Texte intégral
Luc Evrard.- Vous êtes secrétaire général de la CFDT. La journée de grève et de manifestations organisée par les syndicats hostiles au projet de réforme, que vous avez signé, semble avoir marqué un certain tassement hier. Vous le constatez, est-ce que ça vous réjouit ?
François Chérèque.- "Je ne vais pas faire de mesure particulière sur ce qui s'est passé hier. On voit bien qu'il y a encore une partie des salariés, des services publics en particulier, qui s'oppose à l'harmonisation des régimes de retraite du public et du privé. C'est leur droit. En particulier ceux qui ne sont pas concernés d'ailleurs, ce qui est toujours surprenant. Il y a toujours un abcès de fixation important à l'Éducation nationale. Le gouvernement vient de décider de reporter le débat sur son projet de décentralisation. Maintenant, il faut rentrer dans le débat sur l'avenir de l'école, l'avenir des métiers. Après, on verra le sujet de la décentralisation. Donc, l'essentiel, maintenant, c'est de mettre en uvre, d'une part, la réforme mais surtout de gagner le pari de l'emploi parce que cette réforme s'appuie surtout sur un pari de l'emploi".
- Alors, on va y venir mais si vous n'êtes pas officiellement satisfait, vous devez être quand même un peu soulagé parce que à supposer que la mobilisation se soit amplifiée, votre position, qui était quand même difficile depuis deux semaines, aurait été encore plus délicate aujourd'hui, non ?
"On a tellement fait de désinformation sur le contenu du texte de réforme que, après l'avoir expliqué, les salariés commencent à comprendre. On a réduit les inégalités entre le public et le privé, on a amélioré le système de retraite du privé, on a donné des contreparties réelles aux fonctionnaires sur l'harmonisation. Maintenant, il reste ceux qui sont en désaccord sur ce système d'harmonisation. Donc, maintenant qu'on est sur le contenu du texte, on a de quoi le défendre effectivement".
- Bernard Thibault, de la CGT, dit que être un syndicat réformiste, ce n'est pas signer a priori tout ce qui se présente. Il vous reproche, en fait, d'avoir signé un texte qu'il désapprouve toujours, totalement.
"Mais je suis tout à fait d'accord avec lui sur l'interprétation de dire " On ne signe pas n'importe quoi ". Qu'a fait la CFDT ? Permettre aux salariés qui ont commencé à travailler jeunes de partir avant 60 ans, améliorer les basses pensions, permettre à ceux qui veulent partir plus tôt d'avoir un malus qui passe de 10 à 5 % dans le privé, des contreparties des fonctionnaires sur l'intégration des primes, sur maintien des droits familiaux, des situations spéciales pour les enseignants, pour les personnels soignants. On peut continuer et faire la liste. La CFDT s'est fixée sur des résultats et c'est vraiment sur les résultats qu'on va être jugé et, là, je crois qu'on a de quoi, effectivement, débattre".
- Au sein même de la CFDT, il y a encore des fédérations qui sont dans l'action. Est-ce que vous tenez toujours la boutique ou est-ce que les forces centrifuges sont à l'oeuvre ?
"Les militants de la CFDT ont d'abord une difficulté de comprendre pourquoi ça a été aussi vite..."
- Oui, il n'y a pas qu'eux, c'est vrai.
"Et c'est une culture chez nous. Les militants de la CFDT veulent participer à la décision. Donc, là, on a un vrai débat qui s'engage avec eux, comment on peut anticiper ce type de décision et comment on peut, je dirais, travailler plus collectif mais, ça, c'est un débat qui est éternel à la CFDT et qu'il faut continuer à avoir, c'est celui de la démocratie. Maintenant, il reste des militants, vous l'avez dit, dans les transports..."
- La SNCF, en particulier.
"Qui sont en désaccord sur l'harmonisation des régimes public-privé, ils le restent et, ça, ils nous avaient prévenus avant".
- Le Parti socialiste ne vous a pas aidé beaucoup pendant cette période en demandant, notamment, le retrait du projet que vous veniez de signer au lendemain du congrès de Dijon. C'était un coup de poignard ?
"D'abord, François Hollande au congrès a dit que c'était un " projet dangereux " et Laurent Fabius qu'il fallait " l'attaquer frontalement ". Maintenant, ils disent qu'on a obtenu des améliorations substantielles ou intéressantes avec des verbes et des adjectifs positifs sur ce Et ils nous disent, maintenant, " On veut encore l'améliorer ". Ce qui veut dire que ce projet dangereux est un projet qui est utile et qu'ils fassent des propositions d'amélioration, il est souhaitable qu'ils les fassent aujourd'hui parce que, dans cinq ans, on va rediscuter de tous les paramètres, de la durée de cotisation : est-ce qu'on a fait 41 ans de cotisation ou on reste à 40 ans ? du niveau des cotisations, du financement. Tout ça va être rediscuté. Il est temps que, cette fois-ci, le Parti socialiste ne soit pas en retard et qu'il s'y mette dès aujourd'hui".
- Alors, il y a un reproche qui est fait au projet tel que vous l'avez signé, c'est le problème de son financement et certaines critiques d'ailleurs émanent aussi du Parti socialiste, en particulier de Dominique Strauss-Kahn qui dit qu'en gros, on a assuré un quart du financement du surcoût du projet tel qu'il se présente. Comment faire pour régler ce problème, c'est quand même fondamental ?
