Texte intégral
J.-M. Aphatie - Bonjour F. Chérèque. "Je garde le cap des réformes" : voilà ce qu'a dit J.-P. Raffarin, lundi, lors de sa déclaration de politique générale. Après les retraites, au printemps dernier, le Premier ministre veut maintenant réformer la Sécurité Sociale. Il a annoncé un projet de loi présentée au Parlement dès cet été. Que pensez-vous de cette volonté réformatrice, F. Chérèque ?
- " Tout d'abord, des contradictions entre le "je vous ai compris" du président de la République, très gaullien, et le "je ne change rien, et je continue" du Premier ministre. "
Mais le président de la République avait dit aussi que pour la Sécurité sociale, il y avait urgence.
- " Sur la Sécurité sociale, il y a urgence depuis pas mal de temps déjà. C'est un sujet qui fait peur, jusqu'aux militants CFDT. Je les ai écoutés hier. Comment on va faire ? C'est un sujet, qui est un sujet lourd, il pèse, il est au centre de notre cohésion sociale qu'on veut refaire dans notre pays - ce sont les paroles du président de la République. Mais la démarche du Gouvernement inquiète, parce que dans un premier temps on nous a dit : on va faire ça après les élections parce que c'est un sujet difficile. On a bien vu que ça n'a pas réussi au Gouvernement. Et puis maintenant on nous dit presque, on maintient un Premier ministre qui va prendre des décisions difficiles pour l'user au maximum, et ensuite éventuellement changer. Donc, peu importe le temps, je crois que si on n'y est pas arrivé cet été, s'il faut prendre deux/trois mois de plus pour discuter de ce sujet-là, faisons-le. Il vaut mieux faire comprendre. J'ai une expérience de la dernière réforme... Il vaut mieux des fois prendre ... "
Celle des retraites, que la CFDT a soutenue...
- " ... que la CFDT continue à soutenir, mais il vaut mieux des fois prendre deux, trois mois de plus, pour bien faire comprendre les choses, même si ça ne change rien sur le fond, plutôt que de se précipiter. "
C'est ce que vous demandez au Gouvernement ce matin : prenons un peu de temps pour la sécurité sociale ?
- " Simplement, prenons le temps nécessaire. Ce qui veut dire : on a besoin d'un premier schéma de la réforme, dès ce mois-ci, pour qu'on puisse le discuter dans les deux ou trois mois qui viennent. "
J.-P. Raffarin, d'après vous F. Chérèque, a-t-il l'autorité politique pour mener cette réforme ?
- " Ca ce n'est pas à moi de juger s'il doit avoir l'autorité politique. Mais l'inquiétude qu'on a c'est : on répète les mêmes erreurs. Et dans son discours de lundi, il a réaffirmé qu'il répétait les mêmes erreurs. C'est-à-dire, d'une part, il reste attentiste par rapport à la croissance. C'est-à-dire qu'on attend la croissance pour pouvoir faire redémarrer les choses, et ça ne marche pas. Et Monsieur Seillière, ce matin, l'encourage dans ce sens-là. Et ça m'inquiète d'autant plus, parce qu'il dit : pas de social sans croissance. Or, c'est vraiment quand on a des difficultés de croissance qu'il faut faire du social. Et ensuite on nous dit : les caisses sont vides. Le président de la République a dit trois fois : la France risque de disparaître, ce qui n'est quand même pas encourageant. Les caisses sont vides mais on continue à baisser les impôts, et on fait des promesses, et on ne sait pas comment on va les financer. Donc c'est plutôt un manque de crédibilité du discours, plutôt qu'une crédibilité de la personne. "
Toujours sur la Sécurité sociale, vous avez dit dans votre première phrase que les militants de la CFDT étaient inquiets. Cela veut-il dire que la CFDT, organisation syndicale que vous dirigez, sera peut-être moins associée au Gouvernement qu'elle ne l'a été sur le projet des retraites ? [Que par rapport au] réformisme que vous prôniez, vous êtes peut-être plus prudent ?
