Point de presse de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, et entretien avec RFI, sur la position de l'Union européenne et de la France à l'égard des questions liées à la situation au Kosovo, en Irak et au Proche-Orient, Tullamore (Irlande) le 17 avril 2004.

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Circonstance : Réunion informelle (Gymnich) des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne, à Tullamore (Irlande) les 16 et 17 février 2004

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

(Point de presse, à Tullamore le 17 avril 2004) :
Merci beaucoup de votre présidence. Je voudrais d'abord dire que la présidence irlandaise a bien préparé ce Gymnich par des documents de qualité. C'était la première fois que je participais à une telle rencontre informelle, plus exactement la deuxième parce que, dans une précédente période, j'avais été invité comme Commissaire à un Gymnich consacré aux questions institutionnelles. Mais, ce qui m'a frappé d'abord, c'est la très grande cordialité des rapports dans une réunion simple, dont les participants ne sont pas trop nombreux, en particulier avec nos nouveaux collègues qui entrent dans l'Union dans quelques jours. Ce qui m'a frappé aussi, c'est dans l'actualité qui nous entoure, et même au sein de l'Union, un sentiment de gravité. Tous ensemble, nous mesurons l'exigence à l'égard de l'Union européenne à laquelle nous appelle la situation internationale.
Je vais balayer rapidement les différents points que nous avons évoqués. D'abord, hier, au déjeuner, le Kosovo. Ma conviction, c'est que la stabilisation du Kosovo est une sorte de test pour l'Union européenne. C'est une situation issue de l'explosion dans les Balkans il y a une quinzaine d'années, face à laquelle, à l'époque, l'Europe a été impuissante et désunie, avec des conséquences tragiques : plus de 200.000 morts.
Nous avons tiré des leçons en termes de gestion de crises, en termes d'organisation pour l'Union. Je vous rappelle que c'est à partir de cette crise-là qu'a été créé le poste qu'occupe actuellement M. Solana. Je pense que pour l'Union, c'est parce que cette crise du Kosovo se situe sur le territoire européen, que nous avons une responsabilité particulière. J'ai notamment réaffirmé la ligne qui est la nôtre, qui peut être résumée en disant "les normes avant le statut" - encore faut-il réussir la mise en oeuvre des normes de manière opérationnelle et pour nous, cela veut dire peut-être une implication, un renforcement de la présence internationale au Kosovo. Nous avons d'abord un problème de sécurité au Kosovo. La France prend sa part - elle est importante - au maintien de la sécurité puisque, vous le savez, nous allons prendre le commandement de la KFOR à l'automne prochain et nous avons aussi renforcé dans cette perspective nos effectifs qui représentent près de 2.900 hommes. Nous avons appelé d'ailleurs les autres nations contributrices à prendre elles aussi leurs responsabilités.
Les deux grands sujets de discussion ont été l'Irak et le Proche-Orient. Parmi d'autres, à propos de l'Irak, dans ma première intervention, j'ai souhaité qu'on regarde devant nous et non pas derrière. Si on regarde derrière, on constate des analyses différentes et vous connaissez celle qu'ont faites depuis le premier jour de cette crise le président de la République et le gouvernement français. On voit donc une division des Européens. Il faut être constructif et c'est notre état d'esprit. Nous voulons regarder devant nous, constater une situation qui s'aggrave, qui se détériore sur le terrain, avec une spirale de violence, de la sauvagerie qui est inacceptable, inqualifiable, qui touche la population civile irakienne et étrangère, qui n'épargne même pas des lieux symboliques de l'Islam, donc une vraie dégradation, une spirale de violence. Et on voit aussi qu'à travers cette situation en Irak, plus largement et au-delà, c'est notre sécurité à tous qui est en cause en même temps que la crédibilité des Nations unies. Encore une fois, il faut regarder devant nous, tout de suite, et comment sortir de cette spirale de violence.
J'ai dit la conviction de la France que nous n'en sortirions qu'en offrant une véritable perspective politique aux Irakiens, en leur rendant leur souveraineté sur leur propre pays. Voilà la seule perspective politique qui peut permettre d'atténuer cette violence et de rétablir une forme de stabilité.
