Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, à Radio Classique le 16 octobre 2003, sur les propositions d'amendement de l'UDF concernant le budget 2004, la cote de popularité du gouvernement et la préparation des élections régonales de 2004 en Ile-de-France.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

H. Lauret-. Bonjour J.-F. Copé.
- "Bonjour."
L'examen du projet de loi de Finances pour 2004 a évidemment suscité les critiques à gauche - mais ça, c'est la moindre des choses -, la gauche qui dénonce un budget électoraliste et insincère, je ne connaissais pas l'expression, mais enfin c'est plutôt à droite que viennent les mauvaises nouvelles puisque clairement F. Bayrou et l'UDF vous attaquent frontalement maintenant. Ils font plus que de la résistance manifestement.
- "Oui, j'ai entendu comme vous ces observations et ces critiques. Moi, je crois qu'il faut écouter tout cela. Il y aura de toute façon un débat à l'Assemblée nationale puisque nous entamons, comme vous le savez, la discussion de ce texte. Donc nous discuterons, nous entendrons bien entendu les arguments présentés et puis le Gouvernement répondra et essaiera de convaincre que la stratégie budgétaire qui est la notre est à ce stade la seule possible."
Alors la stratégie budgétaire soit, mais alors là dedans il y a des points qui ne sont pas du tout anecdotiques puisque F. Bayrou vous demande, petit 1 " la suppression de la fameuse taxe sur le gasoil ", petit 2 " le rétablissement de l'allocation de fin de droits des chômeurs ", et petit 3 - et là ce n'est vraiment pas anecdotique - " la limitation à 1% de la baisse des impôts. "
- "J'avoue que j'ai du mal à comprendre la cohérence de tout cela. D'abord, il faut quand même que chacun ait à l'esprit qu'un budget ce n'est pas fait de bric et de brac. Un budget exige une construction globale, avec une philosophie globale. Or nous, notre philosophie en terme de politique économique, c'est de baisser les impôts et les charges, de baisser ce qu'on appelle les " prélèvements obligatoires ", pas pour des raisons idéologiques, simplement parce qu'on sait très bien que quand on veut faire en sorte que notre pays soit préparé au retour de la croissance, qui s'annonce d'ici quelques mois, il faut rendre du pouvoir d'achat aux salariés, favoriser l'embauche en baissant les charges sociales. La baisse de l'impôt sur le revenu, de ce point de vue, est un élément de stratégie absolument majeur. Je signale d'ailleurs..."
Contestée en l'occurrence par vos amis de l'UDF.
- "Oui, si ce n'est que moi j'ai le souvenir très précis que le candidat F. Bayrou, comme d'ailleurs le candidat J. Chirac, lors de l'élection présidentielle, préconisaient l'un et l'autre les mouvements importants de baisse de l'impôt sur le revenu. Donc c'est vrai que du point de vue de F. Bayrou, ce revirement m'étonne car je ne vois pas bien ce qui aujourd'hui pourrait être différent d'hier. L'analyse est la même : dans les périodes, y compris de ralentissement économique, baisser l'impôt sur le revenu, c'est baisser l'impôt des gens qui travaillent."
L'UDF vient de voter contre le projet de loi sur la santé publique, alors ça c'est un fait aussi.
- "Moi je considère que cela est affaire de choix et de responsabilité. J'ai vu comme vous, comme nous tous, que M. Bayrou s'était placé à travers la position qu'il a prise sur le texte de santé publique, un peu dans l'opposition en refusant de le voter."
Précisément.
- "Et ça me surprend parce que, alors pour l'instant ce n'est qu'un seul texte, donc c'est difficile d'en tirer des conséquences définitives, mais c'est un texte que les français attendent depuis très longtemps. C'est un peu étonnant."