"Il n'y a qu'une solution et, là, la CFDT va être très précise et très exigeante vis-à-vis du gouvernement et du Medef, c'est l'emploi. On ne réussira ce projet de réforme des retraites que si on arrive à faire baisser le chômage. Alors, pour ça, il faut qu'enfin, le gouvernement ait une vraie politique de l'emploi, ce qui n'est pas le cas depuis un an et que le Medef accepte les exigences de la CFDT dans la négociation, entre autres, sur la formation professionnelle pour faire en sorte que les salariés aient une formation tout au long de leur carrière pour pouvoir réagir en cas de difficultés et sur les anticipations sur les licenciements. Donc, là, maintenant, il est important de rentrer concrètement et avec beaucoup d'exigence et de dynamisme dans une politique de lutte contre le chômage. C'est comme ça qu'on réussira, effectivement, cette réforme. Sinon, en 2008, il faudra, effectivement, augmenter les cotisations vraisemblablement si on n'arrive pas à gagner cette politique de l'emploi".
- Donc, votre prochain interlocuteur sur le sujet, c'est, d'abord et avant tout, le Medef, qu'on n'entend pas beaucoup ces derniers temps ?
"Oui puisque le Medef doit sortir de sa contradiction en disant " On allonge la durée de cotisation ". Nous, on dit " 40 ans de cotisation, oui, mais 40 ans de travail ". Donc, s'il veut, le Medef, que les salariés puissent travailler jusqu'à 40 ans, eh bien il faut qu'il leur offre un travail, une formation et c'est tout l'enjeu de ces négociations avec toute la détermination de la CFDT dans ces négociations, comme on l'a eue sur les retraites".
- Est-ce que le gouvernement est prêt à jouer le jeu de la parité, de la négociation paritaire dans ces dossiers ?
"Il nous a dit qu'il était prêt parce qu'il nous a laissé la formation continue et les anticipations des licenciements mais si on ne fait pas la preuve des partenaires sociaux, là aussi, et je fais appel aussi à mes camarades responsables syndicaux des autres centrales, c'est là aussi qu'il faudra faire l'unité syndicale pour obtenir du Medef des avancées sur ces sujets-là. Si on n'y arrive pas, une nouvelle fois, l'État décidera tout seul."
(Source http://www.cfdt.fr, le 10 juin 2003)
Claire GUELAUD.- Le premier ministre assure qu'il a fait "le choix de l'apaisement social". Qu'en pensez-vous ?
François CHEREQUE.- "Après une période de tension, l'apaisement est un choix responsable. Mais nous lui demandons plus que l'"apaisement social": la réforme des retraites prévoit d'ouvrir des négociations sur la pénibilité et de relever le défi de l'emploi, notamment celui des seniors. Sur ces sujets, nous serons aussi exigeants avec le patronat pour les salariés du privé qu'avec l'Etat pour ses agents".
- M. Raffarin donne le sentiment de différer la réforme de l'assurance-maladie...
"Il faudra prendre des décisions, avant la fin 2003, pour résorber les 16 milliards d'euros de déficit cumulé, sans laisser une nouvelle ardoise aux jeunes générations par un allongement de la contribution au remboursement de la dette sociale. L'assurance-maladie a besoin de nouvelles recettes, pas de déremboursements. Ensuite, en 2004, il faudra engager une réforme structurelle qui permette d'éviter de nouveaux dérapages et de garantir à tous des soins de qualité. L'Etat doit fixer une politique et des priorités de santé publique. Les partenaires sociaux doivent les mettre en oeuvre en ayant réellement le pouvoir de gérer les caisses en lien avec les mutuelles".
- Quelles réponses faut-il apporter aux tensions sociales, notamment au malaise des enseignants ?
"Il faut, à coup sûr, ouvrir au plus vite le débat sur l'école. Le malaise des personnels de l'éducation nationale est profond. Et ce ne sont pas les quelques concessions du gouvernement sur la décentralisation qui vont régler les problèmes de fond. Tous les acteurs - y compris les syndicats d'enseignants - doivent redéfinir un projet pour l'école et les métiers de l'éducation de demain.
Pour le reste, je suis persuadé que l'on retiendra, de cette période de forte mobilisation, les avancées obtenues par la CFDT et avant tout, la pérennisation de la retraite par répartition. Je note aussi que, depuis le 15 mai, les salariés du privé ne se sont pas mobilisés. Et pour cause ! La réforme va améliorer leur situation".
- Dans quel état vos relations avec la CGT sortent-elles de ces semaines de conflit ?
"Je ne peux pas croire que nos deux années de travail en commun puissent passer par profits et pertes. Bernard Thibault a eu le sentiment d'avoir été abandonné en pleine mobilisation et moi, celui d'avoir été abandonné en pleine négociation. Des deux côtés, le sentiment d'abandon est aussi fort. A l'évidence, la CFDT et la CGT ont encore des approches différentes du syndicalisme. Mais nous sommes prêts à reprendre la discussion pour essayer de surmonter nos divergences. La CFDT, avec la CGC et la CFTC, a la culture du résultat. Une culture peu appréciée en France, où l'on a toujours préféré ceux qui ont les mains vides à ceux qui auraient les mains sales pour avoir soi-disant trahi en négociant".
- Mais vous avez donné le sentiment de vous être rallié précipitamment à la réforme...