- " Alors deux choses : on a coutume chez les observateurs du social dans notre pays, à partir du moment où un syndicat soutient une réforme, il soutient un Gouvernement. Non, chez nous, ce sont les actes qui sont posés qu'on soutient. Après, on n'a pas à soutenir un Gouvernement plus qu'un autre. Ca c'est la première chose. La deuxième chose : on a souvenir aussi qu'il y a des promesses qui avaient été faites par ce Gouvernement-là sur la réforme des retraites, qui n'ont pas été tenues. J'en prends deux : c'étaient les contreparties par exemple à l'alignement à 40 ans pour les fonctionnaires. On devait faire partir tous les fonctionnaires qui ont commencé à travailler jeune 14, 15 et 16 ans - il y en a 27.000 qui attendent - les faire partir avant 60 ans... Or, c'est promesse-là, elle n'est pas mise en oeuvre. La deuxième chose qui était une contrepartie, c'est la caisse additionnelle, c'est-à-dire la caisse de retraite complémentaire, pour compter les primes dans le calcul de la retraite. Pour le moment, on ne l'a encore pas mise en oeuvre. Donc vous voyez, il y a une certaine défiance qui est en train de s'installer. Tant que le Gouvernement n'aura pas mis en oeuvre clairement les promesses qu'il nous avait faites, on regardera deux fois pour s'engager. Mais cette réforme, il faut la faire, bien évidemment, sinon encore une fois ça sera les plus modestes qui vont être pénalisés. Donc cette réforme c'est aussi une réforme pour diminuer cette fameuse fracture sociale. "
Jeudi dernier, le Chef de l'Etat a dit à propos de la réforme des intermittents, que vous avez négociée dans le cadre de l'Unedic en juin dernier avec le Médef : "les conséquences de cette réforme sur un certain nombre de jeunes artistes, ont été mal appréciées", et il a demandé à R. Donnedieu de Vabre, le nouveau ministre de la Culture, de reprendre cet aspect de la réforme. Comment vivez-vous cette intrusion du Gouvernement dans une réforme négociée au sein de l'Unedic ?
- " On a fait une proposition très précise, ici, devant vous - je l'ai faite - de créer une caisse complémentaire. Simplement parce que les salariés du privé ne peuvent pas payer plus, et on voit bien la difficulté financière qu'on a actuellement pour l'Unedic. Donc étudions la création de cette caisse complémentaire. Et je suis surpris que les députés de la majorité, qui étudient les propositions des collectifs, n'étudient pas la proposition de la CFDT. Pourquoi ? Eh bien je crois qu'il faut regarder un petit peu cette dérive qu'on a dans les systèmes sociaux dans notre pays. Dans un premier temps, on exonère les entreprises de leurs responsabilités - c'est le cas pour les intermittents. Et là, on a des moyens financiers dans certaines entreprises du spectacle. "Suivez mon regard", a dit le président de la République en regardant l'interviewer de TF1. Là, il y a des moyens aussi dans ces entreprises-là pour financer, et on exonère l'Etat d'une partie de ses responsabilités du social, que ce soit l'allocation spécifique de solidarité, ou les intermittents. Et on demande aux salariés du privé, tout seuls, de prendre en charge la solidarité nationale. Moi, c'est ce que j'appelle le libéralisme ! Le libéralisme, c'est exonérer les entreprises, et exonérer l'Etat. C'est quand même extraordinaire que, quand un syndicat propose d'impliquer plus l'Etat et les entreprises, eh bien on ait une alliance des coordinations, souvent des organisations d'extrême gauche, et des plus libéraux de la majorité, pour dire : non, on continue à faire financer les salariés. Donc on dit, nous : combattons le libéralisme, et mettons à l'étude la proposition de la CFDT. "
Mais, plus simplement, l'accord Unedic négocié avec le Medef en juin dernier est encore valable si on commence à en détricoter des petits bouts ? Il est encore valable cet accord ?
- " Cet accord, bien évidemment il est valable ! Il est simplement valable parce que c'est ce qui permet aux intermittents d'avoir un bon système unique en Europe. Mais si on veut faire plus, il faut impliquer l'Etat et les entreprises, c'est-à-dire les profits, pour financer et pour aider ces jeunes artistes justement. "
"EDF/GDF ne sera pas privatisé", a dit hier N. Sarkozy à l'Assemblée Nationale. En revanche, nous devons changer pour l'adapter le statut de cette grande entreprise. Vous êtes rassuré ?
- " Il n'y a pas de tabou de la CFDT sur l'évolution. Mais on a une opposition sur sa privatisation. Simplement parce qu'on n'a pas de débat sur la politique énergétique dans notre pays. Quelle va être cette politique dans les années qui viennent ? Quelle va être la politique du nucléaire ? Et là on n'est pas d'accord sur les propositions du Premier ministre sur l'évolution du nucléaire. Et on n'a pas, pour le moment, d'assurance sur le statut social des agents. Donc faisons cette grande discussion nécessaire, publique, aussi publique que celle de l'assurance maladie, et après on discutera du reste. "
D'un mot, F. Chérèque, vous êtes inquiet pour le climat social des semaines à venir ?