Alors J.-F. Copé, je vous pose la question différemment. Est-ce que cette opposition est sincère, sur le fond, ou est-ce qu'elle est tactique parce qu'il y a des élections, parce qu'il y a en ce moment des négociations pour les régionales, puis d'ailleurs les cantonales, sénatoriales ?
- "Ah ! M. Lauret, ça c'est plutôt à l'UDF qu'il faut le demander. Nous, la seule chose que je peux vous dire, c'est que la porte a toujours été grande ouverte et qu'elle le sera."
Des miettes à Bayrou et à ses amis.
- "Mais des miettes de quoi ? Attendez, de quoi parlons-nous ? S'il s'agit de partager les mêmes idées, mais de considérer que dans les combats électoraux, on ne doit pas être ensemble, vous imaginez que pour les électeurs, c'est un peu compliqué à comprendre, et notamment les électeurs qui appartiennent à la famille politique de la droite ou du centre, et qui savent très bien qu'il y a deux périls : d'un côté la gauche - et je crois comprendre tout de même que l'UDF n'est pas du côté gauche de l'échiquier politique, ni favorable aux idées de la gauche surtout actuellement, elle est quand même la gauche très ringarde, très archéo ..."
C'est vous qui le dites.
- "Et l'autre danger, c'est la menace de l'extrême droite. Alors moi, je veux bien qu'on s'amuse à jouer à tous les jeux y compris les plus dangereux, mais je veux rappeler tout de même que ça s'appelle la politique du pire et que la politique du pire, on l'a vu dans le passé, que ça s'appelait aussi la machine à perdre."
Mais vous dites la gauche, vous ne dites pas l'extrême gauche.
- "Je ne dis pas l'extrême gauche, parce que j'attendais que vous me posiez la question, mais je suis tout aussi intarissable sur les risques que peut représenter l'extrême gauche. Nous avons mesuré physiquement, notamment à l'occasion des mouvements sociaux du mois de mai-juin, que l'extrême gauche était très mobilisée lorsqu'il s'agissait d'incarner toutes les formes de conservatisme face à un gouvernement, qui mandaté par les français, veut engager les réformes indispensables, que ce soit dans le domaine des retraites, la réforme de l'Etat, la modernisation de l'école, la préservation de notre système de santé, autant de sujets sur lesquels d'ailleurs les amis de F. Bayrou sont, je crois, globalement sur la même ligne que nous."
C'est encore à l'ordre du jour véritablement ou bien est-ce que dans ce domaine, ne serait-ce que parce que le chef de l'Etat le 14 juillet a incité au dialogue, à la négociation. Est-ce qu'au fond on n'a pas changé un peu de braquet ?
- "Non, H. Lauret, ne doutez pas un instant de notre détermination, nous avons un rythme qui est parfaitement clair, une réforme de structure exige que l'on y travaille pendant plusieurs mois. Je peux comprendre l'impatience de ceux qui voudraient qu'on aille plus vite, mais je veux tout de même leur rappeler que ce qui compte, c'est le résultat, c'est-à-dire que cette réforme on la mène à bien. Si nous avions fait la réforme des retraites en six semaines, comme certains nous le préconisaient, peut-être nous n'aurions pas eu des mouvements sociaux du mois de mai, juin, que l'extrême gauche était très mobilisée lorsqu'il s'agissait d'incarner toutes les formes de conservatisme face à un gouvernement qui mandaté par les Français veut engager les réformes indispensables, que ce soit dans le domaine des retraites, la réforme de l'Etat, la modernisation de l'école, la préservation de notre système de santé, tout autant de sujets sur lesquels d'ailleurs les amis de F. Bayrou sont, je crois, globalement sur la même ligne que nous (sic)."
Comment expliquez-vous que le climat soit si morose et que J.-P. Raffarin, donc votre gouvernement, voit sa cote sérieusement baisser dans l'opinion ?