"Depuis le départ, nous voulions éviter de nous faire imposer par le Parlement un autre système qui aurait fait le lit de la capitalisation. Nous souhaitions aussi "sécuriser" au maximum les acquis de la négociation avant le débat parlementaire. Le 15 mai au matin, après une nuit de négociation, j'ai compris que nous étions devant un blocage. J'ai alors fait mon travail de syndicaliste : j'ai téléphoné à Matignon et rencontré M. Raffarin dans la matinée, pendant une heure, pour lui expliquer les exigences de la CFDT. Dans l'après-midi, nous sommes revenus chez François Fillon et nous avons conclu à deux".
- On a parlé de trahison...
"Il n'y a là ni trahison ni capitulation. Sauver la répartition, c'était notre priorité. L'objectif est atteint. Nous avons obtenu de réelles avancées : droit à la retraite avant 60 ans pour les 300 000 salariés qui ont commencé à travailler avant 17 ans, remise en cause de la réforme Balladur pour les basses pensions. Les clauses de rendez-vous pour ajuster les paramètres de financement des régimes, les mécanismes de revalorisation des pensions et l'intégration partielle des primes des fonctionnaires nous ont aussi semblé importantes. Dans ces conditions, et au regard de nos objectifs, il fallait s'engager. Quand j'entends certains syndicalistes dire que nous signons à n'importe quel prix, cela me rappelle les critiques formulées par notre propre opposition qui n'a jamais accepté le virage du réformisme. Ce choix-là, nous continuerons de l'assumer pleinement, quel que soit le gouvernement en place".
- Le plan Fillon suppose le maintien dans l'emploi des seniors. N'est-ce pas hasardeux ?
"C'est un pari fort que nous devons assumer collectivement. Nous, c'est-à-dire gouvernement, patronat et syndicats. Le président du Medef a donné des signes de bonne volonté, mais il doit maintenant passer aux actes. Trop de négociations patinent aujourd'hui, comme celle sur la formation professionnelle. Le patronat se dit prêt à s'engager, mais il freine des quatre fers dès qu'on évoque les moyens supplémentaires".
- Qu'attendez-vous du gouvernement en matière d'emploi ?
"Le gouvernement attend tout du marché pour relancer la croissance. Pour avoir fait ce choix, que nous ne partageons pas, il a commis de nombreuses erreurs, comme la remise en cause du traitement social du chômage ou la baisse de charges sans contrepartie en emplois. Résultat : pour la première fois depuis 1996, l'emploi salarié a reculé. Je suis tout aussi sévère sur le dogme des baisses d'impôts, que nous avons dénoncé au début du quinquennat et que nous continuons à critiquer, car il sert davantage l'épargne que la croissance et l'emploi. Je critique aussi l'absence totale d'initiatives au niveau européen alors que c'est le niveau pertinent pour une relance efficace. Au total, le gouvernement n'a pas de politique de l'emploi".
(Source http://www.cfdt.fr, le 23 juin 2003)
La Croix .- Êtes vous d'accord avec le président de la République pour dire qu'il n'y a eu dans la réforme des retraites " ni vainqueur, ni vaincu " ?
François Chérèque.- " Moi, en tout cas, je ne me sens pas dans la position du vainqueur. Je suis simplement satisfait que nous ayons aujourd'hui une bonne réforme à présenter aux salariés. Même si je comprends aujourd'hui qu'il y ait de l'amertume parmi les salariés, en particulier des services publics, que d'autres ont entraîné dans des grèves et des manifestations pendant plusieurs semaines pour finalement ne rien obtenir. Alors je dis à ces salariés déçus : cette réforme a été faite pour vous et non pas contre vous. C'est une réforme qui vous concerne, vous comme les autres ".
- S'agit-il réellement d'une " bonne réforme " ou plutôt d'un texte de compromis ?
" Écoutez, ce n'est pas aujourd'hui que je vais changer d'avis. J'ai toujours dit, depuis la négociation du 15 mai dernier, que c'était un compromis acceptable. Ce qui veut dire qu'entre les intentions premières de l'actuelle majorité et les objectifs de la CFDT, nous avons atteint un équilibre positif, un compromis que je qualifie d'acceptable. C'est donc une bonne réforme.
- Cette réforme est-elle néanmoins perfectible ?
" Oui, bien sûr, comme tout compromis. Non seulement la réforme est perfectible, mais elle sera bel et bien améliorée. Un compromis, ce n'est pas un renoncement; c'est toujours une étape vers les objectifs qu'on s'est fixés. Et ces objectifs, sur les niveaux de pensions en particulier, sont toujours les nôtres. L'accord prévoit donc des étapes qui doivent permettre d'améliorer le système. Nous nous reverrons d'abord tous les 3 ans pour discuter du " coup de pouce " sur les retraites, et puis tous les cinq ans, pour réexaminer les paramètres du financement de la réforme, y compris la durée de cotisation et la CSG. Jusqu'à présent, nous n'avions pas ces rendez-vous réguliers ".
- Vous avez un regret ?
" On peut toujours avoir des regrets... Oui, le niveau des petites pensions nous préoccupe bien sûr. Mais il faut le lier au fait que le smic va augmenter de plus de 15 % en trois ans ce qui aura des effets sur le montant de ces pensions.
L'opposition continue de dire qu'il y avait une alternative à la réforme, en particulier en matière de financement...
