Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs,
Il me revient le redoutable privilège de clore ce colloque.
Redoutable car j'interviens après des spécialistes éminents du droit social. Et après mon ami Jacques Barrot.
Mais privilège puisque vous me donnez l'occasion de faire un premier bilan des textes que j'ai eu l'honneur de porter. En moins de dix-huit mois, ont été, notamment, adoptées par le Parlement : la loi assouplissant les 35 heures, celle suspendant certaines clauses "kafkaïennes " de la loi dite de modernisation sociale, la loi réformant notre système de retraites ou encore celle amplifiant les baisses des charges pesant sur les entreprises.
L'ensemble de ces textes s'inscrit autour d'un double objectif :
- Oxygéner notre économie, en desserrant les nuds structurels et psychologiques qui enserrent notre marché de l'emploi. Cette approche nous a notamment amené à réorienter le traitement social du chômage vers ce que je préfère appeler le traitement social de l'emploi. Sans laisser sur le bord de la route ceux qui pourraient dériver vers l'exclusion, nous concentrons l'aide publique à la création d'emploi situé dans le secteur marchand, à l'image de ce que nous avons fait pour les contrats jeunes en entreprises et de ce que nous ferons avec le RMA.
Au cur de cette stratégie, il y a la question du travail. Cette question est liée aux rythmes nouveaux de la concurrence, des métiers et des technologies auxquels il convient de nous adapter. Elle est aussi et surtout attachée à la conception du progrès qui anime notre pays.
- Rénover notre pacte social, en conciliant solidarité et efficacité économique. A l'occasion du débat sur les retraites, j'ai eu l'occasion d'insister sur le parallèle qu'il convient d'établir entre le travail et la solidarité. On ne peut, en effet, avoir le meilleur système de retraite d'Europe, la meilleure santé du monde, l'école pour tous et des services publics performants, sans que chacun d'entre nous donne le meilleur de lui-même en travaillant...
Disons clairement les choses : la prospérité française n'est plus une donnée intangible. On a longtemps fait croire à nos concitoyens que tout pouvait continuer comme avant Or rien n'est plus comme avant !
Aujourd'hui c'est un combat que nous devons mener pour préserver nos acquis et dont l'issue relève du courage, de la formation et de l'imagination de chacun.
Le Gouvernement y prend toute sa part. Notre objectif c'est d'aller à la conquête de la croissance. C'est d'aller à la rencontre de la reprise, afin d'en bénéficier de façon maximale.
Les textes qui font, aujourd'hui, l'objet de votre réflexion contribuent à cette volonté politique très forte du Président de la République et du Premier ministre.
Mais avant d'y revenir plus en détail, permettez-moi, au préalable, une interrogation de fond qui traverse le sujet de vos travaux : pourquoi, la réforme est-elle si souvent dans notre pays perçue comme inquiétante, alors que les conséquences du statu quo devraient être ressenties de façon plus sombres encore ?
Face à cette question, je vous propose une réponse qui constitue la trame de mon action : le chemin de la réforme est étroit parce que la culture du dialogue et de la participation au sein de la société Française reste balbutiante.
L'Etat et le législateur - c'est le fruit de notre Histoire ! - se sont placés comme les acteurs quasi exclusifs de la construction économique et sociale. Le changement venant constamment " d'en haut ", la suspicion et la critique ont, dès lors, eu tendance à s'ériger, et même à s'institutionnaliser, " en bas. "
Cette construction historique de nos rapports sociaux explique que la culture du conflit l'emporte sur celle du compromis. Nos pratiques sociales doivent, dès lors, changer. Tant qu'une nouvelle relation, fondée sur la confiance et la responsabilité partagée, ne sera pas instaurée, le chemin de la réforme ne sera que plus étroit !
Pour ce faire, il est indispensable de revitaliser notre démocratie sociale. Il est un paradoxe que nous devons résoudre : jamais les Français n'ont été aussi avides de participation et parallèlement jamais les corps intermédiaires n'ont été aussi affaiblis
Cette absence historique d'un espace social suffisamment charpenté et responsabilisé, place l'Etat et les citoyens dans une situation fébrile de face à face et conduit les partenaires sociaux, parfois malgré eux, à privilégier la contestation plutôt que la concertation. Cette situation bloque la respiration de notre pays ; elle rend incertaine tout réforme continue, collectivement débattue, négociée et assumée.
Ces constats m'ont incité, dès ma nomination, à entreprendre les réformes indispensables, en privilégiant une méthode de travail fondée sur l'écoute, le dialogue et la concertation. Je me suis attaché à ce que chacun dispose du temps nécessaire à l'analyse, à la réflexion et aux propositions.