- "Vous savez, il y a une, si j'ose dire une loi que l'on peut observer dans les popularités des gouvernements successifs, c'est que c'est généralement très lié à la situation de la croissance économique. Regardez la période précédente, M. Jospin était très haut dans les sondages jusqu'à six mois ..."
Longtemps, longtemps, très longtemps.
- "... six mois avant l'élection présidentielle. Voilà. Et c'était lié à quoi ? Ce n'était pas lié à son courage politique, parce que je n'ai pas le souvenir qu'il ait engagé de réformes spécialement difficiles, c'était lié à quoi pour l'essentiel ? C'était lié à la situation de la croissance économique. Lorsque l'on rencontrait à l'époque des chefs d'entreprises, et qu'on leur parlait des 35 heures, ils vous disaient, " ouais, c'est vrai que ce n'est pas génial, mais écoutez, les affaires ne marchent pas trop mal finalement, ça peut peut-être passer, etc ". C'est ça qu'on nous disait à l'époque, c'est aujourd'hui qu'on paye l'ardoise. Donc mon sentiment est qu'il y a un parallélisme assez clair entre les cotes de popularité des gouvernants et la situation de la croissance économique. On peut évidemment faire toutes les bêtises en période de croissance, mais en période où il n'y a pas de croissance, où il y a ralentissement, le rôle d'un gouvernement c'est faire le boulot, c'est d'assumer ses réformes, de les faire, et puis d'aller au résultat. Personne ne peut penser raisonnablement que la croissance ralentie, ça va être comme ça pendant des mois et des mois. Il me semble qu'il y a quelques signes, il faut les regarder avec lucidité sur la reprise."
Alors justement, est-ce que ce gouvernement, cette majorité, est-ce que vous n'êtes pas en train de spéculer au fond sur la reprise, et d'ailleurs la reprise venue d'Amérique ?
- "Spéculer, attendez."
Non, mais spéculer dans le bon sens du terme.
- "J'ai bien compris, mais soyons clairs sur les termes. La croissance économique, elle ne provient pas d'une décision d'un gouvernement. Le rôle d'un gouvernement, c'est d'accompagner cette croissance, c'est de faire en sorte que quand elle est là l'économie française soit capable d'être réactive et donc que les entrepreneurs, que les salariés, puissent en être les bénéficiaires en terme d'activités, en terme de revenus, en terme d'investissements, c'est ça qui est important. Donc le rôle du gouvernement français, il est de préparer la France à ce retour de la croissance. Donc ce n'est pas tant de spéculer sur les événements extérieurs, c'est de saisir les opportunités qui commencent d'arriver - on le voit à travers la reprise aux Etats-Unis, la reprise au Japon.."
Et F. Mer qui estime, d'ailleurs sur la foi d'études...
- "Les prévisions de La Banque de France, je vous le confirme bien volontiers."
... Que finalement l'état de récession ne serait pas aussi sérieux qu'on pouvait le supposer.
- "Je vous le confirme. Cela ne nous exonère pas d'être très actifs, parce que les réformes que nous faisons visent justement à assouplir les conditions dans lesquelles notre économie doit pouvoir réagir à ce rebond de croissance."
Donc c'est un vrai pari sur la reprise et sur une redistribution au fond du pouvoir d'achat aux français.
- "Ce qui est sûr, M. Lauret, c'est que si nous ne prenons pas les mesures qui permettent de créer les conditions pour être prêts, alors c'est là que les problèmes arriveront. Si en revanche nous faisons ce qu'il fait en terme d'assouplissement des 35 heures, en terme..."
Justement, pardon de vous couper, mais on a l'impression que le débat est clos là, sur les 35 heures. Ça y est, il y a eu une sorte de brûlot, qui a agité le microcosme parisien pendant...