Je note d'abord qu'il y a une évolution positive dans le discours de l'opposition, en particulier du Parti socialiste, puisque nous sommes passés d'une " réforme dangereuse remettant en cause les acquis sociaux " à " des acquis importants obtenus par la CFDT dont il faut améliorer le financement ". Cela étant, je veux dire à ceux qui nous adressent des critiques : nous avons fait un pari qui est celui de l'emploi; si nous ne réussissons pas ce pari, il faudra alors en effet prendre des décisions plus fortes en matière de financement, en particulier par la CSG. Quant à la pénibilité, il va y avoir des négociations : si on ne réussit pas non plus avec le Medef sur cette question, alors les politiques devront prendre leurs responsabilités. Autrement dit, tout reste ouvert. Maintenant, il faut se mobiliser pour l'emploi !
- Vous avez été choqué, blessé, par ces critiques ?
" Ce qui a blessé les militants de la CFDT au-delà de leur secrétaire général c'est qu'on les ait fait passer pour des traîtres alors qu'ils ont vraiment le sentiment d'avoir participé à une réforme gagnant-gagnant. Gagnant sur le maintien du système par répartition, ganant pour les salariés les plus modestes qui ont déserté les urnes en avril 2002 et gagnant sur la gestion collective du système. C'est pour toutes ces raisons que les critiques ont été difficiles à supporter ".
- Et Bernard Thibault acclamé au congrès du Parti socialiste...
-
" Ce n'est pas un problème ; c'est l'adjectif " dangereux " utilisé pour qualifier une réforme que nous avons approuvée qui en était un. "
- Vous avez eu l'occasion de vous en expliquer avec François Hollande ?
" Il nous a simplement proposé une rencontre sur la réforme des retraites. Alors je lui ai envoyé une lettre pour lui dire que nous étions prêts à discuter des retraites le jour où nous recevrions ses propositions. J'attends toujours. Je lui ai également demandé de mettre fin aux pratiques de certains responsables du Parti socialiste qui consistent à inviter des militants CFDT à quitter la confédération. Là non plus, pas de nouvelle ".
- La contestation interne est montée d'un cran. Vous inquiète-t-elle ?
" Non, je ne suis pas inquiet. Il y a quelques départs actuellement. Pour moi, c'est une forme de clarification. Ceux qui partent aujourd'hui sont ceux qui ont compris que la ligne réformiste de la confédération était désormais parfaitement acceptée par une très grande majorité de militants. Par contre, le débat continue sur la prise de décisions avec ceux et celles qui ont été surpris par la vitesse des évènements. C'est normal ".
- Avez-vous été déçu par la position de la CGT ?
" Nous nous avons fait le choix du recentrage en 1979. Et encore aujourd'hui, 24 ans après, on voit bien que cette position réformiste est encore discutée à la CFDT. Alors je ne vais pas reprocher à la CGT de ne pas avoir accompli en trois ans le chemin que nous avons fait en un quart de siècle ! Il faut laisser à tout le monde le temps de réfléchir et d'évoluer. En outre, je ne pense pas que tout le travail de préparation de cette réforme qui a été fait avec la CGT sera annulé à cause du désaccord sur la conclusion ".
- Vous avez parlé de " 21 avril syndical ". Qu'entendez-vous par là ?
" L'échec de la contestation de la réforme laissera des traces au niveau syndical. Il y a, je pense, un risque d'émiettement supplémentaire des organisations syndicales, d'une certaine forme de radicalité dans l'expression et de défiance vis à vis des centrales syndicales ".
- La méthode Raffarin pour conduire les réformes est-elle la bonne ? Officiellement, il ne s'agissait pas de négociations...
" Quand on a discuté dans la dernière nuit, on était dans une vraie négociation, et c'est la bonne méthode. Quand on demande aux uns ou aux autres de s'engager en échange d'avancées, moi j'appelle ça une négociation. Maintenant, comme cette méthode est à ma connaissance inédite entre un gouvernement et les partenaires sociaux, sauf en période de crise comme en 1968 avec les accords de Grenelle, elle n'est pas facile. On ne va donc pas demander à un événement qui arrive une fois tous les quarante ans d'être parfait dans la méthode du premier coup ".
- Qu'attendez-vous de la réforme de l'assurance maladie. Souhaitez-vous une augmentation de la CSG ?
" Face au déficit, il n'y a pas 36 solutions : soit on propose de nouvelles recettes, soit on procède à des déremboursements. Il n'est pas question pour la CFDT d'accepter des déremboursements. Le gouvernement nous a dit clairement qu'il ne souhaitait pas avoir recours à la CSG pour les retraites parce qu'il y avait le problème de l'assurance maladie, et bien maintenant on y est ! Et je saurai avoir de la mémoire ".
- Quel diagnostic faites-vous de la crise dans l'Éducation nationale ?
" Je pense que la crise dépasse le seul problème des retraites et de la décentralisation. Les enseignants sont découragés parce qu'ils ont le sentiment qu'on les rend responsables d'une partie des maux de la société et qu'on ne leur donne pas les moyens pour y répondre. Le gouvernement a enfin décidé de reprendre les choses dans le bon ordre, avec un grand débat sur l'école. Nous ferons des propositions. Il s'agit de voir comment on peut assurer aux jeunes un égal accès au savoir tout en leur proposant des parcours scolaires adaptées à leur situation personnelle pour réussir. C'est tout le débat autour du collège unique. La CFDT a su en son temps inventer les ZEP (zones d'éducation prioritaires), il me semble que l'on doit être capable aujourd'hui d'apporter de nouvelles réponses pour l'école ".