En ce qui concerne l'assouplissement des 35 heures, je n'ai pas voulu appliquer une méthode que par ailleurs je récuse : une application stricte et uniforme de la loi. Supprimer brutalement les conséquences de la nouvelle durée légale du travail aurait fait prendre le risque majeur de détruire les compromis qui s'étaient forgés dans les branches et les entreprises.
Au contraire, j'ai entrepris de desserrer ce carcan absurde en donnant la main aux partenaires sociaux. Telle était, du reste, la ligne définie par le Président de la République qui souhaitait " libérer l'entreprise des carcans dans lesquels l'Etat l'a enfermée en assouplissant par la négociation les 35 heures. "
La loi a donc offert les outils nécessaires aux partenaires sociaux. A eux de s'en emparer, comme ils ont déjà commencé à le faire, et comme ils le feront de plus en plus quand le besoin tant économique que social s'en fera sentir. Permettez-moi de vous dire ici combien il est piquant de voir que chacun reconnaît désormais la nécessité de procéder à des adaptations !
J'ai ensuite souhaité mettre le contrat au centre de notre action. C'est à dire renvoyer à chaque fois que cela est possible la responsabilité aux partenaires sociaux. Dimension bien vue par Jacques Barthélémy lorsqu'il a mis en évidence, dans un de ses nombreux articles, que la loi sur l'assouplissement des 35 heures donnait pleinement la responsabilité de fixer le contingent d'heures supplémentaires aux partenaires sociaux, le contingent réglementaire n'intervenant plus qu'à titre supplétif.
Dans l'instauration du Contrat jeunes en entreprises qui compte aujourd'hui 100.000 bénéficiaires, j'ai également laissé aux partenaires sociaux le soin de définir certaines des modalités d'application, comme la validation des acquis de l'expérience dans le cadre de la formation.
J'ai recherché le même objectif au moment de la suspension de la loi dite de modernisation sociale, d'abord en renvoyant à une négociation nationale interprofessionnelle pour fixer les orientations d'une nécessaire réforme législative ultérieure, ensuite en incitant à un accord de méthode au sein de l'entreprise.
Approche doublement novatrice puisque je suis parti du principe que les accords d'entreprise pourront déroger à certaines des règles de procédure actuellement en vigueur, mais à condition d'être signés par des syndicats majoritaires dans l'entreprise. Et ces mêmes accords nourrissent la négociation interprofessionnelle en cours et montrent que l'on peut s'orienter, de plus en plus, vers la négociation en bonne et due forme d'un plan social dans l'entreprise.
Au terme de cette négociation, et qu'elle qu'en soit l'issue -que j'espère évidemment favorable- le gouvernement prendra ses responsabilités en proposant au Parlement un nouveau cadre législatif puisque la suspension de la Loi de modernisation sociale prend fin en juillet prochain.
Mais toute la dimension de notre méthode s'est révélée au cours du printemps dernier à l'occasion de la réforme de notre système de retraites. Avec le Premier ministre, nous avons bâti au terme d'un temps de dialogue et de concertation, exemplaire tant par sa durée que par la force d'un diagnostique partagé, un projet équilibré répondant à l'intérêt général et assurant la pérennité de notre système de retraite par répartition.
Couronnant l'ensemble de cette méthode de dialogue et cette pratique consistant à ouvrir des espaces de création aux partenaires sociaux, j'entreprends aujourd'hui une réforme structurante pour notre avenir, celle de la démocratie sociale. Nous avons, en effet, besoin de faire évoluer les règles qui régissent la négociation collective depuis plus de trente ans. Nous en avons besoin car notre système de relations sociales est à bout de souffle, en témoigne, par exemple, le taux de syndicalisation qui n'a jamais atteint des seuils d'adhésion aussi bas ou encore la très faible participation aux élections prud'homales...
Ces constats nous convainquent d'agir quand bien même chacun trouverait un motif pour se réfugier derrière le statu quo. Mais une occasion de rendre plus dense et plus vivante notre démocratie sociale s'offre à nous. Le gouvernement est déterminé à la saisir !
Comme je l'ai souvent dit déjà, le temps est passé des cathédrales législatives en matière de droit du Travail. Ce droit, dans nos sociétés complexes, sera d'autant mieux adapté, d'autant plus légitime, qu'il sera davantage un droit négocié, un droit issu de l'accord collectif -et cela à tous les niveaux : interprofessionnel, de branche ou d'entreprise.
Il ne s'agit pas d'opposer la loi ou le contrat, ni d'opposer la branche à l'entreprise. Non, c'est simplement de mieux organiser leur complémentarité et de donner -non pas la primauté qui revient à la Loi seule- mais l'initiative aux acteurs sociaux.
Et n'est ce pas aussi ce à quoi sont parvenus les partenaires sociaux avec la signature récente de l'accord sur la réforme de la formation professionnelle qui va la refondre en profondeur.
