Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le rôle du Conseil de l'Europe dans la réunification européenne et sur la réforme de son fonctionnement, Paris le 1er décembre 1999.

Prononcé le 1er décembre 1999

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Circonstance : Colloque "Le Conseil de l'Europe, naissance d'une conscience européenne", à Paris le 1er décembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de m'avoir invité à clôturer la première partie de ce colloque consacré au Conseil de l'Europe, "Naissance d'une conscience européenne". Je tiens à saluer tout particulièrement Josette Durrieu, présidente de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, pour cette initiative tout à fait opportune et qui se réunit ici au Sénat.
Cette année est celle du 50ème anniversaire du Conseil de l'Europe, qui a fait l'objet de célébrations organisées à Strasbourg, Londres et Budapest, il y a quelques mois et très précisément à la date-anniversaire exacte de la création, le 5 mai 1949, du Conseil de l'Europe. Je me suis moi-même rendu à Budapest à cette occasion où j'ai pu d'ailleurs signer la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mais surtout, j'ai pu y constater la volonté unanime des dirigeants européens, de l'Union européenne comme d'Europe centrale et orientale, de participer activement à ce que l'on pourrait appeler "la deuxième jeunesse" du Conseil de l'Europe.
La délégation parlementaire française, en tant que délégation du pays hôte, a souhaité, à son tour, commémorer le cinquantième anniversaire de cette organisation, non seulement pour en dresser un bilan, mais aussi et surtout pour dégager des pistes de réflexion et d'action pour l'avenir.
De la même façon, et avec la même volonté politique forte, c'est l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui avait pris l'initiative de proposer à la France, en 1997, d'organiser un deuxième Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, au moment où notre pays exerçait la présidence de l'Organisation.
Il lui avait paru opportun de donner un nouvel élan à l'action du Conseil de l'Europe, alors que la fin de la guerre froide, marqué par l'élargissement de l'organisation, lui conférait une dimension paneuropéenne nouvelle et qu'il convenait de redéfinir ses objectifs en conséquence.
Le Conseil de l'Europe, rappelons-le, a été conçu au lendemain de la seconde guerre mondiale pour fixer les règles destinées à ancrer la démocratie en Europe sur des bases solides. L'élargissement de son assise géographique à l'échelle du continent, qui est intervenu après les événements de 1989, a renouvelé pour lui l'obligation de relever le défi de la démocratisation. C'est dans ce contexte que le Sommet de Strasbourg qui, pour la première fois, réunissait la grande famille européenne, a fourni l'occasion de rappeler les principes et valeurs - renforcement de la démocratie par le respect des Droits de l'Homme, de l'Etat de droit, la cohésion sociale, la cohésion culturelle - qui fondent l'identité européenne et sur lesquels il convient de s'appuyer pour construire l'avenir du continent.
C'est bien en cela que le Conseil de l'Europe peut apporter, selon moi, une contribution déterminante au grand projet du siècle prochain, c'est-à-dire la réunification de notre continent, dans la démocratie et la paix. C'est également en cela, pour reprendre le thème de votre colloque, que le Conseil peut participer à la naissance d'une conscience européenne en même temps qu'il en est lui-même une des manifestations.
Je souhaiterais d'abord revenir sur ce thème, avant d'évoquer quelques pistes pour l'action future du Conseil de l'Europe, tout en tenant compte des quelques contraintes que nous connaissons.
Vous le savez, les interrogations sur le sens de la construction européenne, et donc notre identité, se multiplient aujourd'hui. Elles tiennent notamment aux ruptures qui sont intervenues au cours de cette dernière décennie - ruptures créatrices, je le dis tout de suite - et en particulier à la chute du mur, qui a rendu possible la perspective d'une Europe réunifiée et, dans un autre registre, l'Union économique et monétaire - l'euro - qui marque autant l'aboutissement d'une phase de la construction européenne démarrée dans les années cinquante que la nécessité de passer à une autre étape, plus politique, de l'Europe.
Or, il me paraît justement que nous avons besoin, dans cette période charnière, de tout ce qui peut nous faire évoluer d'une simple identité européenne commune
- entendue comme le sentiment d'appartenir à une entité qui dépasse notre cadre naturel, qu'il soit national ou régional - à une véritable conscience européenne, c'est-à-dire à la nécessité ressentie par chacun de nous de faire l'Europe.