(Source http://www.cfdt.fr, le 30 juin 2003)
François Chérèque.- "Je ne vais pas faire de mesure particulière sur ce qui s'est passé hier. On voit bien qu'il y a encore une partie des salariés, des services publics en particulier, qui s'oppose à l'harmonisation des régimes de retraite du public et du privé. C'est leur droit. En particulier ceux qui ne sont pas concernés d'ailleurs, ce qui est toujours surprenant. Il y a toujours un abcès de fixation important à l'Éducation nationale. Le gouvernement vient de décider de reporter le débat sur son projet de décentralisation. Maintenant, il faut rentrer dans le débat sur l'avenir de l'école, l'avenir des métiers. Après, on verra le sujet de la décentralisation. Donc, l'essentiel, maintenant, c'est de mettre en uvre, d'une part, la réforme mais surtout de gagner le pari de l'emploi parce que cette réforme s'appuie surtout sur un pari de l'emploi".
- Alors, on va y venir mais si vous n'êtes pas officiellement satisfait, vous devez être quand même un peu soulagé parce que à supposer que la mobilisation se soit amplifiée, votre position, qui était quand même difficile depuis deux semaines, aurait été encore plus délicate aujourd'hui, non ?
"On a tellement fait de désinformation sur le contenu du texte de réforme que, après l'avoir expliqué, les salariés commencent à comprendre. On a réduit les inégalités entre le public et le privé, on a amélioré le système de retraite du privé, on a donné des contreparties réelles aux fonctionnaires sur l'harmonisation. Maintenant, il reste ceux qui sont en désaccord sur ce système d'harmonisation. Donc, maintenant qu'on est sur le contenu du texte, on a de quoi le défendre effectivement".
- Bernard Thibault, de la CGT, dit que être un syndicat réformiste, ce n'est pas signer a priori tout ce qui se présente. Il vous reproche, en fait, d'avoir signé un texte qu'il désapprouve toujours, totalement.
"Mais je suis tout à fait d'accord avec lui sur l'interprétation de dire " On ne signe pas n'importe quoi ". Qu'a fait la CFDT ? Permettre aux salariés qui ont commencé à travailler jeunes de partir avant 60 ans, améliorer les basses pensions, permettre à ceux qui veulent partir plus tôt d'avoir un malus qui passe de 10 à 5 % dans le privé, des contreparties des fonctionnaires sur l'intégration des primes, sur maintien des droits familiaux, des situations spéciales pour les enseignants, pour les personnels soignants. On peut continuer et faire la liste. La CFDT s'est fixée sur des résultats et c'est vraiment sur les résultats qu'on va être jugé et, là, je crois qu'on a de quoi, effectivement, débattre".
- Au sein même de la CFDT, il y a encore des fédérations qui sont dans l'action. Est-ce que vous tenez toujours la boutique ou est-ce que les forces centrifuges sont à l'oeuvre ?
"Les militants de la CFDT ont d'abord une difficulté de comprendre pourquoi ça a été aussi vite..."
- Oui, il n'y a pas qu'eux, c'est vrai.
"Et c'est une culture chez nous. Les militants de la CFDT veulent participer à la décision. Donc, là, on a un vrai débat qui s'engage avec eux, comment on peut anticiper ce type de décision et comment on peut, je dirais, travailler plus collectif mais, ça, c'est un débat qui est éternel à la CFDT et qu'il faut continuer à avoir, c'est celui de la démocratie. Maintenant, il reste des militants, vous l'avez dit, dans les transports..."
- La SNCF, en particulier.
"Qui sont en désaccord sur l'harmonisation des régimes public-privé, ils le restent et, ça, ils nous avaient prévenus avant".
- Le Parti socialiste ne vous a pas aidé beaucoup pendant cette période en demandant, notamment, le retrait du projet que vous veniez de signer au lendemain du congrès de Dijon. C'était un coup de poignard ?
"D'abord, François Hollande au congrès a dit que c'était un " projet dangereux " et Laurent Fabius qu'il fallait " l'attaquer frontalement ". Maintenant, ils disent qu'on a obtenu des améliorations substantielles ou intéressantes avec des verbes et des adjectifs positifs sur ce Et ils nous disent, maintenant, " On veut encore l'améliorer ". Ce qui veut dire que ce projet dangereux est un projet qui est utile et qu'ils fassent des propositions d'amélioration, il est souhaitable qu'ils les fassent aujourd'hui parce que, dans cinq ans, on va rediscuter de tous les paramètres, de la durée de cotisation : est-ce qu'on a fait 41 ans de cotisation ou on reste à 40 ans ? du niveau des cotisations, du financement. Tout ça va être rediscuté. Il est temps que, cette fois-ci, le Parti socialiste ne soit pas en retard et qu'il s'y mette dès aujourd'hui".
- Alors, il y a un reproche qui est fait au projet tel que vous l'avez signé, c'est le problème de son financement et certaines critiques d'ailleurs émanent aussi du Parti socialiste, en particulier de Dominique Strauss-Kahn qui dit qu'en gros, on a assuré un quart du financement du surcoût du projet tel qu'il se présente. Comment faire pour régler ce problème, c'est quand même fondamental ?
