Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à "Libération" le 2 juin 2003, sur le processus d'élaboration et les dispositions du projet de loi de réforme des retraites, notamment le mode de financement retenu.

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Texte intégral

François WENZ-DUMAS.- Quelle peut être l'issue du mouvement de protestation, qui se poursuit demain avec des grèves et des manifestations ?
François Chérèque.- "Il y a d'abord le sujet des retraites. La réforme arrive devant le Parlement. Nous avons reconstruit un système de base fondé sur la répartition qui doit tenir la distance. C'est maintenant au Parlement de faire son travail et de mettre en oeuvre les dispositions issues de la négociation. Pour la première fois depuis longtemps dans l'histoire des relations sociales en France, le produit d'une négociation précède l'écriture d'une loi, qui va d'ailleurs ouvrir d'autres négociations sur la pénibilité et sur la revalorisation des pensions. Maintenant, le gouvernement est confronté à un deuxième conflit, celui de l'Éducation nationale. Il faut qu'il le traite de façon spécifique, en ouvrant la discussion sur son projet pour l'école et sur l'évolution des métiers. Et ensuite seulement, en revenant à la décentralisation, c'est-à-dire à l'organisation du système. Or le Premier ministre a jusqu'ici proposé l'inverse : il prend un risque, s'il veut rassurer les personnels de l'Éducation nationale".
- Sur les retraites, on peut quand même s'attendre à des mouvements, notamment dans les transports ?
"Dès le début de la négociation, Marc Blondel a demandé à François Fillon d'écrire que les régimes spéciaux n'étaient pas concernés. Le ministre a donné son accord dans le relevé de décisions. Je ne comprends pas qu'on puisse encore prétendre le contraire. D'ailleurs, à la RATP, tous les syndicats, à l'exception de la CGT, l'ont bien compris".
- Y avait-il des alternatives au projet Fillon ?
"Pas dans le cadre de la répartition. Le premier point de la déclaration commune des syndicats était : sauver le système par répartition. Si on n'avait pas imposé ce choix-là au gouvernement, un autre système était possible. Il était même soutenu par une partie de la majorité. Par exemple, le projet d'Alain Madelin, qui propose un système totalement individualisé. Le relevé de décisions écarte durablement ce type de réforme. Qui aurait pu dire il y a six mois, quand on a commencé à discuter, que le gouvernement ne chercherait pas à imposer une formule de ce type ?"
- Les syndicats qui refusent cette réforme proposent de mettre le capital à contribution...
"Il faut noter que leurs critiques portent désormais sur le financement. Le reste, c'est-à-dire tous les acquis du texte, ils ne les contestent plus. Nous, nous avons fait le pari de la baisse du chômage pour financer en partie la réforme. Si celle-ci n'est pas suffisante, il est prévu de recourir à la CSG, qui est assise sur les revenus du travail mais aussi du capital. Quant à ceux qui évoquent une recette miracle de taxation de la valeur ajoutée des entreprises, ils oublient que cette proposition avait été faite par la CFDT et rejetée par le gouvernement Jospin. Pour des raisons de faisabilité, et parce qu'il ne s'agit pas de recettes pérennes, susceptibles de garantir les régimes par répartition".
- Au pouvoir, le PS aurait-il défendu une réforme similaire ?
"Bien sûr, puisqu'il s'agit de sauver les retraites par répartition ! Certains, comme Michel Rocard ou Bernard Kouchner, le reconnaissent. Que le PS ait un discours différent selon qu'il est au pouvoir ou dans l'opposition, ce n'est pas vraiment nouveau. Ce qui est plus difficile à entendre, c'est quand il nous reproche d'être allés au bout de la négociation avec ce gouvernement, alors qu'il sait très bien que nous aurions fait exactement la même chose avec lui s'il avait été au pouvoir. La retraite n'est pas un sujet de droite ou de gauche, dès lors qu'on reste dans la répartition. A partir du moment où cette réforme donne des garanties aux basses pensions, des contreparties aux fonctionnaires, permet des départs avant 60 ans, peu importe qui la mène. Si c'est la droite qui réforme, la gauche ne peut s'en prendre qu'à elle-même".
- On vous reproche aussi d'avoir conclu trop tôt la négociation.
"Il faut se remettre en tête l'ensemble du calendrier. On nous a dit : on ne fera rien avant Noël à cause des élections prud'homales. Ensuite, il fallait attendre le congrès de la CGT, fin mars. Nous avons quand même eu 21 réunions du groupe de travail confédéral pour préparer la négociation finale. Que celle-ci ait été conclue un ou deux jours plus tard n'aurait pas changé grand-chose. Ce qui était important, après la manifestation réussie du 13 mai, c'était de profiter de ce rapport de force pour contraindre le gouvernement à répondre à nos exigences."
- Le projet peut-il encore être modifié lors du débat parlementaire ?
"Ce serait très difficile. Les marges de manoeuvre sont désormais réduites. C'est bien pour cela que nous avons négocié jusqu'au bout. L'engagement de la CFDT sur cette réforme est la meilleure garantie qu'elle ne soit pas remise en cause ou dévoyée à l'Assemblée par les plus libéraux de la majorité".
- Le paysage syndical va-t-il sortir bouleversé de cette négociation ?
"D'un côté, il y a un syndicalisme qui utilise un rapport de force, comme nous l'avons fait le 13 mai, pour négocier et obtenir des résultats. De l'autre, un syndicalisme qui se réfugie dans l'expression des mécontentements, en étant dans l'incapacité de s'engager dans la conclusion d'une négociation. La CFDT, la CGC mais aussi la CFTC se situent clairement dans la première logique. Quant à la CGT, elle n'arrive toujours pas à assumer un accord, même quand elle l'a négocié et approuvé. Je souhaite qu'un jour elle parvienne à franchir le pas".
- La CGT s'en remet beaucoup à sa base. À la CFDT, la direction donne parfois le sentiment d'en être coupée...
"À la CFDT, on a des débats et on fait des choix. Celui des retraites, nous l'avons eu démocratiquement, avant la négociation. Certains ne partageaient pas le choix majoritaire. Ils ne le partagent toujours pas et le font savoir. C'est un débat syndical normal. La difficulté, dans ces grandes négociations, c'est que le résultat est médiatisé avant que nous puissions expliquer aux militants ce que nous avons obtenu. C'est en train de se faire. Je suis serein : chaque fois que la CFDT a eu le courage d'affronter les vraies questions, elle en a récolté les fruits."
(Source http://www.cfdt.fr, le 3 juin 2003)