- "Non mais, attendez, mettons-nous d'accord sur les termes. S'il s'agit de rouvrir le débat qui a occupé toute la campagne présidentielle, c'est non, les français ils ont voté et ils ont plutôt sanctionné, si ma mémoire est bonne, donc c'est fini. En revanche, ce qui compte, c'est d'intégrer dans notre démarche tout ce qui va autour, et notamment la loi de F. Fillon qui a considérablement assoupli les conditions d'application des 35 heures en permettant le recours aux heures supplémentaires."
Il faut faire plus ou pas ?
- "Je ne suis pas sûr qu'il faille à ce stade faire plus, ne serait-ce que parce que aujourd'hui, on le voit bien, l'absence de croissance ne semble pas justifier d'en faire plus. Si demain, d'autres circonstances devaient arriver, il sera toujours temps de les examiner, mais nous ne sommes pas dans ce cas de figure aujourd'hui. Ce qui compte, c'est de remettre en exergue la valeur du travail, c'est ça le vrai débat des 35 heures aujourd'hui."
C'est le principal message politique de votre gouvernement.
- "Mais bien entendu, c'est de dire à l'ensemble des Français : la valeur du travail est essentielle dans une société moderne, c'est elle qui conditionne la préservation de notre modèle social."
Et les Français sont prêts à entendre ?
- "Moi, je le crois, parce que je vois bien à travers les réunions que l'on peut tenir, je le vois notamment en Ile-de-France à travers les réunions que je tiens avec un certain nombre d'habitants de la région, y compris d'ailleurs dans le cadre de la campagne des régionale, je vois bien que les gens, qu'est-ce qu'ils disent aujourd'hui, ils disent : nous on veut le libre choix, on veut pouvoir organiser notre vie, on veut pouvoir être en situation, si on en a besoin, de travailler plus pour gagner plus."
La campagne des régionales, puisque vous l'évoquez, démarre. J.-P. Huchon, ça y est, est en campagne. Vous, évidemment, vous êtes le porte-parole du gouvernement et c'est une position qui à l'heure actuelle, et peut-être d'ailleurs dans les mois qui viennent, n'est pas nécessairement de tout repos.
- "De tout repos non, ça c'est sûr, mais vous savez aucun métier n'est de tout repos."
Mais politiquement confortable alors.
- "Mais moi je ne suis pas dans cet état d'esprit. C'est vrai que la conjoncture aujourd'hui est un peu plus difficile, mais pour autant ça n'entame rien ni à mon enthousiasme ni à ma pugnacité. Ce qui compte, c'est d'expliquer les choses aux gens et de comprendre que cette régionale, cette élection régionale, ce n'est pas une mini présidentielle, c'est une super élection municipale."
Quel est le message que vous allez délivrer aux Franciliens ? Principalement.
- "Je crois que l'idée c'est de dire aux habitants d'Ile-de-France que lorsqu'ils expriment, le message qu'ils expriment souvent c'est de dire finalement, nous, on n'a pas une bonne qualité de vie. Tout autant de sujets très concrets.."
C'est le même discours que J.-P. Huchon, J.-F. Copé.
- "Moi, ce que je constate simplement en tant qu'élu de Meaux, en Seine-et-Marne, c'est que les interpellations des concitoyens c'est tout le temps, et qu'aujourd'hui ils sont insatisfaits. Moi je ne suis pas le président sortant, donc je dis qu'il y a des réflexions à avoir très concrètes, par exemple en matière de sécurité, on peut parler de vidéosurveillance, parce que c'est un élément complémentaire sur lequel la région sera dans un rôle majeur. Donc il va falloir qu'on ait une approche très quotidienne, très concrète, complémentaire.."
Proche de la vie des gens.
- "Exactement, et qui sera complémentaire de l'approche que nous voulons avoir par ailleurs sur le plan national pour redresser notre pays. Mais j'ai une grande ambition pour l'Ile-de-France. Aujourd'hui, personne ne sait que l'Ile-de-France est une des plus grandes régions d'Europe. Eh bien, cette ambition, cette recherche d'identité, on va essayer de la porter ensemble."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 octobre 2003)