retraite dans les métiers qui réduisent l'espérance de vie (travail posté ou dans le bâtiment par exemple) ".
- À la rentrée, les partenaires sociaux se retrouveront pour négocier sur les retraites complémentaires, comment abordez vous ce rendez-vous ?
" Il s'agit ni plus ni moins de tirer les conséquences de la réforme pour les régimes de retraites complémentaires. Un des points importants concerne le financement des départs avant soixante ans des salariés ayant commencé à travailler jeunes. Cela concerne 200 000 personnes par an pendant 20 ans selon nos calculs. S'il le faut, nous augmenterons les cotisations, mais il n'est pas question de baisser les pensions ".
- Pourra-t-on éviter une hausse de la CSG sur l'assurance-maladie ?
" À chaque fois que nous avons évoqué l'idée d'une hausse de la CSG lors de la négociation sur les retraites, le gouvernement nous a toujours dit qu'il gardait la CSG en réserve pour financer le déficit de l'assurance maladie. Nous saurons, si besoin, le lui rappeler à l'automne. Il est exclu d'accepter de nouveaux déremboursements ".
- Votre soutien à la réforme des retraites crée des remous au sein de la CFDT. Craignez-vous des départs massifs ?
" À ce jour, il n'y a que deux syndicats sur environ 1500 qui ont pris la décision de quitter la CFDT. Quelques autres se posent la question. Ce sont tous des syndicats animés par des militants - généralement d'extrême gauche - qui refusent l'évolution réformiste de la CFDT engagée depuis 1979. Leur départ s'inscrit dans le cadre d'une clarification politique normale. Je ne suis donc pas inquiet. En 1995, nous avions subi quelques départs. Mais ensuite, 1996 et 1997 ont été des années de forte progression ! "
(Source http://www.cfdt.fr, le 30 juin 2003)