- " A partir du moment où on n'a pas de propositions... On a mis neuf ans pour passer du constat de la fracture sociale aux propositions de réduire cette fracture. Et on n'en est encore pas aux propositions concrètes... Tant qu'on ne passera pas aux propositions concrètes, il y a un risque effectivement sur cette fameuse cohésion sociale. "
F. Chérèque, qui aimerait que le Gouvernement prenne un peu de temps pour la Sécurité sociale, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 avril 2004)
- " Tout d'abord, des contradictions entre le "je vous ai compris" du président de la République, très gaullien, et le "je ne change rien, et je continue" du Premier ministre. "
Mais le président de la République avait dit aussi que pour la Sécurité sociale, il y avait urgence.
- " Sur la Sécurité sociale, il y a urgence depuis pas mal de temps déjà. C'est un sujet qui fait peur, jusqu'aux militants CFDT. Je les ai écoutés hier. Comment on va faire ? C'est un sujet, qui est un sujet lourd, il pèse, il est au centre de notre cohésion sociale qu'on veut refaire dans notre pays - ce sont les paroles du président de la République. Mais la démarche du Gouvernement inquiète, parce que dans un premier temps on nous a dit : on va faire ça après les élections parce que c'est un sujet difficile. On a bien vu que ça n'a pas réussi au Gouvernement. Et puis maintenant on nous dit presque, on maintient un Premier ministre qui va prendre des décisions difficiles pour l'user au maximum, et ensuite éventuellement changer. Donc, peu importe le temps, je crois que si on n'y est pas arrivé cet été, s'il faut prendre deux/trois mois de plus pour discuter de ce sujet-là, faisons-le. Il vaut mieux faire comprendre. J'ai une expérience de la dernière réforme... Il vaut mieux des fois prendre ... "
Celle des retraites, que la CFDT a soutenue...
- " ... que la CFDT continue à soutenir, mais il vaut mieux des fois prendre deux, trois mois de plus, pour bien faire comprendre les choses, même si ça ne change rien sur le fond, plutôt que de se précipiter. "
C'est ce que vous demandez au Gouvernement ce matin : prenons un peu de temps pour la sécurité sociale ?
- " Simplement, prenons le temps nécessaire. Ce qui veut dire : on a besoin d'un premier schéma de la réforme, dès ce mois-ci, pour qu'on puisse le discuter dans les deux ou trois mois qui viennent. "
J.-P. Raffarin, d'après vous F. Chérèque, a-t-il l'autorité politique pour mener cette réforme ?
- " Ca ce n'est pas à moi de juger s'il doit avoir l'autorité politique. Mais l'inquiétude qu'on a c'est : on répète les mêmes erreurs. Et dans son discours de lundi, il a réaffirmé qu'il répétait les mêmes erreurs. C'est-à-dire, d'une part, il reste attentiste par rapport à la croissance. C'est-à-dire qu'on attend la croissance pour pouvoir faire redémarrer les choses, et ça ne marche pas. Et Monsieur Seillière, ce matin, l'encourage dans ce sens-là. Et ça m'inquiète d'autant plus, parce qu'il dit : pas de social sans croissance. Or, c'est vraiment quand on a des difficultés de croissance qu'il faut faire du social. Et ensuite on nous dit : les caisses sont vides. Le président de la République a dit trois fois : la France risque de disparaître, ce qui n'est quand même pas encourageant. Les caisses sont vides mais on continue à baisser les impôts, et on fait des promesses, et on ne sait pas comment on va les financer. Donc c'est plutôt un manque de crédibilité du discours, plutôt qu'une crédibilité de la personne. "
Toujours sur la Sécurité sociale, vous avez dit dans votre première phrase que les militants de la CFDT étaient inquiets. Cela veut-il dire que la CFDT, organisation syndicale que vous dirigez, sera peut-être moins associée au Gouvernement qu'elle ne l'a été sur le projet des retraites ? [Que par rapport au] réformisme que vous prôniez, vous êtes peut-être plus prudent ?