Le projet de loi que je viens de soumettre aux partenaires sociaux, dans le cadre de la Commission nationale de la négociation collective, contient, par conséquent, les propositions suivantes que je résumerai en 6 points principaux :
- 1 Premier point : Renvoi à la négociation avant toute procédure législative, afin d'évaluer le souhait et la possibilité des partenaires sociaux de dégager une proposition consensuelle et innovante pouvant inspirer le législateur.
- 2 Deuxième point :Droit d'opposition d'une majorité d'organisations syndicales sur la conclusion d'un accord national interprofessionnel.
- 3 Troisième point : Introduction du principe majoritaire dans la conclusion des accords de branche avec des élections de représentativité, si un accord de branche conclu sans opposition d'une majorité d'organisations le décide. Toutefois, faute d'accord au niveau de la branche sur cette modalité, les accords pourront entrer en vigueur s'il n'y a pas d'opposition d'une majorité d'organisations syndicales.
- 4 Quatrième point : Introduction du principe majoritaire au niveau des entreprises. Il revient aux branches de choisir entre deux options pour les accords d'entreprise: accord majoritaire en référence aux résultats obtenus aux dernières élections dans l'entreprise ou droit d'opposition des organisations syndicales représentant une majorité de salariés. Faute d'accord de branche sur le sujet, le droit d'opposition s'applique. J'ajoute que dans le cas de l'accord majoritaire, un referendum pourra être organisé dans l'entreprise, à l'initiative des organisations syndicales signataires.
- 5 Cinquième point : Evolution de l'articulation des niveaux de négociation avec l'affirmation de l'autonomie des niveaux de négociation. Cet assouplissement est encadré par la Loi, par le contrôle exercé par les branches elles mêmes, par le vote majoritaire enfin. Il conduit à ce que dans tous les domaines où la loi renvoie pour sa mise en uvre à un accord d'entreprise, celui ci est autonome et l'accord de branche supplétif en principe, sauf si, bien sûr, l'accord de branche précise le contraire. Le domaine de la durée du travail est évidemment concerné au premier chef par cette innovation.
- 6 Sixième point : Développement de la négociation dans les entreprises sans délégué syndical avec des représentants élus ou des salariés mandatés. Sera ainsi permis le dévelopement de la négociation dans les PME, où il n'y a pas de délégué syndical. Nous verrons probablement qu'il faudra, à terme cesser d'opposer les compétences des élus du personnel et des délégués syndicaux alors que l'objectif commun est d'arriver à des accords reflétant les aspirations des salariés et solidement ancrés sur les réalités des entreprises.
Voici donc les grandes lignes du projet qui a été présenté. J'ajoute qu'il contient également des dispositions de nature à faciliter l'exercice du droit syndical ou la négociation à un niveau territorial ou à celui des groupes d'entreprises.
Autour de cette question complexe et sensible de la négociation collective qui, je le vois, ébranle les partenaires sociaux, je veux à travers votre intermédiaire livrer trois messages :
- Le projet qui sera bientôt débattu par le Parlement concrétise à plus de 80 % la position commune du 16 juillet 2001, signée par la majorité des partenaires sociaux. Nul ne doit faire mine de sous-estimer aujourd'hui ce fait !
- Sur ce sujet, il faut accepter les compromis. Le statu quo me paraît plus dangereux que le changement. Le risque n'est pas dans la rénovation des règles, il est dans le désordre, les surenchères et les corporatismes qu'entraîneraient la déstructuration et la désyndicalisation du champ social.
- Enfin les salariés, et au-delà l'ensemble des Français, ne comprendraient pas que l'on se fasse, pour diverses raisons, les adversaires de l'essentiel : c'est à dire de la nécessité de faire évoluer, après des années d'immobilisme, les règles et les pratiques.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Le Gouvernement a engagé les réformes nécessaires à la rénovation de notre pacte social et républicain.
Mais au-delà, il refonde l'architecture de la démocratie sociale tant elle est à la source d'une société participative qui donnera enfin sens au mariage du progrès économique et du progrès social.
La France cherche de façon inquiète ses marques entre ces deux pôles de progrès. Son tiraillement est accentué par la faiblesse des corps intermédiaires et l'exiguïté d'un dialogue social insuffisamment cultivé dans notre histoire.
Voilà pourquoi j'attache tant d'importance à la rénovation de notre démocratie sociale car elle est l'un des leviers qui peuvent être à l'origine des changements structurels et culturels de notre pays.
La réforme est possible dans notre pays !
Mais parce qu'elle ne s'improvise pas, la réforme exige conviction, détermination et méthode. Pour être solide et comprise de tous, elle doit être portée et favorisée par des mécanismes d'écoute, de dialogue et de négociation.
Je m'emploie à les instaurer au sein de notre tissu social.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 17 octobre 2003)