"Il n'y a qu'une solution et, là, la CFDT va être très précise et très exigeante vis-à-vis du gouvernement et du Medef, c'est l'emploi. On ne réussira ce projet de réforme des retraites que si on arrive à faire baisser le chômage. Alors, pour ça, il faut qu'enfin, le gouvernement ait une vraie politique de l'emploi, ce qui n'est pas le cas depuis un an et que le Medef accepte les exigences de la CFDT dans la négociation, entre autres, sur la formation professionnelle pour faire en sorte que les salariés aient une formation tout au long de leur carrière pour pouvoir réagir en cas de difficultés et sur les anticipations sur les licenciements. Donc, là, maintenant, il est important de rentrer concrètement et avec beaucoup d'exigence et de dynamisme dans une politique de lutte contre le chômage. C'est comme ça qu'on réussira, effectivement, cette réforme. Sinon, en 2008, il faudra, effectivement, augmenter les cotisations vraisemblablement si on n'arrive pas à gagner cette politique de l'emploi".
- Donc, votre prochain interlocuteur sur le sujet, c'est, d'abord et avant tout, le Medef, qu'on n'entend pas beaucoup ces derniers temps ?
"Oui puisque le Medef doit sortir de sa contradiction en disant " On allonge la durée de cotisation ". Nous, on dit " 40 ans de cotisation, oui, mais 40 ans de travail ". Donc, s'il veut, le Medef, que les salariés puissent travailler jusqu'à 40 ans, eh bien il faut qu'il leur offre un travail, une formation et c'est tout l'enjeu de ces négociations avec toute la détermination de la CFDT dans ces négociations, comme on l'a eue sur les retraites".
- Est-ce que le gouvernement est prêt à jouer le jeu de la parité, de la négociation paritaire dans ces dossiers ?
"Il nous a dit qu'il était prêt parce qu'il nous a laissé la formation continue et les anticipations des licenciements mais si on ne fait pas la preuve des partenaires sociaux, là aussi, et je fais appel aussi à mes camarades responsables syndicaux des autres centrales, c'est là aussi qu'il faudra faire l'unité syndicale pour obtenir du Medef des avancées sur ces sujets-là. Si on n'y arrive pas, une nouvelle fois, l'État décidera tout seul."
(Source http://www.cfdt.fr, le 10 juin 2003)
Claire GUELAUD.- Le premier ministre assure qu'il a fait "le choix de l'apaisement social". Qu'en pensez-vous ?
François CHEREQUE.- "Après une période de tension, l'apaisement est un choix responsable. Mais nous lui demandons plus que l'"apaisement social": la réforme des retraites prévoit d'ouvrir des négociations sur la pénibilité et de relever le défi de l'emploi, notamment celui des seniors. Sur ces sujets, nous serons aussi exigeants avec le patronat pour les salariés du privé qu'avec l'Etat pour ses agents".
- M. Raffarin donne le sentiment de différer la réforme de l'assurance-maladie...
"Il faudra prendre des décisions, avant la fin 2003, pour résorber les 16 milliards d'euros de déficit cumulé, sans laisser une nouvelle ardoise aux jeunes générations par un allongement de la contribution au remboursement de la dette sociale. L'assurance-maladie a besoin de nouvelles recettes, pas de déremboursements. Ensuite, en 2004, il faudra engager une réforme structurelle qui permette d'éviter de nouveaux dérapages et de garantir à tous des soins de qualité. L'Etat doit fixer une politique et des priorités de santé publique. Les partenaires sociaux doivent les mettre en oeuvre en ayant réellement le pouvoir de gérer les caisses en lien avec les mutuelles".
- Quelles réponses faut-il apporter aux tensions sociales, notamment au malaise des enseignants ?
"Il faut, à coup sûr, ouvrir au plus vite le débat sur l'école. Le malaise des personnels de l'éducation nationale est profond. Et ce ne sont pas les quelques concessions du gouvernement sur la décentralisation qui vont régler les problèmes de fond. Tous les acteurs - y compris les syndicats d'enseignants - doivent redéfinir un projet pour l'école et les métiers de l'éducation de demain.
Pour le reste, je suis persuadé que l'on retiendra, de cette période de forte mobilisation, les avancées obtenues par la CFDT et avant tout, la pérennisation de la retraite par répartition. Je note aussi que, depuis le 15 mai, les salariés du privé ne se sont pas mobilisés. Et pour cause ! La réforme va améliorer leur situation".
- Dans quel état vos relations avec la CGT sortent-elles de ces semaines de conflit ?
"Je ne peux pas croire que nos deux années de travail en commun puissent passer par profits et pertes. Bernard Thibault a eu le sentiment d'avoir été abandonné en pleine mobilisation et moi, celui d'avoir été abandonné en pleine négociation. Des deux côtés, le sentiment d'abandon est aussi fort. A l'évidence, la CFDT et la CGT ont encore des approches différentes du syndicalisme. Mais nous sommes prêts à reprendre la discussion pour essayer de surmonter nos divergences. La CFDT, avec la CGC et la CFTC, a la culture du résultat. Une culture peu appréciée en France, où l'on a toujours préféré ceux qui ont les mains vides à ceux qui auraient les mains sales pour avoir soi-disant trahi en négociant".
- Mais vous avez donné le sentiment de vous être rallié précipitamment à la réforme...
