Déclaration de M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur la proposition d'une loi pour la suppression des limites d'âge dans les concours de la fonction publique, Paris le 15 avril 2004.

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Texte intégral

Cette intéressante proposition de Monsieur Poignant pose des questions de méthode et des questions de fond.
1. Sur la méthode tout d'abord.
J'ai pris mes fonctions, comme vous le savez, il y a 10 jours et j'ai pu constater à quel point était forte l'attente de dialogue des représentants des agents publics. Cette attente me semble tout à fait légitime. L'Etat est le premier employeur des fonctionnaires et en tant qu'employeur, il a le devoir et un intérêt évident à concerter et à négocier avec ses partenaires sociaux.
J'ai donc pris immédiatement l'engagement, auprès de mes interlocuteurs, conformément aux vux du Président de la République et à la politique générale qu'entend appliquer le gouvernement, de donner un nouvel essor au dialogue social au sein de la fonction publique.
J'entends mettre à la concertation et le cas échéant à la négociation, toute mesure ayant une incidence sur le recrutement, la gestion et la vie quotidienne des agents publics. Je leur proposerai dès la semaine prochaine un calendrier de travail en ce sens.
Je compte par ailleurs, poursuivre la préparation du projet de loi de modernisation de la fonction publique pour être en mesure de présenter, d'ici la fin de l'été et ici encore, après une concertation approfondie, un ensemble de mesures ambitieuses concernant de nombreux aspects de la vie des fonctionnaires.
Il est clair que la proposition de Monsieur Poignant trouverait logiquement sa place dans un tel projet. Je n'entends pas, toutefois, y faire obstacle car je pense qu'elle est assez consensuelle et utile à de nombreux égards.
2. Comme Monsieur Poignant l'a souligné, les concours d'accès à la fonction publique sont soumis aujourd'hui, le plus souvent, à des limites d'âge.
Ces limites, qui n'ont d'ailleurs aucun caractère général puisqu'elles sont différentes d'un concours à l'autre et d'une fonction publique à l'autre, sont perçues par une partie de l'opinion comme une discrimination, notamment à l'encontre des femmes dont la maternité a souvent retardé l'accès à la vie professionnelle.
Elles ont donc été progressivement supprimées par le législateur dans certains cas particuliers.
Et lorsqu'elles ne l'ont pas été, elles ont suscité des demandes de dérogation de la part des quelques milliers de candidats qui chaque année, sur les deux millions d'inscrits, ne peuvent se présenter aux concours de la fonction publique parce qu'ils dépassent la limite d'âge.
Les nombreuses dérogations accordées jusqu'ici pour remédier aux situations les plus inéquitables ont eu pour seul effet de complexifier les procédures de recrutement tant pour les administrations que les candidats et d'obscurcir le dispositif initial, sans pour autant en renforcer la légitimité.
3. De nombreuses considérations me conduisent aujourd'hui à estimer que le maintien du principe général d'une limite d'âge pour l'accès aux concours de la fonction publique n'est plus pertinent.
il me semble tout d'abord fondamental de garantir les strictes conditions de l'égalité devant les emplois publics par le rétablissement de l'égalité dans les conditions à concourir.
C'est en effet par l'égalité des conditions à concourir et pour le plus grand bénéfice de la collectivité, que seront pris en compte les seuls talents et mérites des candidats dont vous savez qu'ils ne sont mécaniquement corrélés à leur âge ni dans un sens ni dans un autre.
de telles limites ne s'accommodent d'ailleurs ni avec le principe d'égal accès aux emplois publics inscrit dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni avec le principe de non discrimination inscrit à l'article 21 de la Charte européenne des Droits fondamentaux, proclamée à Nice en décembre 2000, qui interdit notamment toute discrimination fondée sur l'âge.
Je relève d'ailleurs que le Médiateur européen s'est appuyé sur cet article pour obtenir la suppression des limites d'âge pour l'accès aux concours des institutions européennes.
Je tiens à souligner sur ce plan que la suppression des limites d'âge n'aura en aucun cas pour effet de créer une discrimination à rebours au détriment des plus jeunes des candidats.
le maintien de limites d'âge me semble par ailleurs contraire à une politique efficace de gestion des ressources humaines dans l'administration.
Une telle politique doit être animée par la volonté de favoriser le rapprochement des sphères publiques et privées et par l'objectif de professionnalisation des services publics.
Elle suppose donc que les échanges entre le monde des salariés et le monde des fonctionnaires soient favorisés et élargis et que la mobilité soit encouragée.
L'administration a tout intérêt à s'enrichir des expériences acquises dans la société civile, notamment en recrutant des personnes ayant acquis des compétences en dehors de son sein.
La limite d'âge réduit clairement ces possibilités de recrutement, notamment par la voie des troisièmes concours.
Nous savons tous que dans les prochaines années, la situation démographique de la fonction publique va se traduire par le départ à la retraite de très nombreux agents publics dans les prochaines années.
Même si des réductions d'effectifs sont prévisibles, dans certains secteurs où leur maintien ne se justifie pas par une exigence de service, des recrutements importants en volume demeureront nécessaires.
La suppression des limites d'âge peut ainsi permettre de faciliter le recrutement sur des emplois, notamment techniques, pour lesquels l'administration sera en concurrence avec les employeurs du secteur privé.
Le recours à des candidats plus âgés est un atout pour reconstituer l'encadrement intermédiaire qui va être fortement touché par les départs en retraite. Un recrutement de jeunes diplômés, sans expérience professionnelle significative, ne permet pas nécessairement de répondre à cette problématique importante.
Enfin, favoriser un recrutement plus diversifié, peut permettre d'éviter la reconstitution du phénomène de déséquilibre démographique entre les classes d'âge aujourd'hui constaté et qui risque de reproduire demain si les recrutements à venir se concentrent sur une seule classe d'âge au lieu de se répartir sur plusieurs classes.
3. Par conséquent, je partage le constat et les objectifs qui ont présidé à la rédaction de cette proposition de loi.
Toutefois, ce texte que vous examinez aujourd'hui n'ayant matériellement pas pu faire l'objet d'une consultation formelle des partenaires sociaux, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.
Bien entendu, en préparation des prochaines lectures de la présente proposition, je me retournerai vers les organisations syndicales représentatives de la fonction publique et vous ferai part de mes conclusions.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 16 avril 2004)