L'étape du 30 juin doit être, de notre point de vue, maintenue. Elle marque une rupture qui est attendue et nécessaire à la fois pour les Irakiens et pour la communauté internationale ; maintenir l'étape du 30 juin, c'est une chose, la réussir en est une autre. Il faut la maintenir et la réussir et donc bien préparer cette étape, mieux préparer cette étape, pour assurer un transfert rapide, complet, sincère de la souveraineté de l'Irak aux Irakiens et la mise en place d'institutions qui soient sincèrement et réellement représentatives, légitimes et responsables. Il faut pour cela avoir un processus politique consensuel et inclusif et sans doute, pour bien préparer cette étape ou mieux la préparer, s'assurer que toutes les forces irakiennes autour de la même table puissent vérifier les conditions de ce transfert de souveraineté. Ce sont elles, les forces politiques irakiennes, qui donneront à ce transfert de souveraineté, à ce nouveau gouvernement représentatif, sa légitimité et sa crédibilité. La légitimité de ce gouvernement ne peut pas être décrétée de l'extérieur. J'ai recommandé que l'on prenne la précaution, pour réussir cette étape du 30 juin, d'écouter et d'associer l'ensemble des forces politiques irakiennes.
Et c'est en appui à ce processus qu'une nouvelle résolution des Nations unies sera utile avant le 30 juin. Et pour que ce ne soit pas une résolution de plus, pour que ce soit pas une résolution utile et traduite dans les faits, je redis qu'il faut prendre certaines précautions. Dans cet esprit et dans ces conditions, une résolution sera utile pour, à la fois, politiquement marquer une rupture - voilà la première utilité politique - et techniquement régler les questions qui sont posées par la fin du régime d'occupation. Une fois cette première étape réussie, nous savons qu'il y en aura d'autres et notamment la préparation des élections ; probablement une deuxième étape et peut-être une conférence plus large, comme celle qu'a évoquée M. Brahimi, sera nécessaire pour consolider ce processus. Voilà notre sentiment sur la question irakienne.
Je voudrais maintenant évoquer le deuxième grand sujet que nous avons traité hier et ce matin, celui du Proche-Orient. Nos échanges ont naturellement porté sur le plan de retrait israélien de Gaza qui a été avalisé par Washington. J'ai redit notre conviction. Le président de la République française a dit très clairement à Alger avant hier que tout retrait d'une partie des territoires occupés peut constituer en lui-même, objectivement, une mesure positive, pour autant qu'il satisfasse un certain nombre de conditions telles que le dernier Conseil européen les a rappelées et que, dans le document écrit que la présidence irlandaise vous a probablement remis, nous avons été unanimes, ce matin, à rappeler.
Je cite quelques-unes de ces conditions : ce retrait est une étape de la Feuille de route. Elle ne se substitue pas à la Feuille de route. Nous avons été unanimes pour rappeler qu'il n'y avait d'alternative à cette Feuille de route. C'est la seule vision, la seule perspective politique de deux États vivant côte-à-côte, et le cheminement pour y parvenir, même si je reconnais, pour le regretter, que la mise en oeuvre de la Feuille de route a pris beaucoup de retard. C'est la seule alternative agrée par les deux parties et appuyée par la communauté internationale.
L'une des autres conditions sur laquelle j'ai insisté hier et aujourd'hui - et nous avons obtenu que cela soit rappelé - c'est que la seule méthode pour réussir est la concertation, la négociation. Dans mon intervention d'hier, j'ai aussi rappelé que pour être un élément utile et positif, le retrait de la bande de Gaza devait être réussi. Et encore, on ne décrète pas le retrait comme si cela suffisait. Il faut le mettre en oeuvre. J'ai listé assez précisément toutes les conditions qui doivent être réunies, mises en oeuvre en même temps pour obtenir la réussite de ce processus de retrait. A quelle date ? Selon quelles modalités Israël va se retirer ? A quelle date et selon quelles modalités l'Autorité palestinienne va prendre le contrôle de Gaza ? Le statut final, les frontières, les réfugiés ? Un point important, la vie économique à Gaza. Est-ce que le retrait, qui est un point positif, cela veut dire la fermeture de Gaza ? Comment accèdera-t-on à Gaza depuis la Cisjordanie, par le Jourdain ou par l'Égypte ? Quels seront les éléments de développement économique ? Je pense que l'Union européenne a des raisons de poser cette question puisqu'elle a longuement financé notamment les services publics qu'il faut maintenant reconstruire. J'ai insisté sur toutes ces conditions pour mettre en uvre correctement ce retrait. Encore une fois, le point principal de mon intervention a été de dire que toutes ces questions doivent trouver une réponse par la négociation qui reste la seule méthode. Aucune paix durable ne peut reposer sur des mesures imposées unilatéralement surtout si elles visent à modifier les principes établis pour le règlement du conflit et, comme l'a dit le président Chirac à Alger, on ne peut pas remettre en cause le droit international.