"Depuis le départ, nous voulions éviter de nous faire imposer par le Parlement un autre système qui aurait fait le lit de la capitalisation. Nous souhaitions aussi "sécuriser" au maximum les acquis de la négociation avant le débat parlementaire. Le 15 mai au matin, après une nuit de négociation, j'ai compris que nous étions devant un blocage. J'ai alors fait mon travail de syndicaliste : j'ai téléphoné à Matignon et rencontré M. Raffarin dans la matinée, pendant une heure, pour lui expliquer les exigences de la CFDT. Dans l'après-midi, nous sommes revenus chez François Fillon et nous avons conclu à deux".
- On a parlé de trahison...
"Il n'y a là ni trahison ni capitulation. Sauver la répartition, c'était notre priorité. L'objectif est atteint. Nous avons obtenu de réelles avancées : droit à la retraite avant 60 ans pour les 300 000 salariés qui ont commencé à travailler avant 17 ans, remise en cause de la réforme Balladur pour les basses pensions. Les clauses de rendez-vous pour ajuster les paramètres de financement des régimes, les mécanismes de revalorisation des pensions et l'intégration partielle des primes des fonctionnaires nous ont aussi semblé importantes. Dans ces conditions, et au regard de nos objectifs, il fallait s'engager. Quand j'entends certains syndicalistes dire que nous signons à n'importe quel prix, cela me rappelle les critiques formulées par notre propre opposition qui n'a jamais accepté le virage du réformisme. Ce choix-là, nous continuerons de l'assumer pleinement, quel que soit le gouvernement en place".
- Le plan Fillon suppose le maintien dans l'emploi des seniors. N'est-ce pas hasardeux ?
"C'est un pari fort que nous devons assumer collectivement. Nous, c'est-à-dire gouvernement, patronat et syndicats. Le président du Medef a donné des signes de bonne volonté, mais il doit maintenant passer aux actes. Trop de négociations patinent aujourd'hui, comme celle sur la formation professionnelle. Le patronat se dit prêt à s'engager, mais il freine des quatre fers dès qu'on évoque les moyens supplémentaires".
- Qu'attendez-vous du gouvernement en matière d'emploi ?
"Le gouvernement attend tout du marché pour relancer la croissance. Pour avoir fait ce choix, que nous ne partageons pas, il a commis de nombreuses erreurs, comme la remise en cause du traitement social du chômage ou la baisse de charges sans contrepartie en emplois. Résultat : pour la première fois depuis 1996, l'emploi salarié a reculé. Je suis tout aussi sévère sur le dogme des baisses d'impôts, que nous avons dénoncé au début du quinquennat et que nous continuons à critiquer, car il sert davantage l'épargne que la croissance et l'emploi. Je critique aussi l'absence totale d'initiatives au niveau européen alors que c'est le niveau pertinent pour une relance efficace. Au total, le gouvernement n'a pas de politique de l'emploi".
(Source http://www.cfdt.fr, le 23 juin 2003)
La Croix .- Êtes vous d'accord avec le président de la République pour dire qu'il n'y a eu dans la réforme des retraites " ni vainqueur, ni vaincu " ?
François Chérèque.- " Moi, en tout cas, je ne me sens pas dans la position du vainqueur. Je suis simplement satisfait que nous ayons aujourd'hui une bonne réforme à présenter aux salariés. Même si je comprends aujourd'hui qu'il y ait de l'amertume parmi les salariés, en particulier des services publics, que d'autres ont entraîné dans des grèves et des manifestations pendant plusieurs semaines pour finalement ne rien obtenir. Alors je dis à ces salariés déçus : cette réforme a été faite pour vous et non pas contre vous. C'est une réforme qui vous concerne, vous comme les autres ".
- S'agit-il réellement d'une " bonne réforme " ou plutôt d'un texte de compromis ?
" Écoutez, ce n'est pas aujourd'hui que je vais changer d'avis. J'ai toujours dit, depuis la négociation du 15 mai dernier, que c'était un compromis acceptable. Ce qui veut dire qu'entre les intentions premières de l'actuelle majorité et les objectifs de la CFDT, nous avons atteint un équilibre positif, un compromis que je qualifie d'acceptable. C'est donc une bonne réforme.
- Cette réforme est-elle néanmoins perfectible ?
" Oui, bien sûr, comme tout compromis. Non seulement la réforme est perfectible, mais elle sera bel et bien améliorée. Un compromis, ce n'est pas un renoncement; c'est toujours une étape vers les objectifs qu'on s'est fixés. Et ces objectifs, sur les niveaux de pensions en particulier, sont toujours les nôtres. L'accord prévoit donc des étapes qui doivent permettre d'améliorer le système. Nous nous reverrons d'abord tous les 3 ans pour discuter du " coup de pouce " sur les retraites, et puis tous les cinq ans, pour réexaminer les paramètres du financement de la réforme, y compris la durée de cotisation et la CSG. Jusqu'à présent, nous n'avions pas ces rendez-vous réguliers ".
- Vous avez un regret ?
" On peut toujours avoir des regrets... Oui, le niveau des petites pensions nous préoccupe bien sûr. Mais il faut le lier au fait que le smic va augmenter de plus de 15 % en trois ans ce qui aura des effets sur le montant de ces pensions.
L'opposition continue de dire qu'il y avait une alternative à la réforme, en particulier en matière de financement...
