Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les droits des femmes et notamment les mesures prises concernant la parité dans la vie politique et l'égalité professionnelle, la sensibilisation à la contraception en milieu scolaire et la "politique familiale féministe", Paris le 8 mars 2000.

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Circonstance : Discours du Premier ministre, M. Lionel Jospin, à l'occasion de la réception offerte lors de la Journée Internationale des Femmes, à Paris le 8 mars 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres,
Madame la secrétaire d'Etat aux Droits des Femmes,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Cher(e)s ami(e)s,
En ce 8 mars 2000 -première Journée Internationale des Femmes du XXIème siècle-, je ne peux m'empêcher de penser au tout début du siècle précédent, à ces années qui virent se développer les actions des suffragettes, qui virent paraître les premières grandes oeuvres de COLETTE et honorer Marie CURIE du Prix Nobel de physique. Je voudrais que nous fêtions aujourd'hui ces grandes pionnières -il y en eut beaucoup- autant que les femmes d'aujourd'hui qui sont leurs héritières et qui, de mille façons, poursuivent leur avancée.
Ce XXème siècle fut, dans le domaine de l'émancipation des femmes, un long temps de lutte contre tous les conservatismes. Nous n'oublions pas les débats d'idées, les engagements militants et les combats politiques qui ont permis de conquérir, dans notre pays, le droit de disposer de son salaire sans l'autorisation de son mari, le droit de vote, le droit à la contraception puis à l'interruption volontaire de grossesse.
Beaucoup parmi vous, ici, ont été les acteurs directs ou les soutiens de ces luttes. Je voudrais en particulier saluer très chaleureusement Mme Gilberte BROSSOLETTE, une des premières -et une des rares- femmes élues députées en juin 1946. La France était alors une des dernières nations d'Europe à accorder le droit de vote aux femmes. Elle conserve, encore aujourd'hui, du retard dans la place faite aux femmes en politique. Quatre candidates, trois candidats, une présidente élue : l'exemple récent de la Finlande nous montre le chemin que doit encore parcourir la France pour parvenir à ce stade où la présence des femmes en politique va de soi, tout simplement. Au moins puis-je me réjouir que cette présence marque fortement mon gouvernement.
Lors de ma Déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, j'avais pris l'engagement d'inscrire le principe de parité entre les femmes et les hommes dans la Constitution, pour
-enfin- ouvrir grand les portes de la République aux femmes. L'an passé, le débat sur cette "grande affaire" fut vif et je m'en suis réjoui. Depuis, ce débat a été tranché. Le 28 juin 1999, une révision constitutionnelle a été votée par le Parlement. Dès ce verrou levé, le Gouvernement s'est attaché à traduire concrètement et rapidement dans les lois électorales le principe " d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ". Le Gouvernement entend appliquer la parité non pas " mathématiquement ", comme le prétendent d'aucuns, mais effectivement. Car la parité, malgré certaines tentatives rhétoriques mêlant " innovations " arithmétiques et arrière-pensées politiques, c'est bien " 50-50 "...
Dès 2001, lors des prochaines élections municipales, grâce à la nouvelle législation, nous donnerons de l'air et du souffle à notre démocratie. Aux partis politiques qui, pris de court par une évolution qu'il n'ont pas voulu voir venir, et qui affichent désormais comme mot d'ordre : " recherche candidates désespérément ", je veux dire ma conviction qu'ils les trouveront. Cette conviction est fondée sur mon expérience d'ancien Premier secrétaire du Parti socialiste, lorsque celui-ci, pour les élections législatives de 1997, ouvrait la voie de façon volontariste, et non sans difficultés, en réservant 30 % des circonscriptions gagnables à des femmes. Je dis donc à ces partis : ne vous désespérez pas ! Vous trouverez des candidates -à condition, bien sûr, de les chercher...
Depuis près de trois ans, la parité a occupé -à juste titre- une place importante dans le débat intellectuel, politique, parlementaire, médiatique, comme dans l'action du Gouvernement. Mais l'ambition de celui-ci est plus vaste, conformément à l'attente des femmes et des démocrates. Nous voulons en effet transformer en profondeur la société française, réaliser partout l'égalité entre les hommes et les femmes, faire respecter partout les droits de celles-ci.