Cette communauté internationale a un outil pour faire le point maintenant, c'est celui du Quartet. Le Quartet, ce n'est pas un solo. Nous attachons du prix à ce que, dans cette formation à quatre partenaires et en concertation, en négociation avec ceux qui sont sur le terrain dans la confrontation, on puisse refaire le point. Voilà le fond de ma conviction et de mon intervention sur ces deux grands sujets graves d'actualité que sont le Proche-Orient et l'Irak. La stabilité et la paix, dans cette région, exigent la négociation avec les pays de la région et s'agissant du Proche-Orient, exigent la négociation avec les Palestiniens. Et j'ai ajouté une autre chose, c'est que la paix et la stabilité ne seront gagnées que si on respecte les Européens aussi comme des partenaires : la négociation avec les pays de la région, la négociation avec les Palestiniens et le respect des Européens comme des partenaires.
Nous avons dit quelques mots aussi de la stratégie pour la Méditerranée et le Proche-Orient. Très rapidement, nous en parlerons au G8 et au Sommet de la Ligue arabe, au Sommet d'Istanbul. Il y a beaucoup de rendez-vous où l'on va étudier cette question du Grand Moyen-Orient et du processus de Barcelone. J'ai eu l'occasion de vous dire, mais surtout je l'avais dit à Bruxelles au cours du premier Conseil de l'OTAN, que toutes ces idées doivent quand même être précédées de précautions, notamment d'une écoute des pays de la région. Je souhaite aussi que l'on renforce, nous, Européens, le processus de Barcelone et que cette stratégie européenne soit bien comprise. C'est vrai dans ce domaine comme dans d'autres dont je me suis occupé, comme la défense, une défense autonome et complémentaire. Naturellement, puisqu'on parle du Grand Moyen-Orient, et qu'on a beaucoup utilisé le mot "crédibilité" tout au long de cette journée, il faut rappeler que la crédibilité est un processus qui passe également, c'est le moins que l'on puisse dire, par le règlement du conflit israélo-palestinien.
Voilà en quelques mots ce que je peux vous dire pour vous donner mon propre sentiment sur les grands sujets que nous avons évoqués aujourd'hui.
Q - (Sur la situation en Irak)
R - Stabiliser est une chose, reconstruire en est une autre. La stabilisation, le rétablissement de la sécurité en Irak, c'est d'abord la responsabilité de la coalition et de ceux qui y participent. Ce que nous faisons, nous, sans rien retrancher à notre analyse et à notre attitude - celles qu'ont exprimées avec beaucoup de force le président de la République française et Dominique de Villepin aux Nations unies - c'est de participer à la réflexion, avec la connaissance que nous avons de cette région, les relations, l'histoire, les contacts nombreux que nous avons avec tous les pays de cette région et un certain nombre de représentants des forces irakiennes. Notre sentiment, - et je pense que ce sentiment qu'exprime la France n'est pas isolé -, est utile aux pays de la coalition pour réussir la prochaine étape du 30 juin. Voilà dans quel esprit nous sommes prêts à participer à la réussite de cette étape politique aux Nations unies. J'en ai dit quelques conditions : que toutes les forces irakiennes puissent, autour d'une table, avant le 30 juin, vérifier que les conditions du transfert de souveraineté sont réelles, sincères et non pas artificielles. Ensuite, il y aura une nouvelle étape avec un gouvernement représentatif légitime, qui préparera les élections, et sans doute une conférence plus large, comme celle qu'imagine M. Brahimi. Mais c'est aussi une idée française et d'autres pays européens que cette grande conférence se tienne le moment venu. D'abord une conférence nationale puis, une conférence internationale avec, d'une manière ou d'une autre, les pays de la région et les membres de la communauté internationale. Ainsi pourra débuter le débat sur les moyens de la reconstruction. L'Union européenne, dont la France, prendra sa part à cette reconstruction mais ce n'est pas forcément et pas d'abord des soldats dont nous parlons. Peut-être mettrons-nous en place des appuis sur le plan institutionnel, économique, politique. Mettons les choses dans l'ordre. Chacun doit assumer ses responsabilités. La responsabilité de la stabilité et de la sécurité, c'est la responsabilité de la coalition.