Je note d'abord qu'il y a une évolution positive dans le discours de l'opposition, en particulier du Parti socialiste, puisque nous sommes passés d'une " réforme dangereuse remettant en cause les acquis sociaux " à " des acquis importants obtenus par la CFDT dont il faut améliorer le financement ". Cela étant, je veux dire à ceux qui nous adressent des critiques : nous avons fait un pari qui est celui de l'emploi; si nous ne réussissons pas ce pari, il faudra alors en effet prendre des décisions plus fortes en matière de financement, en particulier par la CSG. Quant à la pénibilité, il va y avoir des négociations : si on ne réussit pas non plus avec le Medef sur cette question, alors les politiques devront prendre leurs responsabilités. Autrement dit, tout reste ouvert. Maintenant, il faut se mobiliser pour l'emploi !
- Vous avez été choqué, blessé, par ces critiques ?
" Ce qui a blessé les militants de la CFDT au-delà de leur secrétaire général c'est qu'on les ait fait passer pour des traîtres alors qu'ils ont vraiment le sentiment d'avoir participé à une réforme gagnant-gagnant. Gagnant sur le maintien du système par répartition, ganant pour les salariés les plus modestes qui ont déserté les urnes en avril 2002 et gagnant sur la gestion collective du système. C'est pour toutes ces raisons que les critiques ont été difficiles à supporter ".
- Et Bernard Thibault acclamé au congrès du Parti socialiste...
-
" Ce n'est pas un problème ; c'est l'adjectif " dangereux " utilisé pour qualifier une réforme que nous avons approuvée qui en était un. "
- Vous avez eu l'occasion de vous en expliquer avec François Hollande ?
" Il nous a simplement proposé une rencontre sur la réforme des retraites. Alors je lui ai envoyé une lettre pour lui dire que nous étions prêts à discuter des retraites le jour où nous recevrions ses propositions. J'attends toujours. Je lui ai également demandé de mettre fin aux pratiques de certains responsables du Parti socialiste qui consistent à inviter des militants CFDT à quitter la confédération. Là non plus, pas de nouvelle ".
- La contestation interne est montée d'un cran. Vous inquiète-t-elle ?
" Non, je ne suis pas inquiet. Il y a quelques départs actuellement. Pour moi, c'est une forme de clarification. Ceux qui partent aujourd'hui sont ceux qui ont compris que la ligne réformiste de la confédération était désormais parfaitement acceptée par une très grande majorité de militants. Par contre, le débat continue sur la prise de décisions avec ceux et celles qui ont été surpris par la vitesse des évènements. C'est normal ".
- Avez-vous été déçu par la position de la CGT ?
" Nous nous avons fait le choix du recentrage en 1979. Et encore aujourd'hui, 24 ans après, on voit bien que cette position réformiste est encore discutée à la CFDT. Alors je ne vais pas reprocher à la CGT de ne pas avoir accompli en trois ans le chemin que nous avons fait en un quart de siècle ! Il faut laisser à tout le monde le temps de réfléchir et d'évoluer. En outre, je ne pense pas que tout le travail de préparation de cette réforme qui a été fait avec la CGT sera annulé à cause du désaccord sur la conclusion ".
- Vous avez parlé de " 21 avril syndical ". Qu'entendez-vous par là ?
" L'échec de la contestation de la réforme laissera des traces au niveau syndical. Il y a, je pense, un risque d'émiettement supplémentaire des organisations syndicales, d'une certaine forme de radicalité dans l'expression et de défiance vis à vis des centrales syndicales ".
- La méthode Raffarin pour conduire les réformes est-elle la bonne ? Officiellement, il ne s'agissait pas de négociations...
" Quand on a discuté dans la dernière nuit, on était dans une vraie négociation, et c'est la bonne méthode. Quand on demande aux uns ou aux autres de s'engager en échange d'avancées, moi j'appelle ça une négociation. Maintenant, comme cette méthode est à ma connaissance inédite entre un gouvernement et les partenaires sociaux, sauf en période de crise comme en 1968 avec les accords de Grenelle, elle n'est pas facile. On ne va donc pas demander à un événement qui arrive une fois tous les quarante ans d'être parfait dans la méthode du premier coup ".
- Qu'attendez-vous de la réforme de l'assurance maladie. Souhaitez-vous une augmentation de la CSG ?
" Face au déficit, il n'y a pas 36 solutions : soit on propose de nouvelles recettes, soit on procède à des déremboursements. Il n'est pas question pour la CFDT d'accepter des déremboursements. Le gouvernement nous a dit clairement qu'il ne souhaitait pas avoir recours à la CSG pour les retraites parce qu'il y avait le problème de l'assurance maladie, et bien maintenant on y est ! Et je saurai avoir de la mémoire ".
- Quel diagnostic faites-vous de la crise dans l'Éducation nationale ?
" Je pense que la crise dépasse le seul problème des retraites et de la décentralisation. Les enseignants sont découragés parce qu'ils ont le sentiment qu'on les rend responsables d'une partie des maux de la société et qu'on ne leur donne pas les moyens pour y répondre. Le gouvernement a enfin décidé de reprendre les choses dans le bon ordre, avec un grand débat sur l'école. Nous ferons des propositions. Il s'agit de voir comment on peut assurer aux jeunes un égal accès au savoir tout en leur proposant des parcours scolaires adaptées à leur situation personnelle pour réussir. C'est tout le débat autour du collège unique. La CFDT a su en son temps inventer les ZEP (zones d'éducation prioritaires), il me semble que l'on doit être capable aujourd'hui d'apporter de nouvelles réponses pour l'école ".
(Source http://www.cfdt.fr, le 30 juin 2003)