- " Alors deux choses : on a coutume chez les observateurs du social dans notre pays, à partir du moment où un syndicat soutient une réforme, il soutient un Gouvernement. Non, chez nous, ce sont les actes qui sont posés qu'on soutient. Après, on n'a pas à soutenir un Gouvernement plus qu'un autre. Ca c'est la première chose. La deuxième chose : on a souvenir aussi qu'il y a des promesses qui avaient été faites par ce Gouvernement-là sur la réforme des retraites, qui n'ont pas été tenues. J'en prends deux : c'étaient les contreparties par exemple à l'alignement à 40 ans pour les fonctionnaires. On devait faire partir tous les fonctionnaires qui ont commencé à travailler jeune 14, 15 et 16 ans - il y en a 27.000 qui attendent - les faire partir avant 60 ans... Or, c'est promesse-là, elle n'est pas mise en oeuvre. La deuxième chose qui était une contrepartie, c'est la caisse additionnelle, c'est-à-dire la caisse de retraite complémentaire, pour compter les primes dans le calcul de la retraite. Pour le moment, on ne l'a encore pas mise en oeuvre. Donc vous voyez, il y a une certaine défiance qui est en train de s'installer. Tant que le Gouvernement n'aura pas mis en oeuvre clairement les promesses qu'il nous avait faites, on regardera deux fois pour s'engager. Mais cette réforme, il faut la faire, bien évidemment, sinon encore une fois ça sera les plus modestes qui vont être pénalisés. Donc cette réforme c'est aussi une réforme pour diminuer cette fameuse fracture sociale. "
Jeudi dernier, le Chef de l'Etat a dit à propos de la réforme des intermittents, que vous avez négociée dans le cadre de l'Unedic en juin dernier avec le Médef : "les conséquences de cette réforme sur un certain nombre de jeunes artistes, ont été mal appréciées", et il a demandé à R. Donnedieu de Vabre, le nouveau ministre de la Culture, de reprendre cet aspect de la réforme. Comment vivez-vous cette intrusion du Gouvernement dans une réforme négociée au sein de l'Unedic ?
- " On a fait une proposition très précise, ici, devant vous - je l'ai faite - de créer une caisse complémentaire. Simplement parce que les salariés du privé ne peuvent pas payer plus, et on voit bien la difficulté financière qu'on a actuellement pour l'Unedic. Donc étudions la création de cette caisse complémentaire. Et je suis surpris que les députés de la majorité, qui étudient les propositions des collectifs, n'étudient pas la proposition de la CFDT. Pourquoi ? Eh bien je crois qu'il faut regarder un petit peu cette dérive qu'on a dans les systèmes sociaux dans notre pays. Dans un premier temps, on exonère les entreprises de leurs responsabilités - c'est le cas pour les intermittents. Et là, on a des moyens financiers dans certaines entreprises du spectacle. "Suivez mon regard", a dit le président de la République en regardant l'interviewer de TF1. Là, il y a des moyens aussi dans ces entreprises-là pour financer, et on exonère l'Etat d'une partie de ses responsabilités du social, que ce soit l'allocation spécifique de solidarité, ou les intermittents. Et on demande aux salariés du privé, tout seuls, de prendre en charge la solidarité nationale. Moi, c'est ce que j'appelle le libéralisme ! Le libéralisme, c'est exonérer les entreprises, et exonérer l'Etat. C'est quand même extraordinaire que, quand un syndicat propose d'impliquer plus l'Etat et les entreprises, eh bien on ait une alliance des coordinations, souvent des organisations d'extrême gauche, et des plus libéraux de la majorité, pour dire : non, on continue à faire financer les salariés. Donc on dit, nous : combattons le libéralisme, et mettons à l'étude la proposition de la CFDT. "
Mais, plus simplement, l'accord Unedic négocié avec le Medef en juin dernier est encore valable si on commence à en détricoter des petits bouts ? Il est encore valable cet accord ?
- " Cet accord, bien évidemment il est valable ! Il est simplement valable parce que c'est ce qui permet aux intermittents d'avoir un bon système unique en Europe. Mais si on veut faire plus, il faut impliquer l'Etat et les entreprises, c'est-à-dire les profits, pour financer et pour aider ces jeunes artistes justement. "
"EDF/GDF ne sera pas privatisé", a dit hier N. Sarkozy à l'Assemblée Nationale. En revanche, nous devons changer pour l'adapter le statut de cette grande entreprise. Vous êtes rassuré ?
- " Il n'y a pas de tabou de la CFDT sur l'évolution. Mais on a une opposition sur sa privatisation. Simplement parce qu'on n'a pas de débat sur la politique énergétique dans notre pays. Quelle va être cette politique dans les années qui viennent ? Quelle va être la politique du nucléaire ? Et là on n'est pas d'accord sur les propositions du Premier ministre sur l'évolution du nucléaire. Et on n'a pas, pour le moment, d'assurance sur le statut social des agents. Donc faisons cette grande discussion nécessaire, publique, aussi publique que celle de l'assurance maladie, et après on discutera du reste. "
D'un mot, F. Chérèque, vous êtes inquiet pour le climat social des semaines à venir ?
- " A partir du moment où on n'a pas de propositions... On a mis neuf ans pour passer du constat de la fracture sociale aux propositions de réduire cette fracture. Et on n'en est encore pas aux propositions concrètes... Tant qu'on ne passera pas aux propositions concrètes, il y a un risque effectivement sur cette fameuse cohésion sociale. "
F. Chérèque, qui aimerait que le Gouvernement prenne un peu de temps pour la Sécurité sociale, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 avril 2004)