Q - Toujours sur l'Irak, cette nouvelle étape, la sécurité ne devrait-elle pas déjà être faite ? Quand vous parlez de finir l'étape d'occupation, de rentrer dans la nouvelle étape, la phase d'exécution, cela veut-il dire en Irak le retrait des troupes d'occupation ? Qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Non, il ne s'agit pas de cela. Cela signifie la mise en place d'un gouvernement irakien légitime, associant les forces irakiennes qu'on a écoutées, qu'on a respectées, et non pas un gouvernement artificiel. Un gouvernement réellement souverain dit ce qu'il souhaite et probablement, d'une manière ou d'une autre, demandera des forces de stabilisation et de maintien de la paix, mais c'est à lui de dire les choses. Je pense aussi, pour reprendre votre première phrase, que pour réussir cette étape, il faut naturellement un peu plus de sécurité qu'aujourd'hui. Il faudra que la coalition assume cette responsabilité.
Q - A quel point ne risque-t-on pas de se retrouver avec un régime islamiste ?
R - Vous me connaissez depuis quelques années. Je ne suis pas quelqu'un qui commence par dire que tout va mal se passer, que le pire est sûr. Le pire n'est pas sûr. On peut prendre des précautions, prendre des décisions pour éviter que les choses ne tournent encore plus mal. Ma réponse comme ministre français est de dire, de manière volontariste, constructive, à partir de ce que nous entendons, de ce qu'on nous dit, des analyses auxquelles nous procédons, voilà comment on peut éviter le pire et prendre les choses une par une, dans l'ordre, bien préparer, mieux préparer l'étape du 30 juin. Je pense que si l'on prend ces précautions, si on écoute les forces irakiennes, si on les aide, si les Nations unies consolident ce processus, on pourra éviter que les choses tournent mal. Voilà ce que je peux dire. Je préfère dire les choses de manière positive plutôt que d'imaginer le pire.
Q - Qu'en est-il de l'unanimité dont vous avez fait état à propos du Proche-Orient. Si je ne m'abuse, au sein de cette assemblée ce matin, il y avait M. Jack Straw et M. Blair a donné son accord au plan de M. Sharon qui entérine les colonies juives en Cisjordanie. Est-ce que vous parlez exactement de la même chose ? Est-ce que le discours que M. Straw tient ici est le même que celui de M. Blair ? Est-ce que cette unanimité dont vous faites état n'est pas à consommation purement médiatique ?
R - Je n'ai pas parlé d'unanimité dans la manière de décrire ou d'interpréter le Sommet de Washington, les commentaires des uns et des autres. Je suis quelqu'un d'assez précis. J'ai un texte ici que j'ai d'ailleurs contribué à amender sur plusieurs points, avec d'autres ministres, qui résume de manière juste les conclusions sur lesquelles tout le monde a donné son accord. C'est pour cela que je me suis autorisé à parler d'unanimité. Tout le monde, tous les ministres, Jack Straw, Joschka Fischer, Louis Michel, tous les ministres qui étaient là ont donné leur accord à ce texte après qu'il a été modifié, encore une fois, tout à l'heure, il y a à peine une heure, sur plusieurs points. J'ai, par exemple, insisté pour que l'on dise que l'Union européenne réaffirmait sa conviction que la Feuille de Route constitue le seul chemin pour aboutir à stabiliser cette région. Voilà ce que je peux dire. Je ne peux pas dire autre chose. Pour le reste, c'est aux autres qu'il faut poser cette question et vérifier les choses.
Q - Vous avez dit que le Quartet n'est pas un solo. Vous avez évoqué l'importance de la crédibilité, que le solo de Washington, portait atteinte à la crédibilité de votre partenariat ?