Et le premier de ces droits, c'est la maîtrise de son corps. Les Professeurs Israël NIZAND et Françoise UZAN, que j'ai reçus à l'Hôtel de Matignon, et dont je veux saluer la présence, ont courageusement rappelé, dans leur vie professionnelle comme dans leurs écrits, la valeur et la portée de ce droit. L'an passé, je vous avais annoncé que le Gouvernement lancerait une grande campagne d'information sur la contraception. C'est chose faite. Nous avons engagé, le 11 janvier dernier, la première véritable campagne d'information sur ce sujet depuis 1982. Cette démarche est essentielle pour sensibiliser à la contraception la nouvelle génération, qui n'a pas connu les combats pour ce droit essentiel. Conquise par leurs aînées, cette liberté est souvent mal maîtrisée par de trop nombreuses jeunes femmes. Chaque année, on compte ainsi près de 10.000 grossesses non désirées chez les adolescentes. C'est aussi pourquoi nous avons en juin dernier autorisé la délivrance en pharmacie, sans ordonnance, de la contraception d'urgence. En milieu scolaire, grâce à une décision de Ségolène ROYAL, les infirmières peuvent désormais délivrer " la pilule du lendemain ". Elles joueront ainsi un rôle essentiel de prévention et d'information. Aucune femme ne doit être empêchée ou dissuadée de maîtriser sa fécondité.
Mais il n'y a pas de liberté individuelle sans respect collectif. Le corps des femmes n'est pas une marchandise. L'exploitation sexuelle des femmes est un commerce inhumain -mais hélas florissant- auquel il faut mettre un terme. En décembre dernier, c'est sous l'impulsion de la France que 138 É tats ont adopté, au Chili, un Code Mondial d'Ethique pour bannir le tourisme sexuel, qui concerne aussi les garçons, on le sait.
Ici même, en France, l'exploitation de l'image des femmes et de leur corps à des fins marchandes reste une tentation trop fréquente. Bien souvent, la publicité véhicule une image des femmes chargée de stéréotypes humiliants et de clichés machistes, qui entretiennent des représentations collectives archaïques. C'est pourquoi je souhaite que Mme Catherine TRAUTMANN, ministre de la Culture et de la Communication, engage, avec les représentants de la presse, de l'édition et de l'audiovisuel, une discussion sur le traitement des femmes dans les médias.
Les femmes ont aussi droit à l'égalité professionnelle. Le marché du travail reste dual : il fait que les femmes sont les premières touchées par la précarité, et désigne comme métiers "féminin " précisément ceux où les salaires sont les moins élevés, les perspectives de carrières les plus ténues, le statut le moins assuré. Et pourtant les jeunes filles réussissent mieux à l'école que leurs camarades garçons. Elles sont en moyenne plus diplômées.
L'an passé, cinquante-sept grandes entreprises françaises ont changé de président. Chaque fois, un homme a remplacé un homme -sauf dans un cas, celui d'une entreprise publique pour laquelle le Gouvernement a choisi une femme.
Pour briser le " plafond de verre " qui bloque la promotion professionnelle des femmes, nous devons donc déployer le même volontarisme que dans le champ politique. Assurer l'équilibre entre les hommes et les femmes dans les jurys de concours dans la fonction publique, aider les femmes qui veulent créer leur entreprise à trouver les garanties financières que leur demandent les banques : tout ce qui peut être fait par le Gouvernement le sera. C'est l'esprit dans lequel a été présentée hier une proposition de loi émanant du groupe socialiste, reprenant les propositions du rapport de Catherine GÉNISSON.
La volonté de faire leur place légitime aux femmes, le souci de combattre toutes les discriminations dont elles sont l'objet, sont notre préoccupation constante. C'est pourquoi, l'an dernier, je vous avais annoncé mon intention de réactiver le Comité interministériel aux droits des femmes, créé en 1982 par Yvette ROUDY, et qui ne s'était pas réuni depuis 1991. Là encore, c'est chose faite. Cet après-midi même, j'ai à cet effet rassemblé tous les ministres. La réunion de ce comité symbolise notre volonté d'une approche globale pour réaliser l'égalité des chances entre les femmes et les hommes. Nicole PERY, secrétaire d'Etat aux droits des femmes, est chargée d'animer et de coordonner une politique d'ensemble. Chaque ministère, chaque dimension de l'action gouvernementale doivent concourir à cette politique féministe globale.
Car notre projet est celui d'une société réellement mixte. Tout est lié au sein d'une société, et si nous voulons transformer la vie des femmes, il nous faut transformer la société. Parce que les obstacles à une pleine égalité des chances sont dissimulés par la tradition, enrobés dans des discours fatalistes, cachés parfois derrière une bienveillance de façade. Parce que ce sont les entraves de la vie quotidienne qu'il faut défaire, afin de permettre à chacune et chacun de mieux répartir son temps selon ses propres choix. Parce qu'il faut oeuvrer patiemment -mais résolument- à changer les mentalités qui gouvernent les comportements.
Il est possible de changer les mentalités de différentes manières.
Il y a le débat. Les discussions qui ont accompagné, l'an dernier, la révision de la Constitution ont été utiles. J'en suis convaincu.