Pour moi, cette conscience prend naissance dans deux mouvements historiques au confluent desquels se trouve justement le Conseil de l'Europe: la volonté de paix sur le continent, apparue après la première guerre mondiale - sans succès dans un premier temps - et l'exigence démocratique, qui domine les lendemains de la seconde guerre mondiale.
C'est bien autour de ces deux piliers - paix et démocratie - que nous entendons construire l'Europe de demain, dans laquelle les citoyens élisent (je souhaiterais qu'ils le fassent avec plus d'enthousiasme) leurs députés européens et acceptent ou refusent, par référendum, les traités, une Europe qui ne peut plus se faire sans le consentement et l'adhésion des peuples. Aussi avons-nous le devoir, nous autres responsables politiques, de faire vivre et de renforcer encore, la conscience européenne de nos concitoyens.
C'est en tout cas dans ce sens que nous avons souhaité réorienter la construction européenne, en parfait accord avec la plupart de nos partenaires, qui ressentent la même nécessité. Ce sera, dans quelques jours, l'enjeu du Conseil européen d'Helsinki
Il s'agit d'abord de réussir la réunification du continent. La France a toujours considéré que la vocation des institutions européennes, qu'il s'agisse du Conseil de l'Europe, dès 1949, ou de la Communauté, puis de l'Union européenne, était de rassembler l'ensemble des pays et des peuples du continent. La construction européenne, telle que nous l'avons connue jusqu'à ces dernières années n'était au fond que la résultante de la division de l'Europe due à la guerre froide. Elle n'a jamais été - je tiens à le dire - le produit de je ne sais quelle conception élitiste, réservée à la moitié occidentale de notre continent.
Le Conseil de l'Europe, en accueillant dès le début des années quatre-vingt dix nos voisins d'Europe centrale et orientale bien représentés ici, aujourd'hui, a montré la voie, celle qui nous conduira, d'ici quelques années ou dizaines d'années, à une nouvelle Union européenne, qui pourrait compter une trentaine d'Etats membres, voire plus (je n'irai pas, pour ma part, jusqu'à la quarantaine, mais le débat est ouvert).
Il s'agit ensuite de bâtir une véritable Europe citoyenne à laquelle chacun puisse s'identifier, dont il puisse se sentir acteur. L'indifférence mesurée lors des dernières élections au Parlement européen - même si elle a des causes complexes, et variables selon chaque pays - a montré l'ampleur du sentiment "d'étrangeté" que ressentent encore nombre de nos concitoyens face au phénomène européen. Et nous avons là, en tant que responsables politiques, le devoir d'y répondre.
La construction européenne ne peut plus être l'oeuvre de quelques uns pour quelques autres. Elle doit désormais reposer sur le sentiment communément partagé par les citoyens d'un progrès possible grâce à l'Europe. Aucune avancée, je l'ai dit, ne se fera en Europe sans l'adhésion des peuples.
C'est pourquoi, les énergies de tous seront nécessaires si l'on veut ainsi faire progresser la conscience européenne ; le Conseil de l'Europe, par son rôle de laboratoire de l'Europe unie et démocratique, par la force intégratrice que représente notamment la Cour européenne des Droits de l'Homme, par son souci d'associer les pouvoirs locaux à son action, doit y prendre une place active.
Ceci m'amène à évoquer maintenant quelques pistes d'action pour que, justement, le Conseil de l'Europe puisse être pleinement en mesure de jouer ce rôle à l'avenir.
Je l'ai évoqué, le Sommet de Strasbourg a tracé des axes d'action prioritaire, dans les domaines des Droits de l'Homme, de la cohésion démocratique et de la sécurité du citoyen, de la cohésion sociale et de la qualité de la vie et, enfin, de la cohésion culturelle et du pluralisme des cultures.
Il s'agit maintenant que le Conseil puisse se concentrer sur ces actions car, nous le savons tous, il ne peut être question de faire tout et partout. D'abord, pour une question de moyens (je m'en entretenais justement, il y a un instant, avec le président Russell-Johnston), ensuite parce qu'il convient de s'en tenir à ce qui relève de la vocation propre du Conseil de l'Europe sans aller empiéter sur des terrains qui ne sont pas de sa compétence. Nous devons avoir à l'esprit cette architecture d'ensemble qui s'articule autour de plusieurs organisations qui doivent coopérer.