R - Je pense que le Quartet est un cadre très important parce que naturellement les États-Unis sont là, avec les Nations unies, l'Union européenne et la Russie. Je vais d'ailleurs, lundi, dîner avec M. Lavrov à Moscou après être allé à Berlin travailler à nouveau avec Joschka Fischer sur ces sujets et naturellement sur le projet de Constitution dont nous parlerons peut-être un autre jour. Pour moi, pour nous, ce cadre-là est très important. C'est lui qui a élaboré cette Feuille de route, qui a obtenu d'ailleurs l'agrément d'Israël et de l'Autorité palestinienne sur cette vision et sur le chemin à suivre pour atteindre cette vision. Je pense que nos alliés américains, je le dis en tant que Français, doivent respecter l'Union européenne. J'ai souvent utilisé les mots, je les réutilise, de confiance mutuelle, de confiance réciproque. La confiance, cela se consolide, cela s'entretient, dans un partenariat et dans le respect mutuel. Il faut faire attention.
Q - Est-ce que vous pensez qu'il existe une possibilité d'une participation de l'OTAN dans la nouvelle étape en Irak ?
R - J'ai dit, devant Colin Powell, à Bruxelles, que ma conviction c'est que l'OTAN n'est pas le lieu où l'on doit étudier ou mettre en oeuvre ce qui se passera en Irak après le 30 juin. Je ne crois pas que ce soit le lieu. Surtout quand on ne sait pas ce que sera le sentiment ou la volonté du futur gouvernement irakien. J'ai parlé d'un transfert de souveraineté et j'ai utilisé à trois reprises le mot de sincérité. Il faut que ce transfert marque une rupture par rapport aux méthodes et à ce qui s'est passé avant. Cela ne peut pas être habillage, cela ne peut pas être artificiel. Il faut qu'il y ait une rupture. Encore une fois, mettons les choses dans l'ordre. Il faut que le nouveau gouvernement irakien dise ce qu'il souhaite.
Q - Vous avez dit à chacun sa responsabilité. La responsabilité de la coalition c'est d'assurer la sécurité. Mais jusqu'à quand ? Jusqu'au 30 juin ? Comment cela s'organise ?
R - Il y a un moment important qui va être, si la précaution est prise de respecter les forces politiques irakiennes, où vous allez avoir, j'espère le 30 juin, un gouvernement irakien représentatif - on sait bien que cela va être difficile - qui aura une légitimité et qui dira ce qu'il souhaite.
Q - Il faut avoir une résolution de l'ONU, mais les membres du Conseil de sécurité qui sont membres de l'Union européenne ont, eux, une obligation de se concerter. Comment vous allez organiser cela ?
R - Il me semble que d'abord on peut le faire entre nous mais on peut le faire aussi avec les autres. C'est un peu cela l'esprit de l'Union européenne. Aujourd'hui, nous étions dans cet état d'esprit : celui de la concertation. Je mènerai aussi les concertations nécessaires en tant que membre du Conseil de sécurité. Mais la France n'est pas la seule. La concertation a commencé hier et aujourd'hui sur ce sujet. Nous sommes convenus qu'il était utile qu'il y ait une nouvelle résolution des Nations unies avec le 30 juin pour consolider le processus de transfert de souveraineté. J'ai dit comment on pourrait réussir, ou ne pas réussir d'ailleurs, ce transfert en prenant la précaution d'écouter les forces politiques irakiennes. Dans les jours qui viennent, nous allons voir si ces idées sont entendues, si ces précautions sont prises et en toute hypothèse, au sein de l'Union, dans l'esprit du Traité, je suis décidé à avoir toutes les concertations nécessaires avec les autres membres du Conseil de sécurité.
Q - En ce qui concerne le Proche-Orient et la réunion du Quartet, est-ce qu'on peut s'attendre à une initiative de la part de l'Union européenne, de la France, et des pays de la région ?
R - Ce qui me paraît important c'est que la France et les autres aient obtenu qu'aujourd'hui, dans le texte qui vous a été remis, nous réaffirmions les points sur lesquels le Conseil européen, qui réunissait il y a quelques semaines, tous les Chefs d'État et de gouvernement, a été unanime. On ne va donc pas inventer de nouvelles positions, de nouvelles idées. Nous tenons à cette Feuille de route. On n'a pas fait mieux. Si quelqu'un a une meilleure idée, qu'il la donne. Mais je ne crois pas que l'on puisse trouver mieux que cette vision de ces deux États côte-à-côte et du chemin pour y parvenir, qui va être difficile et long. Nous allons donc nous en tenir à cela et à la méthode de la négociation.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 avril 2004)
(Entretien avec RFI, à Tullamore le 17 avril 2004) :
Q - A la suite de la rencontre de M. Bush et de M. Sharon à Washington, est-ce que la Feuille de route est morte ?