Il y a aussi la mobilisation et la représentation. Vous en êtes les premiers acteurs. Et les membres des délégations -mixtes- aux droits des femmes, constituées récemment par l'Assemblée nationale et le Sénat, comme ceux de la délégation à l'égalité des chances que vient de créer le Conseil économique et social, ne me démentiront pas.
Il y a encore l'exemple. Celui que nous offrent ces nouvelles réalisatrices et ces jeunes actrices qui font le renouveau du cinéma français. Celui de ces auteurs, poètes, romancières et théoriciennes qui apportent un nouveau souffle à la littérature et aux sciences humaines. Celui, encore, offert par des femmes qui ont décidé de s'aventurer dans des chasses gardées masculines, en accomplissant des prouesses sportives que certains croyaient réservées aux hommes. Je suis heureux de voir ce soir les visages de plusieurs de ces femmes.
Il y a enfin et surtout l'éducation. L'Ecole de la République doit enseigner et, mieux, faire vivre, une culture paritaire. Les filles ne doivent plus être orientées exclusivement vers les mêmes métiers ; les enseignants doivent être formés et sensibilisés aux préoccupations féministes -en luttant par exemple contre les violences sexistes. C'est le sens de la convention signée le 25 février dernier par les ministres de l'Education nationale, de l'Agriculture -pour l'enseignement agricole- et la secrétaire d'Etat aux Droits des Femmes.
Au-delà, c'est l'organisation de notre vie en commun que nous devons changer. Et d'abord l'organisation du temps : le temps des hommes, le temps des femmes. Tout doit être fait pour faciliter aux femmes la légitime conciliation d'une vie familiale et d'une vie professionnelle. Mais c'est là une question qui doit aussi être posée aux hommes. La réduction du temps de travail peut et doit permettre des progrès en ce sens.
Une politique familiale féministe doit y contribuer concrètement. Elle doit offrir aux deux parents le temps nécessaire pour accueillir l'enfant, éviter que des femmes ne s'éloignent du marché du travail et n'éprouvent ensuite de grandes difficultés à y revenir, favoriser l'implication des pères dans la prise en charge des enfants. J'ai demandé en juillet 1999 au délégué interministériel à la famille d'engager une réflexion d'ensemble sur les prestations de la petite enfance. Nous en débattrons lors de la prochaine conférence de la famille. D'ores et déjà, des caisses d'allocations familiales conduisent des expériences de garde à domicile à des horaires " atypiques " -qui sont en réalité ceux de la vie professionnelle ordinaire... Nous lançons aujourd'hui un programme expérimental pour soutenir ces nouveaux modes de garde.
Mesdames et Messieurs,
Cher(e)s Ami(e)s,
La cause des femmes est universelle. D'abord parce qu'elle est la cause de toutes les femmes. Si nous avons encore beaucoup à accomplir en France, nous devons rester attentifs et solidaires à l'égard des combats qui sont menés ailleurs dans le monde. C'est pour cela que cette journée est internationale. Souvent ces luttes sont celles pour la conquête de droits fondamentaux. Celles dont l'ambition est de voir les femmes considérées comme des êtres humains à part entière. Ces luttes-là exigent le plus grand courage. C'est pourquoi je tiens à rendre hommage à Borka PAVICEVIC -qui travaille en Yougoslavie à l'établissement d'une démocratie-, à Nazlije BALLA -qui conseille des femmes et aide les familles de disparus au Kosovo- et à Naisiadet MAINA -qui milite pour les droits des femmes au Kenya. Elles sont parmi nous et je les en remercie. Je veux leur dire l'admiration qu'elles nous inspirent.
Je veux aussi leur témoigner notre soutien. La France a plaidé pour que les victimes
-souvent des femmes- participent aux procès tenus devant les juridictions pénales internationales. Elle a demandé une protection plus efficace des femmes ayant subi des violences sexuelles. Dès le 10 décembre 1999, notre pays a signé le protocole additionnel à la Convention contre toutes les formes de discrimination à l'encontre des femmes. Je souhaite que ce texte soit ratifié rapidement et, si possible, avant la session spéciale de l'Assemblée des Nations Unies, en juin 2000, qui prolongera la démarche engagée à Pékin en 1995.
La cause des femmes est universelle surtout parce qu'elle n'est pas seulement celle des femmes. Elle est aussi celle des hommes, en tout cas de ceux qui reconnaissent pleinement la mixité du genre humain. L'égalité entre les femmes et les hommes est notre idéal commun. La marche vers cet idéal moderne suscitera encore bien des résistances. Les conservateurs tenteront de la ralentir, ils ne pourront pas l'interrompre. Car cette marche, j'en ai la conviction, est un mouvement nécessaire et irréversible.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 mars 2000)