Les moyens, précisément. Je connais la revendication récurrente dont, Mesdames et Messieurs les parlementaires, vous vous faites légitimement l'écho : le Conseil de l'Europe ne disposerait pas d'un budget suffisant pour financer ses activités et mettre en oeuvre les priorités du 2ème sommet.
Je comprends cette préoccupation mais je sais aussi - et je tiens à le souligner ici
- que les orientations fixées par le Sommet ne consistent pas à augmenter le budget parallèlement à une augmentation des activités. Vous n'ignorez pas qu'une progression considérable du budget s'est faite ces dernières années - il est passé de 432 MF en 1989 à plus d'un milliard pour l'année 2000 - du fait de l'arrivée des nouvelles démocraties.
Mais alors que la quasi totalité des pays démocratiques du continent a maintenant rejoint l'Organisation, il n'y a pas de raison de poursuivre l'accroissement budgétaire en tout cas à ce rythme exponentiel. Ce serait une escalade dangereuse et injustifiée. Aucun de nos principaux partenaires figurant, comme nous, parmi les grands contributeurs de l'Organisation - je vous rappelle que la contribution de la France représente 13 % du budget ordinaire - n'est disposé à enfreindre la règle de la croissance zéro que nous avons décidé d'adopter. C'est, tout au contraire, je le crois, en restant à l'intérieur d'une enveloppe budgétaire à peu près constante que le Conseil doit recentrer les activités autour des axes prioritaires qu'il a lui-même définis.
C'est ainsi que la réforme, qui se met actuellement en place doit être comprise et appliquée. Elle doit s'attacher à rationaliser les activités, restructurer le dispositif, redéployer les moyens, y compris humains, dans la direction indiquée par le Sommet. Je crois que c'est tout simplement la condition de l'efficacité de l'Institution.
Ce travail, difficile j'en conviens, car il exige rigueur de conception et d'exécution d'action, ne se fera pas sans comporter des choix : il faudra certainement se résigner à accepter de limiter, voire de supprimer certaines activités. Pour cela, il conviendra, bien entendu, d'opérer avec discernement. Mais ce réaménagement esindispensable si l'on veut que le rôle du Conseil de l'Europe ne se banalise pas.
Je suis également convaincu de la nécessité pour le Conseil de l'Europe, une fois son rôle et sa place précisément délimités, de renforcer ses relations avec les autres institutions, telles que l'Union européenne et l'OSCE. Avec les Quinze, la mise en oeuvre de programmes communs doit tendre, en combinant l'expertise du Conseil de l'Europe et les moyens, indéniablement plus importants, dont dispose l'Union, à faciliter le développement global et harmonieux du continent et notamment de celles des nouvelles démocraties qui sont appelées à rejoindre l'Union. J'ai bon espoir qu'à Helsinki, le Conseil européen décide l'ouverture des négociations avec les six candidats de la seconde vague et je saluerai l'arrivée de la Roumanie et de la Bulgarie dans ces négociations. A l'occasion du Sommet franco-allemand, hier, le président de la République et le Premier ministre l'ont redit tout en soulignant la nécessité de respecter les exigences posées pour l'adhésion. Le rapprochement du Conseil de l'Europe est également souhaitable avec l'OSCE, car la paix et la sécurité ne sauraient être décrétées en Europe sans être étayées sur des fondements démocratiques qu'il appartient au Conseil de l'Europe de fortifier.
Cette action en profondeur du Conseil de l'Europe présente sans doute l'inconvénient de ne pas être très médiatique : c'est pourquoi on a un peu tendance à lui prêter une moindre attention. C'est pourquoi aussi il nous incombe, à nous, les gouvernements des Etats membres, mais aussi à vous, Mesdames et Messieurs les membres de l'Assemblée parlementaire, dont le rôle d'impulsion est essentiel, de veiller ensemble à observer les règles du jeu que je viens de rappeler, de manière à ce que le Conseil de l'Europe puisse aborder le 21ème siècle avec toute l'efficacité nécessaire.
Mesdames et Messieurs, l'universitaire Paul Hazard a écrit, en conclusion de son ouvrage sur la conscience européenne: "Qu'est-ce que l'Europe ?" : "Une pensée qui ne se contente jamais." Je souhaite, en renouvelant toute mon appréciation pour l'oeuvre accomplie par le Conseil de l'Europe, qu'il poursuive son ambition au siècle prochain, sans jamais s'en contenter, pour le bien de l'Europe ! Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 décembre 1999)