R - Non, non et non ! La Feuille de route n'est pas morte. C'est la seule vision qui ait été préparée, proposée pour régler ce terrible conflit entre Israël et l'Autorité palestinienne pour aboutir à la création et à la consolidation de deux États qui soient côte à côte dans la paix. Cette vision, le chemin pour parvenir à cette vision et cette Feuille de route a été approuvée par les Nations unies, par les États-Unis, par la Russie, par l'Union européenne, et a finalement reçu l'accord d'Israël et de l'Autorité palestinienne. On n'a pas autre chose. On n'a pas d'autres moyens de parvenir à la paix. Donc cette Feuille de route n'est pas morte. Et nous l'avons réaffirmé aujourd'hui. Tous les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne l'ont affirmé ensemble unanimement.
Q - Il n'y a pas de coup de canif dans la Feuille de route ?
R - Nous voulons comprendre cet accord de Washington comme la mise en oeuvre d'un des éléments de la Feuille de route parce que c'est vrai qu'il y est prévu le retrait d'Israël de la bande de Gaza. Encore faut-il voir les conditions de ce retrait, que la bande de Gaza soit économiquement viable, que l'on puisse y accéder, à quel moment va se faire ce retrait, comment l'Autorité palestinienne va prendre les choses en mains. Il faut encore poser des questions sur les conditions. Mais ce n'est qu'un des éléments et la Feuille de route ne se résume pas à cet élément-là. Il y a d'autres grands sujets qui doivent être traités dans le même cadre : la question des réfugiés, la question des colonies, le statut de Jérusalem et puis naturellement la consolidation de l'État palestinien. Tout cela avec une méthode que nous avons réaffirmée comme la seule méthode possible qui est la négociation et la concertation. On n'aboutira jamais à la paix et à la stabilité au Proche-Orient si on ne respecte pas, si on n'écoute pas, si on ne négocie pas avec les Palestiniens et, en même temps, si les Européens ne jouent pas leur rôle de partenaire.
Q - Autre grand sujet : l'Irak. Quel rôle est-ce que l'Union européenne, en tant que telle, peut espérer jouer dans cette situation particulièrement violente et sanglante en Irak en ce moment ?
R - Naturellement, se pose le problème de la spirale de la violence à laquelle on assiste, avec des actes de sauvagerie que nous avons condamnés et qui touchent toute la population civile, aussi bien les Irakiens que les étrangers, avec cette vague d'enlèvements. La responsabilité de résoudre ce problème de sécurité, de stabiliser la situation, est celle de la coalition qui occupe actuellement l'Irak. Mais nous avons voulu penser à ce qui va se passer maintenant. Comment abouti-t-on à la stabilité, à la paix ? Par une seule voie, la voie politique. Il faut qu'il y ait en Irak un gouvernement irakien, que la souveraineté de l'Irak soit confiée aux Irakiens. C'est possible le 30 juin, si on prend la précaution de mettre autour de la table toutes les forces irakiennes et qu'elles puissent vérifier la sincérité de ce transfert de souveraineté. Il faudra aussi que les Nations unies consolident, par une nouvelle résolution ce processus politique et qu'ensuite il y ait des élections. Alors, à ce moment-là, on entre dans une nouvelle période, une nouvelle époque pour l'Irak qui est celle de la reconstruction politique et économique. Et je pense que dans cette nouvelle époque de reconstruction politique et économique, notamment sur le plan des institutions, sur le plan du développement économique, l'Union européenne a un rôle à jouer et devra prendre sa part.
Q - Enfin, le Proche-Orient et l'Irak, deux facettes d'un difficile dialogue transatlantique ?
R - Oui, on voit bien que les États-Unis sont là, avec un rôle important. Je pense que leur intérêt, comme le nôtre, c'est que, pour aboutir à la paix au Proche-Orient, entre Israël et la Palestine, entre les régions du Moyen-Orient, pour aboutir à la stabilité en Irak, il faut que chacun joue son rôle, que l'on respecte les pays arabes, que l'on écoute et dialogue et que l'on négocie avec les Palestiniens et qu'il y ait une confiance mutuelle plus réelle et plus sincère, un meilleur équilibre entre les États-Unis et l'Union européenne.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 avril 2004)